L`action économique des collectivités territoriales à la

Développement local, développement régional, développement durable :
quelles gouvernances ?
Toulouse, Octobre 2002
L’action économique des collectivités territoriales à
la lumière du concept de développement durable :
entre développement endogène et exogène
Jean-Alain HÉRAUD, BETA, Université Louis Pasteur et CNRS
René KAHN, TIPEE-GRICE, Université Robert Schuman
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Janvier 2001
Résumé
l’action économique décentralisée est très répandue, mais son évaluation pose de nombreux
problèmes. Dans le cadre de cette communication, nous nous emploierons à évaluer et à
comparer les deux principales stratégies de développement régional : endogène (de soutien à
l’innovation) et exogène (prospection des IDI et implantations d’entreprises à la lumière des
contraintes posées par le concept de développement durable qui apparaît comme une grille
pertinente d’évaluation des politiques publiques régionales. Les initiatives locales de
développement endogène et exogène sont-elles équivalentes quant à leurs effets sur les
trajectoires de développement régional ? la décentralisation des politiques économiques est-
elle compatible avec les exigences du développement durable ? Telles sont les questions
posées. Des réponses s’appuyant sur la littérature et des données statistiques sont esquissées.
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Nous tenons à remercier notre collègue Jalal El Ouardighi qui a contribué à cet article au niveau du traitement
statistique des données.
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Dans une première partie de l'article, nous présentons la problématique générale de l'action
économique régionale, pour ensuite l'analyser du point de ce que l'on peut appeler le
"développement durable" en la matière. La deuxième partie, qui forme le cœur de notre
propos, traite de la stratégique "exogène" de développement fondée sur l'attraction des
investissements directs internationaux, tandis que la troisième présente une stratégie plus
"endogène", fondée sur l'innovation, dont on montrera qu'elle n'est pas nécessairement
alternative mais souvent complémentaire à la première.
I - L’action économique régionale reconsidérée à partir du concept de développement
durable
L'action économique régionale est un domaine concrètement important mais
relativement peu analysé dans la littérature académique. Il nous semble que l'approche du
développement durable est un bon angle d'attaque pour tenter un tel travail.
I.1 L’action économique locale en France : des problèmes d’évaluation
L’action économique décentralisée est aujourd’hui très répandue en France, et pour
ainsi dire subrepticement passée dans les mœurs. Les lois de décentralisation de 1982-83 qui
confirment la compétence générale des collectivités territoriales et octroient une compétence
spécifique aux régions, en matière de développement économique et d’aménagement du
territoire, la réforme du statut des structures intercommunales dont les nouvelles modalités
(communautés de communes, de villes et d’agglomérations)
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retiennent l’action économique
comme compétence obligatoire, le nombre croissant d’opérateurs (de l’agence de
développement à la chambre consulaire en passant par les structures associatives de
développement local), les très nombreuses initiatives d’aide aux entreprises débordant parfois
le cadre juridique, toutes ces évolutions organisationnelles ont eu pour effet la généralisation
des politiques locales et régionales de développement. Chaque territoire institutionnellement
organisé, de la commune à la région est aujourd’hui doté d’une ou plusieurs structures
publiques ou semi-publiques chargées d’en assurer la promotion et le développement
économique.
Toutefois, l’action économique décentralisée est loin de faire l’unanimité au sein des
instances politiques ou opérationnelles (DATAR, APCG, CNER) chargées d’en apprécier
l’efficacité, comme parmi beaucoup de chercheurs en science régionale pour lesquels « la
politique économique locale » relève plus de la gesticulation et de l’incantation que d’une
action effective sur la croissance. L’absence quasi-totale d'approches théoriques capables
d’intégrer la fonction économique des collectivités locales explique assez bien ce désintérêt.
La plupart des modèles économiques de développement régional postulent une auto-
organisation des territoires sur la base de leurs caractéristiques initiales (dotation en facteurs,
type d’industrie, spécialisation, économies d’agglomération, coûts salariaux, nature de la
demande, etc.), et les dynamiques régionales de convergence ou de divergence ne sont que la
résultante des forces de concentration et de dispersion qui s’y appliquent. Les travaux initiés
par J. V. Henderson, les villes sont le résultat de la planification des grands secteurs de
l’économie urbaine, font exception (Beine & Docquier, 2000). Le plus souvent la description
de l’action des collectivités locales se limite à la production de biens publics locaux destinés
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Lois du 4 février 1992 sur l’Administration Territoriale de la République et du 12 juillet 1999 sur la réforme de
l’intercommunalité.
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aux ménages. 20 ans après les premières lois de décentralisation, le cadre réglementaire de
l’action économique des collectivités territoriales est réputé inadapté par rapport à la
réglementation européenne, aux besoins des entreprises comme des territoires et appelé à être
refondu. Le législateur semble hésiter sur les orientations qu’il conviendrait d’adopter. En
effet, très peu de travaux empiriques ou théoriques ont abordé cette question et le bilan des
initiatives régionales et locales de développement reste à faire. En dépit de nombreux rapports
(Cour des comptes 1996, Rapport Laffineur
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, rapport Mauroy sur la poursuite de la
décentralisation, projet de loi Zuccarelli de 1998 sur la réforme des interventions des
collectivités en faveur des entreprises abandonné depuis), et de nombreux travaux issus de
plusieurs spécialités (Droit, Sciences politiques, Économie)
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, aucun cadre conceptuel adapté
ne vient confirmer ou infirmer le bien-fondé de ces initiatives, ni même indiquer les
orientations les plus judicieuses.
Parmi les chercheurs en sciences sociales, les avis sont également très partagés. Les
initiatives des collectivités territoriales en matière économique ont-elles un sens pour
l’économiste (académique)? Sont-elles nécessaires au développement des régions ?
Favorisent-elles la compétitivité des entreprises ? Doivent-elles être prioritairement tournées
vers la valorisation des ressources locales, l’effort d’innovation ou le renforcement de
l’attractivité des territoires ?
L’analyse économique théorique ou normative a produit peu de réflexions sur le sujet. En
dépit du théorème de Oates
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, les domaines de l’action économique publique dans lesquels les
collectivités voient leurs compétences clairement reconnus par la théorie sont minimes. En
effet, la distinction usuelle allocation de ressources, redistribution, stabilisation n’autorise
guère qu’une seule forme d’allocation, la production de biens publics locaux, les autres
fonctions n’ayant pas vocation à être décentralisées :
- La fonction redistributive localisée pose, en effet des problèmes d’équité et génère des
déséquilibres pouvant se traduire par une mobilides agents économiques (le vote par les
pieds en faveur des territoires caractérisés par une fiscalité moins lourdes ou des services de
meilleur qualité), de sorte que la fonction redistributive ne peut être confiée à des pouvoirs
décentralisés que de manière subsidiaire.
- La fonction de stabilisation (politique monétaire, budgétaire et fiscale), nécessaire à la
réalisation des équilibres macroéconomiques, relève des compétences exclusives du pouvoir
central) et non des collectivités locales
De fait, la théorie de l’économie publique cantonne les fonctions économiques des
collectivités dans un rôle marginal. « Aux collectivités locales revient la production des biens
collectifs mixtes plus ou moins divisibles, exerçant des effets externes circonscrits à des zones
géographiques de plus en plus restreintes » (Marchand, 1999, p. 24). Il n’en reste pas moins
que ces initiatives régionales ou locales de développement, fondées ou non, sont bien réelles.
Elles empruntent des formes extrêmement diverses qui font certes l’objet d’études empiriques
et de quelques travaux théoriques (Greffe, 1984 et 1989 ; Bouinot, 1985 ; Derycke & Gilbert,
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Les interventions économiques des collectivités locales dans l’union européenne, rapport au premier Ministre
par M. Marc Laffineur, parlementaire en mission auprès de la fonction publique de la réforme de l’Etat et de la
décentralisation, septembre 1996-fevrier 1997
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Falzon (1996), Morvan et Marchand (1994), ) Lachmann (1997), Douence (1988).
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Selon Oates (théorème de la décentralisation optimale), le bien public produit de façon optimale par le
gouvernement central peut être produit dans le cadre de sous-ensembles géographiques dans de meilleures
conditions (il est fait l’hypothèse qu’il s’agit du même bien).
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1988 ; Pecqueur, 1989 ; Demazière, 1996) mais n’ont été que très rarement évaluées en
termes d’impact à long terme sur le développement régional.
Les raisons de l'insuffisante prise en compte analytique de l'activité économique
décentralisée sont connues. Les modalités concrètes de l'interventionnisme économique sont
extrêmement complexes, nombreuses, polymorphes et rarement évaluées en dépit de
nombreuses monographies. L’action économique des collectivités territoriales, de nature plus
structurelle que conjoncturelle, se manifeste de multiples façons
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: aménagement de zones
d’activité, technopoles, soutien à la création d’entreprises et à l'innovation, marketing
territorial, etc. Pour juger de l’utilité de ces initiatives, il convient d’abandonner le point de
vue général et de s’intéresser à des interventions précises. La division du travail parmi les
socio-professionnels de l’action économique décentralisée nous amène à opérer une
distinction entre développements exogène et endogène. En effet, l’action économique
régionale repose sur deux piliers complémentaires :
- le soutien aux activités existantes sur le territoire et la valorisation de ses ressources
(compétence principale des régions, des chambres consulaires et des structures de
développement local). Ces politiques sont extrêmement diversifiées mais, dans ce
registre, ce sont les dispositifs de soutien à la création d’entreprise et à l’innovation
qui sont les plus élaborés et débouchent parfois sur la constitution de systèmes
régionaux d’innovation (cf. III ci-dessous).
- le renforcement de l’attractivité du territoire et l’accueil d’activités nouvelles, en
particulier des investissements internationalement mobiles (compétence première des
Comités d’expansion et des agences de développement, souvent départementales) (cf.
III ci-dessous).
Ces deux stratégies de développement, que nous qualifierons ici de « développement
endogène » et « développement exogène »
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, renouvellent régulièrement les orientations et les
modalités concrètes de l'action économique locale.
Ces deux stratégies posent toutefois des problèmes considérables d’évaluation. Si les agences
de développement et les chambres consulaires tiennent un décompte précis des interventions,
des contacts établis, des implantations réalisées, etc. en termes d’emplois immédiats et futurs,
il n’existe aucune compilation de ces données à l’échelle nationale et par conséquent aucune
statistique permettant d’évaluer précisément ces politiques. La seule source statistique
disponible concerne les aides financières des collectivités locales aux entreprises, tenue
annuellement par la direction de la comptabilité publique (Notes bleues de Bercy), laquelle
fait état d’un volume d’environ 14 milliards d’aides directes et indirectes, relativement stable
depuis une décennie. Ces aides financières accordées par les collectivités ne couvrent
cependant que certains aspects des modalités de l’intervention économique des collectivités.
Les services à l’entreprise ne peuvent être comptabilisés. Un obstacle à l’évaluation des
politiques publiques locales réside certainement dans le fait que ces quelques informations
quantitatives ne couvrent pas les aspects importants et plus qualitatifs de l'intervention:
conseil, assistance, information, et autres formes de services directs.
Dans la littérature spécialisée, comme dans les argumentaires politiques, les
justifications de l’action économique décentralisée sont multiples. On mentionne aussi bien la
revitalisation des régions en difficulté que le renforcement de la compétitivité des entreprises
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Une étude du CNER (1995) sur les missions des Comités d’expansion identifie une cinquantaine d’actions
distinctes.
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En utilisant ces qualificatifs, nous ne faisons que reprendre une terminologie déjà employée par quelques
auteurs, dont Houée (1989).
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et le positionnement stratégique des métropoles dans un schéma de concurrence généralisée
des territoires pour capter des flux économiques. On évoque aussi le besoin de limiter les
déplacements domicile-travail pour fixer une partie des emplois sur leur secteur (surtout en
milieu rural), l’aspiration des citoyens « à vivre et travailler au pays », la nécessité de
renouveler un tissu industriel en constante mutation en faisant émerger ou en attirant des
activités nouvelles, etc. Le motif essentiel traditionnellement reconnu est la pénurie
d’emplois et les difficultés de certains territoires à assurer leur viabilité socio-économique.
Une littérature abondante sur les thèmes du développement local, ou de la "regradation" des
territoires, vient analyser une pratique aujourd’hui largement répandue et encouragée par les
lois de décentralisation.
Il est également d’usage de considérer que les interventions économiques des
collectivités territoriales constituent en premier lieu une réponse aux situations de crise:
difficultés rencontrées par les territoires, en termes de suppression d’emplois, de fermetures
cumulatives d’activités, d’augmentation du taux de chômage, d’exode des populations jeunes
et qualifiées, etc. occasionnées par les grandes restructurations industrielles. La typologie
européenne des fonds structurels traduit bien cette nomenclature de besoins critiques.
L’étude attentive du comportement des commissions économiques des collectivités
locales et de leurs agences de développement depuis une vingtaine d’années montre que les
efforts de développement économique ne sont pas nécessairement corrélés aux difficultés
rencontrées par les territoires
8
. D’une part, les régions les plus entreprenantes sont le plus
souvent celles qui présentent le moins de difficultés, d’autre part, à l’intérieur d’une région
donnée, les stratégies de développement ne coïncident pas nécessairement avec les périodes
de basse conjoncture
9
. Il est donc possible de considérer l’action économique locale non pas
seulement comme une réponse ponctuelle à un problème conjoncturel passager (crise
économique, secteur en restructuration, pénurie d’emplois) mais au contraire comme un
comportement organisé et permanent de soutien au développement régional. La réflexion
actuellement conduite sur la poursuite de la décentralisation pourrait institutionnaliser cette
nouvelle responsabilité des collectivités locales en matière de développement économique
(Lachmann, 1997).
I.2 Les stratégies de développement régional à l’aune du développement durable
Une autre famille d’arguments développés fait appel implicitement au concept de
développement durable. Les avantages fréquemment avancés pour légitimer l’action
économique des collectivités territoriales sont les suivants : une meilleure information et une
meilleure prise en compte des besoins locaux (Gérard-Varet, 1995), une réponse mieux
adaptée aux besoins spécifiques des entreprises et des ménages localisés sur le territoire, une
gestion plus efficace des deniers publics, une transparence plus grande des choix opérés en
conformité avec l’impératif démocratique et enfin, une politique d’industrialisation capable de
prendre en compte des impératifs de protection de l’environnement et de gestion du
patrimoine naturel (Uhrich, 1977). Vérifier ces arguments reviendrait à déterminer les
avantages procurés par de telles initiatives pour le territoire (sous forme de gain économique à
8
Le sixième rapport périodique sur la situation des régions européennes fait état de fortes disparités dans les
montants moyens d'aide publique à l'innovation, ceux-ci fluctuant de 200 euros par actif dans les régions
françaises et d'Europe du Nord, à 50 en Espagne et moins de 10 en Grèce.
9
Par exemple : l’Alsace qui présente traditionnellement le taux de chômage régional le plus faible pour des
raisons structurelles, ne relâche jamais son effort de développement et profite des périodes de bonne conjoncture
pour « engranger » des activités nouvelles et occuper de nouvelles positions en terme de spécialisation
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