1 Histoire de la formation du relief du Viêt Nam PHAM VAN NGOC Ancien Professeur à l’Ecole Polytechnique de Montréal (Canada) Ancien Directeur du LAGAS (Laboratoire de Géophysique Appliquée et Structurale), Ecole Nationale Supérieure de Géologie de Nancy Directeur de Recherche au CNRS, Institut de Physique du Globe de Paris Prix de l’Académie des Sciences, Paris 2002 Avant Propos La formation du relief du Viêt Nam conditionne la vie économique, politique et sociale du pays depuis l’antiquité jusqu’à maintenant. L’histoire de cette formation remonte à plus de 540 Millions d’Années (MA), donc difficile à déchiffrer. C’est grâce à la coopération scientifique entre la France et le Viet Nam qui nous permettait d’explorer les ressources du sous-sol du Nord au Sud, que nous avons pu reconstituer « l’histoire de la formation du relief du Viet Nam » qui réserve bien des surprises et que peu de gens connaissent, même au Viêt Nam, les résultats scientifiques étant relativement récents. Certes c’est une histoire assez compliquée mais passionnante, je tâcherai de la vulgariser pour vous faire partager sa compréhension. Vous porterez un autre regard sur les sites que vous visiterez pendant votre prochain voyage au Viêt Nam en sachant comment ils ont été formés Morphologie du relief du Viêt Nam Un dicton populaire compare le Viêt Nam à un fléau de bambou, la palanche, portant aux deux bouts deux paniers. C’est l’image classique de la paysanne vietnamienne Figure 1 : Carte géographique de la Péninsule Indochinoise englobant trois pays : le Viêt Nam, le Laos et le Cambodge. Le Viêt Nam occupe toute la partie Est de la péninsule en forme de S, avec la partie centrale rétrécie et en s’élargissant aux deux extrémités Nord et Sud, d’où l’image symbolique d’une palanche portant deux paniers aux deux bouts. 2 laborieuse, transportant les paniers de riz dans les rizières. Le fléau de bambou représente la chaîne de montagne dans le Centre appelée Cordillère Annamitique, nom donné par les français, mais que les vietnamiens désignent par Truong Son. Il s’agit d’une chaîne étroite longeant le littoral du Nord au Sud découpée par de petites plaines deltaïques. Les deux paniers symbolisent les deux grands deltas, le delta du Fleuve Rouge au Nord et le delta du Mékong au Sud, qui sont de véritables greniers de riz du Viêt Nam. Evidemment cette image est symbolique, la réalité est plus complexe. Vu de l’espace (Cf. Figure 2), le Viêt Nam, avec une superficie totale de 329.000 km2, apparaît au 3/4 couvert de montagnes et de hauts plateaux dans les régions du Nord et du Centre. Le 1/4 restant, couvrant environ 82.000 km2, correspond au delta du fleuve Rouge (20.000 km2), au delta du Mékong (47.000 km2) et aux petites plaines deltaïques du Centre (15.000 km2). En regardant de près, le relief ne comporte pas seulement la chaîne Truong Son au Centre, mais est dominé par de hautes chaînes au Nord appelées Alpes Indochinoises dont le sommet le plus haut est le Fan Si Pang culminant à 3.143 m. Enfin les deux paniers de riz sont très déséquilibrés, le panier du delta du Sud est deux fois plus grand que celui du delta du Nord. Ce dernier est coincé entre deux chaînes de montagne alors que celui du Sud s’étale librement vers la Mer de l’Est (Mer de Chine) et vers le Golfe de Thaïlande. Par conséquent la morphologie des deux deltas est différente comme l’histoire de leur formation qui sera expliquée plus loin. Géographiquement, le Viêt Nam est groupé avec le Laos et le Cambodge pour former la Péninsule Indochinoise (Cf. Figure 1). Mais sur le plan géologique le Viêt Nam appartient à un bloc continental beaucoup plus grand, « le Bloc Indochinois » mis en évidence par des travaux de recherche récents exposés dans le paragraphe suivant. Morphologie du Bloc Indochinois et l’histoire de sa formation Le Bloc Indochinois englobe 5 pays, le Viêt Nam, le Laos, le Cambodge, la Thaïlande et la Birmanie, mais ses frontières géologiques ne coïncident pas avec les frontières géographiques de ces pays (Cf. Figure 2). Il a la forme d’un parallélogramme dont les deux grands côtés s’orientent suivant la direction NW-SE et correspondent à deux grandes failles géologiques, la faille du Fleuve Rouge (Sông Hông : SH) et la faille Wang Chao (WC). Les deux petits côtés, Figure 2 : Carte morphologique du Bloc Indochinois. approximativement NS, correspondent à la faille Sa Gaing ( SG) à l’W et à la faille de la Les lignes noires représentent les lignes de faille délimitant Mer de l’Est (Biên Dông : BD) à l’E. le Bloc Indochinois : SH = Sông Hông ( Fleuve Rouge) ; Géologiquement une faille est une ligne de WC = Wang Chao ; SG = Sa Gaing ; cassure séparant l’écorce terrestre en deux BD = Biên Dông ( Mer de l’Est). blocs. Ainsi le Bloc Indochinois est délimité par 4 failles citées précédemment mais il Les lignes rouges représentent les lignes de suture : n’est pas homogène. Il est formé par le SM = Sông Ma ; TK = Tha Khek ; DBP = Diên Biên Phu ; rassemblement de 5 micro-blocs, les microDN = Da Nang blocs Sông Dà ( SD ), Truong Son ( TS ), Kon Tum ( KT ), Kho Rat ( KR ) et San Thai ( ST ). Les grosses lettres noires désignent les noms des 5 Ces 5 micro-blocs sont rassemblés suivant 4 micro-blocs : SD = Sông Da ; TS = Truong Son ; ST = San Thai ; KR = Kho Rat ; KT = Kon Tum 3 lignes de suture, les sutures Sông Ma, Diên Biên Phu, Da Nang et Tha Khek. Contrairement aux failles, les sutures sont des ligne de raccordement ou de collision entre deux blocs de l’écorce terrestre. Finalement on constate que le Bloc Indochinois comporte une partie océanique insoupçonnée depuis la surface (Cf. Figure 2). Pendant l’ère Protérozoïque, avant 540 Millions d’Années (MA), le Bloc Indochinois n’était pas encore formé. Les 5 micro-blocs précités étaient des super-îles flottant comme des radeaux dans un vaste océan ancien, le Paléo-Téthys situé au Sud du supercontinent Eurasie. Durant l’ère Primaire (540-245 MA), dû au processus de Dérive des Continents du Sud vers le Nord, les 5 micro-blocs se regroupent et s’agglutinent sur le bord du supercontinent Eurasie, formant ainsi le Bloc Indochinois à l’ère Secondaire (245-65 MA). Durant leur rassemblement les plus petits micro-blocs sont fortement comprimés et expulsés en hauteur formant les plus hautes chaînes de montagne. C’est le cas du micro-bloc Sông Da dont l’expulsion forme la chaîne du Fan Si Pang (Hoàng Liên Son), la plus haute chaîne du Viêt Nam culminant à 3.143 m. Le micro-bloc Truong Son étant plus grand, son expulsion forme la chaîne correspondante Truong Son avec une altitude moyenne inférieure à 2900 m. Le micro-bloc Kon Tum est encore plus grand et se transforme en une région de hauts plateaux entre 600 et 1.500 m où se trouve la ville fleurie de Da Lat. Une fois formé, le Bloc Indochinois n’était pas dans sa position actuelle. Il se trouvait à environ 300-500 km vers le N-W près du Tibet. Il y a 50 MA, durant l’ère Tertiaire (65-1,64 MA), se produisit un phénomène tectonique majeur : c’est la collision entre le Bloc Indien et le supercontinent Eurasie, toujours par le processus de Dérive des Continents du Sud vers le Nord, faisant ébranler tout l’Est et le SE du continent asiatique. Le Bloc Indien étant un bloc colossal, sa collision avec le bloc Eurasie provoque la formation de la plus haute chaîne de montagne du monde, l’Himalaya, Figure 3 : Carte tectonique de l’Asie montrant la poussée culminant à 8.848 m (Mt Everest). vers le Nord du Bloc Indien, provoquant la formation de Le Bloc Tibétain, situé au Nord de l’Himalaya et l’expulsion des Blocs Indochinois et Sud de la l’Himalaya, est repoussé vers le Nord Chine vers l’Est. C’est ce mouvement tectonique qui est à pendant que les blocs situés aux deux l’origine de tous les grands séismes en Chine, en particulier extrémités de la chaîne himalayenne sont celui de 2008 dans la province du Sichouan. Il est aussi la expulsés vers l’extérieur sous l’effet de cause des séismes enregistrés au Nord Viêt Nam « chasse-neige ». C’est le cas du Bloc heureusement moins catastrophiques. Indochinois, situé à l’Est, qui est expulsé de 300-500 km vers le SE le long de la faille du Fleuve Rouge pour occuper sa position actuelle (Cf. Figure 3). Actuellement le Bloc Indien continue toujours à dériver vers le Nord, surélevant la chaîne himalayenne, faisant bouger les blocs environnants et par conséquent les lignes de faille et de suture, provoquant ainsi les tremblements de terre. En 2003 un tremblement de terre provoqué par le glissement de la suture de Diên Biên Phu du Bloc Indochinois a causé beaucoup de dégâts dans la fameuse cuvette bien connue du même nom. Mais c’est surtout le tremblement de terre catastrophique survenu le 12/05/2008 dans la province du Sichouan dans le centre de la Chine, causant 32.400 morts, 220.100 blessés, qui résulte du même mouvement tectonique, à savoir l’expulsion du Bloc Sud 4 de la Chine (South China) vers l’Est, la faille responsable de ce séisme étant celle qui borde sa frontière Nord (Cf. Figure 3). Notons que sa frontière Sud est commune avec celle du Bloc Indochinois, c’est la faille du Fleuve Rouge. C’est ainsi que durant le séisme du Sichouan tout le Nord Viet Nam a tremblé, semant même la panique dans le centre de Ha Nôi. Histoire de la formation du delta du Fleuve Rouge Ce delta est situé dans le Nord du Viêt Nam. Le Fleuve Rouge suit une ligne de faille, la faille du Fleuve Rouge, sur plus de 1.000 km depuis le Tibet jusqu’au Golfe du Tonkin. A l’époque où le Bloc Indochinois était dans sa situation primitive près du Tibet, la faille du Fleuve Rouge était très serrée et son fleuve coulait dans un étroit canyon. En glissant vers la mer de l’Est, le Bloc Indochinois subit une rotation dans le sens des aiguilles d’une montre, s’écarte du Bloc Sud de la Chine, créant ainsi un delta en forme de triangle et le Golfe du Tonkin. Depuis la frontière avec la Chine jusqu’à la ville de Viêt Tri au Nord de Ha Nôi, le Fleuve Rouge suit la ligne de faille du Fleuve Rouge entre deux régions montagneuses. Après Viêt Tri le delta est recouvert par d’épais terrains sédimentaires et d’alluvions, si bien que le Fleuve Rouge se répand dans la plaine alluviale et on perd la trace de la faille en profondeur. Une étude menée en collaboration avec l’Institut de Géophysique et l’Institut du Pétrole de Ha Noi nous a permis de localiser, dans le région de Hai Phong-Ninh Binh, près de Thai Binh, un fossé profond de 5.500 m et rempli de sédiments Tertiaires Miocène dont l’âge de 24 MA correspond au début de la formation du delta du Fleuve Rouge. Histoire de la formation du delta du Mékong L’histoire de la formation du delta du Mékong au Sud est entièrement différente de celle du Fleuve Rouge. Le delta du Mékong est largement ouvert vers le Sud en une vaste plaine alluviale basse et fertile, comblée par les terrains sédimentaires Secondaires et les alluvions récents transportés par le Mékong depuis le Tibet en traversant le Laos et le Cambodge jusqu’au Sud Viêt Nam. L’apport constant des alluvions du Mékong fait que la surface du sol du delta change constamment, la pointe de Cà Mau à l’extrémité Sud progresse vers la mer de 60-80 m par an. Le delta est délimité seulement au NE de Sai Gon par une chaîne de montagnes et de collines allant de Tây Ninh à Vung Tàu (Cf. Figure1). Le Mékong, en pénétrant dans le Sud Viêt Nam depuis le Cambodge, s’étale largement dans la basse plaine alluviale en neuf branches appelées Cuu Long (Neuf Dragons), nom vietnamien du Mékong. Ces branches arrosent de vastes étendues de rizières, permettant jusqu’à trois récoltes de riz par an, sans compter tous les immenses jardins de fruits exotiques, comme les célèbres mangues parfumées de My Tho.. Paradoxalement, malgré l’abondance de l’eau en surface, le delta du Mékong manque d’eau potable à la fois pour les besoins domestiques et pour les besoins industriels. Le gros problème provient de la pollution des nappes aquifères superficielles. La pollution est d’abord d’origine naturelle par invasion de l’eau de mer dans les régions côtières. Elle est ensuite d’origine humaine à cause des énormes concentrations de population le long des cours d’eau qui sillonnent le delta. Par conséquent les agglomérations des grandes villes comme Sai Gon, sont confrontées à un énorme problème d’alimentation en eau potable. Le traitement des eaux salées ou polluées tirées des fleuves et des rivières coûte très cher pour les rendre propres à la consommation. La solution serait de rechercher de l’eau potable dans les nappes aquifères souterraines à grande profondeur. Dans ce but, nous avons effectué une campagne d’investigation hydrogéologique dans une large région entourant la ville de Sai Gon. Les méthodes d’exploration géophysique utilisées sont les méthodes géo-électriques qui étudient les propriétés électriques des nappes aquifères par la mesure de leur résistivité électrique. Les nappes d’eau salée ou saumâtre, à cause de leur teneur en sel, sont 10-100 fois plus conductrices que les nappes d’eau douce, par conséquent leur résistivité électrique est 10-100 fois plus faible, généralement inférieure à 10 Ohm.m (unité de résistivité électrique). En établissant des cartes de résistivité électrique du sous-sol (tomographie électrique) il est possible de distinguer les zones d’eau douce des zones d’eau salée ou saumâtre. La Figure 4 montre un exemple des cartes établies à trois profondeurs: 25, 100 et 300 m. Elles mettent en évidence la présence d’eau salée et saumâtre (couleur rouge et jaune) dans toute la région située au Sud de Sai Gon, indiqué sur la carte 5 par HCM (Hô Chi Minh ville). Seules les régions situées au Nord et au NE possèdent un potentiel d’eau douce (couleur bleue). De telles études devraient s’étendre sur tout le delta pour évaluer les ressources et la qualité de l’eau dans le sous-sol. Conclusion Grâce à l’histoire particulière de la formation de son relief, le Viêt Nam occupe une position privilégiée dans le SE asiatique, la variété de ses paysages peut satisfaire tous les visiteurs. Le soulèvement des hautes montagnes au Nord permet non seulement de créer de beaux sites alpins comme le Fan Si Pang, mais aussi d’exhumer les Figure 4 : Cartes de résistivité électrique à trois profondeurs : 25, 100 gisements miniers et 300 m. L’échelle des couleurs indique la qualité des nappes profonds qui constituent aquifères en fonction de leur résistivité électrique : rouge = eau la richesse du pays salée ; jaune = eau saumâtre ; vert = eau minéralisée ; bleu clair = eau depuis l’antiquité. On potable ; bleu foncé = socle résistant ne contenant pas d’eau connaît en effet la florissante période de l’âge de de bronze avec le tambour de Dông Son répandu dans toute l’Asie jusqu’en Indonésie et en Chine. Le soulèvement des hauts plateaux dans un pays tropical permet d’avoir des régions de villégiature à climat agréable comme Da Lat et de grandes plantations d’hévéa, de café, le Viêt Nam étant le deuxième producteur de café après le Brésil. La formation de ses deux deltas, le delta du Fleuve Rouge au Nord et le delta du Mékong au Sud, permet de développer la culture intensive du riz, le Viêt Nam étant aussi le deuxième producteur de riz après la Thaïlande. Ses rizières à perte de vue offrent un spectacle inoubliable aux visiteurs avec des couleurs variant du vert tendre au jaune clair suivant les saisons. Et ce n’est pas tout. Son littoral long de 3.260 km, bordant la côte depuis la baie d’Along jusqu’au golfe de Thaïlande, est parsemé d’immenses plages de sable blond jusque dans l’île de Phu Quôc où est fabriqué le fameux « nuoc mam ». Conscient de la richesse naturelle de son pays, le paysan vietnamien chanta souvent : « Dat ta bê bac non vàng » (Mon pays est un océan d’argent et une montagne d’or). Paris Mai 2009 6 Références 1. Pham V. N., Boyer D., Therme P., Yuan X. C., Li L. and Jin G. Y. (1986). Partial melting zones in the crust in southern Tibet from magnetotelluric results. Nature, v.319, pp. 310-314. 2. Pham V. N., Boyer D., Nguyên T. K. T. and Nguyên V. G. (1993). Aquifer contamination process explored by electrical properties in the agglomeration of Hô Chi Minh City (Viet Nam). Guide for hydrogeological research. C. R. Acad. Sci. Paris, t. 316, Série II, pp. 1223-1230. 3. Pham V. N., Boyer D., Nguyên T.K.T. and Nguyên V. G. (1994). 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