Bouquin - Espaces Marx

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Stephen Bouquin
Avec la réduction du temps de travail, retrouver le temps
En 2009, la régression sociale a surtout frappé les salariés avec un statut temporaire (CDD,
intérimaires). Désormais s’y rajoute les centaines de milliers de jeunes qui terminent leurs études.
Près de 6 millions de jeunes (moins de 25 ans) se retrouveront ainsi au chômage dans l’Europe
des 27. En 2010, le sinistre bal des faillites, rachats et restructurations va s’amplifier. Les effets
sociaux de la crise économique et financière seront dévastateurs. Non seulement parce qu’une
frange considérable du salariat connaît déjà la pauvreté et la précarité mais aussi et surtout parce
que l’assurance chômage n’est plus ce qu’elle était en 1982-1988 ou en 1992-1996. Désormais,
seul un chômeur sur deux est couvert par une prestation lié à la condition de demandeur
d’emploi. C’est le cas non seulement de la France mais aussi en Espagne, en Allemagne. Selon
les projections du BIT, avec une croissance molle (ou une crise en forme de L), il faudra huit ans
pour résorber les effets du chômage. A la sortie du tunnel, si rien ne change, la société sera
encore plus inégalitaire, plus injuste et invivable. Ceci n’est pas acceptable.
Comment s’attaquer au chômage de masse, à la précarisation et la paupérisation ? Dans
l’immédiat, il faudra garantir des minima sociaux et des montants de revenu qui permettent de
vivre bien. Il faudra ensuite recréer des emplois. Certains seront tentés de chercher les créations
d’emploi dans les nouveaux secteurs, écologiques. D’autres espèrent que « l’économie solidaire »
prenne la relève. Ceci exigera de trouver les moyens pour financer cette économie car le marché
ne peut le faire à lui seul, certainement pas dans le « social ». Admettons que cela puisse se faire,
même avec une dette publique gonflée par le sauvetage des banques, cela ne suffira pas à résorber
le chômage qui nous attend. Heureusement que nous avons le « papyboom ». Remplacer tous les
départs à la retraite sera certainement un choix politique bienvenu mais à nouveau insuffisant.
Que reste-t-il alors comme solutions ? Pas grand chose, en dehors d’une réduction massive et
drastique du temps de travail. Mais voilà que personne n’ose plus l’évoquer. Certains diront que
les 35 heures de la gauche plurielle étaient indéfendables. Mais faut-il pour autant se taire sur le
sujet ? Est-ce que le discours de N.Sarkozy sur la valeur travail ont symboliquement disqualifié
l’idée de travailler moins ? Peut-être mais entre temps, l’escroquerie s’est révélée: travailler plus
d’heures pour compenser des salaires trop bas n’est rien d’autre qu’une arnaque sans fin.
Défendre l’amour du métier et le goût de l’ouvrage bien fait, pourquoi pas ? Mais ce n’est pas
chose aisée lorsqu’on vit la précarité, l’insécurité sociale sinon une routine mortifère et que l’on
est cerné par un management harcelant.
La crise a du bien, parfois. Le ralentissement soudain de l’activité économique relativise la folle
accélération que nous avons connu jusqu’il y a peu. Profitons-en pour tordre le cou à l’idéologie
mi-stakhanoviste mi-religieuse faisant du travail la source d’une nouvelle rédemption, celle de
l’individu performant, créatif, épanoui et maître de son destin. Rien n’était plus mystificateur que
cette idéologie. Et pour cause. Grâce a elle, on acceptait d’être surmenés, évalués et mis en
compétition pendant que la vie sociale et familiale ont été sacrifiés sur l’autel de la carrière. Le
travail intense fatigue les nerfs, les yeux et le dos, la fierté et la dignité disparaissent derrière
l’horizon mesuré du temps flexible et du travail posté. Le temps des uns ne correspond plus à
celui des autres, au sein de la famille comme au sein de la communauté de vie. Les dix dernières
années, partout, en France comme ailleurs, le travail s’est intensifié. Partout, sa durée s’est
allongée sinon flexibilisé. Le temps du capital (du profit) s’est emparé des loisirs tandis que le
travail s’est vu être encore plus assujetti qu’auparavant. Avec les nouvelles technologies, le
courriel comme le portable, le temps de travail tend même à coloniser le hors travail.
Simultanément, pour ceux qui sont au chômage, le temps se vide ; la consommation s’arrête et la
mobilité cède la place à l’immobilité. Ces constats suggèrent qu’il existe une aspiration sociale à
vocation majoritaire, celle de reconquérir la maîtrise du temps. A l’échelle de l’individu comme
de la société, chacun a envie de pouvoir respirer, de se reposer, et aussi, de ne rien faire... C’est
pourquoi réduire massivement les temps de labeur et les temps contraints est une idée d’avenir.
Travailler quatre jours par semaine, en 32 heures, en préservant les revenus, permet de changer
au quotidien les choses. Réduire en deçà de ces quatre jours hebdomadaires les temps productifs
pour celles qui ceux qui désirent s’investir dans d’autres activités, sociales et/ou citoyennes,
répond également à un besoin social, celui de ne pas s’enfermer dans la seule activité laborieuse
ou consommatrice. Permettre à chacun de moduler le temps consacré aux activité de la vie, c’est
aussi donner à chacun les moyens d’exister dans plusieurs sphères sociales, celle du travail mais
aussi la sphère publique et privée. La crise économique reflète un ralentissement et une
réorganisation du cycle d’accumulation de capital. Son avènement impose de penser non pas la
relance de la machine infernale mais l’émergence d’un autre ordre social et temporel. Un ordre
social qui s’émancipe de la tutelle marchande, utilitariste et instrumentale et qui rend le « bien
vivre » accessible à tous.
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