L’ESS, une réponse à la crise
Conférence de Gérard DECHY, le 24 mars à Douai ; à l’occasion de la venue de Patrick
VIVERET.
Je voudrais tout d’abord remercier le CEAS de Douai de m’avoir invité ce soir, en ma qualité
de Président de l’APES, pour présenter l’ESS dans le Nord pas de Calais, dans le cadre de
cette soirée consacrée à « l’ESS et la crise ».
Je voudrais aussi féliciter celles et ceux qui ont pris part à la décision de mettre cette question,
ô combien d’actualité sur le devant de la scène car, même s’il reste encore beaucoup à faire
pour qu’elle « fasse le buzz », une partie de la réponse est sans aucun doute dans la manière
dont la « société civile » s’en saisira et dans la puissance et l’investissement qu’elle mettra
pour inventer de nouvelles réponses et soutenir les nouvelles initiatives qui naîtront sur les
territoires mais aussi pour faire pression sur les décideurs à quelques encablures d’une
échéance électorale nationale décisive.
J’ai intitulé mon intervention : l’ESS, une réponse à la crise et je vous propose de la baliser en
trois points :
- De quoi parle-t-on ? (Pour mieux se comprendre, je rappellerai en quelques mots ce
que j’entends par ESS)
- De qui parle-t-on ? (qui sont les acteurs de l’ESS dans le Nord Pas de Calais et que
font-ils ?)
- La crise, une opportunité pour développer l’ESS ? A quelles conditions, quelles
perspectives d’ici 2012 ?
1 - De quoi parle-t-on ?
L’ESS, comme son nom l’indique, c’est d’abord de l’économie, c’est-à-dire que nous nous
situons résolument dans la sphère économique et dans son corollaire, la création d’activités et
de richesses.
Encore faut-il que l’on s’interroge sur l’utilité sociale de ces activités produites, les conditions
dans lesquelles elles sont fabriquées et sur leurs conséquences sur l’environnement et sur les
territoires où elles sont installées, que l’on s’interroge aussi sur la nature des richesses
générées et sur leur partage entre les différentes parties prenantes.
Mais l’économie, dans sa globalité, ce n’est pas forcément ce que l’on croit et ce que l’on
entend.
En effet et contrairement à ce que d’aucuns voudraient nous faire croire, l’économie de
marché dans laquelle nous vivons, et dans laquelle nous avons fait le choix de vivre, même si
nous n’en partageons pas tous les travers et tous les excès, ne se résume pas à l’économie
marchande et monétaire, celle dont on nous rebat plusieurs fois pas jour les oreilles et qui se
trouve à la rencontre de l’offre et de la demande et se traduit notamment par un prix d’un bien
ou d’un service. Cette forme d’économie ne représente qu’un tiers au maximum de
l’ensemble et n’est donc qu’un élément de l’activité économique.
Un tiers au maximum en effet car elle blanchit et comptabilise nombre de ressources qui ne
relèvent pas, si on y regarde d’un peu plus près, de cette économie marchande et de la stricte
loi du marché.
En effet, cette économie marchande et monétaire, à but lucratif en ce sens qu’elle rémunère le
capital, vit, pour des pans entiers de son activité, de solidarité ou de redistribution de nos
impôts.
Ainsi, par exemple, l’activité des médecins libéraux est comptabilisée dans cette économie
marchande et monétaire alors qu’ils n’ont de libéraux que le statut puisque leurs ressources
proviennent intégralement de la solidarité. De la même façon, les activités des entreprises du
BTP relèvent, pour plus des deux tiers, des commandes du secteur public. Et je passe sous
silence et pour pertes et profits l’ensemble des subventions publiques qui sont octroyées aux
entreprises du privé pour la création ou la sauvegarde de l’emploi, l’investissement,
l’innovation ou toutes autres raisons structurelles comme les subventions aux agriculteurs ou
conjoncturelles comme les moyens dégagés pour les tours opérateurs à la suite de la mauvaise
humeur d’un volcan islandais ou pour les propriétaires qui ont construit leurs maisons en zone
inondable.
En outre, parce qu’elle est binaire (offre-demande) et se préoccupe peu des conséquences de
ses choix sur les personnes et sur la planète, elle ne répond pas à tout et plusieurs de ses
réponses ne peuvent plus, ne pourront plus perdurer : il existe ainsi beaucoup de besoins non
satisfaits auxquels le marché ne répond pas, les ressources fossiles sont par définition
épuisables et les niveaux de pollution ont dépassé depuis longtemps, en de nombreux endroits,
des points de non retour.
A côté de cette économie marchande et monétaire, et au même niveau quantitatif (un
deuxième tiers), on trouve l’économie non marchande et monétaire, l’économie de la
redistribution qui, dans notre pays comme dans la plupart des pays développés, représente peu
ou prou, la même part que la précédente : en effet, les prélèvements fiscaux, quelle que soit
leur origine (Etat ou collectivités), quelle que soit leur destination, qu’ils soient directs ou
indirects, représentent, en gros, 50% des revenus.
Avec le choix fait par l’Union Européenne et par la France, de placer sur le marché des pans
entiers de services d’intérêt général, nous aurons, dans les années qui viennent, des choix
essentiels à faire pour maintenir, conforter et développer les éléments de cette économie non
marchande et monétaire, construite sur la solidarité entre les riches et les pauvres, entre les
générations, entre les territoires ou pour lui substituer des réponses assises sur l’assurance, sur
les risques et sur la solvabilité des publics concernés.
Et à côté de ces deux parts équivalentes, il en existe une troisième qui certes, n’est pas
comptabilisée dans un PIB qui croît quand les accidents de la route augmentent (là aussi, nous
reviendrons sans doute sur ces indicateurs de richesse) mais sans laquelle nous ne pourrions,
tout simplement, pas vivre ensemble : c’est l’économie non marchande et non monétaire,
certains l’appellent l’économie réciprocitaire ou encore l’économie du don et du contre-don,
qui comprend notamment toute l’économie domestique et tout le temps social qui pousse tant
de bénévoles (trop peu pour tout ce qu’il y a à faire) à faire société, les uns en s’occupant des
jeunes du club de foot ou de basket pendant que d’autres soutiennent les exclus de toute
nature de cette partie de l’économie basée sur le rendement maximum et immédiat du capital
investi.
L’ESS naît de la combinaison (de l’hybridation comme disent Bernard Eme et Jean-Louis
Laville) de ces trois formes d’économie, comme un hybride est produit par la main de
l’Homme à partir des meilleurs caractères des parents.
Et, depuis plusieurs décennies maintenant, nous avons apporté la preuve que l’on peut
effectivement créer de l’activité économique nouvelle en combinant, en hybridant ces trois
formes d’économie, comme on crée du diamant en hybridant les orbitales des atomes de
carbone.
Dit autrement, l’économie sociale et solidaire est donc à l’économie ce que le diamant est au
carbone.
Certes, il faut y mettre un peu d’énergie, sans doute aussi un peu de foi, d’espérance et de
solidarité mais aussi un gros peu de volonté politique locale.
Car l’ESS, c’est, de ce fait, une économie du sens, une économie du lien social, c’est aussi
une économie du territoire.
Le meilleur exemple qui illustre, de mon point de vue, l’ESS est celui des services à la
personne.
Ainsi, ces services de proximité n’auraient pas connu pareil développement sans l’implication
sur les territoires des élus et de celles et ceux, bénévoles des conseils d’administration comme
salariés des structures qui ont voulu apporter une réponse, non délocalisable, à des besoins
non satisfaits en privilégiant les exclus mais aussi, sans la défiscalisation du chèque emploi
service et sans un changement de comportement des consommateurs qui ont mis sur le
marché un certain nombre de tâches que l’on avait l’habitude de réaliser soi-même ou de faire
réaliser, gratuitement ou « au black », par son entourage.
On a bien ainsi pu créer de l’activité économique nouvelle en combinant les trois formes de
l’économie et aucune de trois parties n’aurait pu y parvenir à elle seule, faute de moyens
suffisants.
Dit autrement, l’ESS, c’est 1+1 = 3.
Preuve a été faite qu’il est bien possible de créer de l’activité économique, de répondre ainsi à
des besoins non satisfaits par le marché, avec un autre moteur que le profit.
2 -De qui parle-t-on ?
Primauté de l’Homme sur le profit,
Utilité sociale des biens et services produits,
Gestion éthique et gouvernance démocratique,
Respect de l’environnement et de la diversité culturelle,
Ancrage territorial,
Mobilisation citoyenne,
Celles et ceux qui se réclament de l’ESS se retrouvent autour de ces principes et c’est sur cette
base et en ce sens que s’oriente en ce moment le groupe de travail du Conseil Supérieur de
l’Economie Sociale, présidé par Claude Alphandéry, qui s’attache à définir les plus-values des
entreprises de l’ESS par rapport aux entreprises classiques.
C’est aussi le plan que j’ai choisi pour cibler les contours de l’ESS.
Si on s’en tient aux statistiques de l’INSEE, l’économie sociale et solidaire représente, selon
les régions, 10 % à 12% du PIB et 12 à 15% de l’emploi, soit plus que l’artisanat et, dans le
Nord Pas de Calais, les chiffres ne sont pas différents.
On mesure bien, à travers ces seuls chiffres, le chemin qui reste à parcourir pour que les
acteurs de l’économie sociale et solidaire, quel que soit leur champ d’activités, soient mieux
connus et reconnus.
Mais elle repose sur une grande diversité d’activités économiques (et de ce point de vue, on
ne peut sans doute pas parler de secteur d’activités au même titre que le BTP par exemple),
activités cherchant à produire, consommer, employer, épargner et décider autrement, de
manière plus respectueuse des hommes, de l’environnement et des territoires.
Primauté de l’Homme sur le profit.
C’est sans doute le fondement premier des initiatives de l’ESS et il n’est donc pas surprenant
que la plupart des entreprises « capitalistes » de l’ESS reposent sur des statuts qui prévoient
une limitation stricte voire une absence totale de rémunération du capital investi comme les
SCOP ou les mutuelles. Pas non plus surprenant que nombre d’entreprises aient choisi le
statut associatif dans lequel il ne peut, par définition, y avoir de profit.
Dans les entreprises de l’ESS, la rémunération du capital est limitée ou nulle, évitant le diktat
de la performance financière maximale. L’échelle des salaires y est encadrée. Les excédents
réalisés sont mis en réserve et les réserves souvent impartageables, favorisant la pérennité et
la vision de long terme de l’entreprise. Pour asseoir ce fonctionnement éthique, les entreprises
de l’ESS font souvent (mais pas toujours) le choix de statuts associatif, coopératif ou
mutualiste.
Utilité sociale des biens et services produits.
L’utilité sociale est au coeur du projet des initiatives de l’ESS. Non seulement leur motivation
de produire, d’échanger, de consommer répond souvent à une finalité sociale ou écologique,
mais leur activité économique génère aussi de nombreux bénéfices collectifs, notamment à
l’échelle des territoires.
Au cours de ces dernières années, les entreprises d’ESS se sont développées dans des services
d’intérêt général : entreprises adaptées aux personnes handicapées, logement des exclus,
services pour les personnes âgées, pour la petite enfance, éducation populaire, initiatives
artistiques et culturelles.
Ce service de l’intérêt général intègre aussi une dimension écologique. C’est ainsi qu’elles
agissent pour protéger l’environnement et contribuer à un développement durable. Elles sont
par exemple pionnière de filières de recyclage (papier, textile, déchets électroniques…) et de
production et distribution d’une offre agricole plus respectueuse de la planète (bio, agriculture
paysanne…).
Plus récemment, elles se sont positionnées sur le secteur de l’énergie et notamment des
énergies renouvelables et des économies d’énergie.
Gestion éthique et gouvernance démocratique
Pas d’utilité sociale sans une gestion éthique de l’entreprise, garantie par des règles de
fonctionnement et des mécanismes de décision ad hoc (dans les statuts par exemple).
Au-delà des rémunérations, les valeurs humanistes de l’ESS se retrouvent dans l’exercice du
pouvoir qui ne repose pas sur l’arbitraire des détenteurs du capital mais sur des principes
démocratiques.
Par exemple, dans les entreprises de l’ESS sous forme de Scop (société coopérative de
production), ceux qui décident sont ceux qui travaillent ; les salariés prennent ensemble les
grandes décisions, selon le principe « une personne - une voix » : choix des dirigeants,
orientations stratégiques, affectation des résultats.
Dans celles sous forme de Scic (société coopérative d’intérêt collectif), le multisociétariat
perme d’organiser démocratiquement la gouvernance autour des différentes parties prenantes
de l’activité : salariés, bénéficiaires, financeurs, collectivités locales, etc.
Ancrage territorial
L’ESS se développe avec et pour les territoires. Initiatives de proximité aux emplois non
délocalisables, les entreprises de l’ESS se caractérisent par une capacité à mobiliser et faire
travailler ensemble une grande diversité d’acteurs locaux (usagers, entreprises,
collectivités…). Elles maintiennent ainsi une offre de biens et services dans des territoires
fragiles ou enclavés et elles contribuent à leur développement durable et à leur attractivité. À
ce titre, leurs rapports avec les collectivités territoriales sont étroits et multiples (financier,
commercial, entrepreneurial…).
Mobilisation citoyenne
Les entreprises de l’ESS favorisent enfin la participation active de tous les citoyens à
l’économie. Avec l’ambition de ne laisser personne au bord de la route économique; de
redonner à chacun la possibilité de s’impliquer directement et positivement dans le jeu
économique ; de quitter une « abstention économique » souvent subie pour une « citoyenneté
économique » active.
Le commerce équitable, l’agriculture bio, les services de proximité, les régies de quartiers, les
circuits courts, l’épargne solidaire sont autant de voies concrètes pour faire vivre cette
citoyenneté économique et où l’ESS est très active.
Il s’agit ainsi de considérer chaque personne de façon inséparable, dans sa double qualité de
contributeur et de bénéficiaire du progrès économique, social et environnemental. La
personne comme acteur à part entière de l’économie et l’économie pleinement au service des
personnes.
Quelques exemples régionaux
- Colline : crèche parentale et collectif inter crèches qui, depuis 1990, encourage les
initiatives collectives pour la petite enfance, concoure à l’accueil du jeune enfant,
promeut la place des parents dans tous les lieux de vie de l’enfant et dans la vie locale,
a été à l’initiative en 2010 d’une Université Populaire de Parents du Bassin Minier.
- Terre de liens : dont la vocation est de supprimer le poids se l’acquisition foncière
pour les agriculteurs et d’agir ainsi concrètement pour l’installation de paysans et le
développement d’une agriculture biologique.
- Enercoop : 7 000 consommateurs, 5 000 sociétaires qui ont décidé de donner priorité à
l’électricité renouvelable
- Grands Ensemble : Coopérative d’Activités et d’emploi (CAE) dans les secteurs des
services, des services à la personne, du bâtiment et qui représente une alternative à
l’entreprenariat individuel
- Croc la vie : préparation de plats cuisinés bio pour les cantines maternelles
L’APES (Acteurs pour une économie solidaire)
L’APES est, en Nord Pas de Calais, la tête de réseau des acteurs de l’ESS.
Elle regroupe plus de 300 acteurs, personnes morales et personnes physiques qui participent
au développement de l’ESS dans la région.
Les missions de l’APES : au-delà de l’animation de ce réseau (formation des acteurs et
démarche de progrès, petits déjeuners, newsletter, site internet), l’APES s’attache à rendre
l’ESS plus lisible et plus visible et, depuis sa cation en 2000, à rendre l’économie plus
solidaire.
Ses deux axes d’intervention prioritaires sont les domaines d’activités, ce que nous appelons
les filières et les territoires.
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