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3/08/08
Introduction
L’écoute sensible est l’attitude philosophique qui convient à l’approche transversale en
sciences humaines. Cette théorie d’approche transversale (Barbier, 1997) a été ma
contribution à la recherche universitaire ces trente dernières années. Professeur de sciences de
l’éducation, j’ai progressivement dégagé une démarche de recherche à orientation clinique,
dont l’objet de connaissance était l’imaginaire des pratiques, des réalisations humaines, et des
discours les accompagnant. Mon enseignement à l’université, comme mes recherches-actions
pédagogiques sur le terrain, ont été complètement fécondés par cette approche transversale.
J’ai toujours voulu conjuguer trois dimensions de l’imaginaire : pulsionnel, social et sacral. Il
me semble, en effet, que l’imaginaire humain ne peut être fragmenté et, contrairement à
Mircea Eliade, qui fait du sacré, un axe quasi exclusif de sa pensée, au détriment du
symbolique durkheimien (Tarot, 2008 485-514), je ne peux laisser de côté la dimension
sociale, que mes études de sociologie m’ont confirmée, ni la dimension d’inconscient
personnel que toute introspection un peu rigoureuse révèle absolument, même si, sur ce
dernier plan, j’ouvre le questionnement freudien et lacanien du côté de Carl Gustav Jung et
des psychologies humanistes, notamment de Stanislav Grof et, plus récemment, de
l’Haptonomie (Revardel, 2003).
Il faut dire que la vision du monde de Jiddu Krishnamurti (1895-1986) m’a fortement
interpellé et animé depuis plus de cinquante ans. J’ai découvert, avec elle, de secrètes
connivences avec la pensée chinoise, notamment taoïste, et avec le bouddhisme chan (et zen).
Aujourd’hui ces influences se prolongent par des ouvertures vers ce que certains nomment la
« spiritualité laïque » (Comte-Sponville, 2006) qui me convient, encore que je préfère le
terme « devenir-sage » tant il est vrai que la sagesse n’est pas un état établi une fois pour
toutes, mais un processus sans cesse inachevée, qui s’approfondit avec l’âge.
Pour comprendre cet imaginaire tridimensionnel, j’ai proposé trois types d’écoutes intégrées
dans l’approche transversale : une écoute scientifique singulière plutôt clinique, une écoute
mythopoétique et existentielle et une écoute philosophique et spirituelle.
La manière de faire pour construire du sens avec les autres sur des fragments de vie
individuelle et collective, dépend d'une conception exigeante de l'écoute sensible qui est aussi
une parole et une action.
L'écoute est scientifique et clinique. Elle prend appui sur les données et les pratiques en
sciences humaines cliniques reconnues et sans aucun esprit dogmatique lié à une école de
pensée. Elle sait utiliser, le cas échéant, les sciences dites « dures » ou « objectives », pour
mettre en perspective des éléments cliniques à recadrer dans un champ plus général. Mais son
champ spécifique est plutôt de l'ordre de l'expérientiel pour la vie individuelle et de
l'expérimentation sociale pour la vie des groupes et des sociétés. Son inspiration est plutôt
phénoménologique et herméneutique.
L'écoute est également mythopoétique et existentielle. Elle est très attentive à ce qui surgit
dans un groupe, ce qui vient déranger l'ordre établi de la structure. Elle interroge sans cesse ce
dérangement dans un sens non réducteur. Elle laisse la place aux minorités, aux déviants, aux
marginaux. Elle écoute principalement l'expression symbolique et mythique. Mais, dans la
mesure où l'écoute concerne le mythe elle repère tout ce qui vise à l'enracinement de l'humain
dans un contexte, une histoire, un passé lointain, avec ses entités sans cesse réactivées, ses
dieux et demi dieux, ses récits recommencés et transformés, ses bases institutionnelles qui
garantissent cette reproduction de la tradition.