
 
pensée du philosophe une matière tout à fait exception-
nelle. 
Sören  Kierkegaard  naquit  le  5  mai  1813,  à  Copen-
hague,  du  deuxième  mariage  de  son  père  —  Michel 
Kierkegaard  —  avec  son  ancienne  bonne,  Anna  Lund. 
Disons tout de suite que ce mariage fut brusqué : Michel 
Kierkegaard  devant,  comme  on  dit,  couvrir  sa  faute. 
Cette circonstance influença fortement le développement 
spirituel de son fils qui apprit, encore tout jeune homme, 
que son père, pourtant si austère et pieux, succomba à la 
tentation  très  vite  après  la  mort  de  sa  première  femme. 
Mais un autre épisode de la vie de son père devait pren-
dre une importance encore plus grande pour Sören. Mi-
chel encore enfant, il n’avait alors que onze ans, fut placé 
par ses parents, de très pauvres gens, chez un pâtre éga-
lement  très  pauvre  et  vivant  misérablement.  L’enfant 
était exploité sans vergogne par  ses maîtres. Or,  par  un 
jour d’automne particulièrement maussade, froid et plu-
vieux, le petit Michel à peine vêtu, affamé, épuisé par un 
travail bien au-dessus de ses forces, gardait depuis l’aube 
un  troupeau  de  moutons  dans  une  des  âpres  vallées du 
Jutland. Le malheureux enfant, pris de désespoir, gravit 
une  colline  et  de  là  maudit  Dieu.  Jusqu’à  sa  mort  (il 
mourut à quatre-vingt-deux ans), le vieux Michel Kierke-
gaard ne put oublier cet événement : il voyait là un crime 
commis contre le Saint-Esprit. Il en souffrait infiniment, 
se croyant condamné à une perdition éternelle et avec lui 
toute sa descendance. Il ne sut ou ne voulut cacher ce fait 
à ses enfants, et Sören apprit dès sa jeunesse le lourd pé-
ché qui pesait sur lui. Ainsi deux événements qui eurent 
lieu bien avant sa naissance eurent une influence décisive