L’Exclusion, l’état des savoirs Sous la direction de Serge Paugam Il n’existe pas d’exclusion dans l’absolu, car on ne peut être exclu de tout ! Cependant toute organisation sociale, de la famille à la nation en passant par l’entreprise, implique l’inclusion des uns et l’exclusion des autres, fonctionne selon un processus d’inclusion/exclusion. Quelles formes ont pris aujourd’hui ces processus ? I) Qu’est-ce que l’exclusion ? A) Intégration et exclusion dans les sociétés modernes 1 1) L’intégration/exclusion pendant les Trente Glorieuses et sa remise en cause Pendant le « miracle » des Trente Glorieuses, l’intégration sociale a été assurée par le développement économique, le travail pour tous (développement du salariat), l’enrichissement collectif et même l’embourgeoisement. Chacun, y compris les d’immigrés, estimait que ses enfants se feraient une place confortable dans la société, meilleure que la sienne, ce qui leur faisait éventuellement accepter des conditions de travail et de vie difficiles. L’État-providence octroyait des ressources à ceux qui étaient provisoirement ou définitivement hors du marché du travail : les mécanismes de redistribution fonctionnaient comme des instruments de lutte contre le processus d’exclusion. Aujourd’hui - Pour certains, l’installation de nombreuses populations d’origine étrangère constituerait un défi à l’État-nation et risquerait de remettre en cause l’intégration sociale : risque de dissolution de la nation traditionnelle. Pour d’autres sociologues, il s’agit de construire une « nouvelle citoyenneté », qui reposerait sur un communautarisme de type anglo-saxon. - Par ailleurs, le sentiment que le chômage ne disparaîtra pas conduit à s’interroger sur les formes que peut prendre l’intégration sociale ; on accuse l’État-providence de ne redistribuer les richesses qu’à l’intérieur des classes moyennes. Le pacte social des Trente Glorieuses est donc remis en question. 2) L’intégration/exclusion politique 1 L’intégration politique se manifeste par la citoyenneté, qui donne le droit de voter, de participer à la vie politique, d’être élu, d’occuper des emplois dans l’administration. Les non-citoyens peuvent le devenir par acquisition de la nationalité française. Il est donc possible d’intégrer une communauté politique, alors qu’il est impossible d’intégrer une ethnie, un peuple (on ne peut pas devenir corse ou arabe, alors qu’on peut devenir français). Par ailleurs, dans les démocraties, les non-citoyens bénéficient des mêmes droits civils, économiques et sociaux. Il n’y a donc pas d’ « exclus » ou « d’inclus » a priori, il y a de nombreuses façons de s’inclure et de nombreux processus qui conduisent à l’exclusion. On peut seulement supposer que des personnes ont une probabilité différente de connaître un processus qui les exclueront de la vie professionnelle, collective et relationnelle, jusqu’à la marginalisation. Le risque le plus fort concerne celles qui cumulent les handicaps sociaux (familles modestes et désunies, échec scolaire, absence de formation, chômage), D’après Dominique Schnapper mais même ce cumul ne conduit pas forcément à une rupture totale de tous les liens sociaux, et cette rupture peut ne pas être définitive. 3) L’intégration/exclusion économique et sociale La participation concrète des individus à la vie collective s’organise autour de deux axes : emploi et protection sociale d’une part, relations sociales (famille, amis…), politique (citoyenneté) et civile (associations, syndicats…) d’autre part. Ces deux axes ne sont pas indépendants : il est plus difficile pour un individu familialement isolé d’obtenir un emploi, et inversement, le chômage remet en question le statut d’un père de famille et d’un mari, les liens amicaux. Or, le premier axe s’est dégradé avec la fin du plein-emploi, la multiplication des emplois précaires et le second avec l’affaiblissement des solidarités familiales. Les risques d’apparition d’un processus d’exclusion se sont donc accrus. 4) La contradiction des politiques sociales La politique d’intégration de l’État-providence apparaît débordée par l’ampleur des problèmes à résoudre et le manque de moyens financiers. En même temps qu’elle permet de disposer de quelques ressources (RMI), elle dévalorise et stigmatise ceux qu’elle soutient en leur renvoyant une image d’ « assistés » et en soulignant leur échec. Dans des sociétés globalement riches, des « miettes » permettent aux plus pauvres de ne pas mourir de faim, mais elles n’empêchent pas d’éprouver un sentiment de frustration et de privation relatives. Etre pauvre dans une société riche et ouverte, c’est vécu comme un échec, une incapacité personnelle. B) L’exclusion face au droit 1) De la Sécurité sociale aux minima sociaux Les premiers minima sociaux sont instaurés à partir de 1930 et ont couvert progressivement l’ensemble des risques (invalidité, vieillesse, famille, maladie). Leur généralisation et leur amélioration ont permis de faire largement reculer la pauvreté liée à l’état (âge ou handicap) dans les 70’s. Un risque n’est toutefois pas couvert : celui du chômage. Ce n’est qu’en 1988 avec le RMI, que sera institué un minimum social destiné à ceux qui, qu’elle qu’en soit la raison, ne peuvent tirer du travail des ressources suffisantes. 2) L’insertion : le dédale des obligations croisées Existe-t-il un droit à l’insertion ? Jusqu’à présent, l’objectif d’insertion a été défini par rapport à l’accès à un revenu tiré du travail et la Constitution prévoit bien un droit au travail : (« Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi »). Cependant le développement d’un chômage massif a montré que l’accès à l’emploi était plus facile pour certains que pour d’autres. Des mesures de discrimination positives ont été prises pour corriger les inégalités d’accès : les handicapés (avec prise en charge par l’État d’une partie des coûts salariaux), puis les jeunes peu qualifiés, les chômeurs de longue durée. L’institution du RMI change les données du problème puisqu’il est attribué à tous (condition de ressources) échange de l’aide sociale. En période de chômage massif, le droit au travail reste purement théorique, et la société se trouve confrontée à un dilemme : abandonner l’objectif constitutionnel de droit au travail pour tous et le remplacer par un droit à un revenu minimum pour tous ; ou bien faire en sorte que le travail pour tous reste un objectif raisonnablement atteignable. II ) Les trajectoires de l’exclusion A) Socialisation et processus d’exclusion Le terme d’exclusion est assez vague car il amalgame des situations très différentes. Les caractéristiques communes sont l’absence durable d’emploi et la perte de relations sociales. D’une certaine manière, l’exclusion est produite par des institutions diverses : école, entreprise, famille, ville… 1) Les mécanismes de production de l’exclusion Le système productif joue un rôle essentiel, car il génère un « chômage d’exclusion » (chômage de longue durée). Une véritable discrimination à l’embauche s’est instaurée pour tous ceux qui ne disposent pas des critères de « compétence » de la nouvelle norme d’emploi : autonomie, initiative, responsabilité. La possession d’un diplôme agit comme un premier filtre, mais la capacité à anticiper les attentes de l’employeur et à montrer sa conformité avec celles-ci est essentielle. Or, cette capacité est créée par toute l’ « histoire » individuelle, par le réseau de relations. Ceux qui ont eu des difficultés de socialisation et aucune relation efficace sont généralement éliminés soit par nonembauche, soit par licenciement. Au cours des 80’s, la sélectivité à l’embauche s’est accrue aussi bien dans les entreprises que dans les administrations : montée des emplois précaires, augmentation des licenciements et des départs en pré-retraite. Le chômage de plus d’un an frappe en priorité les personnes considérées comme les moins « employables » : travailleurs âgés, jeunes sans diplôme, bas niveaux de qualification. Cependant, la non-intégration dans le travail ne suffit pas à définir l’exclusion : celle-ci s’accompagne aussi d’une non-insertion dans la sociabilité socio-familiale, une dissolution du lien social (que Robert Castel appelle une désaffiliation). Ainsi, 75% des RMIstes déclarent vivre seuls, 18% des femmes seules avec enfants touchent le RMI. L’exclusion est donc aussi liée à la baisse de la nuptialité, à l’augmentation des divorces et des ménages constitués d’une personne seule (en particulier âgée). 2) L’exclusion comme processus biographique Depuis le début des 70’s des enquêtes ont suivi l’histoire individuelle de personnes, en particulier les jeunes sortant de l’école et les chômeurs inscrits à l’ANPE. Des trajectoires d’exclusion ont pu ainsi être repérées. Concernant les chômeurs de longue durée au début des 90’s, les variables essentielles sont dans l’ordre l’âge (+ de 45 ans ou – de 30), l’état-civil (mères de famille), l’absence de diplôme, l’ancienneté du chômage (plus longtemps on est au chômage, moins on a de chances de retrouver un emploi) ; les autres variables (nationalité, CSP, habitat) jouent plus faiblement. 3) Synthèse L’exclusion renvoie en fait aux processus de socialisation et à ses transformations : à la fois la socialisation primaire (famille, parcours scolaire, acquisition d’un statut social) et secondaire ((intégration au monde professionnel et reconnaissance d’une valeur sociale). Elle est le résultat d’un double processus : structurel (transformations de l’accès au monde du travail) d’une part, biographique et relationnel d’autre part, qui ont des liens mais aussi une certaine autonomie. B) De l’école à l’emploi : les parcours précaires Les jeunes sont un groupe à risques car ils sont massivement victimes de la pénurie d’emplois, qui les conduit de l’école au RMI voire à une marginalisation sociale encore plus nette. Cependant, ils ne constituent pas un groupe homogène (grande différence entre les bacheliers et les autres). 1) Qu’est-ce que la précarité ? On peut la définir comme l’absence d’un emploi stable, durable, avec un employeur unique, à temps plein, avec un salaire ≥ SMIC, avec protection sociale. Le chômage, en soi, ne peut suffire à définir la précarité : il existe un chômage de « file d’attente », avant insertion dans un emploi régulier. Inversement, tout emploi ne signifie pas absence de précarité : les emplois atypiques, la succession de CDD par exemple, est bien une situation de précarité dans la mesure où la personne doit subir des périodes de chômage répétées qui la prive temporairement de revenu et la contraigne d’accepter un autre CDD : il existe un cercle vicieux de la précarité, le fait d’avoir accepté un emploi précaire auparavant risque d’imposer d’en accepter un suivant. Avoir pris trop vite un emploi atypique peut paraître suspect aux employeurs suivants, mais il est difficile pour certains jeunes de les refuser dans la mesure où ils n’ont pas d’autres propositions… Mais il existe aussi des périodes de précarité dans des carrières qui ne sont pas, dans l’ensemble, précaires. La précarité se définit donc plutôt comme une succession de situations. Quand la succession de situations de mauvaise qualité entraîne le sentiment que c’est le jeune lui-même qui est de « mauvaise qualité », alors existe le risque d’un itinéraire irréversible de l’échec. 2) Les parcours observés Au milieu des 70’s, sur 100 jeunes sortant de l’enseignement secondaire, 50% avaient un emploi typique moins de neufs mois après ; dans les 90’s, 30%. Sur les jeunes sortis de l’enseignement secondaire en juin 1989, 15% ont un CDI en décembre, et il faut attendre décembre 1993 pour atteindre 50% ; 20% sont au chômage ; 19% ont un emploi atypique (10% d’inactifs). 3) Une stabilisation lente Seuls 3% des jeunes sortant de l’école (entre 1989 et 1994) peuvent espérer trouver un emploi l’été qui suit et le garder pendant 5 ans (ou plus) ; la durée moyenne d’accès à un emploi est de quatre mois, deux ans pour atteindre un CDI ; 35% des jeunes n’ont jamais obtenu un CDI au bout de 5 ans. Or le début du parcours professionnel est déterminant pour la suite. Très rapidement les qualités et qualifications initiales vont perdre de leur importance au profit du cursus professionnel : le fait de cumuler les petits boulots ou de rester trop longtemps sans emploi devient alors un handicap définitif. La carte de visite essentielle est au départ le diplôme, le rang de sortie, la spécialité de formation, qui permet d’obtenir une première expérience ; dès lors, le nouvel employeur n’accordera plus une grande importance au diplôme, mais à cette première expérience. 4) Les dispositifs d’aide à l’insertion sociale et professionnelle Que fait l’État pour faciliter la transition école/entreprise ?. Les premiers dispositifs apparaissent dans les années 80’s (contrats d’adaptation ou de qualification) et 90’s (contrats emploi solidarité). En tout, plus d’une dizaine de dispositifs existent, basés sur la baisse du coût du travail (baisse d’impôt ou prime pour l’employeur) et l’amélioration de la formation. Le recours à ces dispositifs est très précoce et concerne tous les niveaux de diplôme ou de formation inférieurs au bac ; 70% de ces filles et 55% de ces garçons ont connu au moins un de ces dispositifs L’accès à ces dispositifs est lui-même sélectif : ce sont les plus employables de ces jeunes (diplômés du BEP, spécialité demandée) qui en bénéficient le plus et qui vont par la suite s’insérer rapidement. Les moins employables retournent au chômage à la fin du dispositif ou accèdent aux dispositifs les moins efficaces (TUC, CES) qui les insèrent moins rapidement et moins durablement. Plus le dispositif a été suivi tôt après l’école, plus il est efficace. A niveau de formation équivalent, les jeunes qui sont passés par des « mesures jeunes » se retrouvent avec des salaires moins importants que ceux qui n’y sont pas passés : tout se passe comme si passer par un dispositif d’aide les rendait moins exigeants. En conclusion, certains dispositifs aident à s’insérer, d’autres au contraire stigmatisent les jeunes et font baisser leurs prétentions salariales. Ces dispositifs sont hiérarchisés de la même façon que les parcours scolaires (ceux ayant le meilleur capital scolaire ont accès aux meilleurs dispositifs d’insertion). C) Trajectoires de chômeurs de longue durée 1) Les déterminants du chômage de longue durée On distingue généralement les déterminants « démographiques » (sexe, âge, nationalité, situation familiale) et socio-économiques (formation, qualification, carrière) ; mais d’autres déterminants existent : ancienneté préalable de chômage, conjoncture économique globale ou locale. Le risque de chômage de longue durée est inégalement réparti (âge, sexe, nationalité, qualification). En moyenne, les personnes devenues chômeurs suite à un licenciement le restent plus longtemps que celles en fin de contrat temporaire ; idem pour celles qui vivent chez leurs parents ou dont la mère est inactive. La conjoncture économique générale ne semble pas influencer le taux de sortie du chômage de longue durée (alors qu’elle joue fortement sur le taux de sortie des autres). Il agit donc bien comme une trappe, sauf reprise économique particulièrement forte. On constate que plus le temps passé au chômage s’accroît, plus la probabilité d’en sortir s’amenuise. Deux types d’analyse tentent d’expliquer le phénomène : - pour les unes, il y a perte progressive d’aptitudes, découragement, sélectivité des employeurs potentiels, cette durée affecte le capital humain ; - pour les autres, cette baisse de probabilité s’explique mécaniquement par le fait que les plus employables sortent les premiers du chômage, ne restent alors au chômage de longue durée que les moins employables d’entre eux. 2) Les modes de sortie du chômage de longue durée Le plus important est l’inactivité (les + âgés, les moins qualifiés) ; pour les jeunes, il s’agit de contrats aidés, mais qui débouchent à leur tour sur une période de chômage : il y a donc en ce qui les concerne un lien fort entre chômage récurrent et chômage de longue durée, ils sortent du chômage de longue durée par le chômage récurrent. Les jeunes préalablement en CDI retrouvent plus fréquemment un CDI, alors que les jeunes préalablement en CDD retrouvent plus fréquemment un CDD. Il y a donc une sur-stigmatisation des jeunes chômeurs passés par des emplois précaires, qui a pour conséquence une segmentation du marché du travail 3) L’effet de l’indemnisation du chômage Un grand nombre de chômeurs retrouvent un emploi à l’approche de la rupture de leurs droits (passage de l’allocation de base à l’allocation de fin de droits ou de celle-ci à un arrêt complet), particulièrement les plus employables. Un chômeur indemnisé a plus de chances de retrouver un emploi qu’un chômeur non indemnisé (probablement grâce à son expérience professionnelle). Mais globalement, la sensibilité de la durée moyenne du chômage à la durée et au montant de son indemnisation est faible (une modification de 10% du montant des indemnités ne fait varier la durée du chômage que de 1 ou 2 semaines). 4) Chômage et transition sur le marché du travail La durée moyenne d’un épisode d’emploi est passée de 13,5 ans en 1974 à 10,3 ans en 1992 ; la durée moyenne des périodes de chômage est passée de neuf mois en 1970 à 1 an 1/2 après 1985. D) Immigration : de l’exil à l’exclusion ? Depuis la fin des 80’s, les immigrés sont fréquemment assimilés aux exclus des banlieues. Paupérisation, particularismes culturels ou religieux, violences périodiques des périphéries des grandes villes renforcent les images négatives de ces « quartiers d’exil ». Exil et exclusion tendent à devenir synonymes d’expulsion ou d’interdiction : la condition des immigrés fournit l’image d’une diversité d’exclusions (économique, culturelle, juridique), à la fois par rapport au pays d’origine et au pays d’accueil. En France, c’est principalement la précarité économique qui freine l’accès aux droits et aux institutions, qui éloigne des centres de décision, qui enferme dans les « territoires de la misère » ; l’exclusion ne concerne donc que partiellement les immigrés, car elle ébranle toute la structure sociale. 1) Le flou des mots, le poids des représentations Le terme d’immigré est porteur de stéréotypes misérabilistes. En réalité, l’amalgame entre immigration et exclusion est abusif. La définition d’un immigré est pourtant claire : « celui qui, né à l’étranger, réside en France, qu’il ait ou non acquis la nationalité française ». En droit, la condition d’immigré est vide : seule compte la nationalité (française ou non) ; sociologiquement, elle est pauvre aussi, car elle ne sous-tend aucun habitus culturel clair. Par ailleurs, il est faux d’amalgamer intégration et attitude conformistes : un militant intégriste anti-républicain est généralement instruit, connaît bien les usages français, socialement et économiquement bien installé ; à l’inverse, un chômeur immigré, dans un logement de fortune, peut être un bon père de famille respectueux de la démocratie. Selon les critères que l’on choisit, l’un ou l’autre sera qualifié d’ « exclu ». Au-delà des mots, comment alors approcher des réalités ? 2) La légitimité perdue du travail De nombreux travailleurs étrangers, qui avaient parcouru des milliers de kilomètres pour louer leur force de travail, participé à la croissance du pays d’accueil et à la richesse du pays d’origine (transferts d’argent), se trouvent touchés de plein fouet par le chômage et allocataires du RMI. Leurs enfants, bien que scolarisés en France, s’inscrivent à leur tous au chômage. Le père apparaît « délégitimé » socialement, ce qui déstabilise profondément certaines familles immigrées. En 1993, 10,5% des français étaient au chômage contre 25% des étrangers hors UE. La fraction des étrangers la plus touchée est les filles de moins de 25 ans (46%) ; les chômeurs de longue durée sont 32% pour les français et 36,3% pour les étrangers. Les enquêtes menées dans les banlieues montrent que leurs enfants, de nationalité française, sont encore plus touchés que leur père. Les garçons d’origine algérienne sont ceux qui redoublent le plus souvent (66% dans le primaire contre une moyenne de 40%) ; ils sortent plus tard et avec niveau scolaire inférieur à la moyenne ; en revanche, les filles ont une meilleure situation que leurs frères. Mais l’origine géographique ne peut tout expliquer : le milieu socioprofessionnel, l’âge d’entrée en France, les aspirations et motivations des parents, la cause de la migration peuvent être déterminants. Un exemple est particulièrement éclairant : la brillante réussite des jeunes du Sud-est asiatique, à la fois à l’école et dans le milieu professionnel : la moitié de ceux qui sont entrés en France avant l’âge de 10 ans ont accédé à l’enseignement supérieur alors que leurs parents ont subi de graves persécutions avant d’entrer en France, ne parlaient pas le Français, beaucoup étaient illettrés. En fait, la dérive de l’immigration vers l’exclusion se produit sous l’effet de trois facteurs : - la discrimination par le droit et les institutions - le racisme et les intolérances - l’installation à la périphérie des villes dans les tours et barres de HLM. 3) Racisme et discriminations Beaucoup de jeunes de banlieues (surtout ceux qui sont les plus touchés) expliquent leur échec scolaire et l’inexorabilité de leur situation de futur chômeur comme la conséquence de discriminations, racisme des profs et des employeurs. Par ailleurs, les études montrent que les arabes, ou les maghrébins, sont les cibles privilégiées du racisme (discours, actes ou attitudes) ; mais les Turcs estiment qu’ils sont les principales victimes ; les noirs africains sont classés comme les premières victimes par les asiatiques => réponses très différentes selon les personnes interrogées. Le racisme qui a le plus progressé est l’antisémitisme (qui n’a rien à voir avec une exclusion socio-économique), et il est souvent le fait des jeunes immigrés des banlieues. Parallèlement, les discours sur l’infra-droit se sont multipliés. Certes, par définition, les étrangers ont moins de droits que les Français, car c’est son pays d’origine qui lui garantit ses droits de nationaux. Le fait d’avoir moins de droit est discriminant, mais pas discriminatoire. En droit français, les différences sont de deux ordres : - souveraineté nationale (vote et éligibilité, service national, emploi dans la fonction publique, peine d’interdiction du territoire) ; - statut personnel (droit du nom, du mariage –polygamie- autorité parentale, héritage) qui continue à dépendre du droit étranger et que le juge français est tenu d’appliquer. Dans la majorité des pays européens, on applique la loi du pays d’accueil, y compris pour le statut personnel. 4) Exclusion et différence culturelle Certains prônent le « multiculturalisme » comme une vertu démocratique, un remède à l’exclusion et une vertu démocratique ; d’autres en souligne les dangers pour l’unité des États-nations. La France est un des rares pays d’Europe de l’Ouest à avoir accueilli des étrangers dès la première moitié du XIXème siècle. En un siècle (1890/1990), 3 millions de personnes sont devenues françaises par naturalisation, et un français sur 4 aurait un grand-parent étranger. L’assimilation est-elle encore aujourd’hui possible ? Quand deux cultures se rencontrent, elles sont soumises à un rapport de domination qui profite à celle qui est la plus avancée scientifiquement, technologiquement, économiquement. Quand on croit respecter les différences, on risque d’accepter des coutumes qui emprisonnent les personnes dans dees formes culturelles rétrogrades, de porter atteinte à leur dignité et à leur liberté d’expression. L’affirmation du multiculturalisme cherche à opposer l’intégration à l’assimilation, qui nie les différences en absorbant les éléments étrangers. Une « nouvelle citoyenneté » serait-elle le remède à l’exclusion ? 5) La citoyenneté contre l’exclusion Elle est devenue l’antithèse de la banlieue dans les discours journalistiques et politiques, elle permettrait de retrouver l’unité, les valeurs et les pratiques démocratiques. Trois fonctions sont assignées à la « citoyenneté contre l’exclusion » : - une fonction thérapeutique : remède à la violence par la représentation au sein des institutions et le débat participatif - recomposition sociale : demande de droits, de lois, d’institutions pour garantir la cohésion sociale, on attend que la justice règle tous les problèmes de société - une fonction subversive d’affirmation de la liberté, de droit à l’anticonformisme. On prend acte des conflits pour les dépasser, on sort des domaines de la civilité ou de l’urbanité. La première se nourrit de discours lénifiants sur le « vivre ensemble nos différences », la seconde dresse la liste des droits et devoirs attachés au civisme, la troisième est en quête d’une philosophie politique. La citoyenneté n’est pas une série de subventions, ni un maquis de réglementations et de conduites à tenir ou de droits à percevoir. Le multiculturalisme, en essentialisant les catégories produites par un système inégalitaire, renforce la stigmatisation des différences ; cela s’apparente aux politiques des colonisateurs qui sélectionnait leur main d’œuvre en fonction des « mérites comparés des différentes ethnies ». Cela a engendré des conflits meurtriers. Les mécanismes de l’exclusion commencent là où la dignité de l’individu disparaît derrière le collectif. E) Trajectoires post-divorce et vulnérabilité L’hypothèse dominante aujourd’hui est que la rupture familiale contribue au risque d’exclusion car elle engendre un appauvrissement, un isolement, une perte de soutien, un risque de solitude. Quel est le poids du familial dans ce risque ? 1) Les risques de l’instabilité familiale Les familles dissociées ont d’abord (XIXème) été perçues comme anormales, déviantes, dangereuses car susceptibles d’engendrer de la délinquance. Jusqu’au début du XXème siècle, c’est le père qui était désigné comme coupable (incapable d’assumer son rôle de pourvoyeur) ; puis, jusqu’aux 70’s, la mère (théories de l’attachement), et dans les années 80’s, l’État. Les Trente Glorieuses coïncident avec l’établissement comme norme de la famille nucléaire ; la désunion reste une déviance, un risque contre lequel il faut agir ; dans les années 80’s, l’attention est surtout portée sur les risques économiques qu’elle fait courir. La notion de famille monoparentale a contribué à déstigmatiser les situations des mères célibataires, séparées et divorcées. 2) Vulnérabilité économique des familles monoparentales Elles constituent aujourd’hui 15% des familles avec enfants ; dans 87% des cas, le parent est la mère, et dans 60% des cas, elle apparaît suite à une désunion. Un tiers d’entre elles touchent le RMI, mais beaucoup d’autres connaissent des situations de précarité. Famille monoparentale est donc toujours associée à risque social. Le travail joue pour ces familles un rôle central, et la différence est considérable entre celles ou la mère est active occupée (86%) et celle ou elle ne l’est pas. Il permet d’éviter la dépendance et la solitude et il est très recherché par les femmes seules (pas seulement pour des raisons économiques). En bref, c’est plus l’activité ou non de la mère qui compte que la structure monoparentale de la famille, et secondairement, l’aide de l’ex-conjoint et de la parentèle. 3) Hétérogénéité des trajectoires après la désunion Plusieurs facteurs entrent en compte pour façonner les trajectoires des familles désunies : le sexe du parent gardien, son âge et son milieu social. En effet, les hommes envisagent plus souvent et plus rapidement une nouvelle rencontre ; les femmes, par choix ou contrainte (crainte des implications) restent plus souvent seules, maintenant éventuellement leur nouveau partenaire à distance (pas de cohabitation) pour préserver leurs enfants et leur autonomie. Plus on est jeune, plus on a d’opportunité de « refaire » sa vie, de contacts etc… Aux niveaux faiblement diplômés correspondent des réseaux de sociabilité faiblement étendus et denses (membres de la famille essentiellement) ; aux milieux fortement diplômés les réseaux larges d’amis, de collègues, dont le soutien est plus systématique et plus intense. Le plus souvent le divorce intervient lorsque les femmes ont la quarantaine, sont actives, avec des enfants scolarisés, et la période de monoparentalité est longue. L’enjeu est d’abord l’indépendance, même au prix de la solitude ; la recomposition n’est envisageable qu’à coup sûr, avec prudence, surtout si un travail ne procure pas d’indépendance financière. Pour celles qui ne travaillent pas (faiblement diplômées, sans expérience professionnelle), la rupture provoque dépendance et précarité. Plus on est jeune, diplômé et actifs, plus on recherche la recomposition familiale. Les trajectoires sont donc très diverses après la désunion. Si certaines sont réellement fragilisées par la désunion, des variables comme le sexe, l’âge, le capital culturel et surtout l’activité avant et après la rupture sont essentielles. Ce n’est donc pas toujours une source de désaffiliation de fragilité ou d’exclusion. F) Les jeunes et l’exclusion La jeunesse est par nature un état de dépendance. C’est lorsqu’elle se prolonge, s’amplifie au-delà de certaines limites qu’on peut parler d’un risque d’exclusion. 1) Les phases du cycle de vie juvénile Dans les sociétés traditionnelles, la jeunesse n’a pas d’existence sociale ; on passe directement du statut d’enfant (géré par les femmes) au statut d’adulte. La jeunesse ne prendra une valeur nouvelle qu’au XVIIIème siècle, qui offre une place reconnue à l’individu, donc à l’éducation. C’est dans l’entre-deux-guerres que se forme la première représentation moderne de la jeunesse : pour les classes populaires, c’est celui qui ne va plus à l’école (dès 13 ou 14 ans), qui travaille (et remet la paye à ses parents), mais qui continue de vivre chez ses parents et qui n’est pas marié. Chez les garçons, c’est le service militaire (vers 20 ans) qui donne le statut d’adulte. Après 1945, certains phénomènes apparaissent qui révèlent une certaine inadaptation sociale, générée par le développement industriel et urbain, mais qui touche plus particulièrement les jeunes, au travers notamment de la délinquance : dissolution de la société traditionnelle et problème de socialisation fondent ce qu’on appelle la « crise de l’adolescence » ; les maisons des jeunes, de la culture et les foyers sont censés y répondre. A partir des 70’s, avec la montée du chômage, l’image de la jeunesse change, elle apparaît comme victime de la crise et de la société. 2) Chômage, précarité et entrée dans la vie Des 50’s au 70’s, avec la prolongation de la scolarité, l’âge de mise au travail des jeunes se rapproche de plus en plus de l’âge du départ de chez les parents. La période pendant laquelle on travaille et on habite chez ses parents devient très courte. Avec la montée du chômage, les garçons qui ont arrêté tôt leurs études restent pendant plusieurs années après la fin de leur scolarité chez leurs parents (50% des garçons quittant l’école avant leur CAP restent au moins 6 ans encore chez leurs parents, donc jusqu’à 23 ans ; 25% encore pendant 10 ans, donc jusqu’à 27 ans). Cette période est beaucoup plus courte pour les filles. Ces jeunes sont alors dans une phase d’attente et de tâtonnements, gérée par la famille mais aussi par des dispositifs institutionnels (stages de formation, contrats de qualification, petits boulots, combines diverses et variées). Cette phase agit comme une nouvelle forme de socialisation, une nouvelle norme => on ne peut l’assimiler à de l’exclusion. Le chômage le plus fréquent pour eux est un chômage de rotation : ils ont a la fois plus de chances de retourner au chômage et plus de chances de trouver un emploi qu’un adulte. Pour les jeunes nés en 1963, 89% avaient quitté leurs parents en 1992 (29 ans), 77% avaient un emploi, 66% un emploi stable, et 73% vivaient en couple ; seuls 5% avaient un emploi atypique (mais 80% à 18 ans). 3) Les jeunes exclus et les autres Certes, la situation socio-économique est essentielle, mais ces critères ne sont pas suffisants pour conduire à l’exclusion des jeunes : les ressources psycho-affectives permettront à certains de s’en sortir tandis que d’autres s’enfermeront dans leur isolement. Malgré un fort sentiment d’incertitude par rapport à l’emploi, les jeunes sont peu nombreux à se sentir marginalisés et se considèrent généralement comme étant plutôt bien intégrés à la société française. Cependant, depuis 20 ans, un écart se creuse entre les jeunes ≥ bac (63% en 1993) et les autres (8% sortent sans aucun diplôme), qui concentrent sur eux les risques d’exclusion. L’erreur a évité est de confondre les situations de transitions avec les situations d’exclusion. G) Les vieux et l’exclusion Aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, le niveau de vie relatif des retraité a progressé, et ce groupe est de plus en plus perçu comme privilégié. Pourtant, ils sont confrontés à des phénomènes d’exclusion. 1) Retraités entre intégration et pauvreté Jusqu’au milieu des 70’s, les vieux ont été les pauvres des sociétés développées, la chute des revenus induite par le passage en retraite était de 50% environ. Aujourd’hui, le revenu des 65/74 ans est proche, voire supérieur (France) de la moyenne nationale dans de nombreux pays. En France, ce sont les moins de 40 ans qui ont aujourd’hui le revenu le plus bas. Cependant, les plus de 75 ans restent touchés par la pauvreté, spécialement les femmes. Les 50/60 sont marqués par une forte hétérogénéité de revenus. Le point essentiel est la constitution ou non d’un acquis pendant la période d’activité : sans acquis (niveau de revenu, capital de relations sociales, santé, niveau d’instruction, compétences, activités hors travail), la retraite engendre une mort sociale. Avec cet acquis, de meilleures pensions et un allongement de la durée de vie, la retraite est le début d’un véritable troisième âge (de 25 à 30 ans), reposant sur un nouveau projet de vie. Les retraités ne sont donc plus frappés majoritairement par l’exclusion. 2) Autonomie, dépendance : l’ambiguïté des politiques Les programmes sociaux centrés sur le mode de vie se mettent en place dans les 70’s : offre de services et d’équipement nouveaux (amélioration du logement, soutien à domicile, clubs, universités…) Les résultats sont ambigus : souvent, l’autonomie n’a pas été préservée, et toute incapacité est devenue dépendance ; la coordination des actions est au centre des difficultés, ce qui contribue à élever le coût de la prise en charge. 3) Salariés vieillissants et exclusion du marché du travail Une chute brutale de l’activité après 55 ans intervient au milieu des 70’s. Cette évolution est une traduction de la gestion sociale du chômage => relégation de plus en plus précoce. Cela ne doit pas être analysé comme le couronnement d’un droit au repos (financements différents entre retraite et pré-retraite, conditions d’accès floues et instables), mais comme un progrès du sentiment d’inutilité publique. Les salariés les plus âgés sont aussi les plus visés en cas de compression de personnel ; une foule de « demi-vieux » (>45 ans) court le risque d’exclusion du marché du travail, est tenue à l’écart des dispositifs de formations dans les entreprises (investissement en capital humain non rentable dans le temps), ce qui aggrave les risques d’exclusion et la démotivation. II I) Les territoires de l’exclusion A) La ségrégation spatiale Étymologiquement, ségréguer signifie séparer certains éléments d’un ensemble ; appliquées aux sociétés humaines, c’est une mise à distance à la fois sociale et physique (ex. : apartheid). 1) Formes et mesures de la ségrégation résidentielle Trois optiques peuvent se dégager : l’écart par rapport à une mixité totale ; l’écart par rapport à un égal accès aux services urbains ; l’idée d’enclavement d’une population dans une autre. 2) Les déterminants de la position sociale dans l’espace Un premier ressort de la division sociale de l’espace est l’inégalité des revenus et la segmentation des parcs immobiliers ; mais il reste une marge de liberté dans le choix d’un lieu d’habitat, que les prix et les revenus n’expliquent pas. Les volontés explicites de mise à distance se manifestent particulièrement en rapport avec les différences d’origine et de culture : peur du mélange, de la « contamination », de la dissolution des identités, préjugés racistes. En pratique, l’effet prix est difficile à distinguer des effets sociaux, car les valeurs immobilières dépendent aussi des habitants (ethnies et statuts, voire classes d’âge). 3) Agrégation et discrimination Comment distinguer ce qui relève de la recherche du semblable et de la mise à distance de l’autre des autres effets ?. Dès lors que les membres de deux groupes souhaitent « seulement » être majoritaires dans leur environnement, on aboutit par un processus en chaîne dont les effets ségrégatifs sont beaucoup plus forts que les souhaits de départ. 4) Territoires, distances, exclusions Il est donc très difficile de mettre à jour les stratégies ségrégatives. Par ailleurs, un quartier globalement hétérogène peut très bien n’être qu’une juxtaposition de sous-quartiers homogènes : le problème de l’échelle est très important. On ne peut, si on raisonne en termes d’exclusion, se contenter d’une évaluation chiffrée des taux de concentration spatiale des populations défavorisées : des réseaux locaux protecteurs peuvent y être ancrés ; à l’inverse, une personne dont les liens de proximités sont dissous peut être socialement fragilisée. B) Fabrication et effets de la ségrégation scolaire Aujourd’hui, les établissements scolaires recrutent des publics très différents socialement : d’un collège à l’autre, la part de fils d’ouvriers peut varier de 10 à 80% ; idem pour les enfants d’origine immigrée. En outre, une polarisation sociale tend à se constituer en leur sein : plus il y d’enfants d’ouvriers et d’immigrés, moins il y d’enfants de cadres et inversement. Peut-on alors dire qu’il y a ségrégation par l’école ? Il faudrait pour cela démontrer que ces regroupements imposés par des facteurs extérieurs, mais bien par les institutions et les acteurs scolaires ; il faudrait encore démontrer que cela aboutit à des inégalités et/ou à des inégalités spécifiques. 1) Ségrégation spatiale et ségrégation scolaire Y a-t-il des processus purement scolaires de concentration sociale ou ethnique dans les établissements ? Il faut d’abord souligner que la création et le lieu de création d’établissements a toujours découlé des logiques d’urbanisation et de peuplement. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, l’implantation d’un établissement dépendait surtout de la richesse des communautés locales : c’est pourquoi ils sont plus nombreux dans les grandes villes, l’archétype étant le lycée bourgeois de centre-ville. Puis, la prise en charge par l’État, dans un souci d’égal accès et de justice sociale, a conduit à une meilleure dissémination dans l’espace, d’abord pour les écoles, puis les lycées et collèges. L’établissement d’une carte scolaire, obligeant les parents à inscrire leurs enfants dans l’établissement de leur périmètre d’habitation, a conduit les établissements à devenir dépendants de l’évolution démographique et sociale de ce périmètre. Aujourd’hui encore, il est évident que les établissements publics, obligés d’accepter tous les élèves de leur zone de recrutement, subissent encore les effets de mouvement de population, comme la concentration urbaine des groupes sociaux les plus démunis, l’aggravation de leurs conditions de vie et de travail. Cependant, il existe aussi des établissements cosmopolites qui attirent aussi une population extérieure à leur zone (il s’agit alors d’une population relativement plus favorisée) ; au contraire, les établissements « localistes » sont plus ségrégatifs que leur zone d’implantation. On observe aussi des effets en retour : l’image de l’école a un effet sur l’image du quartier (rumeurs, ragots sur le climat de l’établissement, la valeur de ses enseignements, les résultats scolaires des élèves sont colportés par les agences immobilières, les travailleurs sociaux, les habitants et même les enseignants eux-mêmes). 2) La fabrication de la ségrégation par l’école Si l’école parvient à jouer ce rôle, c’est qu’elle est un élément essentiel des stratégies de reproduction sociale ou d’ascension sociale menées par les parents. La mise en place de cartes scolaire n’a pas empêché certaines catégories sociales d’utiliser des tactiques (fausses adresses) ou des dérogations (proximité du lieu de travail, présence d’un autre membre de la famille, option « rare »). En outre, il y a toujours la possibilité d’opter pour le privé. Une enquête menée dans une école d’un quartier populaire de Gennevilliers montre 30% de son effectif initial s’évapore dès la première année, et 68% au bout de six ans : il s’agissait majoritairement de bons élèves issus de familles françaises plus qualifiées que les autres. Lors d’une expérience de désectorisation de 149 collèges en 1984, on constate que 10% des parents avaient profité de la possibilité de changer de collège, mais cette minorité était socialement typée : essentiellement des professeurs du secondaire, puis des employés et des cadres. On constate que l’enseignement privé concerne de plus en plus des « clients de passage » : c’est qu’il est de plus en plus utilisé, au fur et à mesure que l’on s’élève dans le cursus scolaire, comme un recours en cas de menace de redoublement ou d’orientation dans une filière non souhaitée (par les classes moyennes et supérieures). L’ensemble de ces stratégies est surtout utilisé par les classes moyennes intellectuelles, qui n’ont pas souvent les moyens financiers nécessaires pour habiter près des bons établissements, mais qui possèdent les savoirs, les savoir-faire, le temps et les réseaux sociaux nécessaires pour comprendre les systèmes de classement et de sélection. Les classes supérieures utilisent plutôt des stratégies de pression sur les enseignants pour barrer l’entrée aux éléments socialement étrangers. Les parents d’origine populaire et étrangère soit restent fortement attachés à leur quartier, soit font des choix peu informés et peu élaborés (faiblesse de leur réseau). Parallèlement, un des moyens de faire face aux problèmes de maintien de l’ordre posés par l’accroissement de l’hétérogénéité des élèves, les demandes ministérielles d’allongement de la scolarité et de l’ouverture aux classes défavorisées a été, pour les chefs d’établissement et les enseignants, de répartir les élèves dans des classes relativement homogènes (de niveau ou d’option, notamment en langues étrangères) de façon plus ou moins explicite. Cette recherche d’une maîtrise interne du recrutement est renforcée par les pressions parentales : face à la menace implicite ou pas de défection des parents favorisés, le personnel éducatif est de plus en plus tenter de reconstituer des hiérarchies subtiles entre les classes : classes européennes, musique, théâtre, ce qui retentit sur l’appartenance sociale, ethnique, ou le sexe des élèves de ces classes. Or, seule une minorité de parents sont capables de déceler ces indices. C’est la sélection à l’entrée ou au sein de l’établissement qui est la plus efficace pour donner l’image d’un « bon » établissement : critères de recrutement et de tri interne plus sophistiqués et information sur ces procédures de façon à attirer les « bons » élèves. En même temps, l’État a instauré (1981) des ZEP par une politique de discrimination positive ; ceci a permis d’empêcher la dégradation des résultats scolaires et l’escalade de la violence, mais a eu un effet stigmatisant : un lycée labellisé ZEP est censé s’intéresser davantage aux élèves en difficulté, ce qui favorise la fuite des élèves plus favorisés et renforce la ségrégation déjà existante. 3) Effets scolaires et effets sociaux de la ségrégation par l’école Cette différenciation des publics creuse-t-elle les inégalités ? On constate une forte interaction entre la valeur des filières et des options offertes par les établissements et la valeur scolaire et sociale de leur public. De fait, les élèves de milieu populaire ont de fortes chances de se retrouver dans un établissement offrant peu de filières et d’options attractives. De plus, la rotation des personnels, l’existence d’un climat relationnel et de travail dégradé les dévalorise. On sait par ailleurs qu’un élève de milieu populaire a plus de chances de progresser dans un établissement hétérogène ou bourgeois que dans un établissement concentrant des populations défavorisées, à cause des différences d’attente des enseignants et du rôle d’entraînement des camarades ; c’est encore plus vrai au niveau d’une classe, car les enseignants modulent consciemment ou non leurs exigences en fonction du niveau supposé de leurs élèves (+/- abstrait ou concret, centré sur les connaissances ou sur la relation avec l’élève, tolérant vis à vis des déviances). Pas de résultats sûrs sur le rôle intégrateur de l’école vis-à-vis des jeunes d’origine étrangère : certaines recherches l’affirment, d’autres soulignent que ce n’est le cas que si la concentration de ceux-ci est relativement faible (sinon, malentendus, conflits, racisme). Les établissements à tonalité bourgeoise qui accueillent des publics défavorisés produisent en même temps de l’intégration (leurs goûts et leurs pratiques vont se rapprocher de celles des favorisés) et de l’exclusion (par rapport à leurs camarades scolarisés en LEP et par rapport à leurs parents). Cette minorité cependant s’implique le moins possible dans la vie des collèges et des lycées pour préserver son identité. Non seulement l’école différencie (stratégies de choix, pressions des familles, sélection interne), mais elle ségrégue, car les concentrations vont avoir des effets sur leur carrière scolaires et leur intégration culturelle et politique. Elle continue à jouer un rôle intégrateur, mais il peut être menacé si, comme aux Etats-Unis et au RU, deux « marchés » éducatifs viennent à exister : l’un réservé aux défavorisés et aux enfants d’immigrés (conditions matérielles, moral des enseignants, résultats scolaires ne cesseront de se dégrader) ; l’autre à tous ceux qui sont aptes à entrer en compétition scolaire. I V) Identités et exclusion A) Exclusion, identité et désaffectation 1) Identité de l’exclu dans les sociétés traditionnelles Chaque groupe (caste, ordre ou état) occupe une place déterminée. Certes, il y a des places inférieures et supérieures, mais ceux qui les occupent les occupent de naissance. Le paria, l’esclave ou le serf sont exclus de tout, du pouvoir, de la citoyenneté, de la propriété, de disposer d’eux-mêmes, mais ces privations vont de pair avec une intégration très forte et des liens personnels puissants avec les maîtres. Paradoxalement, dans leur cas, c’est l’exclusion qui leur confère une identité, certes peu enviable, mais légitime. L’altérité fondamentale justifie les traitements statutaires inégaux qui nous paraissent aujourd’hui inacceptables, mais chacun se trouve inclus dans une totalité sociale. Le seul problème consiste à tenir son rôle et son rang. 2) Le désenchantement contemporain des « exclus de l’intérieur » On ne peut pas penser de la même façon les problèmes d’exclusion dans la société moderne. L’exclusion est un concept social plus que sociologique. Parler d’exclus, c’est regrouper sous une même étiquette des individus ou des groupes dont les situations sont très différentes. Un chômeur est « exclu » du marché du travail mais peut être très bien intégré par d’autres dimensions de sa vie sociale ; inversement un travailleur peut être tenu à l’écart (de la famille, de la culture, de la politique…) de ce qui fait la vie en société. Il n’existe que deux méthodes d’exclusion du corps social, entraînant la mort sociale : le bannissement ou exil forcé, ou la peine de mort. Mais l’acception actuelle est différente car elle renvoie en fait à un mode d’inclusion spécifique. Comment le définir ? Une gestion déréglée des différences, la définition de places inoccupables. Etre exclu dans nos sociétés, c’est être inclus de façon inférieure, c’est une disgrâce particulière. Les exclus font donc partie de la catégorie plus vaste des stigmatisés. Goffman distingue trois catégories de stigmatisés : ceux qui sont affligés d’une infirmité physique, ceux qui portent le poids d’une tare morale (alcoolique, homosexuel), ceux qui appartiennent à un groupe réprouvé pour des raisons ethniques ou religieuses. Ainsi, le licenciement d’un maître d’école séropositif, le renvoi d’un employé pour obésité, le refus de location d’un appartement à un couple homosexuel, le refoulement de français d’origine maghrébine à la porte d’une discothèque, l’expulsion d’une famille d’un appartement squatté etc… sont des manifestations d’exclusion. Mais stigmatisation et déviance ne suffisent pas à rendre compte de la particularité de certaines situations d’exclusion sociale. L’exclusion ne se laisse jamais réduire à une particularité mais revoit plutôt à des séries d’enchaînements circulaires. L’exclu a un problème de non-conformité entre le traitement que la société lui réserve et les attentes qu’elle a suscitées. Nos sociétés ont un idéal démocratique et non hiérarchique (égalité de droits), et certains individus révèlent une forme d’intégration ou d’inclusion incompatible avec cet idéal. 3) La désaffection Les grandes institutions telles l’école, l’armée, les partis, les syndicats représentaient la société toute entière et garantissaient, même aux individus les plus simples et les plus soumis une appartenance à un ordre commun qui ressemblait à une communauté. Ce qui semble se passer aujourd’hui, c’est qu’il n’y a plus d’institution qui à elle seule garantit l’inclusion ; il n’y a plus de lien, plus d’allégeance, entre l’acteur et le système ; il y a désaffection. L’explication de base semble être que les classes sociales sont niées au profit d’une méritocratie ouverte à la concurrence de chacun contre tous. Certes cette illusion a permis une certaine perméabilité des classes (alors que les classes du capitalisme industriel fonctionnaient encore comme des quasi-castes). La scolarisation secondaire de masse a joué son rôle dans ce brouillage et cette annulation fictive de ces clivages. Il a contribué à l’individualisation des vies, ce qui rend l’échec plus lourd car il ne semble imputable qu’à celui qui sanctionne, et plus grave que la valeur de la personne tend à ne s’établir qu’à l’aune de ses titres scolaires. B) Racisme et exclusion 1) Deux notions Le débat en terme d’exclusion est venu combler le vide laissé par le débat sur les antagonismes de classe, il a permis de liquider les dernières résistances marxistes. Simultanément, le racisme s’exprime de façon de plus en plus courantes et explicites (même si c’est sous une forme édulcorée ou prudente par rapport aux 30’s). Dans les 90’s, environ deux tiers des français estiment être « pas très, un peu ou ouvertement racistes » et 62% avoue avoir tenu des propos ou avoir eu une attitude raciste. Ce racisme apparaît comme indissociable d’un sentiment de menace sur la culture nationale. 2) Critiques et débats Dans la notion d’exclusion, si le terme d’exclus revient très souvent, on ne trouve jamais d’exclueurs : tout se passe comme si elle procédait d’une logique aveugle, mécanique et sans acteurs. D’autre part, elle mélange des situations très diverses : les exclus peuvent l’être très partiellement, socialement mais pas culturellement, ou l’inverse. Il vaut mieux utiliser les termes de disqualification (Paugam) ou de désaffiliation (Castel). L’unité du racisme pose aussi problème ; il peut s’analyser à partir de quatre axes principaux : soit il s’affirme en référence positive à la modernité (et considère que l’autre est un obstacle sur cette voie) ; soit il exprime le sentiment d’injustice de ceux qui voudraient participer à la modernité mais qui en sont exclus (par le chômage, la misère) ; soit il est l’affirmation d’une identité contre la modernité (perçue comme destructrice de l’ordre, d’une culture traditionnelles) ; soit il a pour origine un particularisme identitaire (religion, identité nationale) qui s’oppose à d’autres particularismes. Le lien entre racisme et exclusion n’est donc pas simple. 3) Le processus d’exclusion par le racisme En matière sociale, le racisme exclue le groupe victime en dehors des rapports sociaux (ex. : les noirs exclus des syndicats US dans les 30’s ; préférence nationale du FN dans l’emploi). Il s’agit de rejeter, non d’inférioriser. Le lien entre racisme et exclusion dans la France d’aujourd’hui passe le plus souvent par la ségrégation : ce n’est pas nécessairement être raciste que de changer son fils d’école, mais cela met en place une spirale qui fera « une mauvaise école » de celle qui accueille un taux élevé d’élèves issus de l’immigration ou de milieu modeste, et une « bonne école » de l’autre. La plupart du temps, le racisme combine une logique sociale d’infériorisation et une logique culturelle de différenciation ; or ces deux registres se limitent mutuellement : le différentialisme voudrait qu’on détruise ou qu’on expulse, l’infériorisation veut qu’on mette au travil ou qu’on domine sur place. C’est pourquoi l’exclusion ne saurait être totale (sauf génocide ou expulsion massive). Mais dans les périodes de crise économique, lorsque le groupe dominant n’a pas un réel intérêt à exploité un autre, le racisme de différenciation tend à l’emporter. Ainsi le racisme français n’est plus dominé par l’infériorisation ; désormais, l’immigré, surtout nord-africain, est exclu socialement (chômage) mais moins infériorisé. 4) La production du racisme par l’exclusion On peut être tenté de dire que la hantise de l’exclusion crée le racisme (petits blancs US qui lynchent les noirs). En France, cela se traduit dans les quartiers populaires ou les « Français de souche » ont un sentiment d’abandon et de délaissement, et le sentiment que les immigrés connaissent une situation strictement inverse. Mais l’exclusion sociale ne conduit pas forcément au racisme ; il faut qu’elle soit accompagné de grandes inquiétudes culturelles, identitaires. L’exclusion sociale peut aussi encourager le racisme d’un groupe lui-même victime de racisme : tendances antisémites chez les jeunes descendants d’immigrés d’Afrique du Nord. V) Expériences A) Pauvreté et exclusion, la force des contrastes nationaux (Paugam) Elles sont toutes deux relatives, se définissent par rapport à des normes historiques en vigueur. Le groupe considéré comme pauvre ou exclu dans une société donnée sera plus ou moins homogène et plus ou moins stigmatisé selon la combinaison de variables économiques, politiques ou sociales. 1) Les divergences entre les sociétés européennes On définit habituellement les pauvres comme ceux qui dépensent moins de 50% de la dépense moyenne du pays où ils vivent. On constate que plus le pays est pauvre, plus la proportion de population inférieure à ce seuil est forte. Arrivent en tête dans l’U.E. : le Portugal (26,5%), l’Italie (22%) et la Grèce (20,8%). Inversement, les pays qui comptent le moins de pauvres sont le Danemark (4,2%), les Pays-Bas (6,6%), la Belgique (6,6%) et le Luxembourg (9,2%) et l’Allemagne (12,0%). France, RU, Irlande et Espagne occupent donc des positions intermédiaires. Alors que dans les pays du sud la pauvreté est perçue comme un état stable et reproductible, dans les pays du nord est elle est perçue comme le résulats d’une « chute ». Les sociologues estiment que la pauvreté des pays méditerranéens, où l’intégration est profondément fondée sur l’appartenance familiale, est moins « excluante », moins stigmatisante qu’au nord. En Espagne et en Italie, les plus pauvres ne sont pas les plus démunis sur le plan des relations et des possibilités d’être aidés. Pauvreté et exclusion n’ont donc pas le même sens selon les pays. Aussi, les moyens sont différents : Danemark, Royaume-Uni, RFA, NL, Belgique et Irlande ont créé un revenu minimum garanti entre 1933 et 1977, Luxembourg et France en 1986 et 1988, tandis qu’Espagne2, Italie, Portugal et Grèce n’en ont pas encore. Il est possible de distinguer 3 types idéaux de pauvreté. 2) La pauvreté intégrée C’est une pauvreté traditionnelle, nombreuse et peu distincte des autres catégories de la population, souvent cantonnée dans une région qui a toujours été pauvre. Ces pauvres ne sont pas fortement stigmatisés, leur intégration est assurée par la famille, le quartier ou le village. L’économie parallèle leur permet d’obtenir des ressources et joue aussi un rôle intégrateur. Ce type de pauvreté se trouve plutôt dans des sociétés traditionnelles jugées sousindustrialisées (ou sous-développées), et dans les sociétés méditerranéennes, comme le sud de l’Italie. Là-bas, l’entrée dans le secteur public représente un idéal (emploi garanti et possibilité de travailler aussi dans le secteur informel), mais les postes offerts sont insuffisants. Sinon il existe un secteur privé (salaires bas et entreprises instables, possibilités de carrière presque nulles) et un secteur informel. Les chômeurs vivent en grande partie grâce à ce dernier. L’existence de solidarités familiales est souvent considérée par les gouvernements comme un prétexte pour ne pas agir de façon importante. En Espagne, la situation est assez proche 3) La pauvreté marginale 2 Elle s’éloigne de la pauvreté traditionnelle et renvoie au thème de l’exclusion. Il s’agit d’une petite frange de la population, inadaptée à la société moderne, qui souligne les Sauf certaines communautés autonomes ratés du système. Les institutions d’aide sociale s’efforcent de les encadrer, car elles les jugent incapables de s’insérer socialement et professionnellement sans appui extérieur. La stigmatisation est forte, la tutelle est prégnante. Ce type d’exclusion se développe plutôt dans les sociétés en croissance rapide, dans lesquelles les ressources budgétaires permettent d’aider financièrement de façon correcte cette frange de la population. La période des Trente Glorieuses en France a été proche de ce type. Ces pauvres étaient des ouvriers très mal payés mais intégrés à l’usine, dans les luttes sociales et syndicales, et souvent dans leurs quartiers. Certains pays européens sont encore proches de ce modèle (Allemagne), où la pauvreté est loin d’être un débat social essentiel (50% des allemands estiment que la pauvreté a disparu du pays, refoulement collectif, croyance en la toute puissance des institutions d’action sociale) ; idem dans les pays scandinaves, où la pauvreté est « invisible ». Les populations qui s’adressent aux services d’assistance courent le risque d’être perçues comme des « cas sociaux », des rebuts de la société. 4) La pauvreté disqualifiante Elle renvoie aussi plus à l’exclusion qu’à la pauvreté proprement dite. Personnes refoulées de la sphère productive, devenant dépendantes des institutions d’action sociale et connaissant une accumulation de difficultés. Précarité de l’emploi, faiblesse du revenu, médiocrité des conditions de logement et de l’état de santé, fragilité de la sociabilité familiale et des réseaux d’aide, participation incertaine à toute vie sociale institutionnalisée, sentiment d’être pris dans un engrenage infernal qui les conduit à l’inutilité sociale. Nombre d’entre eux n’ont pas connu une enfance misérable. Contrairement à la pauvreté marginale, ce phénomène est de grande ampleur et affecte toute la société, il devient une « nouvelle question sociale » jugée menaçante pour l’ordre social, générant une angoisse collective car de plus en plus de personnes craignent un jour de les rejoindre. Ce type se développe plutôt dans les sociétés où le chômage et la précarité des conditions de travail progressent (reconversions industrielles, concurrence internationale). Le rôle des solidarités familiales s’est atténué et contribue plutôt à accroître les inégalités ; l’économie parallèle est trop contrôlée par les pouvoirs publics pour offrir des activités stabilisées. France et RU sont proches de ce type. La croissance du nombre de pauvres représente un coût financier important et inquiétant, mais l’inquiétude est aussi sociale (que vont-ils devenir ?). La différence entre les 2 pays vient de la façon dont le problème est traité : pas d’extension de l’aide au RU (au contraire), insistance sur la responsabilisation, soupçon d’être des profiteurs, baisse des charges sociales des entreprises (les individus étant censés être des acteurs rationnels, il faut les inciter à travailler). En France, elle se traduit par l’idée que la société est devenue plus fragile, les responsables avancent très rarement que les pauvres profitent du système et qu’il faudrait diminuer les aides ; l’idée la plus courante est qu’il faudrait augmenter les aides au nom de la solidarité nationale. Cependant le sentiment de dévalorisation de ces personnes reste fort. Ce type de pauvreté était aussi présent lors de la crise des 30’s. B) État-providence et lutte contre l’exclusion Il existe non pas un mais plusieurs types d’États-providence. L’exclusion peut se définir comme l’état d’une population qui se trouve mise à l’écart d’un ou de plusieurs processus central de la société : le travail (chômeurs, personnes âgées), la famille (divorcés, familles monoparentales), la communauté nationale (immigrés), la vie dite « normale » (handicapés), la ville etc… Les États-providence n’ont pas toujours pour but de remédier à toutes ces exclusions, mais plutôt à certaines d’entre elles. 1) Trois modèles d’État-providence La pauvreté et la recherche d’une société plus juste font partie des motifs de création de l’État-providence. La montée de l’exclusion va remettre son fonctionnement en cause. Le premier modèle d’État-providence est le modèle bismarkien ou assurantiel, le plus familier aux Français et aux Allemands : les actifs payent pour les retraités et les chômeurs, les biens portants pour les malades, les valides pour les invalides, les jeunes pour les vieux, de façon à ce que toutes les ressources disponibles couvrent toutes les besoins existants. Chacun cotise au même taux que les autres, ce qui lui donne droit à des prestations, calculées sur la base des revenus antérieurs (allocations chômage et pensions de retraite). Il existe aussi un système d’aide sociale réservé à des populations qui n’ont pas gagné par leur travail le droit à une protection, mais il ne devait concerné qu’une population réduite, résiduelle. L’action publique est complétée par une foule d’associations privées, souvent subventionnées, dont le rôle est vital. Il s’agit d’assurer les salariés, puis les citoyens, contre les risques sociaux. Le modèle universaliste veut privilégier un autre type de solidarité, à visée égalitariste (DK, Suède, Norvège). Le principe n’est pas l’assurance, mais l’offre de services universels (offerts à tous), gratuits (financés par l’impôt) et fondés sur les besoins et non sur des droits acquis par des cotisations. Ce droit est instauré pour toutes les catégories de la population. C’est la productivité globale de l’économie et non la rentabilité de l’entreprise qui détermine le niveau de revenu. Système fortement redistributif. Le secteur associatif est faible. Il s’agit de construire une société plus égalitaire et plus solidaire. Le Welfare state libéral ou résiduel part du principe que le marché est le mécanisme le plus efficace pour allouer à chacun des ressources proportionnelles à ses mérites. Si, pour des raisons indépendantes de sa volonté, l’individu ne peut se procurer des ressources sur le marché, la famille et les réseaux de solidarité privée y pourvoient. Ce n’est qu’en dernier lieu que l’État est sollicité. C’est le modèle US. Il repose sur une méfiance et une stigmatisation des pauvres, toujours suspectés de profiter du travail des autres. Les mesures sont centrées sur les pauvres (Médicaid, AFDC = aide aux familles avec des enfants dépendants, revenu minimum pour les vieux, aveugles et invalides, bons alimentaires, le tout variable selon les États). Nombreuses associations privées. Il s’agit d’assurer un minimum aux pauvres. 2) La dégradation des capacités d’action des États-providence Dans le premier cas, il suppose que l’individu est un salarié cotisant ; dans le second et le troisième un citoyen contribuable. Si c’est le cas, les risques sont couverts. Le Welfare state fonctionne tant que l’immense population dispose d’un emploi stable. Or la situation actuelle se caractérise par une croissance régulière du nombre de personnes qui ne cotisent pas et ne payent pas d’impôt. Les mécanismes de mutualisation des risques sont alors impuissants et toutes les sociétés sont obligées de trouver de nouveaux mécanismes de financement. Par ailleurs, les critères donnant des droits deviennent très restrictifs (chômage), et beaucoup de personnes deviennent alors prises en charge par l’assistance (et non plus l’assurance) => croissance des bénéficiaires du RMI. Les collectivités locales subissent de plein fouet les décisions nationales et les aides doivent diminuer. 3) L’interprétation culturelle divergente des phénomènes d’exclusion Le caractère universel du processus d’exclusion doit être remis en cause : alors que chômage et pauvreté sont plus forts dans l’Europe du sud, ils ne conduisent pas autant à l’exclusion qu’en France, RU et USA. Les significations culturelles sont aussi très différentes. Aux USA, l’échec de l’État-providence entraîne une profonde crise de légitimité de ce dernier, l’idée majeure étant que la volonté des pauvres de s’en sortir a disparu. L’accent est mis sur les effets pervers des politiques de justice sociale : préférence pour le loisir, irresponsabilité sexuelle (AFDC), remise en cause de l’affirmative action ; a contrario, le marché est la seule voie possible pour réduire la pauvreté (il faut flexibiliser les salaires à la baisse pour obliger les exclus à réintégrer la société du travail). En France, on s’intéresse avant tout à des processus : les exclus ne sont pas coupables mais victimes (de la concurrence internationale) de problèmes dont l’origine est extérieure à la France, la responsabilité des politiques est niée, ils ne peuvent que gérer lezs conséquences du phénomène. Cela donne naissance à une problématique de la fracture sociale, inquiétante dans un pays fondé sur une unité supposée du corps politique, culturel et social. L’impératif est de réduire l’exclusion. A la division en trois se substitue progressivement une division en deux : les sociétés conservatrices à État-providence de plus en plus résiduel (USA, NZ, RU, Australie) et un nouvel État-providence conjuguant des éléments universalistes et des éléments bismarkiens. 4) État-providence minimal contre nouvel État protecteur Pour les libéraux, revenu ou salaire minimal sont des « machines à exclure » : aux USA, des programmes d’aide à l’emploi ont été supprimés, l’accès à d’autres rendu plus difficile, les subventions diminuées pendant les années Reagan. La Californie a supprimé l’affirmative action. Les allocations sociales ne sont accordées que sous condition de travail (workfare) et d’éducation des enfants (learnfare : suppression si les enfants manquent l’école). L’État fédéral se désengage au profit des États et du secteur privé. Au RU et NZ, la situation des pauvres sans emploi s’est considérablement détériorée, et les pauvres avec emplois (multiples, working poors) se sont multipliés. La majorité des États-providence européens se sont engagés dans d’autres voies : baisse des prestations sociales, instauration d’un revenu minimal et politiques actives de l’emploi. La première provient d’une adaptation à la crise financière (recul de l’âge de la retraite, baisse des pensions, baisse des taux d’indemnisation du chômage). Dans les pays scandinaves, les garanties sont de plus en plus fonction du salaire antérieur et le secteur privé joue un plus grand rôle. On met en, œuvre des politiques sociales actives qui n’ont plus pour but de verser des allocations mais de favoriser l’insertion sociale et professionnelle. Tous les pays cherchent à éviter la trappe à pauvreté : en France, on demande aux bénéficiares du RMI de signer un contrat d’insertion (c’est du workfare, mais atténué) ; le partenariat avec le secteur privé se développe (welfare-mix). C) Nouvelle donne sur le marché du travail, nouvelle économie répressive ? Quels sont les liens entre l’économie, la délinquance et la répression pénale ? Depuis Platon, qui voyait dans la pauvreté l’origine de la criminalité, l’opinion publique n’a cessé d’associer les miséreux et les dangereux, exclus sociaux et délinquants potentiels. Cette opinion s’appuie sur une réalité : chômeurs, marginaux et exclus sociaux sont surreprésentés parmi les personnes incarcérées. Mais y a-t-il causalité ? La répression pénale n’est-elle pas aussi une cause de l’exclusion ? Les résultats des études sont incertains. 1) De la répression pénale au marché du travail Les changements économiques peuvent-ils influencer les façons de contrôler et de réprimer les diverses formes de délinquance ? Des travaux menés dans les pays anglo-saxons et en France montrent que la population pénitentiaire s’accroît quand le marché du travail se dégrade. 2) Mutation du marché du travail, mutation de la répression Le développement croissant des formes d’emploi atypiques, le recours plus fréquent à la flexibilité, à l’externalisation ont eu pour conséquence une baisse relative des rémunérations et des conditions d’emploi. Cette crise du modèle de croissance fordiste est allée de pair avec une montée des taux d’emprisonnement dans la plupart des pays d’Europe, ainsi qu’avec l’allongement de la durée des peines. Dans un contexte de crise économique, une situation de moral panic se traduirait par un appel à une répression plus forte (discours sur l’insécurité), qui aurait aussi pour effet d’exiger une performance accrue des populations laborieuses et de faire accepter de nouvelles relations sociales (discours sur la responsabilité individuelle). En même temps, il y a développement des mesures alternatives à la prison (injonction thérapeutique en France, travaux d’intérêt général). Une certaine dualisation du pénal s’organise et se conjugue aux mesures sociales mises en œuvre pour prendre en charge les populations exclues du marché du travail. Depuis les 80’s, le nombre de condamnations à des amendes s’effondre et les condamnations avec sursis explosent, la part de l’emprisonnement ferme restant stable ; le sursis est souvent assorti de mesures de prise en charge par le milieu ouvert. 3) La recherche d’une nouvelle économie répressive Les mesures de contrôle en milieu ouvert ont l’avantage d’être moins coûteuses que la prison et de laisser un volant de main-d’œuvre peu qualifiée et peu exigeante. Les populations incarcérées vieillissent, et il y a pour les jeunes un « retard à l’incarcération » qui se traduira par une peine d’emprisonnement plus longue en cas de récidive. Mais cet allongement provient aussi d’une demande sociale pour plus de sévérité : les études sur le « sentiment d’insécurité » mettent l’accent sur la précarisation économique et la dislocation du tissu social. L’absence de réponse à la peur du chômage provoque un déplacement vers une peur de la délinquance. L’émergence d’un discours sur la corruption témoigne aussi de la montée d’une vague de moralisme et de la recherche de « boucs émissaires ». Le surcroît de sévérité des peines répondrait à cette demande, en particulier la progression des peines pour trafic de stupéfiant et séjour irrégulier des étrangers, qui visent des populations fortement touchées par les mutations du marché du travail. La dualisation se déclarerait par, d’un côté des prises en charge en milieu ouvert autour du concept flou d’insertion, et de l’autre par la prison, voiture balai de l’exclusion sociale. VI) Perspectives A) L’exclusion scolaire : quelles solutions ? L’exclusion est un processus plus qu’un état : il est difficile de tracer une frontière entre les exclus et les inclus. L’exclusion d’aujourd’hui est différente de l’exploitation des sociétés industrielles : les intégrés n’ont pas besoin des exclus pour vivre. L’exclusion est d’abord un rapport de dépendance (envers la charité privée, les services sociaux), l’exclu est un surnuméraire, un inutile. L’esclu est fabriqué par la ségrégation économique, urbaine, ethnique, mais aussi institutionnelle : c’est dans ce cadre qu’on peut affirmer que l’école créé aussi une exclusion relative. 1) L’école de l’intégration L’école socialise et intègre, même pour Bourdieu elle donne à chacun la place qui lui était destinée. En France plus que partout ailleurs, l’école républicaine a été conçue comme l’instrument d’intégration sociale par excellence et par l’excellence. La première dimension de l’intégration était politique : citoyenneté et nation. L’école devait apprendre les valeurs républicaines et patriotiques, construire une morale laïque a côté de la morale religieuse, affaiblir les particularismes régionaux. C’était aussi paradoxalement une école ségrégative : école élémentaire pour les fils du peuple, lycée pour les jeunes bourgeois, collège pour les classes moyennes et les élites populaires (enseignants, programmes et méthodes pédagogiques différents). C’est la naissance qui déterminait l’entrée dans telle ou telle école, bien plus que les performances scolaires. L’élitisme républicain consistait à déceler les meilleurs élèves du peuple pour les faire accéder à des emplois utiles à la nation (fonctionnaires). En termes d’intégration, elle eut un avantage considérable, elle semblait juste dans un monde injuste. Elle n’excluait personne et n’était pas responsable des grandes distributions sociales (c’était la naissance) : les enfants d’ouvriers et de paysans ne devenaient pas ouvriers et paysans parce qu’ils avaient échoué à l’école, mais parce que la société était injuste ou parce que c’était leur destin. Les exceptions étaient là pour le prouver. La coupure entre le monde scolaire et le monde social est particulièrement prononcée. Au fond, cette école était beaucoup moins ambitieuse que celle d’aujourd’hui, reposait sur de fortes discriminations. 2) Les mécanismes de l’exclusion La croyance dans ses vertus fut telle qu’on aboutit à une massification qui s’accéléra. Dans les 60’s, cette massification respecte les formes anciennes : l’accès aux collèges et lycées est étendu à la plus grande part des classes moyennes, la multiplication des diplômés est en phase avec les besoins d’une économie en croissance et n’entraîne pas leur dévaluation. Début 70’s, avec le collège unique, tous les élèves accèdent au même système ; depuis, le même principe s’est étendu aux lycées, puis à l’université (6% d’une classe d’âge au bac en 1945, 60% aujourd’hui). Or le chômage s’accroît. L’école change de nature et fonctionne à l’exclusion. La sélection scolaire remplace les inégalités sociales : cela ne veut pas dire que ces dernières ne sont pas déterminantes sur la carrière des élèves ; cela veut dire que la sélection ne se fait plus en amont des études, mais pendant les études et en fonction des performances des élèves. Un élève ne va plus en LEP parce qu’il est fils d’ouvrier, mais parce que ses performances ne permettent pas d’accéder aux filières générales (il se trouve qu’il a de grandes chances d’être par ailleurs fils d’ouvrier). Si on fait l’hypothèse qu’à chaque carrefour d’orientation le fils d’ouvrier a 50% de chances de passer et le fils de bourgeois 80, on arrive au bout de 4 carrefours à 40% d’élèves bourgeois survivants contre 6% d’élèves ouvriers. Ce n’est plus la société qui provoque l’injustice, c’est l’école elle-même. On produit de plus en plus de qualification en même temps que de plus en plus d’inégalités. Plus l’école intègre d’élèves longtemps, plus elle se massifie, plus elle exclut. En effet, l’orientation suit un processus négatif : l’élève ne choisit qu’en fonction de ce qui lui reste à choisir en fonction de ses performances (exclusion relative). S’il ne peut passer un bac général, il choisira un bac techno, s’il ne peut pas non plus, un bac pro, si c’est trop difficile, un BEP. Dans un tel système, aucun élève ne peut justifier directement son exclusion relative par une injustice sociale, car ceux sont d’abord ses performances qui expliquent cette exclusion. L’élève exclu ou « orienté » se considère lui-même comme le propre responsable de son échec. C’est le prix du système méritocratique. Aussi observet-on dans les filières déqualifiées un sentiment d’aliénation, d’image négative de soi, une impression de mépris, car les élèves y sont définis par leurs incapacités plutôt que par leurs possibilités (=> rage et haine des banlieues). Cependant l’école n’est pas coupée en deux par les in et les out ; il s’agit plutôt d’une hiérarchisation continue et fine (options de bac, de BEP, établissements). Elle se présente de plus en plus comme un « marché » de filières et d’établissement, dont il est très avantageux de connaître les règles à l’avance : connaître le bon collège, les bons choix de langue etc. Paradoxalement, alors que les études sont devenues incertaines du point de vue de l’accès à l’emploi, la demande d’école est croissante. Les diplômes de masse ne protègent guère, et l’absence de diplôme rare condamne à l’exclusion. Les capacités d’intégration culturelle et sociales sont-elles préservées ? Il semble que oui, l’école restant capable de diffuser une culture et des valeurs, des modèles d’excellence. Mais cette fonction est rendue plus délicate par la massification. L’apparition de nouveaux lycéens, non « programmés » pour suivre de longues études, comme ceux issus des milieux populaires, qui rencontrent des modes de vie difficiles à maîtriser, peut poser un problème de discipline. Jusqu’aux 50’s, les jeunes immigrés ou fils d’immigrés étaient très rarement scolarisés au-delà de l’école élémentaire ; l’école doit donc s’adapter avec une culture populaire auparavant très minoritaire chez elle (boursiers). D’où des retraits ou des conflits scolaires inédits, malgré les ZEP, aides au devoirs etc. Les immigrés ont parfaitement compris le rôle intégrateur de l’école, mais ont aussi le sentiment de se heurter à des mécanismes cachés de ségrégation qui les déçoivent. Par ailleurs l’école a perdu le monopole de la culture, elle est confrontée à la concurrence des médias et des cultures juvéniles qui offrent d’autres modèles d’identifications. 3) Que faire contre l’exclusion scolaire ? L’opinion publique est tentée par le raisonnement suivant : puisque les jeunes non qualifiés sont plus fortement touchés par le chômage, il importe de qualifier tous les élèves pour le réduire. Cette formule oublie que le chômage est d’abord créé par des difficultés économiques. L’aide au devoirs, les classes dédoublées, les ZEP etc. ont eu des effets positifs : ils ont réussi à motiver les enseignants et à introduire un mécanisme de discrimination positive. Cependant cela n’a pas modifié la logique excluante du système. L’exclusion scolaire n’est pas un dysfonctionnement du système scolaire, elle est sa base ; il continue à fonctionner largement en faveur des groupes privilégiés et des classes moyennes. Trois grands principes pourraient guider une réforme atténuant les effets d’exclusion : un engagement plus ferme dans la discrimination positive ; le diversification des modalités de l’excellence scolaire (pouvoir devenir ouvrier ou technicien parce qu’on en a le goût et sans sentiment d’échec) ;être un lieu d’apprentissage de la civilité, donner plus de droits et de rôles à jouer aux élèves dans le lycée. B) Le revenu d’existence Au sens large, il comprend toutes les solutions de garantie d’un minimum de ressources. Il regroupe les salaires minimaux (référence à la société salariale) d’une part et les revenus minimaux (référence à la citoyenneté) de l’autre. 1) L’instauration progressive de revenus d’existence en France Dans toute société développée, la garantie de ressources du travailleur salarié comprend d’une part les revenus du travail, de l’autre les revenus de remplacement lorsqu’il ne eput travailler. En France, le salaire minimum interprofessionnel garanti est instauré par la loi du 11 février 1950 ; en 1970, il est remplacé par le SMIC, indexé à la fois sur l’évolution des salaires et des prix. Le SMIG a été fixé sur la base d’études de consommation minimale des ménages pauvres (besoins primaires), c’est-à-dire par rapport à l’idée d’une pauvreté absolue. Ainsi, entre 1955 et 1968, l’augmentation du SMIG ne couvre que l’augmentation des prix. L’instauration du SMIC change sa fonction : il se réfère à la pauvreté relative et devient un instrument de lutte contre les inégalités. Grâce à lui, l’éventail des salaires s’est beaucoup réduit entre début 70’s et début 80’s. Dans les 80’s, sa valeur réelle n’augmente plus. Le SMIG/SMIC a incité les entreprises a remplacer du travail par du capital et à embaucher du personnel de plus en plus qualifié Il ne garantit aucun niveau minimal de ressources aux exclus du marché du travail. Les premiers minima n’ont pas été conçus comme des instruments de lutte contre la pauvreté, mais comme des palliatifs à des situations individuelles d’affaiblissement (invalidité en 1930, minimum vieillesse, allocation d’adulte handicapé en 75). Début 70’s, on se préoccupe des personnes seules ayant en charge des jeunes enfants : en 1976 est créée l’allocation au parent isolé et en 1980 l’allocation veuvage. Au cours des 80’s, le problème majeur est celui du chômage : on sépare le régime d’assurance chômage proprement dit du régime de solidarité (allocation de solidarité spécifique). Mais la pauvreté perdure et s’aggrave et le RMI est créé en 1988, ni lié à un risque spécifique ni à un préalable en terme d’emploi. 2) La défense du salaire minimal Les enjeux autour du SMIC sont une source de conflits sociaux considérables. En tant que revenu d’existence, il subit plusieurs attaques : attaques de type libéral (SMIC facteur d’exclusion, SMIC renchérissant le coût de la production et diminuant la compétitivité, incitant à la substitution K/W, créatrice d’une inflation par les coûts et la demande, incitant au travail au noir). L’existence d’un RMI (qui par ailleurs désincite au W) « autoriserait » la suppression du SMIC. Enfin, dès lors que le chômage est structurel, le SMIC ne peut plus être considéré comme un revenu d’existence. De plus, l’élasticité estimée entre demande de travail est inférieure à 1 : si les salaires baissaient, l’accroissement de l’emploi ne suffirait pas à maintenir la masse salariale. Cette suppression engendrerait en outre un plus faible investissement et une diminution de la consommation. De plus le SMIC, contrairement au RMI, ne pèse pas sur les budgets publics. L’enjeu se situe aussi au niveau de la dignité du travailleur : le SMIC implique une participation sociale et contribue à l’intégration. 3) Revenu minimum et universalisme de la protection sociale Il existe plus d’une dizaine de minima sociaux que l’instauration d’un RMI n’a pas supprimé (le RMI ouvrant d’autres droits sociaux). Actuellement, trois grands modèles théoriques de revenus minimaux sont débattus : le revenu minimum garanti (impôt négatif à 100%), l’impôt négatif à taux marginal < 100% et l’allocation universelle (impôt négatif à 0%). L’allocation universelle est inconditionnelle par rapport au travail et aux autres ressources, à la composition de la famille et à l’habitation. Elle se réfère implicitement aux besoins minimaux (comme le SMIG) et remet en cause l’idée d’un revenu minimum familial. Faut-il des critères d’admission à l’allocation, faut-il imposer des contreparties en travail ? On n’en exige pas des vieux ou des handicapés profonds, ni pour les ménages monoparentaux. Quel taux d’imposition ? Pour les libéraux, l’impôt négatif permet de concilier efficacité économique et justice sociale. Cependant l’arbitrage travail/loisir ne se pose que pour les catégories pour lesquelles le temps libre est un bien normal ou supérieur (au sens de Engel). Il crée une trappe à pauvreté à l’égard de tous ceux qui sont proches du seuil d’accès à une prestation. L’allocation universelle n’a pas ce défaut, mais ses limites sont considérables : elle est peu appuyée par les politiques et l’opinion publique ; elle est déconnectée des besoins fondamentaux et ne règlerait pas l’exclusion ; les simulations aboutissent à 1 500 ou 2 000F. L’enjeu principal porte sur la signification du travail : le passage du salaire au salaire minimum, puis au revenu minimum, puis à l’allocation universelle distend le lien entre le salaire (au départ simple résultat d’une négociation sur le marché du travail) et le revenu permettant la satisfaction des besoins. Mais le travail n’est pas seulement une contribution nécessaire pour percevoir un revenu, c’est aussi un puissant facteur d’intégration sociale. FIN