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Les gociations à la veille de COP 21 : la
place et le rôle du secteur énergétique.
Etat des lieux et problématique
Selon le dernier rapport spécial de l’AIE sur l’énergie et le changement climatique
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, la
production et la consommation dénergie sont responsables des deux tiers des émissions
mondiales à effets de serre, l’énergie devra donc se trouver au cœur des débats de la COP21.
La COP21 rassemblera 196 pays à Paris en Décembre prochain, c'est l'occasion pour l'Union
européenne, mais également pour la France, de promouvoir son rôle de leader dans la lutte
contre le changement climatique. L'UE est la première puissance économique majeure à avoir
mis sur la table des négociations un objectif unique et ambitieux de réduction des émissions
de gaz à effet de serre (moins 40% d'ici 2030 par rapport à 1990). Au niveau mondial
cependant, un accord est loin d'être signé. Après les échecs successifs de Kyoto, Copenhague
et Lima et au lendemain de la conférence de Bonn qui s'est tenue 1er au 11 juin 2015, les
négociateurs et représentants des 196 pays n'ont pas encore réussi à se mettre d'accord tant
sur les points fondamentaux que sur la forme juridique du texte de la Convention cadre des
nations unies sur le changement climatique. Dans l'attente du dépôt des "INDC" (contributions
prévues au niveau national) des 196 pays qui devront déposer au plus tard le 31 octobre
prochain leur feuille de route détaillant les moyens à mettre en œuvre et leurs objectifs pour
duire leur émissions de gaz à effet de serre, les négociateurs peinent à établir un calendrier
dynamique pour réussir le futur accord climat. Aujourd'hui seuls 38 pays dont les 28 états
membres de l'UE ont rendu publique leur INDC mais les experts
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les jugent encore
insuffisantes pour limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici la fin du siècle.
Malgré l’ambition de l'UE d'unifier sa politique énergétique et climatique, les dissensions sont
nombreuses et les différences profondes parmi les politiques énergétiques des états
membres. Avec son projet d’Union de l’énergie dont les trois principaux piliers sont la
réduction des émissions de CO2, la sécuri d’approvisionnement et la compétitivité des
entreprises européennes, les objectifs de la Commission apparaissent comme contradictoires
avec la lutte contre le changement climatique. Le premier pilier repose sur une augmentation
des renouvelables et le développement de l’efficacité énergétique, le second sur la
diversification des routes d'approvisionnement en gaz, dont le financement des
infrastructures représente des investissements considérables et constituent un obstacle
majeur pour leur réalisation. L'augmentation de la consommation de charbon, notamment en
Allemagne, due à son coût particulièrement bas profite à la compétitivité des entreprises mais
ne favorise assurément pas la transition vers une économie décarbonée. Les grandes
entreprises pétrolières et gazières européennes elles-mêmes plaident pour une augmentation
significative de la taxe carbone afin de limiter l'utilisation du charbon dans le mix énergétique
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Agence Internationale de l’Energie, “Energy and Climate Change”, World Energy Outlook 2015.
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Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que la température à la
surface de la Terre a augmenté de 0,85 °C en moyenne depuis 1880 et devrait croître de 0,3 à 4,8 °C d’ici à
2100 en fonction de l’évolution des émissions de gaz à effet de serre.
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mondial
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. Le nucléaire est le grand absent de l’Union de l’énergie et des négociations pour la
COP21, pourtant l’AIE considère qu’on ne réussira pas à limiter à 2°C de chauffement
climatique sans une augmentation de la part du nucléaire dans le mix. L'impasse dans laquelle
se trouvent les entreprises dans la lutte contre le changement climatique reflète aussi le
manque de hiérarchie dans les priorités politiques de l’UE entre ces trois contraintes. L'Agence
Internationale de l'énergie, pour sa part, prône la suppression totale des subventions aux
énergies fossiles d'ici 2030
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...
Dans ce contexte aux réalités complexes, suffira-t-il d’objectifs, qu’ils soient imposés par la
Commission ou définis par les Etats pour mettre les moyens en place et en œuvre pour réussir
un accord à 196 pays en décembre prochain ?
Selon Jean Charles Hourcade, expert au GIEC, si l'on rate l'opportunité de trouver un accord
lors de COP21, il sera difficile de rebâtir un cadre de négociations après un nouvel échec. Lors
de la dernière conférence mondiale sur le climat qui s'est tenue à Lima en décembre 2014,
c'est la question du financement qui avait fait capoter les négociations. Pour COP21, de
nombreux blocages persistent, la présidence américaine est empêchée par le Sénat dont la
majorité est occupée par l’opposition républicaine, la Chine continue d'augmenter sa
consommation en charbon, la France ne pourra pas signer d'accord si l'on exclut le nucléaire
des mix énergétiques futurs, les pays en développement comme l'Inde ou le Brésil
revendiquent une distribution équitable du partage des émissions de gaz à effet de serre. La
différenciation entre les pays développés, les émergents et ceux en développement dans
l’accord climatique reste l'un des principaux enjeux à régler pour la signature d'un accord
commun. Comme l’indiquent déjà les premières contributions nationales rendues publiques,
les objectifs ne seront pas les mêmes pour toutes les catégories de pays. Or certains des pays
en développement comme l'Inde ou la Chine sont parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet
de serre au niveau mondial. Comment réussir à construire un accord commun qui profite à
l’ensemble de ces intérêts divergents ?
De plus, on assiste à une lassitude de la part de la société civile qui paradoxalement, comme
le montre l'étude menée par EDF "les français face au changement climatique", sont de plus
en plus inquiets quant aux conséquences du changement climatique pour la planète et à la
fois de plus en plus sceptiques quant à notre capacité commune à diminuer les émissions de
gaz à effet de serre. Pourtant, l’étude montre que les français ne sont pas prêts à modifier
leurs modes de vie au quotidien et encore moins à accepter une augmentation, même faible,
des coûts de l’électricité pour contribuer au financement de la lutte contre le changement
climatique. On constate également une méconnaissance importante des causes du
changement climatique due à une confusion entre la pollution environnementale et les
émissions de gaz à effets de serre.
Enfin la question cruciale du financement de la transition vers un modèle de croissance à
faibles émissions de carbone et résilient au changement climatique reste un obstacle majeur.
A Copenhague, en 2009, les pays développés ont pris l’engagement de mobiliser 100 milliards
de dollars par an d’ici à 2020, sur fonds publics et privés, pour permettre aux pays en
développement de lutter contre le dérèglement climatique et de s’engager dans un
développement durable. Une partie de ces montants doit transiter par le Fonds vert pour le
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"A call worth listening to from European oil majors", Euractiv, 11 juin 2015.
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"L'AIE prône la supression des aides aux énergies fossiles d'ici 2030", Euractiv, 15 juin 2015
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climat, un mécanisme financier créé par l’ONU. Début juin 2015, sur les 10,2 milliards de
dollars (9,2 milliards d’euros) de promesses faites par une trentaine de pays pour abonder ce
fonds, cependant seuls 4 milliards de dollars avaient été ellement bloqués par les Etats
donateurs.
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Face à l'inopérabilité des outils de financement actuels et pour réussir à entamer cette
transition vers une économie décarbonée, les cadres budgétaires et macroéconomiques
doivent s’ajuster aux objectifs climatiques de long terme et prendre en considération le fait
que la lutte contre le changement climatique est une étape vers le renforcement de la
stabilité financière mondiale. Comme l’explique un expert des aspects financiers du
changement climatique, d’un côté, les retours sur investissements sont affectés par les
pertes liées aux impacts du changement climatique mondial - ainsi que par les politiques
mises en place pour une transition vers une société cohérente avec l’objectif climatique
de 2 °C. De l’autre, un changement de paradigme compatible avec la limitation du
réchauffement de la température à 2°C présente de nouvelles opportunités d’investissements
productifs.
La différenciation entre les pays industrialisés et ceux en développement, le financement de
la transition énergétique, la nature juridique de l’accord, la nécessité de s'inscrire dans une
perspective de long terme au-delà de 2030 et de former les générations futures constituent
autant d’enjeux à surmonter pour réussir à mettre en place une politique mondiale pour lutter
contre le changement climatique. On constate alors que les problématiques auxquels doivent
faire face les négociateurs pour aboutir à un accord mondial en décembre prochain ne sont
pas seulement environnementaux, mais également humains, énergétiques,
macroéconomiques, financiers, juridiques et géopolitiques.
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"Le Fonds vert, une question politique cruciale pour la réussite de COP21", Libération, 3 juin 2015
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