DIÉTÉTIQUE
41 Nutritions & facteurs de risque - Décembre2004 - Vol. 2
FLORE INTESTINALE
Les probiotiques et les prébiotiques
Si l’attention et les mesures de prévention pour prévenir et traiter de nombreuses maladies se sont
surtout portées sur l’équilibre alimentaire, il a été montré qu’il fallait prendre en compte le
fonctionnement de l’intestin, lieu où s’effectue l’assimilation des nutriments. La flore intestinale
est un élément essentiel, puisqu’elle interagit avec l’organisme : modulation du système immunitaire,
rôle métabolique, synthèse de vitamines… Cette flore mérite d’être connue puisque certains
médicaments, pathologies, modes de vie peuvent la perturber, par contre certains aliments ou
compléments alimentaires peuvent l’améliorer. Dr Paule Nathan*
la partie terminale de l’intestin grêle et au
niveau du colon.
Constitution
Constituée par environ cent mille mil-
liards de bactéries, regroupées en
500 espèces, essentiellement des bacté-
ries anaérobies, la flore intestinale est
un véritable écosystème qui associe :
- Une flore résidente, une flore saprophyte
présente à l’état physiologique dans les
intestins, composée d’une flore domi-
nante et d’une flore sous-dominante. La
flore dominante est constituée d’une ving-
taine d’espèces différentes présentes à des
concentrations élevées, plusieurs mil-
liards par millilitre, de bacilles gram-
(bactéroïdes), gram+ (eubactérium, bifi-
dobactérium, catenabactérium), et de
cocci gram+ (peptostreptococcus, rumi-
nococcus, veillonella, acidaminococcus,
méthanobrevibacter smithil). La flore
sous-dominante est constituée par quelques
millions de bactéries par millilitre, avec
des entérobactéries, des streptocoques,
des lactobacilles. Cette dernière peut être
pathogène lorsqu’elle se multiplie.
- Une flore de passage, polymorphe qui,
sauf circonstances pathologiques, ne
s’implante pas dans le tube digestif.
Le développement de la flore intestinale
se fait dès la naissance, elle se crée à par-
tir de la flore vaginale et fécale de la mère
et des bactéries de l’environnement. C’est
elle qui va stimuler la maturation du sys-
tème immunitaire intestinal de l’enfant.
Rôles
Ses rôles sont multiples et chacun est
essentiel.
• Effets sur le système immunitaire
La flore intestinale module la réponse
des IgA sécrétoires vis-à-vis des micro-orga-
nismes pathogènes et des bactéries. Elle
développe les mécanismes de la tolérance
immune vis-à-vis des protéines alimen-
taires et des bactéries intestinales. Au
niveau périphérique, elle stimule la pha-
gocytose protectrice contre l’infection et
la synthèse des cytokines nécessaires à
la réponse immune.
• Effet de barrière
Elle protège le tube digestif et l’organisme
de l’implantation et de la multiplication
des bactéries exogènes.
• Effet de production d’éléments essen-
tiels
Elle participe à la synthèse de produits
dérivés ayant un rôle bénéfique : vita-
mines B, K, B9 (acide folique).
• Effet de détoxication
LINTESTIN,
ORGANE DE DÉFENSE
Le tube digestif est en contact avec des micro-
organismes extérieurs, bactéries, virus,
produits toxiques, par l’intermédiaire de
la muqueuse intestinale faite de villosi-
tés et de microvillosités réparties sur
300 m2, soit l’équivalent d’un court de ten-
nis. Son système de défense élaboré asso-
cie la flore intestinale, le système immu-
nitaire intestinal et le mucus. L’intestin
est le premier organe lymphoïde, il contient
dans sa muqueuse 70 % des cellules
immunitaires lymphoïdes de l’organisme.
Le système immunitaire intestinal pro-
tège l’organisme contre les bactéries pré-
sentes dans le système digestif et contre
les micro-organismes pathogènes via la syn-
thèse d’anticorps, les immunoglobulinesA
sécrétoires (S-IgA). Le système immunitaire
intestinal intervient aussi dans les réponses
immunes suppressives, intervenant lors
du contact avec les protéines alimentaires.
Il existe ainsi une tolérance orale de ces pro-
téines étrangères. En cas de dysrégula-
tions, les réponses immunes ne sont plus
réprimées provoquant des réactions inflam-
matoires, sources d’allergies alimentaires
ou de maladies inflammatoires chroniques
du tube digestif.
LA FLORE INTESTINALE
La flore intestinale se situe surtout dans eee
* Nutritionniste, endocrinologue, diabétologue, Paris
08-nutri12-dietetique 22/12/04 17:49 Page 41
DIÉTÉTIQUE
42
Nutritions & facteurs de risque - Décembre2004 - Vol. 2
Elle peut dégrader les substances toxiques
exogènes ou produites in situ, et module
les effets des toxines émises par les micro-
organismes pathogènes.
Facteurs de déséquilibre
Ils sont variés : les traitements médi-
camenteux (antibiotiques, laxatifs irri-
tants, antituberculeux, chimiothéra-
pie, pour certains les contraceptifs
oraux…), les germes pathogènes (sal-
monelles…), les modifications du tran-
sit (constipation, diarrhée…), le désé-
quilibre alimentaire et la dénutrition,
le vieillissement physiologique. La mau-
vaise hygiène de vie et les stress sont
fortement suspectés. Tous ces facteurs
peuvent concourir à une sensibilité
accrue aux infections, à des troubles diges-
tifs fréquents et à l’augmentation de la
fréquence des allergies alimentaires.
LES PROBIOTIQUES
Définition
Probiotique provient du grec pro bios,
soit littéralement : « en faveur de la vie
». Les probiotiques sont des micro-orga-
nismes vivants non pathogènes, qui, lors-
qu’ils sont ingérés en quantité déterminée
et suffisante sous la forme de médica-
ments ou de produits alimentaires,
exercent une influence positive sur la
santé ou la physiologie de l’hôte. Ils
transitent sans se multiplier dans les
intestins (1). Leur rôle est d’améliorer
les fonctions de la flore intestinale.
Mis à part la levure probiotique employée
comme médicament (saccharomyces
boulardii), les probiotiques sont prin-
cipalement des bactéries lactiques. On
dispose actuellement de probiotiques
d’origine humaine qui ont une résistance
supérieure vis-à-vis de l’écosystème
digestif peu accueillant (pH acide de l’es-
tomac, sels biliaires dans l’intestin
grêle). Ils ont aussi, semble-t-il, une
capacité d’adhésion supérieure à la
muqueuse intestinale, adhésion essen-
tielle pour la stimulation du système
immunitaire.
Des micro-organismes connus
depuis longtemps
C’est en 1907 qu'Elie Metchnikoff, Prix
Nobel de médecine et inventeur du yaourt
moderne, établit une relation entre la lon-
gévité des bulgares et leur consommation
de produits laitiers fermentés. En 1974,
le terme probiotique fut proposé pour
désigner, en alimentation animale, les
souches microbiennes utilisées pour limi-
ter l’effet des antibiotiques et renforcer
leur efficacité. Depuis, les études sur
l’homme se sont multipliées et les pro-
biotiques ont leur place en prévention et
en thérapeutique.
Origine
Les probiotiques se trouvent dans les pro-
duits alimentaires fabriqués par l’homme,
contenant des souches bactériennes
d’origine humaine : bifidobactéries, lac-
tobacilles acidophiles, caséi… Ces souches
bactériennes sont contenues dans les pro-
duits laitiers fermentés, yaourts et laits
fermentés, certains fromages, mais aussi
les salaisons (charcuteries). Le lacto-
coccus lactis est présent dans le fro-
mage blanc, le yaourt contient du lac-
tobacillus vulgaris ou bulgaricus et du
streptococcus thermophilus, un lait fer-
menté contient du lactobacillus bulga-
ricus, du streptococcus thermophilus et
du lactobacillus casei.
De nouvelles bactéries ont été introduites
dans les yaourts et les laits fermentés du
fait de leurs effets reconnus bénéfiques
pour la santé. Ces bactéries, pour exercer
leur action, doivent être ingérées vivantes.
Il faut donc que ces produits soient conser-
vés au froid de leur fabrication jusqu’à leur
consommation.
Bénéfices santé (2)
• Sur le système immunitaire
On note une production accrue d’immu-
noglobuline A (IgA) et de cytokines, une
augmentation du nombre des cellules
immunocompétentes, une stimulation
de la phagocytose. L’action se fait sur le
système immunitaire intestinal et géné-
ral de l’organisme.
• En gastro-entérologie
- Certains probiotiques sont capables de
moduler la réponse immunitaire du tissu
lymphoïde présent dans la muqueuse
intestinale.
- Ils exercent un rôle trophique sur la
muqueuse intestinale, les probiotiques
aident à la maintenir fonctionnelle.
- Dans la maladie de Crohn (inflammation
chronique de l’intestin), les probiotiques
permettent de restaurer l’effet barrière en
rapport avec l’action bénéfique de la flore
intestinale.
- Ils neutralisent un certain nombre de sub-
stances toxiques ou carcinogènes.
- Ils permettent une réduction des signes
de colopathie du fait de la dégradation faci-
lité des fibres par les bactéries apportées
par les probiotiques.
- Ils améliorent l’intolérance au lactose.
Affection relativement fréquente, elle est
due à une mauvaise digestion du lactose
et est exacerbée par la présence de colo-
pathie. Les probiotiques améliorent l’in-
tolérance au lactose par l’action diges-
tive de la β-galactosidase active apportée
par les bactéries du yaourt. Il semblerait
que la bactérie puisse répondre au signal
que représente le lactose, en synthéti-
sant de nouveau une β-galactosidase
active. C’est ainsi que le yaourt est mieux
digéré que le lait du fait de la présence de
ferments lactiques : lactobacillus bulga-
ricus et streptococcus thermophilus.
- Ils limitent les diarrhées consécutives
à un traitement antibiotique.
- Ils permettent une diminution de l’in-
cidence des diarrhées infectieuses chez
l’enfant. Certaines souches de lactoba-
cillus réduisent la durée de la diarrhée et
améliorent les symptômes. L’effet est sur-
tout net pour les diarrhées à rotavirus.
• Protection vis-à-vis des micro-orga-
nismes pathogènes
- Ils participent à renforcer l’effet bar-
rière de protection.
- Ils s’opposent à l’implantation des micro-
organismes pathogènes par compétition
sur les sites d’adhésion microvillositaires.
- Ils exercent une action antibactérienne
directe par la production de bactériocines
eee
08-nutri12-dietetique 22/12/04 17:49 Page 42
DIÉTÉTIQUE
43 Nutritions & facteurs de risque - Décembre2004 - Vol. 2
et indirecte par la création d’un envi-
ronnement défavorable à l’implantation
des micro-organismes pathogènes.
• Sur l’allergie et l’eczéma atopique
Sous probiotiques, on observe une réduc-
tion de la fréquence, de l’intensité et de
la durée des poussées d’eczéma atopique.
• Sur la sphère urogénitale
Lors d’un déficit de lactobacilles en rap-
port avec une modification de la sphère
génitale, les probiotiques permettent de
restaurer une flore et de réduire les infec-
tions urogénitales, surtout les candidoses.
• Les études en court
Elles portent principalement sur la prévention
des infections oto-rhino-laryngologiques
(ORL) et trachéobronchiques, et sur la
diminution du taux de cholestérol. En
effet, les probiotiques auraient un effet bac-
tériostatique ou bactéricide vis-à-vis de
l’hélicobacter pylori en empêchant son adhé-
sion sur la muqueuse intestinale. Ils
auraient un rôle de prévention vis-à-vis
de cette infection, mais cette pleine action
mérite d’être démontrée.
Des études sont en cours pour estimer leurs
actions dans la prévention des cancers du
colon. Il a été montré in vitro que certains
probiotiques ont un effet puissant sur la
réduction de la carcinogenèse.
Précautions d’usage
Les effets bénéfiques des probiotiques sont
démontrés par des études sérieuses bien
documentées, ils sont nombreux. Les pro-
priétés sont souches-dépendantes, ainsi
les résultats ne sont valides que pour la
ou les souches étudiées.
Les produits mis à la disposition des
patients doivent contenir un produit
vivant et métaboliquement actif. Ils doi-
vent être consommés régulièrement en
quantité suffisante.
Ils bénéficient d’une très bonne inno-
cuité puisqu’aucune toxicité n’a été rap-
portée à ce jour.
LES PRÉBIOTIQUES
Les prébiotiques ne sont pas des organismes
vivants. On appelle prébiotiques « des
substrats non digestibles qui atteignent
le gros intestin et y “nourrissent” de façon
spécifique certaines bactéries coliques,
considérées comme bénéfiques, favorisant
ainsi leur croissance et leur métabolisme »
(3). Leur action est complémentaire de l’ac-
tion des fibres alimentaires et des pro-
biotiques.
Origine
La plupart des prébiotiques sont des glu-
cides d’origine végétale ou synthétique,
mais ils peuvent être d’origine animale
ou microbienne, ou issus de peptides ou
de lipides. « Les plus connus sont les fruc-
tanes, polymères du fructose parmi les-
quels on trouve l’inuline, présente dans
plusieurs végétaux (oignon, ail, asperges,
artichauts, bananes, certaines céréales…)
et généralement extraite des tubercules
de chicorée, et les fructo-oligosaccharides
(FOS) produits soit par hydrolyse de l’inu-
line, soit par biosynthèse à partir de sac-
charose et de fructose ». D’autres oligo-
saccharides possèderaient aussi des
activités prébiotiques mais les preuves
sont encore insuffisantes.
Actions
• Effets sur la flore intestinale
- Ils modulent l’équilibre entre les popu-
lations bactériennes dominantes chez
l’enfant et chez l’adulte ce qui accroît les
effets métaboliques de la flore et influence
les activités enzymatiques impliquées
dans le fonctionnement des bactéries
coliques.
- Ils modifient la composition bactérienne.
Ils agissent en augmentant sélectivement
la concentration fécale des bactéries pro-
duisant de l’acide lactique : les bifido-
bactéries chez l’homme. L’effet dure pen-
dant toute la période que dure l’ingestion
du produit, puis diminue progressive-
ment à son arrêt.
- Ils assurent une protection vis-à-vis des
agents pathogènes. Ils augmentent la
résistance à la colonisation par des micro-
organismes pathogènes.
- Ils modifient le pH intestinal. Les acides
organiques produits par les bifidobactéries
abaissent le pH intestinal, ce qui crée un
climat défavorable à la prolifération des
germes pathogènes. De plus, la diminu-
tion du pH entraîne la solubilisation des
minéraux en particulier le calcium, ce qui
améliore leur absorption par la muqueuse
colique. Au contraire, le pH acide insolubilise
les sels biliaires réduisant leur absorption
et augmentant leur excrétion fécale. L’aci-
dité inhibe la conversion fécale des acides
biliaires primaires en acides secondaires,
Effets bénéfiques des probiotiques alimentaires (2)
- Effets cliniques : préventifs et thérapeutiques
Effets sur l’allergie/eczéma atopique : démontrés
Effets sur les diarrhées infectieuses : démontrés
Effets sur le risque lié à Hélicobacter pylori : à confirmer
- Effets sur les fonctions physiologiques
Digestion du lactose : démontré
Effet sur la constipation : démontré
Effets sur les marqueurs de l’immunité : démontrés
Participe à la stimulation du système immunitaire : sans doute
- Effets hypothétiques
Rôle dans la prévention des cancers : ?
Rééquilibrage de la microflore : ?
- Attention
Les effets dépendent des souches, l’extrapolation à toutes les
souches d’une même espèce est abusive. eee
08-nutri12-dietetique 22/12/04 17:49 Page 43
DIÉTÉTIQUE
44
Nutritions & facteurs de risque - Décembre2004 - Vol. 2
facteurs de risque du cancer colorectal.
- Ils exercent des effets sur les activités
enzymatiques de la flore.
- Ils ont une action positive sur l’effet bar-
rière. On évoque une stimulation des
capacités de défense de la barrière intes-
tinale.
• Effets sur les fonctions intestinales
Ils augmentent la masse bactérienne des
fèces et la teneur des selles en eau liée aux
bactéries. On note une exonération faci-
litée ainsi qu’une augmentation de la fré-
quence d’émission. Cet effet semble plus
net chez le sujet légèrement constipé.
• Effets sur les diarrhées infectieuses
de l’enfant
Les probiotiques, aussi bien chez les
enfants que chez les adultes, permettent
de limiter les symptômes associés, comme
la fièvre, et améliorent le bien-être pen-
dant les épisodes de diarrhéiques.
• Effets sur les maladies coliques
Les propriétés anti-inflammatoires et
anti-cancéreuses sur la muqueuse colique
demandent à être confirmées chez l’homme.
LES SYMBIOTIQUES
Ils sont composés d’un probiotique et
d’un prébiotique.
EN CONCLUSION
Probiotiques et prébiotiques méritent
d’être mieux connus, les études en cours
permettront de certainement de les consi-
dérer comme un véritable soin et un
agent de prévention puissant. Une chose
est sûre, la flore intestinale est un élément
essentiel de notre organisme, un véritable
organe à part entière avec sa fonction, ses
régulations, ses facteurs d’équilibre.
Nous devons inciter nos patients à revoir
leur mode de vie, à consommer des ali-
ments riches en bactéries lactiques. Les
médecins doivent connaître les signes qui
peuvent orienter vers un déséquilibre
au décours de leur traitement. La nutri-
tion prend ici toute sa dimension.
A suivre…
MOTS-CLÉS
DIGESTION, INTESTIN,
SYSTÈME IMMUNITAIRE,
IGA SÉCRÉTOIRES,
MICRO-ORGANISMES,
SOUCHES BACTÉRIENNES
1.
Fuller R. Probiotics in man and animal. J Appl Bactériol 1989 ; 66 : 365-78.
2.
Cortier G. Probiotiques : adaptation à l’environnement digestif. Cahier de Nutrition et de
Diététique 2003 ; 38 : 355-62.
3.
Cherbut C. Prébiotiques et fonctions gastro-intestinales : revue des effets et des
perspectives. Cahier de Nutrition et de Diététique 2003 ; 38 : 346-54.
BIBLIOGRAPHIE
eee
08-nutri12-dietetique 22/12/04 17:49 Page 44
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !