PhDGauthierEDU913Part3V2 - Philippe

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UNIVERSITE DE SHERBROOKE
En convention avec
UNIVERSITE CATHOLIQUE DE L’OUEST
PRATIQUES REFLEXIVES ET RAPPORT AU
SAVOIR DES ADULTES AU POST SECONDAIRE :
DE LA REPRISE D’ETUDES A L’APPRENANCE.
par
Philippe-Didier GAUTHIER
Partie 3 : Synthèse présentée à Madame la Professeure Rachel BELISLE
Faculté d’Éducation
Dans le cadre des travaux dirigés de l’EDU 913 du Philosophiæ Doctor (Ph.D.)
Programme de Doctorat en Éducation
8 janvier 2007, corrections au 29 janvier 2007
© Philippe Gauthier, 2007
2
TABLE DES MATIERES
Pratiques réflexives et rapport au savoir des adultes au post secondaire : _______ 1
De la reprise d’études à l’apprenance. ___________________________________ 1
Table des matières ___________________________________________________ 2
INTRODUCTION ___________________________________________________ 3
1. Les dimensions réflexives de l’apprentissage tout au long de la vie : Des
institutions AUX personnes ____________________________________________ 4
1.1 Une rupture de paradigme qui demande aux institutions de formation de
devenir…réflexives ! _________________________________________________ 4
1.2 Les recherches sur le volet « individuel et social » de l’apprentissage tout au
long de la vie ________________________________________________________ 7
1.2.1 Définition de l’apprentissage tout au long de la vie ________________________ 7
1.2.2 De l’apprentissage tout au long de la vie à la réflexivité biographique ________ 8
1.2.3 Limites du cadre d’analyse de l’apprentissage biographique _______________ 9
2. Les adultes en rerpise d’études ______________________________________ 10
2.1 Reprise d’étude : motivations, processus, effets ________________________ 10
2.1.1 Un processus psychologique, cognitif, social : ___________________________ 10
2.1.2 Un processus d’altération des intérêts cognitifs __________________________ 11
3. la reflexivité en formation des adultes ________________________________ 13
3.1 Le praticien réflexif est un praticien chercheur ________________________ 13
3.2 Plusieurs niveaux de réflexivité ? __________________________________ 14
4. Le rapport au savoir _______________________________________________ 16
4.1 Différentes approches du rapport au savoir ___________________________ 16
4.2 Trois axes pour une théorie du rapport au savoir _____________________ 18
4.3 L’apprenance : vouloir, pouvoir et savoir apprendre, tout le temps et partout 20
5. Conclusion : réflexivité et rapport au savoir sont intimement liés. __________ 23
Références bibliographiques __________________________________________ 27
2
3
INTRODUCTION
Dans le monde éducatif, comme dans le monde de l’insertion professionnelle, les
pratiques et les usages liés au portfolio numérique, appelé aussi ePortfolio, se
développent, soit à des fins de facilitation des apprentissages, soit à des fins
d’évaluation, voire d’évaluation des compétences, soit encore à des fins de
présentation des réalisations de l’apprenant ou du professionnel.
Ces pratiques mettent en jeu différents processus cognitifs, conatifs,
motivationnels, identitaires, et de gestion des preuves et de publication (Gauthier,
2006). Nous nous intéresserons ici aux travaux récents des chercheurs en
éducation, sur quatre axes principaux liés entre eux :
-
L’apprentissage tout au long de la vie.
Les adultes en reprise d’études dans l’enseignement post-secondaire et
supérieur ;
Les pratiques réflexives dans la formation des adultes ;
Le rapport au savoir.
La question de départ qui nous intéresse est :
Qu’est-ce que des écrits scientifiques récents, dans un contexte où
s’impose une perspective d’apprentissage tout au long de la vie, disent
au sujet du rapport au savoir et des pratiques réflexives en formation des
adultes en reprise d’études (ou faisant un retour aux études) au postsecondaire (niveaux 4, 5 et 6 dans CITÉ 971) ?
Dans un premier temps, il nous semble intéressant d’évoquer les recherches sur
les processus institutionnels, car ils nous donneront un cadre général et inattendu
de la perspective sociétale de l’apprentissage tout au long de la vie. Nous y
remarquerons que la question de la réflexivité y est traitée comme une nécessité
organisationnelle, et pas seulement individuelle. Puis nous nous intéresserons
plus spécifiquement aux recherches effectuées dans cadre particulier de
l’apprentissage biographique, que des chercheurs tentent de modéliser en
s’appuyant sur le concept de réflexivité.
CITÉ
97,
Classification
internationale
type
http://www.uis.unesco.org/TEMPLATE/pdf/isced/ISCED_F.pdf
http://www.meq.gouv.qc.ca/stat/Bulletin/bulletin_18.pdf.
de
1
;
l’éducation.
Voir
pour
le
Québec
3
4
1. LES DIMENSIONS REFLEXIVES DE
L’APPRENTISSAGE TOUT AU LONG DE LA VIE :
DES INSTITUTIONS AUX PERSONNES
1.1 Une rupture de paradigme qui demande aux institutions de
formation de devenir…réflexives !
Les sociétés de l’information et de la connaissance fondent leur valeur ajoutée
économique sur les produits de l’innovation, technologique principalement. Les
nécessités issues des transformations du travail, du rapport au savoir et plus
globalement de l’éducation, qui résultent de ces nouveaux piliers de compétitivité
(Marchand, 2000), ont été identifiées à tous les niveaux de gouvernance du
monde actuel :
-
-
Jacques Delors (1996) propose dans son rapport déposé à l’UNESCO,
de nombreuses pistes et recommandations ;
L’OCDE (2001) fait également une série de propositions;
La commission de la communauté européenne propose en 2000 son
Mémorandum sur l’éducation et la formation tout au long de la vie ;
puis en 2005, un cadre européen des certifications professionnelles
pour la formation tout au long de la vie ; puis fin 2006, le Parlement
européen adopte le programme d’action pour la période 2007-2013
(comprenant les sous-programmes Comenius, Erasmus, Léonardo da
Vinci et Grundtvig) ;
Les gouvernements du Québec (2004) ou de France2 repositionnent
leurs politiques de formation continue vers des logiques
d’apprentissage tout au long de la vie.
Devant cette évolution, les chercheurs Alheit et Dausien (2005) montrent, en
analysant les travaux de nombreux auteurs, les nécessités de changements des
politiques de formation :
… Liée aux besoins d’employabilité, de mobilité professionnelle, de
développement de compétences, de flexibilité, pour répondre aux enjeux
Lois de finances 2006, 2007 pour la formation tout au long de la vie, votées à l’Assemblée
Nationale et au Sénat, décembre 2006 pour la dernière.
2
4
5
économiques et culturels des sociétés occidentales, à travers des
processus formels et institutionnalisés.
Les auteurs citent quatre caractéristiques à ce changement de paradigme (John
Field, 2000, p.35 et suivantes) qui marque la fin du XX siècle (UNESCO, 1996,
OCDE, 1996, Groupe des Huit-1999, Commission Européenne-1995) :
La transformation de la signification du travail : « Face aux périodes de
transition (de statuts, d’activités, de gestion des risques liés à la
flexibilité, (Heinz, 2000)) l’Apprentissage Tout au Long de la Vie
s’offre ici précisément comme un instrument de gouvernance innovante
des politiques du cours de la vie » ;
Les bouleversements intervenus dans la fonction du savoir, au service
d’une économie virtuelle, qui exige des procédures flexibles de feedback, des contrôles complexes d’auto-gouvernance, un management
permanent de la qualité (Rhamstorf, 1999) ;
L’expérience des disfonctionnements croissants des institutions de
formation : « L’apprentissage tout au long de la vie demande un
changement de paradigme : la question centrale de la pédagogie n’est
plus de savoir comment une matière donnée peut-être enseignée, de la
façon la plus efficace possible, mais quels environnements
d’apprentissage sont les mieux à même de stimuler les processus
d’apprentissage par les apprenants eux-mêmes, autrement dit comment
l’apprendre peut-être lui-même appris » (Simons, 1992, Smith, 1992).
Ce qui demande aux institutions éducatives de se mettre elle-même en
apprentissage, un haut degré de réflexivité, d’ouverture (relation avec
l’environnement, nouveaux lieux ou environnements d’apprentissages,
accroissement de l’autonomie des établissements, ce qui réclame un
« nouvel ordre éducatif » (John Field, 2000) ;
Les défis adressés aux acteurs sociaux comme individualisation et
modernisation réflexive, « l’inflation de l’offre informative et
consumériste a spectaculairement accru les possibilités de choix des
acteurs sociaux (Giddens, 1990) ; le développement des trajectoires de
vie est en conséquence beaucoup moins prévisible que dans les époques
antérieures. Bien plus : l’injonction à prendre des décisions toujours
nouvelles, à changer continuellement d’orientation est intériorisée de
façon de plus en plus nette par les individus eux-mêmes. Cette
« modernité réflexive » (Beck et al, 1996) requiert des compétences
nouvelles, « flexibles », qui ne peuvent être construites et développées
que dans un processus d’apprentissage conduit tout au long de la vie
(Field, 2000). Ce qui nécessite une transformation profonde du système
de formation.
5
6
Les auteurs analysent longuement que « l’apprentissage tout au long de la vie peut
aussi être un processus d’exclusion économique et social (OCDE-1997, Putnam2001), s’il est géré dans une logique de compétitivité à court terme, et qu’une
« nouvelle économie de la formation » nécessite une écologie sociale de
l’apprentissage (Alheit & Kreitz, 2000) ».
L’apprentissage tout au long de la vie conduit, selon les auteurs Alheit et Dausien
(2005), la recherche dans les sciences de l’éducation, à un changement de
paradigme sur trois niveaux (p.78-79) :
-Macro-structurel et sociétal, devant aboutir à de nouveaux équilibres
entre les formes du capital économique, culturel et social (Alheit et
Kreitz, 2000) ;
- Médio-structurel et institutionnel, pour le développement d’une
nouvelle réflexivité des organisations (comme organisations
apprenantes, lieux de ressources complexes d’apprentissage) (Field,
2000) ;
- Micro-structurel, et individuel, pour la perlaboration de l’expérience
pour répondre aux exigences sociales et médiatiques de la
postmodernité, qui requièrent de nouvelles constructions de sens,
individuelles et collectives.
Pour ces mêmes auteurs, peu de connaissances permettent d’appréhender le
changement de paradigme des institutions de formation. Citons toutefois les
recherches de Jacques Denantes (2006) qui démontrent que sur la période 1968 –
2002,
les
décideurs
et
chercheurs
des
universités
françaises
avaient
majoritairement une posture « à l’écart de la formation continue. Dans les sections
du CNU, ils pénalisent ceux qui s‘y engagent, parce qu’ils ne produisent pas de
recherche… » (Denantes, p.228).
On remarquera ici que, selon les auteurs cités, les institutions de formation ellesmêmes sont mises à l’épreuve d’une forme de réflexivité, d’auto gouvernance, au
service de leurs propres apprentissages organisationnels. Ainsi, le cadre général
d’évolution de la société rendrait nécessaire l’apprentissage tout au long de la vie
pour les citoyens, et cette nécessité implique que les institutions de formation
changent elle-même de paradigme. Nous voyons ainsi que la question de
6
7
l’apprentissage tout au long de la vie s’inscrit dans un ensemble sur plusieurs
niveaux, sociétaux, organisationnels, individuels.
1.2 Les recherches sur le volet « individuel et social » de
l’apprentissage tout au long de la vie
La question qui nous intéresse ici est : Comment les chercheurs en éducation
appréhendent-ils le concept d’apprentissage tout au long de la vie ?
Il nous est apparut particulièrement intéressant de rappeler quels sont les piliers
conceptuels de l’apprentissage tout au long de la vie d’une part, car ils évoquent
la diversité des formes d’apprentissages et de rapport au savoir ; et d’autre part,
d’explorer le modèle de la biographie réflexive, car il tente d’expliquer en quoi
l’apprentissage tout au long de la vie met en jeu des processus réflexifs sur
plusieurs niveaux.
1.2.1 Définition de l’apprentissage tout au long de la vie
Les chercheurs allemands Alheit et Dausien (2005) définissent ainsi le concept
d’apprentissage tout au long de la vie :
…Non pas comme la démarche d’acquisition et d’appropriation
progressive de savoirs ou de compétences ciblées, mais un processus
hautement organisé de la perlaboration3, de la liaison et de la
transformation des processus premiers en une figure biographique
d’expériences, c’est-à-dire en quelque sorte d’un « ordre second » des
processus d’apprentissage (p.51).
Pour les chercheurs, cette démarche d’appropriation comprend, d’après le
Mémorandum sur l’éducation et la formation tout au long de la vie, de la
Commission européenne (p.8-9) :
a) Les processus d’apprentissage formels qui ont lieu dans les institutions de
formation classiques, et qui sont généralement validés par des certifications
socialement reconnues.
3
Néologisme, non définit spécifiquement par les auteurs. Concept qui pourrait exister en langue
allemande ?
7
8
b) Les processus d’apprentissage non formels qui se déroulent habituellement en
dehors des établissements de formation institutionnalisés, sur le lieu de travail,
dans les organismes et les associations, au sein d’activités sociales, dans la
poursuite d’intérêts sportifs ou artistiques.
c) Les processus d’apprentissage informels, qui ne sont pas entrepris
intentionnellement et qui accompagnent incidemment la vie quotidienne.
d) La dimension du « lifewide learning4 », éducation embrassant tous les aspects de
la vie, met l’accent sur la complémentarité entre apprentissages formels, non
formels, informels.
1.2.2 De l’apprentissage tout au long de la vie à la réflexivité biographique
Alheit et Dausien (2000) définissent la biographicité comme :
La capacité (autopoiétique, p.77) du sujet à perlaborer l’expérience
vécue (formelle, non-formelle ou informelle, en tant que contextes
d’apprentissages), incluant la possibilité d’élaboration de nouvelles
structures d’expériences culturelles et sociales, et à se donner une
cohérence personnelle, une identité, à attribuer un sens à l’histoire de sa
vie.
Quatre volets sont utilisés pour conceptualiser l’apprentissage biographique,
« c’est-à-dire les processus et les cadres de représentations dans lesquels les
individus interprètent leurs expériences et produisent leur propre sens
biographique » :
(a) L’apprentissage curriculaire (Schulze, 1993) constitue une armature
pour les apprentissages formels ;
(b) Les nouvelles voies de formation (politiques de formation des
années 70 à 90) ont créé de nouveaux modèles de parcours
biographiques. Ces nouvelles voies sont confrontées aux temporalités
propres de la vie, qui fait apparaître (chez les adultes notamment) des
besoins de réflexivité autour de ses déficits de formation, de ses
aspirations de formation, de ses reconstructions, de (re) mise en projet
de la vie personnelle ;
(c) La formation comme processus biographique, ou l’apprentissage
(formel, non formel et informel) et toujours lié au contexte d’une
4
Il ne semble pas exister encore de traduction française ou francophone de ce terme. On pourrait
proposer « Apprentissage intégré dans la vie » ? Philippe Carré le traduite par : « Apprentissage
tout au large de la vie ». Jacques Delors propose la traduction de « Apprentissage au travers de la
vie ».
8
9
biographie concrète. L’individu peut mobiliser une réserve de savoirs
biographiques, issue d’apprentissage implicite, qui constitue un savoir
pré-reflexif, qui s’est également développé dans un contexte social
(apprentissage expérientiel, environnements d’apprentissages). Mais
l’apprentissage auto-directif « est un modèle de l’apprenant autonome
qui à la maîtrise réflexive et stratégique de son propre processus de
formation, mais qui ne prend pas en compte la stratification complexe
de la réflexivité biographique5. Les processus de formation biographique
ont leur propre principe de détermination, ils rendent possibles des
expériences inattendues et des transformations surprenantes6… »
(d) La biographicité des expériences sociales est aussi la capacité à
développer ses capacités de communication, de relations sociales, … et
fait de la formation un lieu de gestion individuelle de l’identité mais
aussi de processus collectifs et de rapports sociaux.
1.2.3 Limites du cadre d’analyse de l’apprentissage biographique
L’apprentissage biographique a retenu notre attention, car :
-
-
il reprend l’idée de combinaison des quatre processus d’apprentissages
(formel, informels, non formels et …transverses)
il appelle un processus réflexif d’un « ordre second » issu de processus
« pré-réflexifs », et qui prend en compte la « stratification complexe de
la réflexivité biographique »
il suggère des processus de construction identitaire
On remarquera que les auteurs opèrent un glissement du concept d’apprentissage
tout au long de la vie, vers le concept d’apprentissage biographique. Mais quelle
tension existerait-il entre ces deux concepts ? Dépassant le cadre social de
l’apprentissage curriculaire formel, mais sans pouvoir s’affirmer comme une
véritable théorie (Alheit & Dausien, 2005, p.79) l’apprentissage biographique se
rapproche ainsi du cadre conceptuel de l’auto direction des apprentissages (Carré,
1992), tout en proposant de le dépasser, en le caractérisant d’une réflexivité
biographique, et de processus identitaires et sociaux.
Cette remarque mériterait un approfondissement : Cette critique de l’auto-directivité s’appuie
plus sur la formation (et ses lieux institutionnalisés) que sur le contrôle (au sens de Philippe
CARRE, 1992), que les auteurs assimilent à du « pilotage automatique ». Cette perception des
auteurs ne tient pas compte des espaces négociation qui sont inhérents aux lieux de formation
« ouverts » (Jezegou, 2001), dans lesquels les apprentissages biographiques joueraient également
un rôle déterminant.
5
6
Cette remarque évoque le concept d’agentivité, Bandura, 2000).
9
10
Enfin, comme le suggère les auteurs Alheit et Dausien, les questions liées aux
adultes en formation sont prégnantes. Nous allons nous intéresser maintenant aux
recherches portant sur les motivations des adultes en reprises d’études.
2. LES ADULTES EN RERPISE D’ETUDES
Que nous apprennent les recherches sur le retour aux études (Québec) ou la
reprise d’étude (France, Europe francophone) ?
Nous nous sommes intéressés aux adultes reprenant leurs études après au moins
deux ans d’interruptions d’un cursus post-secondaire ou universitaire.
2.1 Reprise d’étude : motivations, processus, effets
2.1.1 Un processus psychologique, cognitif, social :
Guindon (1995) a mené au Québec une étude approfondie de huit années, sur la
reprise d’étude. Cette étude montre que les motivations des adultes en reprise
d’études sont émancipatoire ou pratiques (au sens des définitions d’Habermas,
voir ci-dessous). Cependant, le chercheur n’a pas spécifié dans son ouvrage le
modèle conceptuel sur lequel il s’appuie. Il n’évoque pas les questions
d’évolution du rapport au savoir ou de processus réflexifs, mais les rend
perceptibles dans son enquête, menée au Québec auprès de plusieurs dizaines
d’adultes en reprise d’études universitaires ou professionnelles dans le postsecondaire. Le chercheur met surtout en évidence un processus de cinq phases,
qui aboutit à un besoin de repositionnement socioprofessionnel :
-
-
Phase 1 : la période précédant le retour aux études : « À l’origine
de la décision de retour aux études, on retrouve un questionnement
d’ordre professionnel (Bilan de carrière, évaluation des ambitions,
analyse des qualités professionnelles). »
Phase 2 : le premier trimestre des études : la transition est vécue de
façon difficile mais sans rupture par les retours aux études à temps
partiel, avec le manque de temps comme source de stress. Il est vécu
de façon très difficile par les temps pleins : compétition, changement
de repères sociaux, soumission à l’évaluation, sentiment de recul,
10
11
-
-
-
regrets, sentiment d’infériorité intellectuelle, angoisses. Le rapport à
l’évaluation exacerbe le caractère socialement insoutenable de la
perspective d’un échec.
Phase 3 : la Mi-Programme : C’est l’inverse. Les personnes en
études à temps plein sont plus détendues, alors que les personnes à
temps partiel se questionnent sérieusement sur leur engagement, et sur
leur capacité à aller jusqu’au bout, avec le soutien de leurs proches.
Phase 4 : le dernier trimestre du programme : Vécu avec sérénité
par les personnes à temps plein, sachant que l’objectif sera bientôt
atteint, malgré la charge de travail. Pour les temps partiels : c’est le
contraire : on veut en finir, et vite.
Phase 5 : la période suivant les études : Sur le plan personnel : tous
insistent sur la nécessité de réapprendre à se reposer. Sur le plan
professionnel, la réussite aux études augmente les ambitions, la
confiance en soi et le sentiment de légitimité, et aussi le besoin de
reconnaissance.
La description de ce processus montre que les différentes perceptions des adultes
en reprise d’étude subissent de fortes évolutions, mais sans évoquer explicitement
les questions du rapport au savoir. A l’inverse de l’étude ci-dessous, qui s’y
intéresse directement.
2.1.2 Un processus d’altération des intérêts cognitifs
Jouy (1997) s’appuie sur le modèle d’analyse d’Habermas (1997) pour identifier
l’altération des intérêts cognitifs (technique, pratiques, émancipatoires), tout au
long du processus de formation d’adultes en reprises d’études à l’Université de
Bordeaux, dans une licence professionnelle. Selon Habermas, ces trois intérêts
correspondent aux trois dimensions de l’activité sociale : le travail, l’interaction,
le pouvoir ; et selon Mezirow, à trois domaines génériques de l’éducation et de la
formation :
a) Le premier, l’intérêt technique, correspond au travail, à la nécessité de
contrôler notre environnement (savoir positif, nomologique7, empiricoanalytique).
b) Le second, l’intérêt pratique, est lié à l’interaction et au rapport
communicationnel, fondement du lien civil qui définit les normes sociales, les
7
Ce terme reste à définir
11
12
attentes réciproques, et s’intéresse aux conditions favorables à la
communication et à l’intersubjectivité.
c) Le troisième, l’intérêt émancipatoire, est lié aux relations de dépendances. Ce
troisième intérêt serait, selon Habermas, une dérivation potentielle du
précédent, et lié à une condition d’activité de réflexion et de critique sur la
pratique.
La question posée par l’auteure serait de comprendre ici sous quelles conditions
l’Université permet la dynamisation de l’intérêt émancipatoire, pour des adultes
en reprise d’études ? L’hypothèse est faite que « c’est le type de rapport au savoir
propre à la formation universitaire, et la rencontre de l’autre qu’il autorise, par la
discussion et l’argumentation, qui favorise cette décentration progressive de
l’intérêt proprement utilitaire (technique) vers l’intérêt émancipatoire » (p.142).
Dans la recherche menée par l’auteure, les intérêts cognitifs initiaux des
apprenants seraient techniques, puis évolueraient vers un intérêt cognitif pratique
( « le plaisir d’apprendre », p.143) et enfin un intérêt cognitif émancipatoire, vers
la fin du processus ( « issu d’un processus de « selbstreflexion », c’est à dire
« une auto réflexion médiatisée par le langage, dans une nécessaire
intersubjectivité », p.144). L’auteure souligne ici le rôle d’un processus de
formation orienté sur « un sujet autonome, pour lequel on favorise l’auto réflexion
et la distanciation critique ».
Ce qui nous intéresse ici, c’est que cette évolution graduelle des intérêts cognitifs
aboutit à une reconstruction identitaire et sociale (concept évoquée aussi par
Alheit & Dausien), en s’appuyant sur un processus réflexif : le modèle
d’Habermas8 fait référence à un processus de réflexivité croissante chez l’adulte
en reprise d’étude. Cette expression de « réflexivité croissante » est-elle à
rapprocher de celle de « stratification complexe de la réflexivité biographique »
(Alheit & Dausien) ?
C’est à la question de la réflexivité à laquelle nous nous intéressons maintenant.
8
Il nous semble nécessaire ici de mener une recherche complémentaire sur les travaux
d’Habermas.
12
13
3. LA REFLEXIVITE EN FORMATION DES
ADULTES
3.1 Le praticien réflexif est un praticien chercheur
Il nous semble nécessaire de situer ici notre réflexion par rapport aux travaux de
Shön, qui à mener ces principales recherches dans un contexte de
professionnalisation des métiers, dans les années 70, en Amérique du Nord.
Shön (1985) présente la réflexivité des professionnels comme un « processus de
réflexion en cours d’action et sur l’action » (p.76) :
…En même temps qu’il s’efforce d’en tirer un certain sens, il réfléchit
aussi sur les évidences implicites dans ses actions, évidences qu’il se
remémore, qu’il critique, restructure, et incorpore dans ses actions
ultérieures. …C’est tout ce processus de réflexion en cours d’action et
sur l’action (…) qui permet aux praticiens de bien tirer leur épingle du
jeu dans des situations d’incertitude, d’instabilité , de singularité, et de
conflit de valeur.
Schön met en évidence un phénomène de conversation réflexive entre le praticien
et la situation, définissant ainsi la figure du « praticien-chercheur » (p.97) :
Quand quelqu’un réfléchit sur l’action, il devient un chercheur dans un
contexte de pratique. Il ne dépend pas des catégories découlant d’une
théorie et d’une technique préétablie, mais il édifie une nouvelle théorie
du cas particulier. Sa recherche ne se limite pas à une délibération sur
des moyens qui dépendent d’un accord préalable sur les fins. Il ne
maintient aucune séparation entre la fin et les moyens, mais définit
plutôt ceux-ci, de façon interactive, à mesure qu’il structure une
situation problématique. Il ne sépare pas la réflexion de l’action, il ne
ratiocine pas pour prendre une décision qu’il lui faudra plus tard
convertir en action. Puisque son expérimentation est une forme d’action,
sa mise en pratique est inhérente à sa recherche. Ainsi, la réflexion en
cours d’action et sur l’action peut continuer de se faire même dans des
situations d’incertitude ou de singularité, parce que cette réflexion
n’obéit pas aux contraintes des dichotomies de la science appliquée.
L’auteur met aussi en évidence quatre composantes des processus de conversation
réflexive :
13
14
-
Les langages, répertoires utilisés pour décrire une réalité et mener des
expériences sont maîtrisées par le chercheur ;
Les systèmes d’appréciation, d’évaluation sont utilisés dans la
formulation des problèmes ;
Les théories « parapluie » servent à donner un sens aux phénomènes ;
L’encadrement des rôles et des tâches sert à délimiter l’engagement
institutionnel.
Ces quatre composantes présentent un cadre d’analyse pour une épistémologie de
la pratique professionnelle. Dans le « Tournant réflexif », Shön (1996) évoque la
notion de « méta-histoire », structure de contrôle explicite ou implicite sur
laquelle s’appuie la réflexion. Mais cette idée, si elle n’est pas finalisée par
l’auteur, laisse apparaître que la réflexivité met en jeu des processus sur plusieurs
niveaux. C’est précisément ce qui nous intéresse.
3.2 Plusieurs niveaux de réflexivité ?
La chercheuse Heyraud-Lemaître est aussi une professionnelle de la formation
des cadres hospitaliers dans un centre de formation continue à Rennes. Dans sa
thèse de doctorat liant « auto-formation et pratique réflexive », Heyraud-Lemaître
(2002) propose, en s’inspirant de Piaget (1974), de Shön (1994) et d’autres
auteurs, de distinguer :
-
-
L’action (la mise en œuvre de l’action n’est pas subordonnée à un acte de la
conscience réfléchie : mise en œuvre de savoirs tacites) ;
La pratique réflexive, qui implique deux types de réflexions étroitement liés
(en référence à l’épistémologie de l’agir professionnel) p.109) :
o L’acte réfléchi, (la pratique réflexive ne porte pas sur la pensée, mais
sur l’action et en cours d’action : penser à ce que l’on fait tout en le
faisant : une réflexion extemporanée difficile à objectiver) ;
o L’acte réfléchissant (prise de conscience postérieure à l’action des
caractéristiques de cette action et de l’acteur, une réflexion sur
l’action, un exercice conscient d’un pouvoir de reprise) ;
L’apprentissage réflexif (hypothèse qu’un sujet apprenant s’auto-formant est à
la fois sujet et objet de la situation d’apprentissage).
Par rapport à cette proposition d’échelle de classement, « l’apprentissage
biographique » présenté plus haut par Alheit et Dausien (2005) ne serait-il pas
encore un autre niveau de la réflexivité ? En effet, ces auteurs évoquent également
14
15
un « processus réflexif d’un « ordre second » » et sa stratification complexe.
D’autre part, si le modèle d’analyse issue de l’échelle de Lucie Guglielmino
(1977) ne semble pas généralisable, Heyraud-Lemaître elle-même conclue sa
recherche par :
D’une pratique de type réflexif sur l’activité et le soi agissant émerge
une auto direction des apprentissages qui est direction, fondation et
formation de soi, dans et hors des murs institutionnels. L’engagement
dans ce processus de conscientisation semble irrévocable, quelle que
soit l’activité, la pratique sera réflexive, rétro-agissante sur les relations
intra et intersubjectives.(…) Le développement de l’auto formation est
partenarial (…) Les praticiens réflexifs de l’apprentissage demandent
des outils conceptuels à des fins de réflexion sur l’activité d’apprendre.
Si elle met également en évidence une dimension biographique et existentielle de
la réflexivité, la chercheuse Hachicha (2001) s’est inspirée de 6 courants de la
pensée réflexive, dans une thèse de doctorat sur le même type de public - une
trentaine de cadres professionnels et en activité de la fonction médicale et
hospitalière-, à Montréal et à Tunis. Hachicha étudie les pratiques réflexives en
formation continue. Les six courants de la pensée réflexive retenus :
-
Praxéologie : la logique individuelle de l’action (Daval) ;
Science-Action : la réflexion en cours d’action (Shön) ;
Science action et praxéologie : le modèle de connaissance par l’action
(Saint-Arnaud) ;
Apprentissage expérientiel : le rôle premier de l’expérience (Kolb) ;
Socio-cognitivisme : la double boucle des savoirs en usages
(Malglaive) ;
Socio-existentialisme : intériorisation – extériorisation (Honoré) ;
Elle met ensuite à l’épreuve un modèle de formation continue à la pratique
réflexive (FCPR) dont voici la version révisée après expérimentation (5 soussystèmes et 9 dimensions) :
1- Praxéologique
-
La mise en question de la pratique, de la poesis et de la praxis
L’accompagnement du changement
2- Cognitif
-
Maîtrise et développement d’outils et de structures cognitifs
15
16
-
Induction de savoirs
praxéologiques
pratiques
et
formalisation
de
savoirs
3 - Andragogique
-
Articulation et dynamique pratique-théorie-formation -recherche
4 - Socio-existentiel
-
Construction de l’identité socio-professionnelle et recherche de sens
Formation en collectifs de travail et apprentissage en groupe
5 - Politique
-
Articulation de la FCPR (Formation Continue à la Pratique Réflexive)
au projet de l’hôpital
Pilotage de la mise en œuvre et du suivi
Ces cinq sous- systèmes et leurs dimensions pourraient être rapprochés des quatre
types de processus d’apprentissage tout au long de la vie (formels, informels, non
formels et « transverses »), dont à nouveau les processus cognitifs et identitaires,
présent également dans le modèle d’Habermas.
Ces différentes recherches nous mèneraient au constat que la réflexivité est une
notion, à la fois multi - niveaux en termes de processus, et complexe dans la
différenciation de ces processus (modèle FCPR). L’une de ses dimensions – cognitive
– concerne notamment le « rapport au savoir ».
4. LE RAPPORT AU SAVOIR
4.1 Différentes approches du rapport au savoir
Cette exploration des recherches (récentes) sur le rapport au savoir vise à
comprendre ses liens avec les recherches sur la réflexivité, mis dans une
perspective d’apprentissage tout au long de la vie. Ainsi, Laterasse (2002),
chercheuse en sciences de l’éducation, répond à une commande publique qui vise
à comprendre, en milieu universitaire français, l’évolution du rapport au savoir
des étudiants. Elle nous propose tout d’abord une rétrospective des définitions,
toutes provisoires, du rapport au savoir :
16
17
- Définition ESCOL et CREF en 1992 : « Le rapport au savoir est une
relation de sens, et donc de valeur, entre un individu (ou un groupe) et
les processus ou produits du savoir (Charlot, Bautier, Rochex, 1992, 39).
- Définition Beillerot en 1996 : le rapport au savoir n’est pas tant un
attribut qu’un processus qui n’est analysable que dans la relation entre la
situation donnée et ce que le sujet produit.
- Définition Hatchuel : 1999 : le rapport au savoir est le rapport du sujet
à ce qui représente pour lui le savoir réel.
- Définition de Charlot en 1999 : « le rapport au savoir est l’ensemble
organisé de relations qu’un sujet humain (donc singulier et social)
entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre et du savoir : objet,
contenu de pensée, activité, relation interpersonnelle, lieu, personne,
situation, occasion, etc., liés en quelque façon à l’apprendre et au
savoir ».
Cette définition contient les trois approches de l’équipe ESCOL : le rapport
identitaire au savoir, le rapport épistemique au savoir, le rapport social au savoir.
Les remarques de l’auteure soulignent des facteurs dialectiques, identitaires,
sociaux, médiateurs et identitaires du rapport au savoir :
La notion de rapport au savoir est foncièrement antiréductionniste. Elle
insiste sur la pluralité des déterminants et des dimensions de l’apprendre
ainsi que sur la nécessaire dialectique entre l’acquisition du savoir et
l’activité du sujet. Elle fait de l’engagement de l’acte d’apprendre l’axe
identitaire d’un sujet en perpétuelle construction où les conflits occupent
une place déterminante parce qu’il le pousse à savoir. Les théories de
référence des deux équipes (Wallon et Vygotski pour Escol, les théories
psychanalytique pour le CREF) garantissent de ne pas réduire l’acte
d’apprendre à des processus cognitifs isolés de l’ensemble des processus
socio personnels. Ces prises de positions théoriques, même si elles
divergent en des points importants, ont en commun de situer l’acte
d’apprendre au cœur du processus de personnalisation (Subjectivation)
(…) qui rend le sujet actif (…).
La notion de rapport au savoir présente en outre l’intérêt de lier le savoir
et le sujet. Cela fait valoir le savoir dans son objectivation et sa
dimension sociale, mais aussi la part que prend le sujet à l’inscrire
comme savoir. En effet, le savoir transmis est social dans son
élaboration et sa production, comme dans son exercice. En tant que tel il
est externe au sujet et il le dépasse (..). Les savoirs constitués ne peuvent
être ignorés de l’apprenant. (…) La prise en compte de cette face
objectivable du savoir ne doit pas dissimuler que le savoir n’acquière
17
18
réalité et efficacité que s’il est saisi par un sujet pour lequel il prend
sens.
Le rapport au savoir apparaît donc comme un concept médiateur et
intégrateur, indiquant la façon dont un sujet est affecté par le savoir qui
lui est transmis et la façon dont ce sujet le signifie et s’y rapporte (p.42).
Dans cette remarque de l’auteur nous notons la « pluralité des déterminants et des
dimensions de l’apprendre », « l’engagement de l’acte d’apprendre est l’axe
identitaire d’un sujet en perpétuelle construction », le rapport au savoir « concept
médiateur et intégrateur ».
Nous pourrions peut-être, à ce stade, proposer
l’hypothèse que le rapport au savoir serait une caractéristique de « posture9
réflexive », c'est-à-dire une façon d’engager des processus réflexifs en fonction de
sa « tension10 » identitaire au savoir, de sa « tension » épistémique au savoir, de
sa « tension » sociale au savoir ?
4.2 Trois axes pour une théorie du rapport au savoir
Reprenons ici une définition plus récente du rapport au savoir proposé par Charlot
(2002) : « Le rapport au savoir est le rapport au monde, à l’autre et à soi d’un
sujet confronté à la nécessité d’apprendre ;
il est l’ensemble organisé des
relations que ce sujet entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre et du
savoir. »
Charlot structure les éléments pour une théorie du rapport au savoir autour de
trois axes :
9
Posture : façon de ce positionner, de prendre une positon spécifique par rapport à quelque chose,
ou à d’autres personnes.
10
Le mot « rapport » serait ici explicité par sa signification mathématique, c'est-à-dire une mise en
tension (référence à la dernière définition de Charlot) de l’individu par rapport à des composantes
identitaire (je suis un savant ou un ignorant, donc j’aime encore plus apprendre….), épistémique
(j’aime cette science, donc je lis toutes les revues sur ce sujet…), sociale (mes collègues me
reconnaissent expert de ces savoirs là, j’adore me valoriser en donnant des conférences sur ce
sujet…). On pourrait aussi utiliser l’image d’une molécule que l’on dilue dans un liquide, et dont
les atomes se mettent « en tension » avec ceux du liquide pour rester en suspension par exemple.
18
19
L’axe épistémique : Trois types de rapports épistémiques au savoir :
- Le rapport de type processus d’apprentissage d’objectivation
dénomination, passage de l’identification d’un savoir virtuel à
acquérir, à son appropriation réelle, (constitution d’un univers de
savoirs objets, le sujet épistémique est un sujet cognitif) ;
- Le rapport de type processus d’apprentissage pratique,
imbrication du je dans la situation, passage d’une pratique non
maîtrisée à une pratique maîtrisée (le produit n’est pas séparable
de l’activité : par exemple : savoir nager, le sujet épistémique est
un sujet actif) ;
- Le rapport de type processus d’apprentissage relationnel,
passage d’une relation non maîtrisée à une relation maîtrisée (à
soi, à l’autre, aux autres, au monde) ce processus serait de
distanciation – régulation. Le sujet épistémique est un sujet
relationnel et affectif.
L’axe identitaire : Types de rapports identitaires au savoir :
le rapport de type construction de soi vers l’image de soi
le rapport de type construction d’une relation à l’autre
le rapport de type construction d’une relation au monde
L’axe social, couplé et transverse aux deux précédents
Charlot qualifie les rapports épistémiques au savoir comme une « position
réflexive », ce qui tendrait à valider notre hypothèse précédente. Mais ne peut-on
pas étendre cette prise de position réflexive aux rapports identitaires et aux
rapports sociaux au savoir ?
Ces travaux de Charlot nous semblent intéressants, car ils confirment, comme
Alheit & Dausien, Jouy, Habermas, Heyraud-Lemaître, Hachicha, Laterasse nous
laissent l’entendre, que la réflexivité est une notion complexe et multi niveau,
qu’elle est déclinable sur différentes échelles ou axes en formation continue des
adultes, et enfin que le rapport au savoir en constitue un composante, appelant des
processus cognitifs, identitaires et sociaux.
Bien que la théorie du rapport au savoir de Charlot reste incomplète, on pourrait
ici proposer de situer le rapport au savoir comme une composante déterminante
19
20
des processus réflexifs cognitifs, et fortement liée aux processus identitaires et
sociaux de la réflexivité.
Cette piste est-elle ré-exploitée par Carré (2005) autour du concept d’auto
direction des apprentissages, puis d’apprenance ?
4.3 L’apprenance : vouloir, pouvoir et savoir apprendre, tout le
temps et partout
Reprenant les problématiques de la société cognitive, Carré « observe un
durcissement des problématiques et le passage d’une vision humaniste et
socioculturelle de l’éducation à une vision utilitaire et socio-économique de la
formation : et un passage obligé du droit à la formation au devoir de compétence
(p.61) ».
Pour présenter l’apprenance comme un « chaînon manquant », Carré « annonce
(…) une culture de l’apprendre, une anthropologie de l’apprentissage, avec en
particulier une conscience intelligente de soi-même dans sa singulière situation
(p.84) » :
L’apprenance devient une attitude, une posture, une disposition (Carré,
p.103, 108), que Pineau interprète comme « l’émergence des économies
socio-éducatives postmodernes ». Cette analyse met en évidence la
figure de l’autodidacte (Bezille, 2003) non plus comme figure désuète,
héroïque, ridicule même, mais comme la figure d’un sujet « auteur de
ses vies ». Le nouveau paradigme se manifeste par le passage à une
vision constructiviste de l’appropriation des savoirs, ou de l’autonomie,
par opposition à un ancien paradigme transmissif ou de l’instruction
(Carré, Moisan, Poisson, 1997 : Albero, 2000, Cedefop, 2002).
Définition de la notion d’apprenance : « un ensemble durable de dispositions
favorables à l’action d’apprendre dans toutes les situations formelles ou
informelles, de façon expériencielle ou didactique, autodirigée ou non,
intentionnelle ou fortuite » (p.108).
Carré propose d’ordonner ces dispositions sur trois piliers :
20
21
- le cognitif, qui comprend surtout les pré-requis préalables à de
nouveaux apprentissages ;
- l’affectif, qui concerne le rapport émotionnel à l’apprentissage
(souffrance et plaisir d’apprendre) ;
- le conatif, qui comprend surtout les motivations à l’apprentissage.
Carré nous propose aussi une autre lecture du rapport au savoir, issue des travaux
complémentaires11 de Beillerot et Charlot :
(Beillerot, 1996) définit le rapport au savoir comme « un processus par
lequel un sujet, à partir de savoirs acquis, produit de nouveaux savoirs
singuliers lui permettant de penser, de transformer et de sentir le monde
naturel et social ». Charlot (1997) le définit comme « relation de sens et
donc de valeur, entre un individu ou un groupe et les processus ou
produits du savoir ».
Carré retient dans le rapprochement de ces deux définitions le concept de proactivité, c’est-à-dire : « le rapport au savoir est la combinatoire singulière tressée
des trois dimensions cognitives, affectives et conatives, qui forment la texture de
la vie psychique » (Carré, 2005, p.111).
Nous présentons ici de façon assez détaillée comment Carré conçoit cette
« combinatoire singulière tressée des trois dimensions cognitives, affectives et
conatives » car il reprend et complète les propositions de Charlot (pour les axes
identitaires et sociaux) et de Latérasse (notion d’engagement dans l’acte
d’apprendre), et situent cette proposition dans le cadre de l’apprentissage tout au
long de la vie et des processus de formation.
Carré
souligne
l’une
des
caractéristiques
des
pratiques
d’apprenance,
l’agentivivité (Capacité d’un acteur intentionnel de sélectionner, d’élaborer et de
réguler sa propre activité pour atteindre certains résultats (Bandura, 1999)).
L’agentivité s’appuie sur le modèle de la réciprocité causale triadique (P-C-E,
voir ci-après) et démontrerait pour partie la « corrélation modérée » entre les trois
11
Cette complémentarité, mentionnée par Carré, pourrait être contestée par les auteurs concernés,
Charlot et Beillerot.
21
22
dimensions de l’apprenance qu’il décline à l’aide des modèles de Bandura (sociocognitif) et de le Boterf (ingénierie des compétences) en :
-
-
-
facteurs intentionnels personnels (P) : le vouloir apprendre.
(Carré,2001) décrit à partir de son étude, les dix motifs d’engagement
en formation, (en prenant en compte les facteurs intrinsèques et
extrinsèques, croisés avec les facteurs liés à l’apprentissage et à la
participation) : épistémique, socio affectifs, hédoniques, économiques,
prescrits, dérivatifs, identitaires, vocationnels, opératoires personnels
et opératoires professionnels. Carré s’appuie sur les travaux de Nuttin
(directionnalité et auto développement) et de Bandura (auto efficacité),
de Decy et Ryan (l’autodétermination) et identifie 6 processus
motivationnels liés à l’apprentissage des adultes.
facteurs comportementaux (C) : le savoir apprendre (Bandura 1995)
« … une finalité majeure de l’éducation nouvelle devrait être
d’équiper les étudiants en instruments intellectuels, en croyance
d’efficacité et en intérêts intrinsèques afin qu’ils s’éduquent par euxmêmes tout au long de la vie ». Carré reprend l’histoire de
l’apprentissage autodirigé (autoformation, self-directed learning,
(selon Knowles (1975) : l’apprentissage autodirigé est un processus
dans lequel les individus prennent l’initiative, avec ou sans aide, pour
faire le diagnostic de leurs besoins, formuler leurs objectifs
d’apprentissages, identifier les ressources humaines et matérielles pour
apprendre, choisir et mettre en œuvre les stratégies d’apprentissage
appropriées, et évaluer les résultats des apprentissages réalisés)
soulignant les choix, l’initiative, la pro activité et la responsabilité de
la formation, la comparant à l’agentivité de Bandura (2003). Celle-ci
recouvre des processus conatifs et métacognitifs : autodétermination,
autorégulation, auto efficacité. Carré attribue deux dimensions
psychopédagogique à l’apprentissage autodirigé : la volonté
d’apprendre d’une part, savoir apprendre d’autre part. Carré étudie
ensuite la seconde, comme compétences métacognitives (ou
méthodologiques); passant en revue l’éducabilité cognitive, les APP
(Ateliers de pédagogie personnalisée). Carré identifie 5 séries de
compétences à apprendre (compétences cognitives, compétences
métacognitives, compétences de gestion pédagogique, compétences
sociales et relationnelles, compétences de navigation et de traitement
de l’information). Puis il décrit l’autorégulation des apprentissages
chez Zimmerman (2002), les formes triadiques de l’autorégulation.
facteurs environnementaux (E) : le pouvoir apprendre. Questionnant
une éducation tout au large de la vie (lifewide learning) ; des auteurs
(Gehin et Méhaut, 1988) montrent que les pratiques de formation
dépassent largement les formations déclarées, autour de
l’apprentissage organisationnel, des Tic. Carré détermine 7 situations
d’apprenance formative en fonction du formalisme (formel, non
22
23
formel, informel), ouvert ou fermé, dirigé ou non dirigée par guidance
interne ou externe. Il souligne qu’ainsi les territoires de l’apprenance
sont divers : le travail, la cité, l’éducation, et défend ainsi l’idée
émergente d’une écologie de l’apprenance, autour de quatre pistes de
travail :
i. la création d’environnement facilitateurs d’apprentissage
ii. la propagation c’une culture de l’apprenance dans toute
l’organisation
iii. le renforcement de la dimension auto et co-formatrice des
collectifs de travail
iv. le déclenchement de processus de valorisation de ces
apprentissages, insuffisamment reconnus.
Peut-on en conclure que l’apprenance, ainsi modélisée, présente une autre
définition du rapport au savoir ? Des éléments pour une autre théorie du rapport
au savoir ? L’intérêt des travaux du modèle décrit par Carré est de montrer le
caractère multidimensionnel du rapport au savoir, et ses nombreuses
caractéristiques, ainsi qu’un éventail des types de processus réflexifs mis en jeu
dans l’apprenance (autorégulation, autodétermination, …).
5. Conclusion : réflexivité et rapport au savoir sont intimement
liés.
La question générale qui nous préoccupe est :
Qu’est-ce que des écrits scientifiques récents, dans un contexte où
s’impose une perspective d’apprentissage tout au long de la vie, disent
au sujet du rapport au savoir et des pratiques réflexives en formation des
adultes en reprise d’études, au post-secondaire ?
En réponse à cette question, nous pouvons répondre par :
a) Les recherches récentes en éducation des adultes, et dans la perspective de
l’apprentissage tout au long de la vie, ont cherché à mettre en évidence des
caractéristiques de plus en plus complexes de la réflexivité, et du rapport au
savoir (complexification des approches) ;
23
24
b) Pour l’axe de la réflexivité, nous pourrions prolonger la proposition de
Heyraud-Lemaître et proposer l’hypothèse, que l’adulte en reprise d’étude et
en apprentissage tout au long de la vie est un sujet (du simple au complexe):
-
-
-
qui agit (sujet acteur de et dans sa vie) ;
qui réfléchit sur l’action, en cours d’action (figure du praticien
chercheur, en référence à Shön ; apprentissage en simple boucle) ;
qui re-inscrit cette réflexion dans différentes perspectives de situations
de travail, institutionnelles, identitaires, sociales, sociétales, de rapport
au savoir et sur des échelles de temps (tout au long de la vie) sur
lesquelles aucune recherche n’a jamais été menée (figure du
professionnel réfléchi, et en auto-formation, en référence à Hachicha,
Heyrault, Charlot ; apprentissage en double boucle) ;
qui développerait progressivement une « compétence d’apprentissage
biographique », (figure du citoyen réfléchit en auto-gouvernance
biographique, en référence à Alheit et Dausien ; apprentissage en triple
boucle) ;
qui maîtriserait finalement son apprenance (figure du citoyen pro-actif,
pleinement conscient de la culture de l’apprendre, anthropologue de la
singularité de ses propres apprentissages, en référence à Carré, Field ;
apprentissage en triples boucles croisées et multiples, ou en sphère de
conscience) ?
c) Pour l’axe du rapport au savoir, nous pourrions prolonger la proposition de
Charlot et proposer l’hypothèse, que le rapport au savoir serait une prise de
position (ou de posture) réflexive, dans laquelle l’adulte en reprise d’étude et
en apprentissage tout au long de la vie est un sujet (du simple au complexe):
-
Qui développe un rapport épistémique au savoir à partir de trois
processus d’apprentissage réflexifs (Charlot), ou un phénomène
d’altération des intérêts cognitifs (Habermas), ou d’un ensemble de
processus cognitifs (savoirs apprendre, les 5 compétences à apprendre,
Carré, Bandura, Zimmerman…)
-
Qui développent un rapport identitaire au savoir à partir de trois
processus de construction identitaire (Charlot) ou de six processus
motivationnels (le vouloir apprendre, Carré, Decy & Ryan, Nuttin…)
-
Qui développent un rapport social au savoir à partir d’un processus
relationnel (Charlot), ou de la biographicité des expériences sociales
24
25
(Alheit & Dausien), ou des sept situations d’apprenance relatives à
l’écologie de l’apprenance (le pouvoir apprendre, Carré, Gehin &
Méhaut).
Nous tentons de schématiser cette proposition qui met en tension relative la notion de
réflexivité,
croisée avec la notion de rapport au savoir, dans une perspective
d’apprentissage tout au long de la vie.
Complexe
Perspective d’apprentissage
tout au long de la vie
Apprenance
(Carré, Bandura, Nuttin, Deci & Ryan, …)
Apprentissage biographique
Réflexivité
(Alheit & Dausien)
Rapport au savoir
(Charlot)
Apprentissage réflexif
(Heyraud)
Altération des intérêts
cognitifs (Habermas)
Acte réfléchissant (Shön)
Réflexion sur l’action, en
cours d’action (Shön)
Action
simple
Rapport au savoir
Complexe
Si les différents auteurs établissent un lien plus ou moins explicite entre rapport au
savoir et réflexivité, ce schéma suppose jusqu’à cinq boucles réflexives, ou cinq
niveaux de complexité de la réflexivité, qu’il faut considérer avec prudence :
-
La proximité conceptuelle entre l’apprentissage biographique et
l’apprenance n’est pas établie, car les auteurs ne se référencent pas
mutuellement à partir de leurs derniers travaux (2005 dans les deux
cas) ;
25
26
-
La combinatoire entre les facteurs personnels, comportementaux,
environnementaux, les facteurs dominants, catalyseurs ou inhibiteurs,
dans l’apprenance, ne sont pas établis dans les travaux de Carré ;
-
Si l’on considère que le rapport au savoir est une des postures
caractéristique de la réflexivité, quelle place donner aux processus
identitaires, sociaux ... ?
Nous concluons donc que les recherches récentes proposent des éléments
théoriques mettant en lien réflexivité et rapport au savoir, dans le cadre de la
reprise d’étude et dans la perspective de l’apprentissage tout au long de la vie.
Cependant ces liens semblent d’autant plus diffus que les facteurs qu’ils mettent
en jeux deviennent plus nombreux, et qu’ils font eux-mêmes appel à d’autres
théories
(comme
l’agentivité,
l’auto-régulation,
l’identité,
etc…).
Cette
complexité exponentielle nécessitera de cibler la suite de l’étude.
26
27
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professionnel. Donald A.Schön. Traduit par Jacques Heynemand et Dolorès
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National du QUEBEC, Montréal.
28
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