au fur et à mesure qu'elles avancent vers lui. Elles flottent un
instant au-dessus de l'écume pour mieux chavirer dans la brume
et devenir invisibles. Et plus elles avancent, et plus l'horizon
recule. Quelle prétention à vouloir le franchir !
Le bateau est passé devant la plage, a rejoint le port derrière la
jetée. Les femmes ont suivi d'un pas lent. Et moi, je reste là avec
ma respiration bruyante et fatiguée. Il m'a fallu du temps pour
arriver. Je sais qu'il me faudra encore quelque effort pour repartir
vers la mer. Elle me prendra.
J'ai déjà ce corps flasque aux veines emplies d'un liquide moitié
eau, moitié sang. Des poumons râpés par les oxydes. Je sens en
moi la métamorphose longue et douloureuse que le temps de la
vie a rendu acceptable par petites gènes occasionnelles,
encombrements branchiaux laissant seulement présager de la fin.
Le vent sélectionne les êtres ici bas qu'il juge encore serviles et
les fera durer dans une existence morne. Moi, j'ai fait le tour de
ces fils d'horizon qui m'ont maintenu prisonnière. Car l'horizon
est fait de chaînes et de cadenas qui m’enserrent dans un
tintamarre épouvantable. Je sais que l'horizon m'a fait croire au
possible. Je veux lui rendre hommage pour toutes mes illusions
de jeunesse, toute cette espérance d'une vie silencieuse et
tranquille. Mais je ne le remercie pas de m'avoir privé de tout ce
que j'aurai voulu être et que je ne fus pas. Ma vie a glissé aussi
vite qu'une tornade. Rien n'a ralenti son cours, ni les roches sur
lesquelles elle a rebondi sans comprendre, ni les gouffres dans
lesquels elle a perdu la notion du temps et du beau. Ma vie fut
d'arrogance. L'horizon d'alors luisait comme un diamant. J'ai
cherché le Nord, n'ai trouvé qu'un Sud affamé et meurtri. J'ai
glissé entre les doigts du temps et l'eau est restée trouble. Je me
voulais vivante et joyeuse, n'ai vécu que d'essoufflements puérils
et vains. Et me voilà, toute rendue à l'horizon inatteignable,
comme un ultime défi jeté au loin et au hasard. La mer va se
charger de me présenter à lui dans ma dernière robe d’écailles
grise. Je commencerai par nager vers ce monde livide et sans
lendemain. Puis je me laisserai porter par la volonté de la nuit.
Avant l'aube, j'aurai franchi le halo solaire, cueilli quelques
étoiles d'un regard lent et blasé. Je me moque du déguisement
trompeur de l'aube, ses toilettes d'humeurs inégales. Pourtant, je
ne voudrai pas que l'horizon disparaisse au moment où j'arrive
sous prétexte de mauvais temps improvisé.
Allons, il est l'heure et le poids de mon corps a creusé légèrement
le sable. Les herbes qui m'entourent se balancent dans un
désordre total, chacune allant à son rythme alors que la ronde du