Thème : « VIH/Sida, représentations, croyances et mythes en

Thème : « VIH/Sida, représentations, croyances et mythes en République Démocratique du
Congo (RDC) ». Par kwilu landundu Hubert, doctorant en sociologie/ LERSEM-IRSA-CRI.
30 ans après son apparition, la pandémie du sida constitue aujourd’hui un défi contre
la politique de santé publique. Son ampleur et les conséquences qu’elle génère dans les
différentes parties du monde, ne garantissent aucunement l’avenir des populations
concernées. Malgré les efforts engagés par les scientifiques dans la recherche des molécules
pouvant guérir ce virus, les inquiétudes quant à son éradication demeurent encore
impressionnantes, car des contrées entières sont décimées par le sida. C’est le cas de
l’Afrique subsaharienne, où les populations ont une lecture tout à fait erronée de la maladie.
Elles ne croient point aux modes de transmission du virus et de ce fait, ces populations
paient les frais de cette ignorance, avec des taux de mortalité exponentiels parmi toutes les
classes d’âge.
Ainsi, pour le cas de la RDC, les données fournies par l’ONU sida indiquent que le
VIH/sida pose aujourd’hui un grave problème de santé publique et constitue une menace à
son veloppement économique. Depuis son apparition au Congo, le VIH/sida a entraîné des
pertes cumulées en vies humaines allant de 3 540 000 en 2006 jusqu’à 4 250 000 en 2010,
soit une diminution de 6 % de la population. Le nombre des personnes vivant avec le sida a
atteint 1,23 millions en 2006 et 1,39 millions en 2010, sans tenir compte des cas non
dépistés. De même, l’espérance de vie a diminué de 42 ans en 2010.
1
En effet, cette étude a été menée en RDC, à Kinshasa (la capitale de la RDC), de 2012
à 2015. L’objectif poursuivi dans cette étude, est celui de poser de manière aussi claire, un
certain nombre des questions, pour mieux appréhender la manière de penser des congolais
sur le sida : son origine, son traitement et son mode de transmission.
La méthode qualitative et la littérature existante sur les croyances des communautés
du Congo et de l’Afrique subsaharienne sur les maladies rares, particulièrement le sida, ont
servi de support méthodologique pour la collecte des données en rapport à cette étude. Sur
ce, le financement conjoint de LERSEM et de lécole doctorale 60, a permit d’effectuer deux
missions de terrain à Kinshasa du : 15 juillet au 30 septembre 2013 et du 17 juillet au 28
septembre 2014. Lors de ces missions, des contacts ont été noués avec des organismes
humanitaires qui travaillent sur la problématique du sida en RDC à savoir, les agences des
1
Rapport annuel ONUSIDA, RDC, 2010, p.12.
Nations-Unies telles que : l’UNICEF, l’OMS, MSF, ONUSIDA, PNUD, ainsi que les hautes
instances sanitaires de la RDC : le Ministère de la santé, l’Inspection provinciale de la santé
ville de Kinshasa, la Croix-Rouge du Congo, la zone de santé de Mont-Ngafula et quelques
établissements hospitaliers.
Pour mieux circonscrire cette enquête, nous avons choisi deux associations qui
assurent la prise en charge des patients du sida, en l’occurrence : la Fondation Femmes-Plus,
qui assure une prise en charge médicale et la Fondation Olangi- Wosho, une assemblée
évangélique néo-pentecôtiste, qui recourt aux prières et délivrances comme mode de
guérison des patients du sida. A l’occasion, quelques interviews et entretiens ont été réalisés
auprès de 34 séropositifs et du personnel médical. Pour ceux qui ont hésité de rejoindre nos
équipes de travail, nous avons pris soin d’administrer un questionnaire à leur endroit, pour
recueillir leur avis sur le sujet traité.
Par rapport à la réalisation de cette étude, nous avons éprouvé des difficultés quant à
son organisation matérielle. N’ayant pas les moyens financiers suffisants, nous étions
contraints de payer les frais de déplacement des patients qui venaient pour les entretiens au
Centre des soins Femmes-Plus. Il n’était pas facile également d’accéder aux données
relatives au financement des projets/sida appuyés par les partenaires. Les autorisations
officielles auprès des administrations locales, étaient accordées avec un regard considérable.
C’est ce qui avait de plus en plus retardé notre séjour sur le terrain.
1) Représentations, croyances et mythes des populations sur le sida en RDC
En effet, la société congolaise fonctionne selon deux registres culturels : un registre
traditionnel et un registre culturel moderne.
2
A la lumière de ces deux registres, la maladie
et la guérison sont vécues et pensées par les congolais de façon traditionnelle et moderne.
D’abord, il faut dire que ces deux registres s’imbriquent dans l’imaginaire du congolais et
c’est la notion de temps qui fait passer d’un registre à un autre.
Au Congo, un individu qui sent une fièvre et qui fait recours à l’hôpital où le
paludisme est bien diagnostiqué, cet individu a une représentation moderne de sa maladie,
parce que pour lui, la maladie signifie que quelque chose ne va pas dans son corps qui est
guéri. Mais si la maladie persiste, il recourt à la religion qui a aussi sa représentation de la
2
MOUKILOU Maurice Barnes, La gestion de la maladie par le recours aux églises pentecôtistes en République
du Congo, le cas de Brazzaville, mémoire de Master1 de sociologie, Département de sociologie, Université
Toulouse Le MIRAIL, 2006, p.23.
maladie (maladie = résultat du péché ou sanction venue de Dieu), c’est le comportement de
l’individu qui doit être soigné, c’est-à-dire son psychologique. Si à ces deux niveaux l’individu
n’est pas guéri, il recourt au registre traditionnel. Dans ce registre, la représentation de la
maladie prend en compte trois dimensions : biophysique, psychologique et socioculturel. Ici
l’individu est malade parce qu’il ya dans son corps quelque chose d’anormal, parce qu’il s’est
mal comporté ou parce qu’il est victime d’une infortune. Le guérisseur traditionnel
commence par effectuer un diagnostique qui porte à la fois sur l’observation physique, sur
les comportements et relations conjugales, professionnelles, sociales, familiales, etc.,
ensuite, il prescrit un traitement.
Qu’en est-il du mythe qui touche les congolais qui considèrent le sida comme étant
sacré ? Nous pensons d’une part, que cette question est liée au fait que les mythes
effectuent plusieurs fonctions rattachées, ils contiennent des niveaux de signification qui
accomplissent une cohérence, expérimentée de manière intuitive. D’autre part, les congolais
abordent simultanément ce qui est significatif sur les plans social et psychologique, par ce
que pour eux, le sida est non seulement une maladie, mais il est surtout une infortune due
au mauvais sort, selon certains de leurs discours.
En effet, en RDC, les individus pensent que les génies, les divinités, les esprits, les
morts, la sorcellerie, peuvent rendre malade. La sorcellerie peut provoquer la mort d’un
parent, la mort du bétail, la stérilité d’un couple, les échecs dans divers domaines de la vie.
Ainsi, seules les maladies fréquentes et sans gravité, liées à des agents pathogènes bien
connus (diarrhées banales des enfants, parasitoses intestinales, rougeole, paludisme) sont
considérées comme des affections naturelles relevant des simples traitements médicaux
dans les structures médicales ou chez l’infirmier. Mais des pathologies graves comme le sida,
le cancer et autres maladies rares et celles réfractaires aux traitements modernes, sont
considérées comme étant d’origine surnaturelle, et relevant d’une thérapie, capable de
traiter non seulement les symptômes mais aussi la cause profonde du mal.
Ainsi, l’interprétation des causes est placée au centre même du processus de
guérison : le mal ne frappe pas au hasard, il est déclenché selon un mode surnaturel. Cette
action ne peut s’exercer que selon les lois et la hiérarchie de l’ordre lignager. C’est la force
détenue par les ancêtres et transmise à leurs descendants : chefs de famille qui apporte
santé et prospérité au clan et à tous ses membres. La croyance à la sorcellerie est au centre
de l’origine du VIH/Sida en RDC, la prise des antirétroviraux est considérée comme un
palliatif, les patients du sida pensent que la cause de leur maladie se trouve ailleurs, comme
nous le verrons dans les différents discours dans les pages qui suivent. De ce fait, les patients
du sida sont contraints d’emprunter divers itinéraires thérapeutiques dans la recherche de la
guérison : « guérisseur-féticheur-médecin-pasteur », « guérisseur-féticheur », « guérisseur-
médecin-pasteur », « médecin-médecin-pasteur », « médecin-pasteur-pasteur ». Mais ce
processus n’est pas du tout linéaire.
Dans ce contexte, la maladie entant que fait social, est liée aux cultures, aux
croyances, aux représentations et aux mœurs des populations. Elle est également conçue
comme le produit de l’imaginaire social d’une communauté. La culture et la maladie,
n’échappent plus à l’interprétation anthropologique des communautés, et c’est pourquoi la
hantise (crainte) des épidémies, à la fin du siècle dernier, a poussé les grandes nations à
coopérer dans le domaine sanitaire, pour comprendre la façon de penser des peuples sur la
maladie et leur état de santé. La problématique de la santé devient à cet effet, une jonction
entre la culture, les représentations, les croyances et les mythes des peuples.
3
2) Discours des patients sur l’origine du sida
Toute maladie suspecte comme le sida, peut donc être interprétée en termes
de relation persécutrice. Pour la soigner, il ne suffit pas de faire disparaître les
symptômes. C’est la cause qu’il faut traiter, et pour cela, il faut chercher l’agresseur,
déterminer son mobile. Selon les discours populaires des congolais, il y a trois sortes
de motifs d’agression : le pur besoin de s’approprier la force vitale d’autrui pour
accroître la sienne, la jalousie matérielle ou le mécontentement des membres
imminents du lignage sur la personne.
Les différents contacts avec les séropositifs, ont produit les discours en rapport
avec l’origine de leur maladie, à travers la question suivante : Quelle est selon vous
l’origine ou la cause de votre maladie ?
Patient n°1
Ma maladie je l’ai vu dans un songe, je dormais un jour, j’ai vu un serpent me
piquer, et je me suis levé. Quelques semaines après ce songe, j’ai commencé à faire de
3
Laplantine François, Anthropologie de la maladie : Etude ethnologique des systèmes de représentations
étiologiques et thérapeutiques dans la société occidentale contemporaine, Paris, Payot, 1992, p.280.
fortes fièvres, quand je suis allé me faire examiner, on a trouvé le sida dans mon sang.
Avant cela, mon frère venait aussi de mourir du sida. Je pense que ce serpent est à la
base de nos malheurs. Ma mère de son vivant, nous disait que, nos ancêtres nous
avaient laissé un serpent pour assurer la protection des membres du clan, et que ce
serpent devait être nourri chaque jour, s’il ne mangeait pas bien, il risquait de piquer
les individus et leur rendre malades. Je crois que ma mère avait raison, les choses
qu’elle nous disait se confirment aujourd’hui.
Patient n°2
Si je suis malade aujourd’hui, c’est à cause des paroles prononcées par ma
grand-mère. Un jour, suite à l’inconduite de ma mère, la grand-mère lui a dit que les
enfants qu’elle aura, vont beaucoup souffrir, ils n’atteindront jamais l’âge adulte.
Depuis que ces paroles ont été prononcées, notre famille souffre, nous sommes chaque
fois malades, nous n’avons pas du travail. Je pense que ces paroles ne peuvent
disparaitre que par des prières de délivrance. C’est pourquoi, je me rends chaque jour à
la prière dans notre église pour chercher ma guérison. Les antirétroviraux que l’on me
donne ne peuvent pas guérir le sida, c’est seulement par la prière que l’on peut le
guérir. Le sida selon moi est une maladie diabolique, une maladie qui vient des
ancêtres et des esprits.
La victimisation causale, pour laquelle les congolais ont résolument opté, crée
sans cesse l’illusion que l’on a de l’origine du sida. Selon les discours des congolais
interviewés, la seule origine possible du sida ainsi que son traitement, sont les
sorciers, les guérisseurs et la prière. Les itinéraires thérapeutiques, sont aussi des
choix sociaux qui appartiennent à l’histoire, à la culture et même, à la famille et à
l’environnement immédiat du patient. Il en va de même des traitements que l’on tient
chaque fois comme inefficaces. Les patients ont dans leur imaginaire, des stéréotypes
qui vont jusqu’à changer les thérapeutes et à multiplier les itinéraires thérapeutiques.
Parmi les causes ayant contribué à l’expansion du sida en RDC, nous avons
retenu entre autres : la pauvreté et la paupérisation des familles, la déliquescence du
système de santé, les migrations internes et externes des populations, les inégalités
dans l’accès au traitement de qualité, la mauvaise gouvernance, etc.
1 / 6 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!