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Gordon Matta-Clark : Un cadre sans limites
AndreA FrAnco
traduit de l’espagnol par
Vivianne Callendret
Gordon Matta-Clark a envoyé une lettre aux travailleurs du Sesto San Giovanni (Milan), qui
occupaient leur usine depuis des semaines pour protester désespérément contre les projets
de démolition de la zone. Il se dénissait ainsi :
« Je restructure les bâtiments, pour expliquer et défendre la nécessité d’un changement […] des
bâtiments abandonnés par un système qui ne s’en soucie pas, pour lequel l’utilisation et le but
de la propriété sont uniquement une n en soi […] Je propose de transformer une de ces tristes
bâtisses industrielles en une forme libérée […] en pratiquant une coupe dans les murs, pour
donner l’idée d’un passage libre, un passage large qui n’est ni une porte, ni un arc monumen-
tal, mais une sorte de cadre sans limites. » 1
C’était un artiste prolétaire ; ouvrier avec casque, sans maillot de corps. Un manœuvre qui a
coupé, scié, pilé et sectionné, qui a construit ses propres échafaudages. Il l’a fait avec la force
et la vigueur de la jeunesse.
Matta-Clark s’est toujours situé du côté des dépossédés, des victimes de la rénovation ou ré-
habilitation urbaine ; pour autant il n’adopta pas le point de vue des citadins, mais celui des
bâtiments ce fut une grande révolution.
On l’a souvent décrit comme un artiste destructeur, uniquement parce qu’il a agi violemment en
pratiquant des coupes dans les murs ; mais Gordon a construit, en réalité, ce qu’il appelait « des
vides métaphoriques », des trous qui laissaient passer la lumière, dans des pièces abandonnées.
Il a sauvé des architectures qui étaient en train de disparaître, pour laisser la place à des formes
dominantes. Il a « restructuré » des bâtiments qui avaient été conçus suivant des approches
rigides et oppressives, des critères « d’habitabilité et d’efcacité » ; il voulait leur donner une
bouffée d’air.
Parfois, il s’agissait d’une question d’échelle. Un homme petit, corps à corps contre de grandes
structures, découpant des morceaux de façades immenses, les transformant en spirales sur le
sol.
Quoi qu’il en soit, sa relation avec l’architecture a toujours été un « dialogue » selon Dan Gra-
ham. Il n’a jamais pensé à en faire un métier, seulement un domaine à investir ; un langage pour
faire surgir une nouvelle vision de l’espace, pour lancer des messages contre les mauvaises
pratiques de l’urbanisation.
Artiste, mais surtout worker, Matta-Clark a appartenu à la noble espèce de l’artiste artisan,
celui qui retrousse ses manches, qui sue, qui construit, qui porte les pièces sur les épaules, qui
fouille dans les ordures… ces ordures dont les rues de New-York étaient pleines dans les années
soixante, ce que l’on ne pouvait ignorer.
Aujourd’hui, il ne reste que des images de presque tout ce qu’il a réalisé pendant sa carrière
frénétique : les photos, lms, dessins et photomontages d’une révolution vite étouffée.