PLATON : LE BANQUET (Συμποσίον) - Traduction de Victor COUSIN. Platon, « Œuvres (Tome septième, Volume VI) », « Le banquet, ou de l’amour », Pichon et Didier, 1831. http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/banquet.htm APOLLODORE C’est la transmission inter-générationnelle qui donne consistance à la pertinence clinique de ce récit, fait attesté par la « passe » qui en est fait d’un narrateur à un autre, oralement, jusqu’à ce que son texte ne soit plus soumis qu’au bon vouloir de son traducteur, et à la compréhension qu’en a son lecteur. Appollodore raconte qu’un jour, 236 un de ses ami lui demande ce qu’il s’est « passé chez Agathon le jour où Socrate et Alcibiade y soupèrent », et qu’il s’en dit qu’on y avait parlé d’amour. Un homme peu sûr lui en avait rapporté un bout qu’il tenait de Phénix. Apollodore y étais-il vraiment ? Il répond qu’ 237 « il y a plusieurs années qu’Agathon n’a mis le pied dans Athènes », et qu’il n’y a que trois ans qu’il fréquente Socrate. Agathon avait remporté un prix de tragédie la veille, Apollodore dit 238 qu’il tient le récit d’Aristodème, qui était présent, qui l’avait conté à Phénix, et qui était épris de Socrate. Appollodore avait toutefois demandé confirmation de certains points à Socrate. Ils en discutèrent sur le chemin, ce qui a permis à Appollodore de raviver le souvenir pour nous le raconter aujourd’hui. Importance de la culture orale et de la mémorisation « Aussi bien, outre le profit que je trouve à parler ou à entendre parler de philosophie, il n'y a rien au monde où je prenne tant de plaisir, tout au contraire des autres discours. » Mise en perspective et aveu de sa jouissance à conter cette histoire, au titre de son amour du discours philosophique (analyste ?). « Je me meurs d'ennui quand je vous entends, vous autres riches et gens d'affaires, parler de vos intérêts; et je déplore votre aveuglement : vous pensez faire merveilles, et en vérité vous ne faites rien de bon » Discours hystérique de remise en question d’un discours capitaliste « Peut-être vous 239 aussi, de votre côté, me croyez-vous fort à plaindre , et vous avez bien raison de le croire ; mais moi, je ne crois pas que vous êtes à plaindre, j'en suis sûr » Apollodore se fait l’avocat du groupe de ses auditeurs, auxquels il attribue une remise en question de son propre discours, pour mieux appuyer de façon humoristique son propre discours hystérique à leur endroit. « Tu es toujours le même, Apollodore: toujours disant du mal de toi et des autres, et persuadé que tous les hommes, excepté Socrate, sont misérables (…).il y a toujours quelque chose de cela dans tes discours » Un de ses amis adopte un discours hystérique vis-à-vis de son discours hystérique, considérant le résultat de celui-ci comme un savoir universitaire dont il serait lui-même l’objet (au sens “cible”) : en gros, il l’accuse de les prendre pour des cons et d’être maso. Appollodore revendique le droit à l’erreur, mais assure de sa volonté de raconter « la chose » telle qu’elle lui a été racontée. 240 Appolodore rencontre Socrate « qui sortait du bain et qui avait mis des sandales, ce qui ne lui était pas ordinaire » « il lui avait demandé où il allait si beau » Le discours passe ici de la troisième personne à la première personne. « Je me suis fait beau pour aller chez un beau garçon » Socrate propose à Aristodème de l’accompagner, en tant qu’ « honnête homme », bien que n’y ayant pas été invité, comme Homère1 avait « fait venir (à un) festin (…) 241 un inférieur ». Aristodème se défend d’être un honnête homme, et assure qu’il dira « que c’est (Socrate) qui (l’a invité) ». Socrate lui dit qu’ils sont « deux »2 (qu’ils forment un groupe), et qu’ils trouveront bien quoi dire. Au milieu du chemin, Socrate, pensif, dit à Aristodème d’aller devant. Agathon l’accueille au moment où les hôtes allaient être servis, 242 et lui dit qu’il avait cherché à l’inviter, avant d’envoyer un « enfant » chercher où Socrate s’était attardé. Il demande (DM) qu’on lave les pieds d’Aristodème avant qu’il s’asseye « à côté d'Eryximaqué ». « un autre esclave vint annoncer qu'il avait trouvé Socrate sur la porté de la maison voisine, mais qu'il n'avait point voulu venir » 1 Iliade, II, v. 408. — Le proverbe (cf. Athénée, IV, 27. — Zenobius, II, 19) 2 Iliade, X, 224. Agathon lui dit « ne le quitte point qu'il ne soit entré » (DM), Aristodème demande qu’on le laisse tranquille (DH), que ça lui prend souvent, et qu’à son avis, il arrivera bientôt. Agathon s’adresse à ses esclaves en les appelant « enfants » et en leur demandant de le 243 regarder lui et ses « amis comme des hôtes que vous auriez vous-mêmes invités ». Agathon jouit de masquer plus ou moins humoristiquement son discours du maître d’une couche de fausse humilité. Chaque fois qu’Agathon veut faire appeler Socrate (DM), Aristodème l’en empêche (DH). Socrate paraît après donc les avoir « selon sa coutume » fait attendre jusqu’à moitié souper. « Viens, dit-il, Socrate, que je m'approche de toi le plus que je pourrai, pour tâcher d'avoir ma part des sages pensées que tu viens de trouver ici près » Agathon jouit de sa fausse modestie. Socrate lui renvoie le compliment : « Plut à Dieu, dit-il, que la sagesse, Agathon, fut quelque chose qui pût passer d'un esprit dans un autre, quand on s'approche (…).Ce serait à moi de m'estimer heureux d'être auprès de toi, (…) car pour la mienne, c'est quelque chose de bien 244 médiocre ». Socrate remet en question hystérico-humoristiquement (DH) le savoir (DU) qu’on lui impute, en renvoyant la balle, tout auréolé qu’est Agathon de son prix de tragédie, décerné collectivement par une assemblée de 30 000 grecs (DM). Agathon désigne (DM) Bacchus comme juge (DU) de cette question de sagesse, remise à la fin du souper. À ce moment, « on parla de boire », Pausanias3 proposant de ne pas abuser, vu la jaille de la veille 245, ce qu’Aristophane4, reconnaissant sa jouissance alcoolique de la veille, approuve. Éryximaque approuve cette approbation, et demande à Agathon son avis. Celui-ci s’inclut dans le groupe des « GDB ». « Où en est Agathon? - Où vous en êtes » Éryximaque s’en réjouit à son titre et s’exclut d’un groupe de « braves » (où figurent manifestement Agathon et Pausanias) et s’inclut dans un groupe « de petits buveurs » avec Aristodème, Phèdre et les autres. Il place Socrate dans une position d’exception : lui « boit comme il veut ». 3 d'après Élien, V. H. II, 21 , Pausanias aurait été l'amant d'Agathon, avec lequel il se serait retiré avec lui a la cour d'Archélaüs 4 Le célèbre comique. Éryximaque, après avoir acté le consensus autour de la modération, en profite pour arguer (DM) de son « expérience de médecin » pour un message de modération, que Phèdre approuve 246. Éryximaque, attendu que personne « ne forcera personne » à boire, propose « que l’on renvoie cette joueuse de flûte » et propose « la matière » de la conversation. Il se fait témoin de l’ « indignation » qu’a montré Phèdre à propos du manque de poésies à propos du 247 « si grand dieu » qu’est l’Amour. Éryximaque veut donc « faire (sa) cour », et qualifie le groupe qu’ils forment comme particulièrement propice, sous réserve de consensus collégial, à une prise de parole à tour de rôle 248 réintérant l’attribution de la paternité de ce thème à Phèdre. Socrate présume de ce consensus (DM), et que lui même « fait profession de ne savoir que l’amour » (DA ?). Il nomme particulièrement Agathon, Pausanias, Aristophane, tout en faisant remarquer que la distribution de la parole proposée les défavorise, vu qu’ils sont « assis les derniers » (constitution spatiale du groupe, DM), et qu’il en seront peut-être réduits à devoir se contenter de « leur donner (leur) approbation ». Il prend toutefois une position d’autorité (DM) : « Que Phèdre commence donc ». « Le sentiment de Socrate fut unanimement adopté ». Le narrateur (Appollodème) rappelle qu’il ne saurait s’être parfaitement rappelé de ce qu’une personne (Aristodème), n’ayant pas pu elle non plus parfaitement s’être rappelée, lui a transmis. 249 Phèdre : « il n’y a point de dieu plus ancien que (l’amour, qui) n’a ni père ni mère », personne même n’a jamais cherché à leur en inventer56. 250 Phèdre met l’amour en position de meilleur agent de “plus-de-bien” pour le groupe “Hommes”, l’objet d’amour “ayant” l’amant et l’amant aimant “un” objet. L’amour inspire la bonne conduite (« honte du mal et (…) émulation du bien) mieux que naissance, honneurs et richesses. Phèdre le juge indispensable à ce que tout « particulier » (individu) ou « état » (groupe) fasse quelque chose « de beau (ou) de grand ». Phèdre continue dans un principe d’exception (DM) : « il n’y aurait (…) personne (…) devant qui (un homme coupable) eût tant de honte de paraître que devant ce qu’il aime, (ni d’être) aimé (...) surpris en (…) faute (devant) son amant ». Versant imaginaire (« enchantement ») de cette exception (DM) : « (Aucun) peuple (n’aurait) plus (…) horreur du vice et (ne rechercherait plus) la vertu (…(qu’) un état ou une armée (…) composée (…) d’amans et d’aimés », recherche de savoir (DU) qui leur assurerait la victoire, l’amant préférant mourir Hésiod. Théogon.,v. 116, 117, 120. Les vers 118 et 119 des éditions paraissent avoir été ignorés de Platon. Voyez Theogonia Hesiodea, de Wolf, 76, 78. 6 Voyez les Fragmens de Parménide, par Fulleborn, p. 86 5 que d’abandonner l’aimé, ou même que d’être vu par l’aimé en train de déserter. L’amour fait des hommes amoureux des « héros », là ou les autres dieux ne font que leur inspirer « de l’audace »7. Exception (DM) : « Il n'y a que parmi les amans que l'on sait mourir l'un pour l'autre ». Renforcement de l’universalité de cette exception : « des hommes, mais des femmes même ». Statut d’exception d’Alceste par rapport au groupe “habitant-e-s de la Grèce”, et par rapport à ses propres parents8 , la faiblesse de leur lien de parenté, en comparaison son amour, les rendants étrangers au groupe que forme leur couple : 252 « les dieux (…) lui rendirent avec l'âme de son époux la sienne propre ». D’ailleurs, même Orphée se retrouve dans le groupe des mortels (il se trouve ravalé au rang de musicien pour n’avoir pas renoncé à sa vie par amour) à côté de cette exception permise par le courage d’un amour parfait9 qui place l’objet aimé au dessus que sa propre existence (et donc, l’objet au dessus du sujet ; ou encore, “l’être aimé” au-dessus de “l’être aimant” (cf. Daniel Balavoine « Aimer est plus fort que d’être aimé »). De même, les dieux « ont honoré Achille » qui a préféré la promesse de la mort s’il vengeait son ami Patrocle, à celle d’ « une longue vieillesse (…s’il tuait Hector…) ». Remarque bizarre de Phèdre qui place Achille comme « aimé » de Patrocle selon des critères subjectifs, mais différencie « ce que l’on fait pour ce qu’on aime » de « ce qu’on fait pour celui dont on est aimé » : « celui qui aime est quelque chose de plus divin que celui qui est aimé », d’où la récompense supérieure accordée à Achille (« l’aimé ») qu’à Alceste (« l’aimant »). 254 Pausanias : Remise en question (DH) du discours de Phèdre : ce savoir sur l’amour (DU) « serait bon s’il n’y avait qu’un Amour » : duquel parle-t-on (inclusion du groupe). Le savoir apparu dans la situation groupale prétextée par Agathon, orchestrée par Eryximaqué et cautionnée par Socrate, savoir révélé par Phèdre, est remis en question dans l’universalité de son exception comme non-respectueux de la singularité du lien transférentiel. Pour Pausanias, c’est sûr (DU), il y a deux Vénus, donc il y a deux Amours : « un céleste, l’autre populaire ». 255 « rien (…) n'est bon en soi, mais peut le devenir par la manière dont on le fait (…) selon les règles de l’honnêteté ou non. Il en est de meme d’aimer ». « L’Amour populaire (…commun…) n’inspire que des actions basses, (aimer) plutôt le corps que l’âme (…), déraisonnable, (qui) n’aspirent qu’à la jouissance (…) peu importe le moyen (et ils) s’attachent à tout ce qui se présente », un amour sans objet défini, sans sublimation du désir. Iliade, X, 482; XV, 262. Euripide, Alceste, 15, et le fragment de Musonius dans Stobée. Florileg. 64. 9 Virgile, Géorgiq. IV. 7 8 « L’Amour Uranie n’a pas de mère (et) n’a qu’un sexe pour objet (…) plus généreux et qui 256 participe davantage de l’intelligence », un amour pubère, qui vise la durée, « une loi (…) juste (…(que) les gens sages s’imposent euxmêmes…) là où ceux « qui ont déshonoré l’Amour, (déplacés et injustes) 257, ont fait dire qu’il était honteux de bien traiter un amant » Pausanias compare le groupe Athènes/Lacédémone (statut d’exception) au reste du monde, représenté par l’Élide et la Béotie ou (« il est bien d’accorder ses faveurs à qui nous aime (…(car) on n’y est pas habile dans l’art de parler (le savoir langagier (DU) complexifierait l’Amour ?)…) », tandis qu’en Ionie et en Barbarie, « on proscrit l’Amour (…), la philosophie et la gymnastique (parce) que le tyrans (DM) n’aiment point à voir qu’il se forme parmi leur sujets de grands courages ou de fortes amitiés, 258 ce que (fait) l’amour ». « Cette excessive sévérité vient de l’iniquité qui l’ont établie, de la tyrannie des gouvernants et de la lâcheté des gouvernés (DM), (là où), dans les pays où (on considère cela) simplement (…) cette indulgence outrée est une preuve de grossièreté ». « Tout cela est (…) plus sagement ordonné (à Athènes, mais) il n’est pas facile d’(en) comprendre l’esprit ». On retrouve cette idée d’un savoir (DU) (« aimer aux yeux de tout le monde (…) de préférence les plus généreux et les plus vertueux ») complexificateur, sans remise en question hystérique (DH), mais au contraire un amour du savoir (« on encourage (…(le) succès d’un homme qui aime (car on croit qu’il peut être…) honnête d’aimer, (…) les honnêtes gens (…(pensant que tout les moyens permettant) à l’amant d’atteindre son but (le perdraient)…) s’il s’en servait pour tout autre dessein (subissant les reproches) : à un homme qui aime (…) tout est permis, (et) ses bassesses (sont) son devoir (…) : on veut que les amans soient les seuls parjures que les dieux ne punissent point ; car on dit que les serments n’engagent point en amour 260 ». Pourtant, le devoir des gouverneurs « d’empêcher que les enfants ne parlent à ceux qui les aiment » pourraient laisser penser que l’Amour est ici honteux. C’est parce que l’ « homme vicieux (est) l’amant populaire qui aime le corps plutôt que l’âme 261 (d’un amour éphémère, tandis) que l’amant d’une belle âme (…) reste fidèle toute la vie, car ce qu’il aime ne change point (…) et qu’on exige l’épreuve du temps ». L’amour est une « servitude volontaire » (DM) admise au titre de l’amour et de la vertu « et que l’aimé ait un véritable désir d’être instruit » (DA ou l’analyste se laisse placer en position d’objet de l’amour du savoir qu’il est censé détenir aux yeux du sujet, l’utilise pour s’enseigner de lui : « L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »). « Il n’est honnête (qu’à ces conditions de savoir) de se donner (qu’) à qui nous aime (…). Alors, il n’est pas honteux d’être trompé » 263. « Si, dans l’espérance du gain, on s’abandonne à un amant, (quand on le reconnaît, DH), on a découvert ce que l’on était (savoir insu, DA) ». Ainsi, un amour malhonnête est tout de même instructif si on sait reconnaître son erreur : il n’existe pas de savoir intangible mais l’amour du savoir est nécessaire. « Il y a de l’honneur à être trompé de la sorte (DH) : car on a fait voir le fond de son cœur (savoir insu : DA)». Conclusion : l’Amour de la vertu, Amour céleste, est « utile (…) et digne d’(…) étude, puisqu’il oblige l’amant et l’aimé de veiller sur eux mêmes » 264. Aristophane, aux prises avec son corps (hoquet), demande son aide à Éryximaque, qui lui délivre un savoir (DU) sur le moyen de passer au-delà de ces manifestations, et prend son tour de parole dans l’intervalle. Il reconnaît à Pausanias un savoir, dont il dénonce hystériquement l’incomplétude, à laquelle 265 il se propose de remédier. Là où Pausanias distingue «dans l’âme des hommes » deux Amours ayant « pour objet la beauté (…) , il a d’autres objets (…) dans la nature corporelle (…), les animaux (…), les productions de la terre ». Éryximaque énonce d’autres Autres que ceux assujettis au langage (animaux, productions de la terre…), et sur lequel le sujet peut se fonder pour faire l’épreuve de son identité. Il commence par la médecine (DU), qui dissocie les parties saines et malades du corps, et « est la science de l’amour relativement à la réplétion et à l’évacuation ». Le médecin détient la science (DU) d’ « ôter (…) l’amour vicieux, introduire l’amour bien réglé où il est nécessaire, établir la conorde entre les éléments les plus ennemis et leur inspirer un amour mutuel ». « L’amour préside à la médecine, ainsi qu’à la gymnastique et à l’agriculture ». Est-ce qu’Héraclite10 l’a reconnu dans la musique ? 267 « Il est absurde que l’harmonie soit une opposition, ou qu’elle résulte de choses opposées (…) le grave et l’aigu (en) conson-nance », 268 « se ser(vir) à propos des airs et des mesures déjà inventées (…) s'appelle éducation ». « La plus grande circonspection est nécessaire pour régler les plaisirs de la table dans une si juste mesure, qu'on puisse en jouir sans nuire à la santé ». « Toutes les fois que les éléments 269 (…) contractent entre eux un amour réglé et composent une harmonie sage et bien tempérée, l’année devient fertile et salutaire aux hommes, aux plantes et à tout animaux, sans nuire à qui que ce soit » : principe d’universalité (et même de mondialité) des bienfaits de l’amour. « La connaissance de ces choses s’appelle l’astronomie » (DU). « toutes les communications des hommes avec les dieux se rapportent à l’amour et n’ont but que d’entretenir le bon et de guérir le mauvais (…) par la science qu’elle a » : l’amour en tant que placement de l’objet de l’interaction langagière comme digne d’être aimé (DA), par le savoir qu’on lui impute, est une science qui permet même de communiquer sur le plan symbolique avec l’Autre, c’est à dire un interlocuteur aussi bien absent que tout-puissant et omniscient. Plutarque, Is. et Osir. Stéphan. Poesis phiosophica, p. 129, i55. Schleiermacher, sur Heraclite, Mus. Alterth. l, cah. 3. 10 « La puissance de l’amour est universelle ». Aristophane témoigne de la division subjective attestée par les limites de son corps (DM) et le remède, « un mouvement (…) accompagné de bruits et d’agitations ridicules » qu’il y a apporté grâce au savoir d’Éryximaque (DU), qui remet en question (DH) la remise en question (DH) qu’en fait « en plaisantant à (ses) dépens (par sa) raillerie » Aristophane, Éryximaque le menaçant même (DM), en remettant toutefois par un décalage humoristique (DH) entre l’énormité de son propos et la situation, sa propre “menace”. Aristophane, toujours sur le ton de l’humour (DH), s’en remet poliment à son indulgence, c’est à dire qu’il montre son désir (DA) à l’endroit du désir (DM) de l’Autre, qui ne s’y trompe pas et conditionne son indulgence à son bon vouloir. Lacan : « le désir, c’est le désir du désir de l’Autre » Lacan : « l’amour, c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » Aristophane, ainsi rappelé à l’obligation de faire « bien attention à ce qu(‘il) va dire (comme s’il devait) rendre compte de chacune de ses paroles », c’est à dire en prenant compte d’un Autre symbolique (DA) tout-puissant et omniscient,(DM) représenté par le réel de la présence du groupe formé par ses attendants. Appuyant autant son originalité subjective que son statut d’exception, seul parlant, à ce moment là, dans un groupe muet, il atteste de ce que son discours sera radicalement différent de celui d’Éryximaque et Pausanias (ce que chaque interlocuteur a fait jusqu’alors). Il ne leur reconnaît (DH) qu’un savoir (DU) au mieux partiel sur l’amour (« s’ils connaissaient (…la puissance de l’Amour ») ; ils les place du même coup dans le groupe des humains qui ne savent pas l’amour non plus, du fait de leur (non)agissment « qui n’est point en pratique » ce qu’il serait « convenable » qu’il soit, 272 s’ils n’en étaient pas ignorants : « vous enseignerez aux autres ce que vous aurez appris de moi ». Il remonte d’abord à un principe d’universalité de son savoir (DU) sur « sur la nature humaine », avec un troisième sexe, somme des deux autres, qui « s’appelait androgyne », avec des humains ressemblant à des obèses siamois 273 capables de se déplacer en roulant, d’une rapidité dépassant les limites actuelles d el’humain. Il asserte de ce qu’on ne pouvait alors différencier les trois genres que par leur provenance (« le sexe masculin est produit par le soleil, le féminin par la terre, et celui qui est composé de deux, par là lune, qui participe de la terre et du soleil » et que l’Autre divin ne faisait pour eux pas exception11 leur courage étant, lui aussi, illimité. Cet Autre (en l’occurrence Juipter qui s’adresse au groupe du reste de la divinité) prit donc conscience (DA) du savoir (DU) du moyen de les diviser pour les rendre leurs sujets, les assujetir, « conserver les hommes et les rendre plus retenus, (…) diminuer leurs forces : je les séparerai en deux », pour qu’il les serve (DM) avec la menace (symbolique) que cet autre ne vienne les couper à nouveau en deux, les 11 Homère, Odyssée, liv. XI, v. 307 castrant d’une moitié. La cicatrice de cette première séparation étant le nombril, le séparateur ayant recours à l’aide d’un autre Autre (Apollon) pour « que la vue de ce châtiment les rendit plus modeste (devant le) souvenir de l’ancien état » et que chaque moitié n’ait de cesse que de joindre son Autre moitié, tentant de rentrer en rapport « se joignaient avec une telle ardeur dans le désir de rentrer dans leur ancienne unité qu’elles périssaient dans cet embrassement de faim et d’inaction » devant l’inexistence de ce rapport ? Lacan : « il n’y a pas de rapport sexuel » --> au moins quelqu’un (sous-entendu : tout le monde) n’a pas de rapport sexuel dans au moins un endroit (sousentendu : partout). « La race allait s’éteignant. Jupiter (…) change de place les instruments de la génération. (…) 276 Il les mit par devant, et de cette manière la conception se fit par la conjonction du mâle et de la femelle (…). Si l’homme s’unissait à la femme, il engendrait (…) si le mâle s’unissait au mâle, la satiété les séparait ». « L’amour, de deux êtres n’en faisant qu’un, rétablit (…) la nature humaine dans son ancienne perfection ». « Chacun d’entre nous n’est donc qu’une moitié d’homme (…). Ce composé des deux sexes (est) nommé androgyne. (…Les hommes qui (en) sortent…) aiment les femmes. (…) La plus grande partie des adultères appartiennent à cette espèce (androgyne), comme aussi les femmes qui aiment les hommes ». « Les femmes qui sortent (du) seul (…) féminin (…) ne dont pas (…) attention aux hommes, et sont (…) portées sur les femmes ; c’est à cette espèce qu’appartiennent les tribades ». « Les hommes qui sortent du sexe masculin re 277 cherchent le sexe masculin (…). Ce n’est pas faute de pudeur (…) c’est par grandeur d’âme (…), par générosité (…) et virilité (…). Ils se montrent plus propres que les autres à servir la chose publique. Dans l’âge mûr (…) ils préfèrent le célibat avec leurs amis ». « Aimant ou aimé, le but d’un tel homme est de s’approcher de ce qui lui ressemble. (Si) il rencontre sa moitié, la tendresse, la sympathie, l’amour les saisit (…) : ils ne veulent plus se séparer (mais) ne sont pas en état de dire ce qu’ils veulent l’un de l’autre (…). Il ne paraît pas que (ce soit) le plaisir des sens 278 (mais) quelque autre chose qu’elle ne peut dire ». « (Si Vulcain leur proposait de les) fondre (ensemble), nous sommes convaincus qu’aucun d’eux ne refuserait (ce) mélange parfait avec la personne aimée qu’on ne soit plus qu’un avec elle (…). Nous étions autrefois un tout parfait. Le désir et la poursuite de cette unité s’appelle l’amour. L’amour, c’est la recherche de son unité, la forclusion de la castration, perte de l’objet a. Dun autre côté, « nous devons (…) prendre garde à ne commettre aucune faute contre les dieux, de peur d’être exposés à une seconde division. (…) C’est se mettre en guerre avec (l’amour) que de se révolter contre les dieux ». Aristophène place l’amour comme sujet d’un discours du maître, 280 et exige (DM) d’Éryximaque qu’il « ne s’avise pas de critiquer ces dernières paroles, comme si elles regardaient Pausanias et Agathon (…). Peut-être (…) appartiennent-ils l’un et l’autre à la nature mâle et généreuse (issue du sexe masculin et qui recherche son semblable) ». « L’Amour (…) nous sert en cette vie, en nous faisant rencontrer ce qui nous convient (et nous permet) d’espérer qu’après cette vie, (en nous soumettant aux dieux, l’amour) vienne au secours de notre faiblesse (la limite à nos possibilités que représente notre castration) ». Éryximaque complimente le discours d’Aristophane (sachant qu’Aristophane est un disciple de Platon, exprimant même, presque, que sa pertinence ne laisse Socrate et Agathon à cours d’arguments « si (il) ne connaissait combien sont éloquents Socrate et Agathon ». Socrate complimente à son tour Éryximaque, et appuie sur le fait qu’en plus il lui faut attendre qu’Agathon parle pour être sûr qu’il lui restera quelque chose. Socrate remet en cause (DH) le savoir supposé par Éryximaque quand à son éloquence, Socrate et Agathon étant les “stars” de l’assemblée, en faisant œuvre de modestie et feignant de craindre qu’un autre membre de l’assemblée ne se mette à son niveau. Agathon flatte Socrate en prétendant que cette prétention de la part de Socrate de n’avoir plus rien à dire après lui n’a pour objet de lui « troubler l’esprit en (lui) faisant croire que l’assemblée est dans l’attente » de ce qu’il a à dire. Socrate remet en question cet aveu de division en se replaçant en tant que membre du groupe, le comparant au groupe des spectateurs d’Agathon le tragédien « regardant en face une si grande assemblée (…) sans aucune émotion (…) tu puisses te troubler pour quelques personnes comme nous ! ». En réponse, Agathon fait consister le groupe, par un statut d’exception par rapport à ceux qui en sont exclus : 282 « le jugement d’un petit nombre de sages est plus redoutable que celui d’une multitude de fous ». Socrate le relance : « peut-être ne sommes-nous pas de ces sages ; car enfin nous étions aussi au théâtre et nous faisions partie de la foule (…). Supposé que tu te trouvasses avec d’autres qui fussent des sages (…), n’aurais-tu pas la même crainte vis-à-vis de la foule ? ». En effet, la différence entre la foule (grand groupe) et un petit groupe, c’est la possibilité d’identifier les membres et d’avoir une interaction directe avec eux. Or Agathon montre que le groupe “Socrate” l’impressionne plus hors de la foule qu’au sein de celle-ci. Phèdre le coupe, en tant qu’agent de la mise en circulation des discours (« c’est un devoir pour moi ») : « si tu continues de répondre à Socrate, il ne se mettra plus en peine du reste, pourvu qu’il ait à qui causer, surtout si c’est quelqu’un qui ait de la beauté ». Il remet en question la pertinence d’une discussion en miroir entre un qui aime le savoir de l’autre (« moi aussi j’aime à entendre Socrate », et l’autre qui aime le talent et la beauté de l’un. Il rappelle la position de l’Amour en tant que Dieu, Autre prétexte à la réunion du groupe : « (Phèdre) veille à ce que l’Amour ne perde rien des louanges qui lui sont dues » et l’égalité des membres du groupe face à cet Autre symbolique « je dois demander à chacun de vous sa part (tant qu’ils n’auront pas) l’un et l’autre payé (leur) dette au dieu ». Pour qu’un Autre (groupe, analyste, Autre symbolique) se place en position symbolique d’adresse, il faut que la contrainte et le savoir préconçu soit remis en cause par la revendication de sa position subjective par le sujet luimême, qui devient sujet, au sens grammatical, d’un discours hystérique. 283 Agathon « (établit) le plan de son discours ». Pour lui, jusqu’ici les orateurs « ont moins loué l’Amour que félicité l’amour du bonheur qu’il leur donne ; mais le dieu (…) nul ne l’a fait connaître ». Agathon remet en question (DH) le savoir (DU) élaboré par ses prédécesseurs, comme un savoir sur l’Amour en tant qu’objet grammatical et pas en tant que sujet grammatical. Agathon prétend que l’Amour est paré de toutes les vertus, et s’appuie de sa fonction symboique : Il le plus jeune des dieux, alors que Phèdre l’avait défini comme le plus ancien, car « il échappe à la vieillesse, (il) la déteste et se garde bien d’en approcher » 284. 285 « C’est dans les âmes des dieux et des hommes qu(e l’Amour) fait da demeure ». Il est le plus beau : « Amour et laideur sont partout en guerre ». Il est paix : « Il ne peut recevoir (ou donner) 286 aucune offense de la part des hommes ni des dieux (…) la violence étant incompatible avec l’amour ». Il est juste : « Les lois, reines de l’état, le déclarent juste ». Il est tempérant, car si « la tempérance consiste à dominer les plaisirs et les passions, (…) l’Amour domine tous les autres plaisirs ». Il est le plus fort car c’est « l’Amour qui est le maître de Mars, l’amour de Vénus ». Il est le plus habile car « il rend poète qui il veut ». « Dans tout les arts celui auquel il donne des leçons (devient) célèbre et glorieux » 287. D’ailleurs, l’Amour est à la base de tout savoir : « C’est à la passion et à l’Amour qu’Apollon dut l’invention de la médecine, de la divination, de l’art de tirer à l’arc (…). L’Amour est (aussi) le maître (…) des Muses pour la musique, de Vulcain pour l’art de forger les métaux, de Minerve pour l’art du tisserand, de Jupiter pour celui de gouverner les dieux et les hommes ». « Ensuite il 288 communique aux autre ces mêmes avantages ». L’Amour, placé en tant qu’objet-sujet grammatical symbolique du discours analytique (DA), fait surgir au lieu de l’objet grammatical de son discours un savoir insu (S2) qui, si il se place en tant que savoir-sujet grammatical d’un discours universitaire normalisateur d’un sujet qui en serait l’objet grammatical amené à être remis en cause (DH) lui même comme savoir ne pouvant être universel). « C’est l’Amour qui écarte les barrières qui rendent l’homme étranger à l’homme » : l’Amour est à la base du transfert qui permet, par la mise en jeu de l’Amour dans le lien social, la révélation du savoir insu (DA). En conclusion, Agathon fait à nouveau consister Phèdre en tant qu’agent de mise en circulation des discours 289. Socrate prétend que le « merveilleux discours » d’Agathon le met « dans l’embarras », se décalant de la place de sujet supposé savoir (DU). Éryximaque remet en cause sa prédiction en lui disant qu’il n’est pas dans l’embarras pour un sou, et Socrate remet en question sa remise en question (DH) en faisant l’éloge du discours d’Agathon, et en prétendant « si éloigné de pouvoir rien dire d’aussi beau, que (se) sentant saisi de honte (il aurait) quitté la place s(’il l’avait) pu », et en référant même à un Autre mythique, la Gorgone12, (craignant) qu’Agathon ne lançât sur le (sien) la tête de Gor 290 gias, cet orateur terrible, qui (l’) allait pétrifier et (le) réduire au silence (moi qui) me suis vanté d’être savant en amour (…)». Socrate poursuit : « J’avais eu la folie de croire qu’on ne peut faire entrer dans l’éloge que les choses vraies (que) je savais la vraie manière de louer. Mais il paraît (au travers du discours d’Agathon) qu’il faut attribuer les plus grandes perfections à l’objet (loué), qu’elles lui eppartiennent (ou non), la vérité ou la fausseté n’étant en cela de nulle importance ». Socrate ainsi critique les discours (DH) au nom du postulat de base (DM), qui était « de louer l’a 291 mour et non d’en faire l’éloge ». Socrate prétend, au contraire, ne s’attacher « qu’à dire des choses vraies ». Il en appelle à Phèdre, en lui reconnaissant sa place d’agent de la mise en circulation des discours en tant que définiteur du cadre de l’interaction groupale, qui répondit avec « l’assemblée (qu’il approuvait) qu’il parlât comme il lui plairait ». Socrate s’adresse, après avoir une nouvelle fois demandé l’approbation de Phèdre, à Agathon 292. Il approuve la distinction chronologique d’Agathon entre « la nature de l’amour et ensuite (…) ses effets ». Mais l’amour est-il « amour de quelque chose ou de rien » (En grec, « s'il est l'amour de quelque chose » égale « s'il est fils de quelqu'un »), lui demande-t-il. À la question de Socrate : « Un père est-il le père de quelqu’un ou non ? » La réponse devrait d’Agathon devrait être « il est le père d’un fils ou d’une fille ». À la question de Socrate : « Un frère est-il le frère de quelqu’un ou non ? » La réponse devrait d’Agathon devrait être « il est le frère d’un frère ou d’une sœur ». Homère, « L'Odyssée », liv. XI, v. 632 , sqq. : « Je craignais Que Proserpine ne me lançât, du fond de l'enfer, La tête de la Gorgone, ce monstre terrible ». 12 Alors, demande Socrate, « l’Amour est l’amour de quelque chose ou de rien ? ». Agathon répond : l’Amour est 293 l’amour « de quelque chose, certainement ». Socrate lui demande de bien se souvenir de ce qu’il avance (DU), et « de quoi, (selon lui), l’Amour est amour ». Agathon, à la demande de Socrate, répond que, selon lui, « l’Amour désire la chose dont il est amour », mais que « l’Amour (n’est pas) possesseur de la chose qu’il désire et qu’il aime ». Agathon déclare être de l’avis de Socrate quand celui-ci émet l’hypothèse que « celui qui désire une chose manque de la chose qu’il désire (et) qu’il ne le désire pas s’il n’en manque pas » : « celui qui est grand (ne désire pas) être grand, celui qui est fort (ne désire pas) être fort ». Agathon est-il bien sûr que « des gens qui possèdent la force, l’agilité et la santé (ne) désirent (pas) ce qu’ils possèdent » 294 « Un homme riche et sain (qui dirait) “Je souhaite les richesses et la santé” (…) désire ce qu(‘il) possède, (son) désir ne peut porter que sur l’avenir. (Désirer) une chose que j’ai présentement, cela ne signifie(-t-il) pas “Je désire d’avoir encore à l’avenir ce que j’ai en ce moment“ (…) Cela n’est-il pas aimer et désirer ce dont on n’est pas sûr, ce qu’on ne possède pas encore, savoir la conservation de ce qu’on possède présentement ? ». « Désirer ce dont on n’est pas sûr, ce qui n’est pas encore présent, ce qu’on ne possède pas, ce qu’on n’est pas, ce sont on manque ; voilà ce qui constitue le désir et l’amour » Remettant le discours d’Agathon (sur l’inexistence d’un « amour de la laideur ») en question, ajouté au fait que « l’Amour désire les choses qu’il n’a pas », il le force à conclure que « l’Amour manque de beauté ». Agathon avoue qu’il « n’avais pas bien compris ce qu’il disait ». Il dit à Socrate qu’ « il n’y a pas moyen 296 de (lui)résister » (DM). Socrate lui rétorque (DH) que « c’est à la vérité qu’il est impossible de résister ; (résister à Socrate) c’est bien facile » (DU). Socrate rapporte « le discours (qu’il) a entendu tenir à une femme (…) dont il tient tout ce qu’il sait sur l’amour ». S’appuyant sur la méthode d’Agathon, il prévoit d’expliquer « d’abord ce qu’est l’amour, et ensuite quels sont ses effets » en rapportant « fidèlement la conversation entre (elle et lui quand elle lui eût prouvé, comme il venait de la faire à Agathon, que) l’Amour n’était ni beau ni bon ». Socrate se met au même niveau d’Agathon et se réclame d’un Autre plus savant qu’eux deux pour lui faire la leçon sans adopter une position d’exception. Elle ajouta qu’ « avoir une opinion vraie sans pouvoir en rendre raison (…) n’est ni science (…) ni ignorance ». Elle lui assure ensuite que ni elle ni lui ne reconnaissent l’Amour « pour un dieu » 298 car s’il dit que « tout les dieux sont beaux et heureux (car ils) possèdent les belles et bonnes choses (et) que l’amour désire les belles et bonnes choses, (…) le désir (étant)une parque de privation, (l’amour ne peut être) dieu, étant privé de ce qui est bon et beau ». Elle assure que l’amour est un démon, « l’interprète et l’entremetteur entre les dieux et les hommes », 299 apportant les vœux des uns et rapportant les ordres et récompenses des autres, « lien qui unit le grand tout ». C’est des démons « que procède toute la science divinatoire et l’art des prêtres. Celui qui est savant dans toutes ces choses est un homme démonique ou inspiré ; et celui qui excelle dans le reste, dans les arts et métiers, est appelé manœuvre ». À sa demande (« De quels parents tire-t-il sa naissance ? »), elle lui détaille la naissance de l’amour 300. Penia (Pauvreté) couche avec Poros (Abondance, fils de Prudence), profitant de son ivresse. « Ayant été conçu le jour même de ma naissance de Vénus, l’Amour devint son compagnon et son serviteur (…). Il est toujours pauvre, et non pas délicat et beau comme la plupart des gens se l’imaginent, mais maigre, défait, sans chaussure, sans domicile, point d’autre lit que la terre, point de couverture, couchant à la belle étoile auprès des portes et dans les rues, enfin, en digne fils de sa mère, toujours misérable ». « D’un autre côté, suivant le naturel de son père, il est toujours à la piste de ce qui est beau et bon 301 (…), jaloux de savoir et mettant tout en œuvre pour y parvenir, passant toute sa vie à philosopher, enchanteur, magicien, sophiste (…). Tour à tour dans la même journée il est florissant, plein de vie (…), puis il s’en va mourant, puis il revit encore (…) . Tout ce qu’il acquiert lui échappe sans cesse, (…) il n’est jamais absolument opulent ni absolument misérable ; de même qu’entre la sagesse et l’ignorance, il reste sur la limite (…) aucun dieu ne philosophe et ne songe à devenir sage, attendu qu’il l’est déjà, et en général quiconque est sage n’a pas besoin de philosopher. Autant en dirons-nous des ignorants (…), l’ignorance a précisément l’inconvénient de (les) rendre contents d’eux-mêmes ». « Les gens qui font de la philosophie (…) ne sont ni les sages non les ignorants (…) ce sont ceux qui tiennent le milieu, (…) 302 et l’Amour est de ce nombre. La sagesse est une des plus nelles choses du monde, (…) d’où il suit que l’Amour est amoureux de la sagesse, c’est à dire philosophe, et qu’à ce titre il tient le milieu entre sage et ignorant (…) car il vient d’un père sage et (…) dans l’abondance, et d’une mère qui n’est ni l’un ni l’autre ». Diotime, à partir du discours de Socrate (« l’Amour est l’objet aimé, non le sujet aimant »), poursuit en disant « tout objet aimable est par cela même beau (…), mais ce qui aime doit être conçu autrement ». Quand Socrate lui demande « de quelle utilité (l’Amour) est-il aux hommes », Diotime lui dit que « c’est à présent(…) qu’(elle) tâcher de (lui) apprendre ». En continuant de prendre Socrate à témoin de chaque pas du raisonnement, Diotime continue : « La beauté, comme tu le dis, est (l’)objet (de l’Amour, mais) 303 celui qui aime ce qui est beau, que lui veut-il ? (Et) s’il se l’approprie, que lui en adviendra-til ? ». « En mettant le bon à la place du beau, (Socrate trouve) la réponse plus facile cette fois : c’est qu’il deviendra heureux. (Si) cela (paraît) commun à tous les hommes, pourquoi (…) ne disons-nous pas de tous les hommes qu’ils aiment ? 304 (Parce que) nous appelons (…) Amour (…) l’amour du nom de tout le genre, tandis que pour les autre espèces nous employons divers autre termes ». Par exemple, le mot poésie « exprime en général la cause qui fait passer du non-être à l’être (…), de sorte que toute invention est poésie, et que tous les inventeurs sont poètes. Cependant, (…) on ne les qualifie pas tous de poètes, mais on leur donne divers autre noms ». « L’amour (…) est tout désir des bonnes choses (…) 305 ce grand et industrieux amour du bonheur (…) mais ceux-là seuls qui se livrent tout entiers à une espèce particulière de l’amour reçoivent les noms de tout le genre ». « Aimer ce n’est chercher (…) ni la moitié ni le tout de soi-même, quand ni cette moitié ni tout ne sont bons (…). Ce n’est pas ce qui est nôtre que nous aimons (…) à moins que l’on n’appelle sien et personnel tout ce qui est bon et étranger tout ce qui est mauvais ». On ne peut pas « affirmer simplement que les hommes aiment le bon », il faut « ajouter qu’ils aiment que le bon soit à eux (…), et plus encore qu’il soit toujours à eux ». « Le nom d’amour (s’applique à) la production dans la beauté, selon le corps et selon l’esprit (…) notre nature demande à produire (et ne le peut que) dans la beauté ; l’union de l’homme et de la femme est production (…), génération (…) qui fait l’immortalité de l’animal mortel 307 . (…) La beauté (…) doit les délivrer des douleurs de l’enfantement ». « L’objet de l’amour, ce n’est pas la beauté (…) c’est la génération et la production dans la beauté (…), parce qu(’elle) rend impérissable (…) notre nature mortelle (…), d’où il résulte (…) que l’immortalité est aussi l’objet de l’amour » 308. « Les animaux volatiles et terrestres, quand arrive le désir d’engendrer (…) sont en malades et en peine d’amour (…) quand il s’agit de nourrir leur progéniture ». « Te flatterais-tu (…) d’entendre jamais rien à l’amour si tu ignores une pareille chose ? » 309. L’amour est une technique de survie ?? « Non seulement le corps, mais l’âme change aussi bien d’habitudes, de mœurs, d’opinions, de désirs, de plaisirs, de chagrins, de craintes : de toutes ces chose nulle ne demeure la même, chacune naît et meurt à son tour ». « Non seulement les connaissances naissent et meurent en nous de la même façon (…) mais chacune de ces connaissances subit en particulier les mêmes métamorphoses que nous (…). Ce qu’on appelle réflexion se rapporte à une connaissance qui s’en va : car l’oubli est la fuite d’une connaissance ; or la réflexion formant en nous un nouveau souvenir à la place de celui qui n’est plus, maintient la connaissance, si bien que nous croyons que c’est la même. Telle est la façon dont les êtres humains se conservent ; ils (…) s’en vont et vieillissent (et) laissent après eux de nouveaux individus semblables à ce qu’ils ont été eux-mêmes ! » Un « désir puissant (…) domine (les hommes) d’acquérir un nom et d’obtenir une gloire impérissable (…) 311 car ils désirent l’immortalité » 312. « Ceux qui sont féconds selon le corps préfèrent d’adresser aux femmes (…). Ceux qui sont féconds selon l’esprit (…) la sagesse et les vertus (…) doivent leur naissance aux poètes et généralement à tous les artistes doués du génie de l’invention. Mais la plus haute est la plus belle de toutes les sagesses (…) se nomme prudence et justice ». « Cherchant (…) la beauté dans laquelle il pourra exercer sa fécondité (…) s’il y rencontre une âme belle, généreuse et bien née (…) il lui vient en foule d’éloquents discours sur la vertu, sur les devoir et les occupations de l’homme de bien ; enfin il se voue à l’instruire 313 (et) leurs enfants sont bien plus beaux et immortels ». « La renommée et la mémoire immortelle que garantissent (…) aux grands poètes leurs immortelles productions (…) leur ont valu des temple (…pour avoir (…) enfanté toutes sortes de vertus…) ; (les enfants) des hommes, qui sortent du sein d’une femme, n’en ont jamais élever à personne ». Dotime prévient ensuite Socrate que « pour les derniers degrés de ces mystères 314 (il) ne sait trop si (il) pourra suivre ». Pour Diotime, il convient « dès son plus jeune âge (de) commencer par rechercher les beaux corps (…) n’en aimer qu’un seul, et là concevoir et enfanter de beaux discours, (puis) faire profession d’aimer tout les beaux corps (et) regarder 315 (…toute passion exclusive…) comme une petitesse, (et) considérer la beauté de l’âme comme bien plus relevée que celle du corps (…) pour qu’il se plaise à y enfanter les discours qui sont le plus propre à rendre la jeunesse meilleurs, (et) considérer le beau dans les actions des hommes et dans les lois, et à voir que la beauté morale est partout de même nature (…). De la sphère de l’action il devra passer à celle de l’intelligence et contempler la beauté des sciences ; ainsi (…) libre de l’esclavage et des étroites pensées du servile amant de la beauté de tel jeune garçon ou de tel homme ou de telle action particulière (…), il enfante (…) les discours les plus magnifiques et les plus sublimes de la philosophie (et de la) science du beau » 316 317. « Passant (…) d’un seul beau corps à deux, de deux à tous les autres, des beaux corps aux beaux sentiments, des beaux sentiments aux belles connaissances, jusqu’à ce que, de connaissances en connaissances, on arrive à la connaissance par excellence, qui n’a d’autre objet que le beau lui-même » 318. « C’est à celui qui enfante la véritable vertu et qui la nourrit qu’il appartient d’être chéri de Dieu ; c’est à lui plus qu’à tout autre homme qu’il appartient d’être immortel » 319. Prenant Phèdre et le reste de l’assistance à témoin, il conclut par « Nous n’avons guère, ici-bas d’auxiliaire plus puissant que l’Amour », et « laisse à juger (à) Phèdre, si ce discours doit être appelé un éloge » et, le cas échéant, de lui donner « telle qualification qu’il (lui) plaira ». « Aristophane se disposait à faire quelque observation, parce que Socrate, dans son discours, avait fait allusion à une chose qu’il avait dite ». Là dessus, Alcibiade débarque, complètement bourré 320, et ne voyant pas Socrate, « qui pourtant se trouvait vis-à-vis de lui, (…) s’alla placer auprès d’Agathon, précisément entre eux deux » sur le lit à trois places. 321 Il lui demande alors : « Comment (…) t’es tu (…) arrangé (pour être) placé auprès du plus beau de la compagnie ? ». Socrate demande à Agathon de le protéger 322 de la jalousie d’Alcibiade, qui répond « point de réconciliation entre nous deux » avant de couronner Socrate au même titre qu’Agathon, dont la célébration du triomphe tragédique est la raison de l’assemblée, placant Socrate en position d’exception, « lui qui est dans les discours le vainqueur de tout le monde ». Alors que Socrate, du ”haut” d’une position de sujet-supposé-savoir, objet du désir des membres du groupe vis à vis de la connaissance, avait, après avoir remis en question (DH) les savoirs distillés (DU), tout en appuyant dessus son propre discours, pour faire apparaître, au nom d’un Autre quasi-omniscient, un savoir insu de ces locuteurs, et que tout le monde en reconnaissait la pertinence, Alcybiade vient remette en question le savoir médical (DU) relatif à la modération de l’alcoolémie, dont l’observance (DM) avait pu permettre cet enchaînement de discours. Alcibiade se constitue alors « président, jusqu’à ce qu(‘ils aient) bu comme il faut » (DM) 323. Il confirme Socrate en exception du groupe : « Socrate aurait beau boire autant qu’on voudrait, il n’en serait jamais plus ivre pour cela ». Éryximaque, lui, confirme le rôle de leader d’Alcibiade, avec otutefois une formule inclusive : « Que voulons-nous faire ? ». Alcibiade, cependant, lui rend la politesse : « Nous ferons tout ce que tu nous prescriras » car « il est juste qu’on fasse ce que tu ordonnes », rendant hommage à son supposé-savoir de médecin, qui « vaut lui seul plus que beaucoup d’autres ». Éryximaque le renseigne sur le cadre, institué par Phèdre au début de l’échange. « Il est juste que toi qui n’a rien dit (…) tu la prennes à ton tour » avant de prescrire « à Socrate ce qu’il doit dire après, (…) et ainsi de suite ». Alcibiade argue de l’inégalité quant au taux d’alcoolémie, et retourne vers Socrate l’argument de la jalousie : « si je m’avise de louer en sa présence qui que ce soir autre que lui-même, homme ou dieu, il voudra me battre ». Socrate lui dit (DM) de cesser (DH) de blasphémer (DU). Éryximaque, prenant la parole pour le groupe, parle donc de faire collectivement « l’éloge de Socrate ». Alcibiade, qui manifestement n’avait en fait aucune envie de rendre un quelconque hommage à qui que ce soit, menace de « tomber sur (Socrate) et de le châtier ». Socrate le somme de s’expliquer. Alcibiade lui demande s’il « veux consentir » à ce qu’il ne dise « que la vérité ». Socrate témoignant d’un consentement en forme d’exigence, Alcibiade l’ « engage à (l’) interrompre » en cas de mensonge, tout en s’engageant à « n’en (dire) aucun sciemment », et s’excuse en disant : « En l’état où je suis, il n’est pas trop aisé de rendre compte clairement et avec ordre de tes originalités ». Acibiade compare Socrate à des statues traditionnelles de musiciens, prévues pour s’ouvrir sur « des statues de divinités »; puis à un satyre13 ; 326 puis lui assure qu’il est « un effronté railleur », menaçant de produire des témoins, et qu’il est pire que le satyre Marysas cité précédemment, qui lui « charmait les hommes par les belles choses que sa bouche tirait de ses instruments (…) des airs (qui, que celui qui les joue soit bon ou mauvais) ont la seule vertu de nous enlever à nous-mêmes, (alors que Socrate) avec de simples discours (…) fait la même chose (…) si pauvre orateur soit celui qui les répète » 327. Alcibiade poursuit : « Je me suis souvent trouvé ému ai point de penser qu’à vivre comme je le fais ce n’est pas la peine de vivre (…), il me force à reconnaître que, manquant moi-même des choses essentielles, je néglige mes propres affaires pour me charger de celles des Athéniens » 328. Socrate est épris 329 des beaux jeunes gens. Il a l’aire ignorant, mais « c’est le Silène qui couvre le dieu. Ouvrez-le : quels trésors de sagesse ! ». Alcibiade se 13 Mino, les Lois III. Plutarque sur la musique « flattai qu’avec de la complaisance pour ses désirs, il ne manquerait pas de (lui) communiquer toute sa science » 320. En vain 332. « Moi, mordu t piqué par la philosophie, (je ne peux le raconter qu’) en présence d’un Phèdre, d’un Agathon, d’un Pausanias, d’un Aristodème, d’un Aristophane, (…) d’un Socrate, et de tout les autres, tous atteints comme moi de la manie et de la rage de la philosophie » 333. « Quand (…) la lampe fut éteinte et que les esclaves se furent retirés, (Alcibiade lui dit) : “Je pense (…) que tu est le seul de mes amans qui soit digne de moi (…). En refusant quelque chose à un homme tel que toi, je craindrais bien plus d’être blâmé des sages que je ne crains d’être blâmé du vulgaire et des sots en t’accordant tout” ». Il craint plus d’être blâmé des sages, en lui refusant, qu’être blâmé des sots, en lui accordant. Socrate lui répond « tu ne me parais pas mal avisé, si ce que tu dis de moi est vrai, et si je possède en effet le vertu de te rendre meilleur 334 (mais peut-être te fais-tu) illusion » 335 336. « Ainsi je restais embarrassé, plus asservi à cet homme qu'esclave ne le fut jamais à son maître ». Pour Alcibiade, Socrate ne montre jamais sa faim, ne montre jamais de signe d’ivresse, quoi qu’il ait bu, ne craint pas le froid 337 « au point que les soldats le croyaient de mauvais œil, croyant qu’il les voulait braver », n’hésitant pas à rester 24 heures assis au même endroit « ne trouvant pas ce qu’il cherchait » 338. « Dans les combats14, il parvint à sauver (Alcibiade, et se montra) plus empressé qu(e les généraux à lui en accorder le mérite) 339 ». « Ce qu’on ne peut assez admirer en lui, c’est de ne ressembler à 340 personne (…) une telle originalité, un tel homme, un tel discours, on aurait beau chercher, on ne trouverait rien qui y ressemblât (…) à part les Silènes et les satyres ». « Ce qu’il dit paraît d’abord tout-à-fait burlesque 341 (…) mais dès que l’on ouvre ses discours (…) on reconnaîtra qu’eux seuls sont remplis de sens, ensuite on les trouvera tous divins ». « Il (nous) a trompés en ayant l’air de vouloir être leur amant, et (…) il a joué plutôt le rôle du bien-aimé. (Il conseille donc à Agathon de ne pas faire) comme l’insensé, qui, selon le proverbe, ne devient sage qu’à ses dépens » 342. Socrate et les autres rient de ce que Alcibiade ait « habilement tourné autour de (son) sujet (en ne le touchant) qu’incidemment à la fin de (son) discours » 14 Plutarq., Vie d'Alcibiade. Socrate à Agathon : « tâchons qu’il ne gagne rien à toutes ces manœuvres, et fais en sorte que personne ne nous puisse détacher l’un de l’autre ». Agathon : « il est venu se placer entre toi et moi pour nous séparer (…) mais il n’y gagnera rien, a car je vais à l’instant me placer à côté de toi » 343. Alcibiade : « Cet homme (…) s’imagine pouvoir me faire la loi partout, mais (…) cher maître, permets qu’Agathon se place entre nous deux ». Socrate, utilise le dispositif mis en place par Alcibiade lui-même pour refuser : « Impossible. Tu viens de faire mon éloge : c’est maintenant à moi de foire celui de mon voisin de droite » 344. Las « une foule joyeuse se présenta à la porte » et « dès ce moment, grand tumulte, plus d’ordre ; chacun fut obligé de boire à l’excès ». Aristodème (le narrateur) s’endormit. À son réveil, seuls Agathon, Aristophane et Socrate étaient éveillés, Aristodème ne se souvenant de leur discours que de ce que « Socrate força ses deux interlocuteurs à reconnaître qu’il appartenait au même homme de savoir traiter la comédie et la tragédie, et que le vrai poète tragique qui l’est avec art est en même temps poète comique » 345. Confirmant son statut d’exception, Socrate ne rentra chez lui que le soir suivant pour se reposer.