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OPERADES
Introduction. Les mathématiciens utilisent divers types d'algèbres, les plus couramment
utilisées étant les algèbres associatives et les algèbres de Lie. Mais il existe de nombreux
autres types qui se révèlent très utiles en algèbre, en topologie algébrique, en combinatoire
ainsi qu'en physique mathématique. Afin de travailler plus globalement et pour préciser ce
qu'est un « type d'algèbres », on a été amené à la notion d'opérade. Se donner un type
d'algèbres c'est se donner des opérations génératrices et des relations entre ces opérations,
comme dans les groupes définis par générateurs et relations. Mais il existe une autre manière
de définir un groupe: se donner ses éléments et la table de multiplication. Appliquée aux
algèbres cette démarche nous donne, intuitivement, la notion d'opérades. En effet l'opérade P
associée à un type d'algèbres est caractérisée par l'espace P(n) de toutes les opérations sur n
variables. L'analogue de la table de multiplication est donnée par la composition des
opérations. La théorie des opérades devient alors le langage universel pour parler de tout ce
qui touche aux compositions.
En fait, il existe une description plus conceptuelle d'une opérade comme étant un monoide
dans la catégorie des endofoncteurs de Vect, où Vect est la catégorie des espaces vectoriels.
Dans l'exemple des algèbres associatives ce foncteur est l'algèbre tensorielle: V  T(V) (i.e.
l'algèbre des polynômes non commutatifs sur les générateurs de V). Plus généralement le
foncteur associé à un type d'algèbres donné est l'algèbre libre de ce type. Des propriétés
universelles d'un objet libre on déduit la structure de monoide sur le foncteur. Cette
interprétation fonctorielle a beaucoup d'avantages. D'une part on peut remplacer Vect par
d'autres catégories, par exemple celle des ensembles, celle des espaces topologiques, et
obtenir d'autres types d'opérades. Mais surtout on peut se servir de l'analogie avec les algèbres
associatives, qui sont elles-mêmes des monoides dans la catégorie des espaces vectoriels.
Cette analogie a été appliquée à la dualité de Koszul des algèbres associatives pour construire
une dualité de Koszul des opérades (travaux de V. Ginzburg et M. Kapranov, inspirés par des
conjectures de M. Kontsevich). Les conséquences de cette théorie sont multiples. D'une part
elle permet dans de nombreux cas de construire des « petits » complexes de chaînes pour
calculer l'homologie et la cohomologie des algèbres. D'autre part, elle permet de préciser et
d’écrire la notion d'algèbre à homotopie près.
Le développement de la théorie des opérades ne fait que commencer car la prise de
conscience de l'importance à reconnaître de nouvelles structures algébriques est toute récente.
Ce texte est constitué de cinq parties. La première consiste à appréhender la notion d'opérade
d'un point de vue algébrique à partir de la notion de type d'algèbres. La deuxième partie est
consacrée aux opérades topologiques et au principe de « reconnaissance » des espaces de
lacets, sujet qui historiquement a permis de dégager la notion d'opérade. Dans la troisième
partie on donne quelques exemples d'opérades algébriques et on expose brièvement la théorie
de la dualité de Koszul des opérades et ses conséquences (théorie d'homologie des algèbres
sur une opérade, algèbres à homotopie près). La quatrième partie est consacrée à certaines
applications de la théorie des opérades: conjecture de Deligne, théorème de formalité de
Kontsevich, opérades E, combinatoire. Dans la cinquième partie on introduit succinctement
la notion de « prop », qui permet de gérer les objets ayant à la fois des opérations et des coopérations.
1
Il n'existe pour l'instant que peu d'ouvrages sur la théorie des opérades, mais beaucoup
d'articles de recherche. On pourra se reporter essentiellement au livre de Markl, Shnider et
Stasheff dans lequel on pourra trouver une bibliographie assez complète sur ce sujet.
Convention. Dans cet article K est un corps et V est un K-espace vectoriel de dimension
finie. Son dual linéaire est noté V* := HomK(V,K). Le groupe symétrique formé des
permutations d’un ensemble à n éléments est noté Sn.
2
1. Types d’algèbres, opérades.
Les principaux types d’algèbres utilisés par les mathématiciens sont les algèbres associatives,
type que l’on note As, les algèbres associatives et commutatives, noté Com, et les algèbres de
Lie, noté Lie. Mais il y en a bien d’autres : algèbres de Poisson, algèbres de Leibniz, algèbres
de Steenrod, algèbres alternatives, algèbres de Jordan, algèbres associatives à homotopie près,
etc. Une algèbre de type P sera aussi appelée P-algèbre. Pour chaque type P, il existe une
notion de P-algèbre libre caractérisée de la manière suivante. Pour tout espace vectoriel V la
P-algèbre libre sur V est une P-algèbre, notée P(V), munie d’une application linéaire
fonctorielle (V) : V  P(V) qui possède la propriété universelle suivante : pour toute Palgèbre A et toute application linéaire f : V A il existe un unique homomorphisme de Palgèbres F : P(V)  A qui étend f (c’est à dire tel que F o (V) = f ).
Par exemple pour P=Com, Com(V) est l’algèbre symétrique sur V. Donc si V a pour base les
vecteurs x1,…,xn, alors Com(V) est l’algèbre des polynômes en x1,…,xn. Si P=As, alors
As(V) n’est rien d’autre que l’algèbre tensorielle sur V (polynômes non commutatifs).
Soit W un autre espace vectoriel. Appliquons la propriété universelle à V=P(W), A = P(W) et
f = idP(W). On récolte alors un homomorphisme F = (W) : P(P(W))  P(W) qui est
clairement fonctoriel en W. Donc  : PoP  P est une transformation naturelle de foncteurs.
Ici on regarde P : Vect  Vect comme un foncteur de la catégorie Vect des espaces vectoriels
dans elle-même. Remarquons que dans les exemples Com et As la transformation  est
exactement la « composition » des polynômes : si on se donne des polynômes P1,…,Pi en les
variables x1,…,xn (générateurs de W) et un polynôme Q en les P1,…,Pi, alors  consiste à
calculer Q(P1,…,Pi) en les x1,…,xn.
Le triplet (P,,), où  : Id  P est vu comme une transformation de foncteurs, possède les
propriétés suivantes :
(a)  est associatif : idP) = idP,
(b)  est une unité pour idP) = idP = idP,)
On a donc un monoide dans la catégorie des endofoncteurs de Vect.
Définition 1. Une opérade algébrique est un monoide P= (P,,) dans la catégorie des
endofoncteurs de la catégorie Vect. Remarquons que l’on utilise pleinement le fait que la
catégorie des endofoncteurs de Vect est munie d’une loi associative unitaire, en l’occurrence
la composition de foncteurs. On dit parfois que c’est une catégorie monoidale stricte. On verra
que l’on peut étendre la notion d’opérades en partant d’une autre catégorie que Vect. En
remplaçant monoide par comonoide, on obtient la définition de coopérade algébrique.
Algèbres sur une opérade. D’un type d’algèbres nous sommes passé, en regardant l’algèbre
libre, à la notion d’opérade. Voyons maintenant la démarche inverse.
Soit P= (P,,) une opérade algébrique. Par définition une P-algèbre est un espace vectoriel A
muni d’une application linéaire A : P(A)  A telle que les diagrammes suivants soient
commutatifs :
P(A)

P(P(A))
P(A)
A
)
P(A)
A
P(A)
A
A
=
3
A
(A)
P(A)
Observons la différence entre P(A ) et (A). Dans le premier cas on applique le foncteur P au
morphisme A, dans le second cas on applique la transformation de foncteurs  à l’objet A.
Dans les deux cas la source est P(P(A)) et le but est P(A), mais ces morphismes sont distincts.
Il est immédiat de définir la notion de morphisme de P-algèbres, d’où la catégorie des Palgèbres. On verra ci-après la signification de A plus explicitement.
Morphismes de P-algèbres. Si A et B sont deux P-algèbres, un morphisme de A dans B est
une application linéaire f : A  B qui commute à la structure de P-algèbre, c’est-à-dire telle
que le diagramme ci-dessous soit commutatif :
A
P(A)
A
P(f)
P(B)
f
B
B
Opérations n-aires. Dans la pratique une opérade P est souvent du type suivant. Le foncteur
P est entièrement déterminé par une famille de Sn–modules à droite P(n) pour n≥1 par la
formule
P(V) = n≥1 P(n)  Sn Vn ,
où Sn opère à gauche sur Vn par permutation des variables. Dans ce cas l’homomorphisme
de composition est entièrement déterminé par des applications linéaires

(i1, … , ik) : P(k)  P(i1)  …  P(ik)  P(i1+ … + ik)
  1  …  k  1, …,k )
pour toutes les possibilités de multi-indices (i1,…, ik). Pour s’en convaincre, il suffit
d’expliciter P(P(V)) en termes des P(n).
Définition 2. Une opérade (algébrique) P est la donnée d’une famille de Sn-modules à droite
P(n) pour tout n≥1 et d’applications linéaires (i1, …, ik) comme ci-dessus vérifiant les
propriétés suivantes :
Associativité : pour P(k), jP(ij), kl P(rkl), on a l’égalité suivante dans P(r) où r
=  rkl
k,l
1, …,k )(111 i ,212 i k1k i )= 1(111 i ),…,k( k1k i ).
1
2
k
1
k
Equivariance par rapport au groupe symétrique : pour tout P(k), ajP(ij), j Sij, Sk,
 a11,…,akk) = a1,…,ak) 1… k),
a1,…,ak) = a  1(1) ,…,a  1(k) )i1,…,ik),
4
où 1… k est la permutation de Si1 ... ik qui opère sur les i1 premiers termes via 1, sur les
i2 termes suivants via 2, etc.. et sur les ik derniers termes via k ; la permutation i1,…,ik) de
Si1 ... ik opère de la même manière que  sur les k blocs de taille ik.
Alors cette donnée est appelée une opérade algébrique. Cette deuxième définition d’une
opérade est équivalente à la définition 1 lorsque le foncteur P est défini à partir d’une famille
de Sn-modules.
Une opérade non symétrique est la donnée d’espaces vectoriels Pn, pour tout n1 et
d’applications linéaires (i1, … , ik) comme ci-dessus satisfaisant la condition d’associativité ;
dans ce cas, on ne requiert pas d’action du groupe symétrique. Etant donné une opérade non
symétrique, on peut former une opérade en posant P(n)=PnK[Sn].
L’espace P(n) admet l’interprétation suivante en termes de P-algèbres. La structure de Palgèbre de A est déterminée par A : P(A)  A, donc par les applications
A(n) : P(n)  Sn An  A.
Ainsi à tout élément mP(n) et tout n-uplet (a1, …, an) d’éléments de A, on associe un nouvel
élément de A, que l’on notera simplement m(a1,…,an) au lieu de A(n)(m ; a1,…,an). En
conclusion P(n) est l’espace des opérations n-aires (multilinéaires) pour toute P-algèbre.
L’espace P(1) contient une opération particulière qui est l’identité. On dit que l’opérade P est
simplement connexe s’il n’y en a pas d’autres (à multiplication scalaire près).
Exemples. Pour P=Com on a Com(n) = K (représentation triviale), car à multiplication
scalaire près, il n’y a qu’une seule opération n-aire multilinéaire : (a1,… ,an)  a1 …an.

Pour P=As on a As(n) = K[Sn], espace vectoriel ayant pour base les permutations
(représentation régulière). En effet pour une algèbre associative, non seulement on a
l’opération n-aire (a1,… ,an)  a1 …an , mais on a aussi toutes celles qui s’en déduisent par
permutation des variables. Et toute opération n-aire multilinéaire est une somme algébrique
d’icelles. Ainsi l’isomorphisme K[Sn]  As(n) est-il donné par
  {(a1,…,an)  a(1)…a(n)}.
L’opérade As provient d’une opérade non symétrique où Asn=K pour tout n.
Pour P=Leib (voir au paragraphe 3 la définition des algèbres de Leibniz, qui sont un avatar
des algèbres de Lie) on a Leib(n) = K[Sn], c’est-à-dire la représentation régulière, comme
pour As. La différence entre les deux opérades As et Leib est donc uniquement dans la
composition.
L’opérade EndV. Pour tout espace vectoriel V on pose EndV(n) = Hom(Vn, V). L’action du
groupe symétrique sur EndV(n) provient de l’action sur Vn. On construit les opérations de
composition  tout simplement en composant les fonctions:

 (g; f1, … , fk)(x1, … , xn) = g(f1(x1, … )  f2( … )  … fk( … , xn)).
5
Il est immédiat de vérifier que l’on obtient bien ainsi une opérade. Visuellement, si une
application g dans EndV(n) est représentée par une « boîte » à n entrées et une sortie,
…
n entrées
g
alors une composition est représentée par un empilement
f1
f2
…
fk
g
La condition d’associativité s’écrit alors de la manière suivante,
…
…
…
…
…
…
=
…
…
…
…
…
…
c’est-à-dire composer « en haut » puis « en bas » revient à composer « en bas » puis « enhaut ».
6
2. Opérades des associaèdres et espaces de lacets.
De la même manière que l’on a défini les opérades algébriques, on peut définir les opérades
topologiques en s’appuyant par exemple sur la définition 2. Une opérade topologique O est la
donnée d’espaces topologiques O(n), pour tout n≥1, munis d’une action du groupe symétrique
Sn (ou non et dans ce cas, on parle d’opérades non symétriques) et d’applications continues

(i1, … , ik) : O(k)O(i1)…O(ik)  O(i1+ … + ik)
vérifiant les conditions de la définition 2.
Un espace topologique X est un O-espace ou un espace sur l’opérade O si c’est une O-algèbre
au sens du paragraphe précédent (où « applications linéaires » est remplacé par « applications
continues »).
Définition 3. Il existe une autre définition des opérades où les opérations (i1, … , ik) sont
remplacées par des opérations «  i » pour tout i allant de 1 à n
 i : O(n)O(m)  O(n+m-1)
compatibles avec l’action du groupe symétrique.
Ces opérations satisfont les conditions suivantes: pour tout μ  O(n), ν  O(m) et η  O(p),
(μ  i ν)  j η= μ  i (ν  j-(i-1) η) si i  j  i+m-1
(μ  i ν)  j η= (μ  j η)  i+p-1 ν si 1  j  i-1
On retrouve les opérations (i1, … , ik) de la manière suivante :
(i1, … , ik) (μ, ν1 , … , νk) = (…((μ  kνk)  k-1νk-1) …  1ν1).
2.1. L’opérade des associaèdres. L’exemple fondamental d’une opérade topologique est
l’opérade des associaèdres (Kn)n  2. L’espace topologique Kn est un polytope convexe de
dimension n-2 dont les sommets sont indexés par les différentes possibilités de parenthéser un
mot à n variables. Par exemple K2 a un seul sommet indexé par (ab) ; K3 a deux sommets
indexés par ((ab)c) et (a(bc)) ; K4 a cinq sommets indexés par ((ab)(cd)), (a(b(cd))), (a((bc)d)),
((a(bc))d) et (((ab)c)d). De manière équivalente, chaque sommet de Kn est indexé par un arbre
binaire planaire à n feuilles. La cellule de dimension maximale n-2 de Kn est indexée par la
corolle à n feuilles.
Corolle à 5 feuilles correspondant
au parenthésage (abcde)
Arbre correspondant au
parenthésage ((ab)(cd))
7
Plus généralement, chaque k-cellule de Kn est indexée par un arbre planaire à n feuilles avec nk-2 arêtes internes. En particulier, chaque face de Kn (une face est une cellule de codimension
1) est indexée par un arbre planaire avec une seule arête interne ; un tel arbre est obtenu en
greffant une corolle à s feuilles sur une feuille d’une corolle à r feuilles, avec r+s-1=n, ce qui
donne r applications  i : Kr  Ks Kn pour i allant de 1 à r. La figure ci-dessous donne des
représentations de K3 et K4 et la suivante une représentation de K5 dont tous les sommets ont
des coordonnées entières lorsqu’on le regarde dans R4.
K3
K4
K5
On vérifie alors que K=(Kn)n  2 est une opérade topologique non symétrique, appelée
opérade des associaèdres. Par définition un A-espace est un espace sur l’opérade des
associaèdres. L’exemple fondamental d’un tel espace est l’espace de lacets d’un espace pointé
Y, noté ΩY. C’est l’ensemble des applications continues pointées du cercle S1 dans Y. La
composition des lacets munit cet espace d’une multiplication m2: ΩYΩY  ΩY qui est
8
associative à homotopie près, c’est-à-dire qu’il existe une application m3: IΩY3ΩY telle
que
m3(0,x,y,z)=m2(m2(x,y),z) et m3(1,x,y,z)=m2(x,m2(y,z)).
Ceci nous donne des applications K2ΩY2ΩY et K3ΩY3ΩY qui satisfont les
premières conditions requises pour que ΩY soit un A-espace. Il s’avère que pour un espace
de lacets, on peut construire des applications KnΩYnΩY pour tout n de telle manière que
ΩY est un A-espace. Réciproquement, J. Stasheff a montré, dans les années 60, le théorème
suivant.
Théorème. Un espace connexe X (ayant le type d’homotopie d’un CW-complexe pointé) a le
type d’homotopie d’un espace de lacets si et seulement si X est un A-espace.
2.2. Principe de reconnaissance. Le théorème précédent constitue un «principe de
reconnaissance» au sens où pour reconnaître qu’un espace a le type d’homotopie d’un espace
de lacets, il suffit de montrer que c’est un espace sur l’opérade des associaèdres. Ce théorème
a ouvert la voie à d’autres principes de reconnaissance en particulier au traitement des espaces
de lacets k fois itérés ΩkY, c’est-à-dire à l’ensemble des applications continues pointées de la
sphère Sk dans Y. Pour illustrer ces théorèmes nous donnerons l’exemple de l’espace de lacets
doubles lié à l’opérade des petits carrés.
L’opérade des petits carrés C2=(C2(n))n  1 est constituée d’espaces topologiques C2(n) formés
par l’ensemble des configurations de n petits carrés dans le carré unité, modulo les dilatations.
Ces petits carrés sont numérotés de 1 à n et le groupe symétrique Sn agit sur C2(n) par
permutation des variables 1,2,…,n. Par exemple un élément de C2(3) est représenté par une
configuration du type suivant :
1
2
3
La composition  i : C2(n)C2(m)  C2(n+m-1) consiste à insérer une configuration de m
petits carrés dans le ième carré d’une configuration de n petits carrés, en dilatant le carré unité
pour le faire coïncider avec le ième carré et en renumérotant correctement les carrés (pour en
obtenir n+m-1). Par exemple :
2
1
1
1
1
3
=
2
3
2
4
Exercice. Montrer qu’un espace de lacets doubles Ω2Y est une C2-algèbre.
9
Le théorème suivant, dû à P. May, illustre le principe de reconnaissance.
Théorème. Un espace connexe X (ayant le type d’homotopie d’un CW-complexe pointé) a le
type d’homotopie d’un espace de lacets doubles si X est un espace sur l’opérade des petits
carrés.
De la même manière, on peut définir l’opérade des k petits cubes Ck, où Ck(n) est l’espace des
configurations de n cubes de dimension k dans le cube unité Ik. On peut montrer un théorème
analogue : un espace connexe X a le type d’homotopie d’un espace de lacets k fois itéré ΩkY
si X est un espace sur l’opérade Ck.
2.3. Des opérades topologiques aux opérades algébriques. Le lien entre les opérades
topologiques et les opérades algébriques se fait de la manière suivante : si O=(O(n))n  1 est une
opérade topologique, alors les chaînes singulières sur cette opérade forme une opérade dans la
catégorie des espaces vectoriels différentiels gradués et l’homologie du complexe obtenu,
noté H*(O)=(H*(O(n)))n  1 est une opérade dans la catégorie des espaces vectoriels gradués. Si
X est un O-espace, alors H*(X) est une H*(O)-algèbre. Par exemple, si X est un A-espace
alors X est une algèbre sur l’opérade H*(K) qui n’est rien d’autre que la version non
symétrique de l’opérade As, donc H*(X) est une algèbre associative. Par ailleurs, dans le cadre
de l’opérade des associaèdres, qui est constituée de complexes cellulaires et telle que les
opérations  i sont des applications cellulaires, le complexe de chaînes cellulaires
(CC*(Kn))n  1 forme aussi une opérade dans la catégorie des espaces vectoriels différentiels
gradués.
10
3. Opérades algébriques, présentation, exemples.
3.1. Exemples. Un type d’algèbre est donné par ses opérations et les relations satisfaites par
ses opérations. Voici quelques exemples classiques :
Algèbres associatives As. On se donne une opération (appelée produit) : (a,b)  ab
satisfaisant la relation d’associativité :
(ab)c = a(bc).
Algèbres commutatives Com. On se donne une opération (appelée produit) : (a,b)  ab
satisfaisant l’associativité et la commutativité :
ab = ba.
Algèbres de Lie Lie. On se donne une opération (appelée crochet) : (a,b)  [a,b] satisfaisant
la relation d’antisymétrie :
[a,b] = - [b,a],
et la relation de Jacobi :
[[a,b],c] + [[b,c],a] + [[c,a],b]=0.
Algèbres de Poisson Pois. On se donne une opération produit : (a,b)  ab associative et
commutative, une opération crochet : (a,b)  [a,b] antisymétrique et satisfaisant la relation
de Jacobi, et de plus on suppose la relation de dérivation :
[ab,c] = a[b,c] + [a,c]b.
Algèbres de Leibniz Leib. On se donne une opération : (a,b)  [a,b] appelée crochet mais
qu’on ne suppose pas antisymétrique. Par contre on suppose qu’elle satisfait à la relation de
Leibniz :
[[a,b],c] =[[a,c], b] + [a,[b,c]].
Algèbres de Zinbiel Zinb. On se donne une opération produit : (a,b)  ab satisfaisant la
relation de Zinbiel :
(ab)c = a(bc) + a(cb).
Tous ces types d’algèbres ont de nombreux liens entre eux. Il est clair que les algèbres
commutatives sont aussi des algèbres associatives, de même les algèbres de Lie sont des
algèbres de Leibniz, car, en utilisant l’antisymétrie du crochet, on peut ré-écrire la formule de
Jacobi sous la forme Leibniz. D’autre part, il est bien connu qu’une algèbre associative donne
une algèbre de Lie en posant [a,b] = ab – ba. De même une algèbre de Zinbiel donne une
algèbre commutative en posant ab = ab + ba. On a ainsi le diagramme suivant de catégories
d’algèbres :
Zinb  Com  As  Lie  Leib.
Algèbres pré-Lie prelie. On se donne une opération binaire: (a,b)  ab satisfaisant la relation
suivante :
(ab)c – a(bc) = (ac)b – a(cb).
11
On montre facilement que l’antisymétrisation de cette opération, [a,b] := ab – ba, est un
crochet de Lie. L’algèbre pré-Lie libre sur un générateur peut se décrire en termes d’arbres.
Elle est très intéressante car son algèbre de Lie associée est étroitement liée à l’algèbre de
Hopf construite par A. Connes et D. Kreimer dans leur théorie de la renormalisation (cf.
Chapoton-Livernet).
3-algèbres totalement associatives 3-tAs. On se donne une opération ternaire (a,b,c)  (abc)
dont on suppose qu’elle satisfait aux relations suivantes :
((abc)de) = (a(bcd)e) = (ab(cde)).
Triples de Jordan 3-Jord. On se donne une opération ternaire, appelé triple de Jordan, (a,b,c)
 {abc} dont on suppose qu’elle satisfait aux relations suivantes :
{abc} = {cba}
{ab{cde}} + {c{bad}e} = {{abc}de} +{cd{abe}}.
Cette structure est reliée aux algèbres de Jordan par la formule suivante. Si * désigne le
produit dans une algèbre de Jordan, alors l’opération ternaire
{abc} := a*(b*c) – b*(c*a) + c*(a*b)
est un triple de Jordan.
L’analogue de la construction classique qui associe une algèbre de Lie à une algèbre
associative, consiste ici à associer un triple de Jordan à une 3-algèbre totalement associative
par la formule de symétrisation :
{abc} = (abc) + (cba).
Exercice. Soit X le type des algèbres ayant une opération commutative (non nécessairement
associative) (a,b)  ab et une opération antisymétrique (a,b)  [a,b] satisfaisant les relations
suivantes :
[ab,c] = a[b,c] + [a,c]b,
(ab)c – a(bc) = [b,[a,c]].
Montrer que X= As.
3.2. Présentation d’une opérade. Dans chacun des exemples ci-dessus, on peut décrire
l’algèbre libre et donc l’opérade associée. Mais il y a un procédé plus systématique pour
construire l’opérade à partir des opérations génératrices et des relations. Ce procédé est
analogue à la construction d’un groupe défini par générateurs et relations, comme quotient
d’un groupe libre. On a donc besoin ici de la notion d’opérade libre.
Opérade libre. Soit E : Vect  Vect un foncteur de la catégorie des espaces vectoriels dans
elle-même. L’opérade libre sur E, notée T(E), est caractérisée par la propriété universelle
suivante : pour toute opérade P, toute transformation naturelle de foncteurs E  P admet un
unique prolongement en morphisme d’opérades T(E)  P. On peut montrer l’existence de
cette opérade libre.
12
S-modules. La plupart des foncteurs E : Vect  Vect provenant des types d’algèbres se
présente sous la forme suivante :
E(V) = n≥1 E(n) SnV n
où E(n) est un Sn-module. La famille E = (E(n))n≥1 est appelée un S-module (on trouve aussi
dans la littérature les terminologies « collection » et « espèces »). Dans ce cas l’opérade libre
T(E) peut être décrite explicitement à l’aide de la notion combinatoire d’arbres.
Cas d’un S2-module. Considérons le cas particulier où E(n) est nul pour tout n sauf pour n=2
où l’on pose E = E(2). On note (m1, …, mk) une base de l’espace vectoriel E.
Pour n=1 on a T(E)(1) = K, le générateur étant l’opération identité.
Pour n=2 on a T(E)(2) = E en tant que S2 –module.
Pour n=3 on a T(E)(3) = 3 EE (somme directe de trois copies de EE. En effet les
opérations à trois variables x, y, z, que l’on peut faire en n’utilisant que des opérations à deux
variables sont de trois sortes suivant le choix des deux premières variables que l’on apparie:
mj(mi(x,y),z), mj(mi(y,z),x) ou mj(mi(z,x),y).
Toute opération sur trois variables est une combinaison linéaire de celles-ci. Observons que
l’on a une action du groupe symétrique S sur 3 EE. En effet, pour une opération donnée sur
trois variables (définie à l’aide de mj et mi) une symétrie sur les variables d’entrée x, y, z, la
transforme en une autre opération à trois variables faisant intervenir mi et mj et/ou leur
symétrisée par le générateur de S. On voit ainsi apparaître naturellement les arbres binaires
(chaque sommet a une racine et deux feuilles), où chaque sommet est décoré par un élément
de E. L’espace T(E)(n) admet une description analogue à partir des arbres binaires à n feuilles
et de En.
Exercice. Si E=K[S2] muni de sa structure naturelle de S2-module à droite (représentation
régulière), montrer que l’on a un isomorphisme de S3-modules :
T(E)(3)  K[S3]  K[S3].
Définition. Soit P= (P,,) une opérade. Un idéal de P est un sous-objet J de P tel que l’image
par  de JoP et de PoJ est encore dans P. Il est facile de vérifier que P/J est encore une opérade
que l’on appelle l’opérade quotient de P par J.
Opérade définie par générateurs et relations. Soit E : Vect  Vect le foncteur défini par le
S-module (E(n))n≥1. Les générateurs linéaires de E(n) seront appelés les opérations
génératrices. On considère une famille R de sous-espaces invariants Rn  T(E)(n). Soit (R)
l’idéal (opéradique) engendré par R dans l’opérade libre T(E). L’opérade quotient P(E,R) :=
T(E)/(R) est appelée l’opérade engendrée par E et soumise aux relations R.
Opérade (binaire) quadratique. Si l'espace des relations R est un sous-espace de T(E) ne
faisant intervenir que des opérations composées de deux opérations de E, alors l'opérade
P(E,R) est dite quadratique. Par exemple si E(n)=0 sauf pour n=2 où E(2)=E (opérade
binaire), alors l'opérade est quadratique si l'espace des relations R est un sous-S3-module de
T(E)(3) = 3 EE. Plus généralement si E(n)=0 sauf pour n=k fixé (opérade k-aire), alors
13
l'opérade est quadratique si l'espace des relations R est un sous S2k-1-module de T(E)(2k-1).
Donc dans le cas binaire quadratique les algèbres A sont déterminées par une famille
d’opérations binaires mi : AA  A, satisfaisant, éventuellement, à certaines propriétés de
symétrie, et satisfaisant à une famille de relations du type :
( aijmj(mi(x,y),z) + bijmj(mi(x,z),y)+ cij aijmj(mi(y,z),x) )= 0,
où les aij, bij, cij sont des scalaires.
En effet les opérations mi sont des générateurs linéaires du S2-module E. Les relations
proviennent d’une famille de générateurs (appelés parfois relateurs) du sous- S3-module R de
T(E)(3) = 3 EE.
Observons que les opérades ainsi définies ne codent que les types d’algèbres dont les relations
sont multilinéaires. Ce n’est pas le cas, par exemple, des algèbres de Jordan, ni des algèbres
de Lie p-restreintes. Pour les algèbres de Jordan on les remplace par les triples de Jordan.
Pour les algèbres de Lie p-restreintes et pour les algèbres à puissances divisées, il existe un
avatar de la théorie décrite ici qui consiste à tenir compte de la différence, en caractéristique
p, entre les invariants et les coinvariants pour le groupe symétrique (B. Fresse).
3.3. Dualité de Koszul des opérades. La dualité de Koszul des algèbres associatives est une
théorie qui associe à toute algèbre quadratique A une algèbre duale notée A! et un complexe
de chaînes (A!*  A, d) appelé complexe de Koszul de A. Lorsque ce complexe est acyclique,
c’est-à-dire que son homologie est triviale, l’algèbre A est dite de Koszul et possède de très
nombreuses propriétés intéressantes. En particulier on a le résultat suivant, dont on va voir
qu’il se généralise aux opérades.
Théorème. Soit A une algèbre sur un corps de caractéristique zéro. Les assertions suivantes
sont équivalentes :
(a) le complexe de Koszul de A est acyclique,
(b) la bar-construction sur la cogèbre A!* est le modèle minimal de A.
V. Ginzburg et M. Kapranov ont construit une théorie de la dualité de Koszul pour les
opérades binaires quadratiques. Le principe général consiste à remplacer, dans la théorie
précédente, les espaces vectoriels par les endofoncteurs de Vect, le produit tensoriel d’espaces
vectoriels par la composition de foncteurs. D’après la définition 1 une opérade est un monoide
dans la catégorie des endofoncteurs de Vect, de même qu’une algèbre associative est un
monoide dans la catégorie des espaces vectoriels. On peut alors, avec quelques astuces,
transposer la théorie de la dualité de Koszul.
L’hypothèse « binaire » n’est pas nécessaire, mais nous allons exposer brièvement cette
théorie dans le cas binaire quadratique pour plus de simplicité.
Soit P=P(E,R) une opérade binaire quadratique, où E est un S2-module et R un sous-S3module de 3 EE. Pour tout Sn-module V on note V le Sn-module V*(sgnn) où V* est le
dual linéaire de V et sgnn est la représentation signature du groupe symétrique. Par définition
la duale de Koszul de l’opérade P est l’opérade P! := P(E, R) où R est le sous-S3-module
de T(E)(3)= 3 EE suivant. La duale linéaire de l’inclusion R  T(E)(3) est l’application
R  T(E)(3). On identifie T(E)(3) à T(E)(3) et on pose
R := Ker (T(E)(3)  R ).
14
On peut démontrer, comme dans le cas des algèbres associatives, qu’il existe une
différentielle sur P!oP. Autrement dit pour tout espace vectoriel V il existe une application
linéaire, fonctorielle en V, d : P!oP(V)  P!oP(V) telle que d2 =0. Comme les foncteurs
P! et P sont gradués et que d est de degré global –1 on obtient un complexe de chaînes appelé
le complexe de Koszul de l’opérade P. Plus généralement, on peut montrer qu’il existe, pour
toute P-algèbre A, un complexe de chaînes (P!(A), d). Si A est la P-algèbre libre P(V) on
obtient le complexe de Koszul ci-dessus.
Si le complexe de Koszul de P est acyclique, on dit que l’opérade P est de Koszul. On peut
montrer que (P ! )! =P et que P est de Koszul si et seulement si P ! est de Koszul.
À toute catégorie de P-algèbres on peut associer une théorie d’homologie HP* et une théorie
de cohomologie H*P par la méthode de Quillen des foncteurs dérivés simpliciaux. Cette
méthode nécessite des choix (de résolutions) et donne des «gros » complexes de chaînes. Il est
toujours très intéressant, en particulier pour les calculs, de disposer d’un « petit » complexe
aussi explicite que possible. L’un des avantages de la dualité de Koszul des opérades est de
fournir un tel complexe pour calculer la (co)homologie d’une P-algèbre lorsque l’opérade est
de Koszul.
Théorème. Soit K un corps de caractéristique 0. Si l’opérade quadratique P est de Koszul,
alors pour toute P-algèbre A on a des isomorphismes
HP* (A) = H* (P!(A), d) et H*P (A) = H* (Hom (P!(A), K), d) .
Corollaire. Les groupes de cohomologie H*P (A) possèdent une structure de P!-algèbre
graduée.
Ces théorèmes unifient des résultats connus pour les théories classiques, et fournissent des
résultats nouveaux dans beaucoup d’autres cas.
Exemples. As. On a As! = As c’est-à-dire que l’opérade des algèbres associatives est autoduale. Le « petit » complexe de chaînes donné par la dualité de Koszul des opérades est le
complexe de Hochschild.
Com. On a Com! = Lie c’est-à-dire que l’opérade des algèbres commutatives a pour duale
l’opérade des algèbres de Lie. Le « petit » complexe de chaînes donné par la dualité de
Koszul des opérades est le complexe de Harrison.
Lie. On a Lie! = Com. Le « petit » complexe de chaînes donné par la dualité de Koszul des
opérades est le complexe de Chevalley-Eilenberg.
Leib. On a Leib! = Zinb, et évidemment Zinb! = Leib. Comme on connaît l’algèbre Zinbiel
libre on peut en déduire le petit complexe de chaînes qui calcule l’homologie d’une algèbre de
Leibniz (dû à J.-L. Loday).
Pois. On a Pois! = Pois c’est-à-dire que l’opérade des algèbres de Poisson est auto-duale. Le
« petit » complexe de chaînes donné par la dualité de Koszul des opérades peut se décrire
comme le complexe total d’un bicomplexe faisant intervenir à la fois le complexe de Harrison
et le complexe de Chevalley-Eilenberg (dû à B. Fresse).
15
3.4. Algèbres à homotopie près. Voici un problème dont la solution est une application de la
dualité de Koszul des opérades. On suppose que l’on a un complexe de chaînes (C *,d) dont
l’homologie est munie d’une structure de P-algèbre pour une certaine opérade P. Quelle type
de structure algébrique sur C* induisant la structure de P-algèbre sur l’homologie de ce
complexe de chaînes peut-on espérer ? En général on peut remonter les opérations aux
chaînes, mais les relations ne sont le plus souvent vérifiées qu’à l’addition d’un bord près. On
voudrait formaliser ces relations « à homotopie près ».
La solution consiste à rechercher le « modèle minimal » de l’opérade P. Ce modèle minimal
P est une opérade différentielle graduée caractérisée de manière unique par plusieurs
conditions. Elle doit être libre en tant qu’opérade, la différentielle doit vérifier une certaine
propriété de quadraticité et de plus il existe un morphisme d’opérades P  P qui réalise un
isomorphisme en homologie. Or il se trouve que si l’opérade est de Koszul alors ce modèle
minimal peut se calculer explicitement à l’aide de l’opérade duale P!. Plus précisément on a le
résultat suivant.
Rappelons que la bar-construction classique permet d’associer à une cogèbre une algèbre
différentielle graduée qui est libre en tant qu’algèbre graduée, et dont la différentielle est
construite à partir de la structure de cogèbre. Cette construction peut être étendue au contexte
des opérades.
Théorème. Soit K un corps de caractéristique 0. Soit P une opérade et soit (B(P !), d) la barconstruction sur la coopérade P!  associée à l’opérade duale P!. Si l’opérade P est de Koszul,
alors (B(P!), d) est le modèle minimal de P.
Définition. Si P est une opérade de Koszul, une P-algèbre à homotopie près est une algèbre
différentielle graduée sur l’opérade (B(P!), d). Remarquons que toute P-algèbre est une Palgèbre à homotopie près. Un morphisme à homotopie près entre deux P-algèbres (ou deux Palgèbres à homotopie près) est un morphisme de B(P!)-algèbres.
Ces résultats résolvent en général le problème évoqué ci-dessus, en ce sens que le complexe
de chaînes est une P-algèbre à homotopie près.
Exemples. As. On a As! = As, et l’opérade A=(B(As),d) est assez facile à déterminer. Une
algèbre associative à homotopie près (appelée aussi A–algèbre) A admet une opération
génératrice n-aire pour tout n≥1 (A n’est donc pas une opérade binaire). Ces opérations,
notées mn, sont soumises aux relations suivantes, pour tout n
miomj = 0, i+j = n .
Ici on a étendu l’opération mn, a priori définie sur An, à Ap pour tout p>n par la formule
suivante
mn(a1…ap) =   ± a1 … ai-1mn(ai … ai+n-1)  … ap.
i
Observons que m1 est la différentielle et que m2 est la relevée du produit associatif. La
relation d’associativité n’est maintenant plus valable, mais est remplacée par la relation
16
m2o(id  m2) - m2o(m2 id) = m1om3 – m3om1 ,
c’est l’associativité à homotopie près. D’après ce qui a été vu dans la partie précédente, on
peut montrer qu’une algèbre associative à homotopie près n’est rien d’autre qu’une algèbre
sur le complexe cellulaire de l’opérade des associaèdres.
Lie. Une algèbre de Lie à homotopie près (appelée aussi L–algèbre) admet une présentation
un peu analogue à celle des A–algèbres (mais avec des conditions de symétrie comme on
peut s’en douter). Un morphisme L entre deux algèbres de Lie ou deux L–algèbres est un
morphisme d’algèbres de Lie à homotopie près. Nous allons voir dans les applications au
théorème de formalité de Kontsevich l’importance de tels morphismes.
17
4. Applications.
Une partie des applications présentées ici illustre l’importance des P-algèbres à homotopie
près ou plus précisément des résolutions d’opérades. Par définition une résolution de
l’opérade algébrique P est une opérade Q dans la catégorie des espaces vectoriels différentiels
gradués munie d’un morphisme d’opérades Q  P tel que pour tout n  1, l’application Q(n)
 P(n) soit surjective et réalise un isomorphisme en homologie H*(Q(n))  P(n). On
demande souvent que l’opérade Q soit « cofibrante » (au sens des catégories modèles
fermées) : en caractéristique 0, cela revient à demander que Q soit libre en tant qu’opérade
graduée et en caractéristique p qu’elle vérifie de plus que pour tout n  1, le Sn-module Q(n)
soit projectif. On a vu précédemment que si le corps K est de caractéristique 0 et si l’opérade
P est de Koszul, une telle résolution existe et même il en existe une minimale.
4.1. La conjecture de Deligne. P. Deligne a formulé la conjecture suivante dont le but est de
préciser la relation entre l’opérade des petits carrés C2 et le complexe de Hochschild C*(R;R)
d’un anneau R: existe-t-il une opérade O dans la catégorie des espaces différentiels gradués
telle que C*(R;R) soit une O-algèbre et telle que O soit une résolution de l’opérade S*(C2) des
chaînes singulières sur C2? Observons que l’opérade S*(C2) ne répond pas à la question de
Deligne parce qu’elle n’est pas cofibrante.
La conjecture de Deligne a été démontrée par plusieurs auteurs qui ont donné différentes
solutions. Nous allons esquisser deux d’entre elles.
Revenons à l’opérade des petits carrés C2. Son homologie est l’opérade algébrique binaire
quadratique engendrée par H*(C2(2)). Or C2(2) est l’espace des configurations de deux carrés
dans le carré unité qui est homéomorphe au cercle S1. Ainsi son homologie est de dimension 2
avec un générateur en degré 0 et un générateur en degré 1. En particulier un espace vectoriel
gradué A est une algèbre sur l’homologie de C2 s’il est muni de deux opérations, un produit
commutatif gradué de degré 0: (a,b)  ab et un crochet antisymétrique gradué de degré 1:
(a,b)  [a,b]. En étudiant plus précisément l’opérade topologique C2, on montre que le
produit est associatif, que le crochet vérifie la relation de Jacobi graduée et que ces deux
opérations vérifient la relation de dérivation graduée
[a,bc] = [a,b]c+(-1)(|a|+1)|b| b[a,c].
Une telle algèbre est appelée algèbre de Gerstenhaber et l’opérade algébrique associée, c’est
à-dire H*(C2), est notée Gers. Cette dénomination est due aux travaux datant des années 60 de
M. Gerstenhaber qui a montré que la cohomologie de Hochschild d’un anneau à coefficients
dans lui-même possède une telle structure. Plus précisément, soit R un anneau. Le complexe
de Hochschild C*(R;R)= pCp(R;R) a pour cochaînes les applications linéaires x de Rp dans
R et est muni d’une différentielle b : Cp(R;R)  Cp+1(R;R), i.e. satisfaisant b2=0, définie par
(bx)(r1…rp+1)=
r1x(r2…rp+1)+
p

(-1)i x(r1…ri ri+1…rp+1)+(-1)p+1x(r1…rp)rp+1.
i 1
La cohomologie de Hochschild de R, notée H*(R;R), est définie par Hp(R;R)=Ker b/Im b.
18
Il existe un produit sur C*(R;R), appelé cup-produit : pour tout x dans Cp(R;R) et tout y dans
Cq(R;R), xy est dans Cp+q(R;R) et vaut
(xy)(r1…rp+q) = x(r1…rp)y(rp+1…rp+q).
Ce produit est clairement associatif mais n’est pas commutatif. Il vérifie également la relation
b(xy)=(bx)y+(-1)p xby, ce qui implique qu’il définit un cup-produit sur H*(R;R). On dit
alors que ce produit « passe » à la cohomologie.
Gerstenhaber définit également des opérations
 k : Cp(R;R)  Cq(R;R)  Cp+q-1(R;R)
par (x  ky)(r1…rp+q-1) = x(r1…rk-1y(rk…rk+q-1)…rp+q-1). Alors l’opération
xy =
p

(-1)i(q-1) x  ky
i 1
munit C*+1(R;R) d’une structure d’algèbre pré-Lie graduée, et donc d’une structure d’algèbre
de Lie graduée grâce à l’antisymétrisation : [x,y]= x  y-(-1)(|x|+1)(|y|+1) y  x. Le crochet de Lie
passe à la cohomologie (ce qui n’est pas le cas pour le produit «  »). Ainsi la cohomologie
de Hochschild d’un anneau est munie de deux opérations, un cup-produit associatif et un
crochet de Lie. En fait, Gerstenhaber montre la formule suivante : pour x dans Cp(R;R) et y
dans Cq(R;R), on a
(-1)q-1 (yx - (-1)pq xy) = x  by - b(x  y) + (-1)q-1 bx  y
ce qui implique que le cup-produit devient commutatif en cohomologie. Une formule
analogue montre que le crochet satisfait la relation de dérivation par rapport au cup-produit en
cohomologie (à un bord près au niveau du complexe de Hochschild). Ainsi la cohomologie de
Hochschild d’un anneau R à coefficients dans lui-même est une algèbre de Gerstenhaber.
On peut montrer que l’opérade Gers est de Koszul. On peut donc construire l’opérade G  ,
modèle minimal de l’opérade Gers, définissant les algèbres de Gerstenhaber à homotopie
près, dont on montre qu’elle est une solution à la conjecture de Deligne.
Une autre opérade répond à la question, elle est notée hG et est communément appelée
opérade des «braces» et «cup». On la décrit en termes de générateurs et relations. Les
générateurs sont le cup-produit de degré 0 dans hG(2) et les opérations braces, brn de degré
1-n, dans hG(n) pour tout n  2. De plus elle agit de la manière suivante sur C*(R;R) : pour
tout i allant de 1 à n et tout xi dans Cli et tout a1,…,ar avec r = li-(n-1) on définit
brn (x1…xn)(a1…ar)
comme la somme de toutes les insertions ordonnées possibles de x2,…,xn dans x1. Voici le
terme générique d’une telle insertion
 x1(a1,…,a i1 , x2(a i1 +1, …,a i1 + j1 ), a i1 + j1 +1,…., a i1 + j1 + i2 ,x3(..),…ak,…,xn(…),…,ar).
Ainsi br2(xy)= x  y mesure le défaut à la commutativité du cup-produit. On montre que
cette opérade hG répond positivement à la conjecture de Deligne.
19
On pourra se reporter au livre de Markl, Schnider et Stasheff pour de plus amples détails ainsi
que pour une bibliographie sur le sujet.
4.2. Le théorème de formalité de Kontsevich. Soit (A,·) une algèbre associative. Une
déformation du produit · de A est une application  définie par
a  b = a·b +


Bi(a,b) ti
i 1
dans l’anneau des séries formelles A[[t]], où les Bi sont des applications bilinéaires à valeurs
dans A et telle que l’application  est associative.
Exercice. Montrer que si (A,·) est une algèbre commutative, alors le crochet défini par
{a,b}=B1(a,b)-B1(b,a) munit (A,·,{-,-}) d’une structure d’algèbre de Poisson.
Un crochet {-,-} tel que (A,·,{-,-}) est une algèbre de Poisson est appelé crochet de Poisson.
Ainsi toute déformation d’une algèbre commutative A induit un crochet de Poisson sur A. Le
théorème de formalité de Kontsevich est en quelque sorte la réciproque à cette proposition :
Théorème. Si A est l’algèbre commutative des fonctions indéfiniment dérivables sur une
variété différentiable X, A= C(X), alors tout crochet de Poisson sur A provient d’une
déformation de la multiplication.
Pour démontrer ce théorème, on utilise les algèbres de Lie. Il existe une algèbre de Lie
différentielle graduée qui contrôle les déformations d’une algèbre associative A : c’est le
complexe de Hochschild C*+1(A;A) muni de la différentielle de Hochschild b et du crochet de
Gerstenhaber [-,-]G, définis dans le paragraphe précédent. Si A= C(X), on note cette algèbre
de Lie (Dpoly(X),b,[-,-]G). On rappelle de plus que cette algèbre de Lie est dotée d’un produit,
le cup-produit qui est associatif mais n’est pas commutatif. En revanche on a vu dans la partie
précédente que l’algèbre (H*(Dpoly(X)),,[-,-]G) est une algèbre de Gerstenhaber. Par ailleurs,
il existe une algèbre de Lie différentielle graduée qui contrôle les crochets de Poisson sur
C(X) : c’est l’espace des champs de vecteurs multiples sur X, noté Tpoly(X). Un élément de
Tpoly(X) est un produit de la forme f ξ1  ξ2    ξn où f appartient à C(X) et les ξi sont
des champs de vecteurs. Cet espace est muni d’une structure d’algèbre de Lie graduée induite
par la structure de Lie sur les champs de vecteurs d’une variété différentiable. Plus
précisément, on a un crochet, appelé crochet de Schouten et noté [-,-]S, qui est C(X)bilinéaire et qui est défini par récurrence sur n par la formule
[α , β  γ]S = [α , β]S  γ + (-1)||(||+1) β  [α , γ]S.
Ainsi (Tpoly(X),d=0,[-,-]S) est une algèbre de Lie différentielle graduée. De plus, grâce à la
formule ci-dessus le produit commutatif  munit Tpoly(X) d’une structure d’algèbre de
Gerstenhaber. Le théorème de formalité de Kontsevich relie les deux algèbres de Lie
différentielles graduées Dpoly(X) et Tpoly(X). Tout d’abord il existe un théorème de
Hochschild, Kostant et Rosenberg affirmant qu’il existe un morphisme Tpoly(X)  Dpoly(X)
qui réalise un isomorphisme en homologie. Malheureusement ce morphisme n’est pas un
morphisme d’algèbres de Lie et ne peut en aucun cas démontrer le théorème de formalité. M.
Kontsevich a construit explicitement un morphisme L entre les algèbres de Lie Tpoly(X) et
Dpoly(X) qui induit un isomorphisme en homologie, et a démontré ainsi le théorème de
formalité. Il s’avère que D. Tamarkin a une démonstration plus théorique de ce résultat,
20
utilisant la théorie des opérades et une partie de la démonstration de la conjecture de Deligne.
En effet, non seulement le théorème de formalité relie deux algèbres de Lie, mais en plus il
relie deux algèbres associatives, l’une commutative (Tpoly(X),  ), l’autre non commutative
(Dpoly(X)),). D’après la conjecture de Deligne et l’une de ses démonstrations, Dpoly(X) est
une G- algèbre. De plus Tpoly(X) est une algèbre de Gerstenhaber donc a fortiori une Galgèbre. Si X=Rn, D. Tamarkin a montré qu’il existait un morphisme G entre ces deux Galgèbres qui induit un isomorphisme en homologie. A fortiori, ce morphisme est un
morphisme L et donc il démontre le théorème de formalité.
4.3. E-opérades. Dans la catégorie des espaces topologiques, une E-opérade est une
opérade topologique O telle que le groupe symétrique Sn agit librement sur O(n) et telle que
l’espace topologique O(n) soit contractile pour tout n. Un E-espace Y est un espace sur une
telle opérade. Un espace de lacets infinis Y est un espace topologique pour lequel il existe des
espaces Xk pour k≥0, tel que Y=X0 et Xk =ΩXk+1 pour tout entier positif k. Il existe également
un principe de reconnaissance pour les espaces de lacets infinis : un espace topologique
connexe pointé Y a le type d’homotopie d’un espace de lacets infinis si c’est un E-espace.
Un tel principe de reconnaissance est amplement utilisé en topologie algébrique pour
reconnaître des espaces de lacets infinis. Dans la pratique, pour un espace donné, le problème
consiste à trouver l’opérade E ad hoc.
Dans la catégorie des espaces vectoriels différentiels gradués, on a une notion équivalente :
une E-opérade P est une résolution de l’opérade Com telle que pour tout n, le Sn-module
P(n) soit projectif. A priori, on ne demande pas que l’opérade P soit cofibrante, c’est-à-dire
qu’elle soit libre en tant qu’opérade graduée. Lorsque le corps est de caractéristique 0, une
telle résolution est donnée, par exemple, par le modèle minimal de Com, construit en prenant
la bar construction de la coopérade Lie. Les topologues algébristes s’intéressent beaucoup
soit à la structure de la cohomologie d’un espace X à coefficients dans un corps K, notée
H*(X ;K), qui est une algèbre commutative, soit à la structure des cochaînes singulières à
coefficients dans K, notées C*(X;K). Par exemple si K est le corps des rationnels, la théorie de
l’homotopie rationnelle donne une équivalence entre le type d’homotopie rationnel d’un
espace et une algèbre différentielle graduée commutative. Cette équivalence n’est plus valable
si K est le corps Fp à p éléments. La notion d’algèbre commutative ne suffit plus, il faut la
remplacer par la notion de E-algèbre, c’est-à-dire d’algèbre sur une E-opérade. Plus
précisément, M. Mandell établit que le type d’homotopie p-adique d’un espace topologique X
est entièrement déterminé par la structure de E-algèbre sur C*(X ; Fp ) où Fp est la clôture
algébrique de Fp. Ce théorème a fortement motivé l’étude des E-opérades, plus
particulièrement l’étude de leur combinatoire. La topologie algébrique s’intéresse également à
des problèmes de réalisabilité, à savoir, étant donné une Fp-algèbre commutative A, existe-t-il
un espace topologique X, tel que A= H*(X;Fp) ? Il faut alors que l’algèbre commutative soit
une E-algèbre. Dans le but de faire des calculs explicites le problème est de construire des
E-opérades pour lesquelles la combinatoire est simple et bien comprise. Par exemple Berger
et Fresse construisent une telle opérade E qui, de plus, est munie d’une filtration F1E  F2E 
…  FnE  … E telle que F1E =As et F2E est une opérade répondant positivement à la
conjecture de Deligne.
4.4. Opérades et combinatoire. En combinatoire classique on a souvent affaire à des
identités entre polynômes et/ou séries entières
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f(x) =

an xn .
n
Ceci signifie qu’on est en train de travailler dans le cadre des algèbres associatives (et même
souvent commutatives). Si l’on change d’opérade, on a encore des séries, mais elles ne sont
plus forcément indexées par des entiers comme nous allons le voir.
Soit P une opérade. Pour simplifier nous allons supposer qu’elle est non symétrique de la
forme P(n)=PnK[Sn] où la structure de Sn-module de P(n) provient de la représentation
régulière K[Sn]. Sous cette hypothèse P est entièrement déterminée par l’algèbre libre sur un
générateur qui est P(K) := n Pn . Pour les séries on est amené à travailler avec la complétion
de P(K), c’est à dire P(K)^ := nPn . Tout élément de Pn a un double rôle : d’une part c’est un
élément d’une P-algèbre, en l’occurrence la P-algèbre libre sur un générateur x ; d’autre part,
il peut être vu comme une opération n-aire pour les P-algèbres. Si l’on note t cette opération,
l’élément de P(K) qui lui correspond est l’image de (x, … , x) par t. On le note x t . On utilise
cette ubiquité des éléments de Pn de la manière suivante. Soit Tn un sous-ensemble de
l’espace Pn formant une base de ce dernier (que l’on suppose de dimension finie). On pose T
= n≥1 Tn. On considère les séries du type :
f(x) =  t at xt.
On peut construire une composition f o g sur l’espace de ces séries par la formule:
f o g (x) =  t at (g(x))t.
L’expression (g(x))t signifie que l’on a appliqué l’opération t Pn au n-uplet (g(x), … , g(x)),
où g(x)P(K)^ . Supposons que l’espace T1 soit engendré par l’opération identité, notée id.
Si l’on se restreint aux séries sans terme constant et telles que aid = 1, alors celles-ci forment
un groupe pour la composition.
En physique théorique certains « groupes de renormalisation » sont construits de cette façon.
Dans l’exemple P= As on a Pn =K, il n’y a donc qu’une opération n-aire (à multiplication par
les scalaires près). On obtient alors les séries entières classiques.
Voici un exemple plus original : les algèbres magmatiques. Elles n’ont qu’une opération
génératrice (binaire) et pas de relations. Pour l’opérade associée, notée Mag, l’espace des
opérations n-aires est engendré linéairement par les arbres binaires planaires à n feuilles.
Parmi les séries magmatiques il y en a une particulière, notée exp2(x)=  t a(t) xt, dont les
coefficients sont définis par la relation de récurrence :
a(t) = (1/(2n – 2)) a(r) a(s)
et a(id) = 1,
lorsque t est le greffé des arbres r et s. Ainsi on a
exp2(x)=1 + x + (1/2 !) x2 + (1/3 !)(1/2)(x2x + xx2) +
(1/4 !)(1/7)((x2x)x + (xx2)x + x(x2x) + x(xx2) + 3x2x2) + … .
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Proposition. (Drensky-Gerritzen) exp2(x)  exp2(x) = exp2(2x).
L’algèbre magmatique libre sur l’espace vectoriel V possède une comultiplication

 : Mag(V)  Mag(V)  Mag (V) .
On peut donc définir, comme dans le cas des algèbres de Hopf, l’espace des éléments
primitifs :
Prim Mag(V) := {x Mag(V)  (x) = x  1 + 1  x}.
En fait Prim Mag est une certaine opérade dont Prim Mag(V) est l’algèbre libre sur V. C’est
encore un problème ouvert que de décrire cette opérade à l’aide d’opérations génératrices et
de relations. L’importance de ce problème vient de la formule suivante. Si x et y sont des
éléments de V, alors exp2(x)exp2(y) n’est pas égale à exp2(x+y), mais on peut trouver des
éléments primitifs (homogènes de degré n) Hn(x,y) tels que
exp2(x)exp2(y) = exp2(x + y + H2(x,y) + … ).
C’est une sorte de formule de Campbell-Hausdorff non-associative (Holtkamp-Gerritzen).
23
5. Props
Les opérades gèrent les « opérations » et les coopérades gèrent les « coopérations ». Or
certaines structures algébriques, comme les algèbres de Hopf par exemple, possèdent à la fois
des opérations et des coopérations. On doit alors introduire une nouvelle notion qui mélange
opérades et coopérades. Elle a été appelée « PROP » par Saunders MacLane (acronyme
anglais pour PROduct et Permutation).
Par définition un prop est la donnée pour tout n≥1 et m≥1 d’un espace vectoriel P(n,m) muni
d’une action à gauche de Sn et d’une action à droite de Sm compatibles. De plus on se donne
des morphismes de composition
 : P(n1, m1)  …  P(nk, mk)  P(p1, q1)  …  P(pl, ql)  P(n1+… + nk , q1+ … + ql)
lorsque m1+… + mk = p1+ … + pl. On suppose que les morphismes de composition sont
compatibles avec les actions du groupe symétrique et satisfont à une condition d’associativité
analogue à celle des opérades. Plutôt que de décrire formellement ces conditions nous allons
en donner le principe. Regardons un élément de P(n,m) comme une transformation à n entrées
et m sorties :
…
n entrées
…
m sorties
La composition  n’est rien d’autre que la composition de ces transformations :
On obtient alors une opération à n1+… + nk entrées et q1+ … + ql sorties. Les actions du
groupe symétrique correspondent aux actions sur les entrées et sur les sorties. L’associativité
s’écrit en effectuant de deux manières différentes la composition d’un diagramme à trois
niveaux.
Par définition une algèbre sur un prop P est la donnée d’un espace vectoriel A et
d’homomorphismes :
P(n,m)  An  Am
compatibles avec les actions du groupe symétrique et avec la composition dans P.
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Les opérades sont des props particuliers pour lesquels P(n,m) =0 pour m≠1. Les coopérades
sont des props particuliers pour lesquels P(n,m) =0 pour n≠1.
Exemple. Le prop dont les algèbres sont les bigèbres est engendré par une opération
associative  et une coopération co-associative , satisfaisant la relation
a,b) ) =  ( (a),  (b)) .
De manière analogue on a un prop pour les bigèbres de Lie.
Bien que les props soient considérablement plus compliqués à étudier que les opérades, il
existe une théorie de la dualité de Koszul pour les props (due à Bruno Vallette). Son étude ne
fait que commencer.
MURIEL LIVERNET  JEAN-LOUIS LODAY
Bibliographie
B. FRESSE, Koszul duality of operads and homology of partition posets, prépublication 2003,
http://fr.arxiv.org/abs/math.AT/0301365.
V. GINZBURG
 M.M. KAPRANOV, « Koszul duality for operads », in Duke
Mathematical Journal, vol. 76, 1994, pp. 203-272.
J.-L. LODAY, J.D. STASHEFF, A.A. VORONOV, Operads: Proceedings of Renaissance
Conferences, Contemporary Mathematics, vol. 202, American Mathematical Society, 1997.
M. MARKL, S. SCHNIDER, J.D. STASHEFF, Operads in algebra, topology and physics,
Mathematical surveys and monographs, vol. 96, American Mathematical Society, 2002.
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