Les Entretiens Nathan Sous la direction d'Alain Bentolila L'école : diversités et cohérence
Pour une réforme de la pensée
Edgar MORIN, Directeur de Recherches au CNRS
Le contexte détermine la connaissance
Je voudrais partir d'une évidence en psychologie cognitive. Une connaissance n'est pertinente que
dans la mesure où elle se situe dans un contexte. Le mot, polysémique par nature, prend son sens
une fois inséré dans le texte. Le texte lui-même prend son sens dans son contexte. Ainsi une
information n'a-t-elle de sens que dans une conception ou une théorie. De même, un événement
n'est intelligible que si l'on peut le resituer dans des conditions historiques, sociologiques ou autres.
On peut donc en déduire qu'il est primordial d'apprendre à contextualiser et mieux, à globaliser,
c'est-à-dire à situer une connaissance dans un ensemble organisé. Du reste, cette aptitude est
beaucoup plus importante que le développement clos d'une très grande sophistication dans le
domaine mathématique ou informatique. La seule science humaine et sociale qui a désormais la
dignité de pouvoir détenir un prix Nobel, à savoir l'économie, est une science très hautement
formalisée et sophistiquée. Comme elle est close sur elle-même, elle est incapable de prévoir la
moindre crise, le moindre krach boursier. Or cette inaptitude s'explique aisément par le fait que
l'économie, en réalité, n'est pas close, mais une base des autres réalités humaines.
La culture, caméléon conceptuel, se situe justement dans ce contexte. Avant moi, Martine Abdallah-
Pretceille a parlé de la culture au sens quasi ethnographique du terme. Pour ma part, je ne retiens
pas ce sens, même si je tiens à dire que je suis tout à fait d'accord avec ce qu'elle en a dit. Une
culture qui semble figée dans le temps et dans l'espace est faite de rencontres, d'agrégats et de
syncrétismes. Ainsi, elle s'enrichit en intégrant des éléments extérieurs à elle. Je dirai même qu'au
sein de chaque culture, le modèle officiel n'est souvent pas le modèle réel car beaucoup
d'hérétiques la subissent sans rien dire.
La culture dont je veux parler est celle dite des humanités, fondée sur l'histoire, la littérature, la
philosophie, la poésie et les arts. Dans le fond, elle enseignait l'aptitude à s'ouvrir et en même
temps l'aptitude à contextualiser. De plus, elle favorisait la capacité à réfléchir, à méditer sur le
savoir et éventuellement à l'intégrer dans sa propre vie pour mieux éclairer sa conduite et la
connaissance de soi.
La rupture culturelle
La culture scientifique envahit celle des humanités
Nous devons affronter déjà depuis le XIXe siècle, mais surtout au XXe siècle, le défi de la rupture
culturelle entre la culture des humanités et la culture scientifique.
Elles sont de nature absolument différente.
La culture scientifique est une culture de spécialisation, tendant à se clore, et dont le langage
devient ésotérique non seulement pour le commun des citoyens mais aussi pour le spécialiste d'une
autre discipline. Le savoir lui-même croît de façon exponentielle et ne peut être engrammé par
aucun esprit humain. À travers ce formidable développement de la culture scientifique, on assiste à
une perte de la réflexivité, y compris sur le devenir de la science elle-même et sur la nature de la
science humaine. Déjà en 1930, Husserl avait mis le doigt, dans sa fameuse conférence sur la crise
des sciences européennes, sur cette sorte de trou noir qui occultait le sujet, qui a des instruments
merveilleux pour connaître des objets mais n'a finalement aucun instrument pour se connaître lui-
même. Aujourd'hui, nous sommes en train d'apprendre que notre galaxie, la Voie lactée, possède,
en son centre, un gigantesque trou noir invisible. Il en est de même pour nos sciences, qui voient ce
trou s'agrandir. L'inconvénient pour l'autre culture, c'est-à-dire celle des humanités, c'est qu'elle n'a
plus de grain à moudre. En effet, toutes les connaissances révolutionnantes sur le cosmos, sur le
monde physique, sur l'idée de réalité, sur la vie et, bien entendu, sur l'homme, proviennent des
sciences. Ainsi, le fossé, la disjonction entre ces deux cultures est tragique pour notre culture.
Le défi de la complexité
À ce fossé s'ajoute un deuxième défi, celui de la complexité, qu'ont rencontré les sciences au XIXe
siècle. À la fin de ce siècle, il était entendu dans le monde scientifique que les sciences reposaient
sur trois piliers de certitude.
o Le premier pilier était l'ordre, la régularité, la constance et surtout le déterminisme absolu. Laplace
imaginait qu'un démon, doté de sens et d'un esprit supérieur, pouvait non seulement connaître tout
événement du passé mais surtout prédire ceux du futur.
o Le deuxième pilier était la séparabilité. Je prends un objet ou un corps. Pour le connaître, il suffit
de l'isoler conceptuellement ou expérimentalement en l'extrayant de son milieu d'origine pour le
transférer dans un milieu artificiel.
o Le troisième pilier était la valeur de preuve absolue fournie par l'induction et la déduction, et les
trois principes aristotéliciens qui établissaient l'univocité de l'identité et le rejet de la contradiction.
Or ces trois piliers sont aujourd'hui en état de désintégration, non pas parce que le désordre a
remplacé l'ordre mais parce qu'on s'est rendu compte que là où l'ordre régnait en maître, dans le
monde physique, il existait en réalité un jeu dialogique. J'entends par là un jeu à la fois
complémentaire et antagoniste, entre l'ordre et le désordre. Ce constat était valable non seulement
pour la physique mais aussi pour l'histoire de la Terre et l'histoire de la Vie. Par exemple, vous
savez que 96 % des espèces vivantes ont disparu lors d'un cataclysme au début de l'ère secondaire
et quelques autres aussi à cause du météorite qui a provoqué l'extinction des dinosaures à la fin du
secondaire. L'évolution se situe donc dans un jeu heurté qui continue l'histoire humaine.
De même, en ce qui concerne la séparation des objets, on avait oublié que les objets étaient liés les
uns aux autres au sein d'une organisation. À partir de ce moment, il se crée un système, dont
l'originalité première est de créer des qualités appelées émergences. Elles apparaissent dans le
cadre de cette organisation, mais elles n'existent pas dans les parties conçues isolément. On a
alors compris que la vie n'était pas faite d'une substance spécifique mais constituée des mêmes
substances physico-chimiques que le reste de l'univers. La vie est issue de molécules ou de macro-
molécules qui n'ont séparément aucune des propriétés de la vie, la reproduction, l'autoreproduction
ou le mouvement. Les propriétés vivantes n'existent donc pas au niveau isolé des molécules, elles
n'émergent que grâce à une auto-organisation complexe.
C'est pourquoi du reste un certain nombre de sciences sont devenues systémiques, comme les
sciences de la Terre, l'écologie ou la cosmologie. Ces sciences ont permis d'articuler entre elles les
connaissances des disciplines différenciées. Par exemple, l'écologue utilise les connaissances des
botanistes, des zoologistes, des microbiologistes et des géophysiciens. Cependant, il n'a pas besoin
de maîtriser toutes ces sciences. Sa connaissance propre consiste en l'étude des réorganisations,
des règlements et régulations des systèmes. On constate donc, aujourd'hui, qu'un certain nombre
de sciences se remembrent en mettant à jour le problème de la "reliance". Plus largement, tout ce
qui est séparé dans notre univers est en même temps inséparable.
Par ailleurs, les travaux de Popper ont montré les limites de la valeur absolue de l'induction. De
plus, la déduction, elle-même, peut avoir des dérapages. Il suffit de se souvenir du fameux
paradoxe du Crétois qui prétend que tous les Crétois sont des menteurs, ou bien de tous les
théorèmes d'indécidabilité dont le plus célèbre est celui de Gödel.
Ainsi, les trois piliers qui formaient le corps de certitudes sont ébranlés. Pour aggraver la situation,
la physique et la micro-physique étaient parvenues dans les années 20 à une sorte de paradoxe
profond. Le même élément, c'est-à-dire la particule, pouvait se comporter de façon contradictoire,
selon l'expérience, tantôt comme une onde, tantôt comme un corpuscule. À travers ce paradoxe
étonnant, nous retrouvons aussi le paradoxe de l'individu et de l'espèce. Si vous voyez des
individus, vous ne voyez pas l'espèce qui incarne la continuité. Mais si vous cessez de voir des
individus et que vous regardez un très vaste espace de temps, il n'y a plus d'individus, vous ne
voyez que des espèces. Ainsi, pour la société, certains sociologues pensent que l'individu n'existe
pas. Ils n'en voient pas car, selon eux, les individus ne sont que des marionnettes et des pantins de
la société, seule réalité. En revanche, pour d'autres sociologues, la société n'existe pas puisqu'ils ne
voient, eux, que des individus.
On comprend par ces exemples que le défi de la complexité réside dans le double défi de la
reliance et de l'incertitude. Il faut relier ce qui était considéré comme séparé. En même temps, il faut
apprendre à faire jouer les certitudes avec l'incertitude. La connaissance est en effet une navigation
dans un océan d'incertitudes parsemé d'archipels de certitudes. Certes, notre logique nous est
indispensable pour vérifier et contrôler, mais la pensée, finalement, opère des transgressions à
cette logique. La rationalité ne se réduit pas à la logique, elle l'utilise comme un instrument. La
science a donc reconnu officieusement ce défi de la complexité qui pénètre, aujourd'hui, dans la
connaissance scientifique mais sans être encore reconnu officiellement.
Le défi de la complexité s'intensifie dans le monde contemporain puisque, justement, nous sommes
dans une époque dite de mondialisation que j'appelle l'ère planétaire. Cela signifie que tous les
problèmes fondamentaux qui se posent dans un cadre français ou européen dépassent ce cadre
car ils relèvent, à leur façon, des processus mondiaux. Répondre à ce défi en contextualisant à
l'échelle mondiale, voire en globalisant, est devenu absolument vital, même si cela paraît très
difficile.
Il faut aussi pouvoir penser dans l'incertitude car nul ne peut prévoir ce que sera demain ou après-
demain. De plus, nous avons perdu la promesse d'un progrès infailliblement prédit par les lois de
l'histoire ou du développement logique de la science et de la raison. Nous sommes donc dans une
situation où nous prenons conscience tragiquement des besoins de reliance et de la nécessité de
travailler dans l'incertitude.
Parallèlement, il se développe dans tous les domaines techniques et spécialisés des connaissances
compartimentées. Nous voyons également dans le monde des mentalités et des pratiques
fragmentaires, repliées sur elles-mêmes, sur la religion, sur l'ethnie ou sur la nation. On se focalise
sur un seul fragment de l'humanité dont on fait pourtant partie. Alors, d'un côté, nous avons
l'intelligence technocratique, aveugle, incapable de reconnaître la souffrance et le bonheur humain,
ce qui cause bien des gaspillages, des ruines et des malheurs et, de l'autre, nous avons la myopie
hagarde du repli sur soi-même.
La riposte à cette rupture
La reliance au cœur de la réforme de pensée
La riposte ne peut venir que d'une réforme de la pensée, c'est-à-dire d'une réforme qui instituerait le
principe de reliance, en rapprochant ce qui jusqu'à présent était conçu de façon disjointe et parfois
répulsive.
Prenons par exemple la difficulté de concevoir le problème de la relation entre le tout et la partie.
Pascal, déjà, avait dit que toutes les choses étant liées les unes aux autres, il était impossible de
connaître les parties sans connaître le tout et de connaître le tout sans connaître les parties. Il
montrait ainsi que la connaissance était une navette permanente du tout aux parties, en échappant
à l'alternative stupide qui oppose les connaissances particulières non reliées entre elles à la
connaissance globale, creuse et vague. Malheureusement, plus vous avez de connaissances
spécialisées et limites, plus vous avez aussi des idées globales absolument stupides sur la
politique, l'amour ou la vie. Pour remédier à cet engrenage, Pascal nous avait donc donné un
programme de travail.
De son côté, Leibniz nous disait que la vraie unité maintenait et sauvait la multiplicité. Or, chaque
fois qu'on parle d'unité, on homogénéise en gommant les différences. Réciproquement, à chaque
fois qu'on parle de différences, on les catalogue. Par conséquent, on est incapable d'en voir l'unité.
Les trois principes du réapprentissage par la reliance
Le problème de la reliance est un problème de réapprentissage de la pensée qui implique l'entrée
en action de trois principes.
Le premier principe est celui de la boucle récursive ou autoproductive qui rompt avec la causalité
linéaire. Cette boucle implique un processus où les effets et les produits sont nécessaires à leur
production et à leur propre causalité. Nous sommes d'ailleurs les effets et les produits d'un
processus de reproduction. Mais nous en sommes aussi les producteurs, sinon le processus ne
pourrait continuer. En outre, une société est le produit des interactions entre les individus qui la
composent. De cette société émergent des qualités comme le langage ou la culture qui
rétroagissent sur les produits, produisent ainsi des individus humains. Par là même, nous cessons
d'être seulement des primates grâce à la culture. La causalité représente désormais une spirale,
elle n'est plus linéaire.
Le deuxième principe et celui de la dialogique qui est un peu différente de la dialectique. Il faut,
dans certains cas, mettre ensemble des principes, des idées et des notions qui semblent s'opposer
les uns aux autres. Héraclite avait magnifiquement dit, il y a plus de 2 500 ans : "Vivre de mort,
mourir de vie." Cette idée, absolument paradoxale sur le plan du concept, s'éclaire aujourd'hui. On
sait qu'en chaque être vivant, les molécules se dégradent, que les cellules produisent de nouvelles
molécules, que les cellules meurent et sont remplacées par l'organisme, que le sang propulsé par
les battements du cœur détoxique les cellules. Sans arrêt, un processus de rajeunissement s'opère
à travers la mort de nos constituants. Nous pouvons donc, très rationnellement, expliciter cette
formulation paradoxale. Dans ce contexte, le principe dialogique est nécessaire pour affronter des
réalités profondes qui, justement, unissent des vérités apparemment contradictoires. Pascal disait
que le contraire d'une vérité n'est pas une erreur ; c'est une vérité contraire. De façon plus
sophistiquée, Niels Bohr disait que le contraire d'une vérité profonde n'est pas une erreur mais une
autre vérité profonde. En revanche, le contraire d'une vérité superficielle est une erreur imbécile.
J'ai appelé hologrammatique le troisième principe, en référence au point de l'hologramme qui
contient presque la totalité de l'information de la figure représentée. Non seulement la partie est
dans le tout mais le tout est dans la partie. De même, la totalité de notre patrimoine génétique est
contenue à l'intérieur de chaque cellule du corps. La société, en tant que tout, est présente aussi à
l'intérieur de nous-mêmes car nous avons son langage et sa culture. Là aussi, c'est une vision qui
brise les anciens schémas simplificateurs.
La réforme de la pensée est paradigmatique
La réforme de la structure de pensée est de nature paradigmatique, c'est-à-dire que ses principes
fondamentaux doivent gouverner tous nos discours et nos théories. Disons que, jusqu'à présent, le
paradigme qui domine et nous fait obéir en aveugles est un paradigme de disjonction et de
réduction. Par exemple, chez l'être humain, il existe un aspect biologique, incarné par le cerveau, et
un aspect culturel, lié à l'esprit. Naturellement, on sépare ces deux aspects. On étudie le cerveau
dans les départements biologiques et l'esprit dans les départements psychologiques, sans jamais
créer de liens. En plus de séparer, on réduit. C'est ainsi que les sociobiologistes vont essayer de
réduire tous les comportements humains à ceux des fourmis ou des primates.
En revanche, un paradigme de complexité est fondé sur la distinction, sur la conjonction et
l'implication mutuelle. Le cerveau implique l'esprit et réciproquement. L'esprit (mind) ne peut
émerger qu'à partir d'un cerveau au sein d'une culture, et le cerveau ne peut être reconnu que par
un esprit. De plus, comme nous le savons, les transformations biochimiques de notre cerveau
affectent notre esprit, lequel peut déclencher dans le cerveau des processus biochimiques et même
déclencher maladies ou guérisons psychosomatiques.
La mission de l'enseignement dans ce contexte
L'apprentissage de la reliance
Aussi la mission première de l'enseignement est d'apprendre à relier d'autant plus que, jusqu'à
présent, on apprend trop à séparer.
Il faut en même temps apprendre à problématiser.
Je pense par exemple à la laïcité. Trop souvent, on croit que la forme - historiquement féconde -
que la laïcité à prise en France au début du siècle est la forme originelle de la laïcité. Il faut
reconnaître que cette forme de laïcité s'est développée dans des conditions historiques spécifiques.
L'Église catholique avait la mainmise sur l'enseignement. En réalité, la laïcité remonte à l'âge de la
Renaissance. C'est alors qu'on a ressuscité l'interrogation sur la nature, sur l'homme, sur la vie, sur
Dieu. Cette problématisation a pris un autre cours à l'époque des Lumières. Aujourd'hui, la laïcité
doit réinterroger ce qui fut sa croyance au début du siècle, la science, la technique, le progrès. Cela
ne signifie pas qu'il faille rejeter la science ou la technique ; il faut simplement en reconnaître les
ambivalences et les formes aveugles, dominatrices, qu'elles engendrent.
Je crois qu'à ce moment-là relier et problématiser vont de pair. Si j'étais instituteur, j'essaierais de
partir du "Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où sommes-nous ?" Je partirais de l'être humain
en le montrant sous ses aspects biologiques, psychologiques, sociaux, etc. Ainsi, je pourrais
accéder aux disciplines, tout en maintenant le lien humain, et en dégager l'unité complexe de
l'homme.
Je pense à ce que disait mon ami l'astrophysicien Michel Cassé. Au cours d'un banquet, un
œnologue distingué lui avait demandé ce qu'un astrophysicien voyait dans son verre de bordeaux. Il
a répondu : "Je vois la naissance de l'univers puisque je vois les particules qui se sont formées
dans les premières secondes. Je vois le soleil antérieur au nôtre puisque les atomes de carbone se
sont formés à l'intérieur de la forge de ce soleil qui a explosé. Puis le carbone est arrivé dans cette
sorte de poubelle cosmique qui a été à l'origine de la Terre. Je vois aussi la formation des macro-
molécules. Je vois la naissance de la vie, le développement du monde végétal, la domestication de
la vigne dans les pays méditerranéens. Je vois le développement de la technique moderne qui
permet aujourd'hui de contrôler de façon électronique la température de fermentation dans les
cuves. Je vois toute l'histoire cosmique et humaine dans ce verre de vin."
Sans avoir besoin de penser à tout cela, chaque fois que vous buvez un verre de vin, il faut pouvoir
relier. Il faut reconnaître notre place dans l'univers. Or nous sommes devenus relativement
étrangers à cet univers. Nous sommes différents des animaux par la conscience, la culture et notre
volonté de connaître. Nous voulons aussi essayer de construire une société un peu moins
inhumaine fondée sur des rapports un peu moins ignobles.
L'apprentissage de la cohérence à travers la complexité
Je dirai que c'est la cohérence de la pensée complexe qui contient la diversité et permet de la
comprendre. J'adhère à tout ce qui est dit ici sur la diversité des psychologies, des héritages
culturels. Cependant, la diversité doit être pensée en se fondant sur la cohérence. Je pense que
cette mission, apprendre à relier, à problématiser, est un retour à une mission fondamentale dont j'ai
déjà parlé. J'ajoute que c'est une tâche désormais vitale car c'est la possibilité de régénérer la
culture par la reliance des deux cultures séparées, celle de la science et celle des humanités.
Cette reliance nous permet à la fois de contextualiser correctement, de réfléchir et d'essayer
d'intégrer notre savoir dans la vie. Bien entendu, cela ne donne pas la recette infaillible à tout
problème. Nous sommes bel et bien dans l'incertitude. Cependant, il existe des ripostes et des
stratégies contre l'incertitude. Comme nous ne sommes pas sûrs de réussir, nous faisons un pari
comme Pascal qui avait très bien compris que l'existence de Dieu n'étais pas prouvable, ni
logiquement ni empiriquement. Nous aussi, laïcs, devons parier sur nos croyances en la fraternité et
en la liberté.
L'apprentissage de l'amour d'autrui
Pour clore, je vais vous rappeler l'épisode de Panurge et des grêlons que me rappelait récemment
une amie enseignante. Des grêlons tombent sur le pauvre Panurge et le chahutent. Quand les
grêlons tombent à terre, il voit qu'ils commencent à se liquéfier. Il se rend alors compte que ce sont
des paroles gelées. Je dirai qu'il ne s'agit pas de dégeler les paroles de l'enseignement ; il faut
plutôt les réchauffer. Comme Platon le disait, il y a bien longtemps : pour enseigner il faut de l'éros.
L'éros n'est pas seulement le désir de connaître et de transmettre, ou bien seulement le plaisir
d'enseigner, de communiquer ou de donner ; c'est aussi l'amour de ce que l'on dit et de ce que l'on
pense vrai. L'amour, voilà qui introduit dans la profession pédagogique la véritable mission de
l'éducateur.
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