problèmes arrivent : c'est la peste dont parle Oedipe, etc...
C'est compliqué de soutenir ce point de vue, parce qu'en même temps la philosophie dès
son premier moment (et là évidemment on pense à ce que Derrida a pu dire à ce sujet
dans La pharmacie de Platon), la philosophie est dans la dénégation du rapport constitutif
de l'écriture. La thèse que je soutiens (et je crois qu'on peut dire que Derrida la soutenait
aussi, même s'il ne l'a jamais formulée comme ça), c'est que l'Académie va être une
machine à écrire, une machine à produire de l'écriture (Léon Robin le disait en 1929 dans
son Platon), mais une écriture que j'appelle thérapeutique, une écriture qui va faire un
usage du pharmakon véritablement thérapeutique - ce n'est pas pour rien que Platon parle
de médecine de l'âme, ce n'est pas pour rien que Socrate, à la fin du Phédon, alors qu'il a
déjà avalé la cigüe, dit "va sacrifier un coq à Asclépios de ma part" (c'est le Dieu de la
médecine).
La thèse que je soutiens par rapport à ça, c'est que les disciplines scolaires au sens large,
au sens classique, sont toutes des thérapeutiques de l'écriture. De près ou de loin. D'abord
parce qu'elles sont constituées par un rapport d'enseignement qui n'est pas simplement un
rapport d'initiation - je dis "pas simplement" parce que je crois qu'il y a toujours un
rapport d'initiation aussi, il n'y a jamais seulement de l'enseignement, mais la base c'est
l'enseignement. L'enseignement c'est du profane, ce qui fait qu'on a à faire à de
l'enseignement c'est que c'est public, c'est à dire profane - car c'est synonyme, profane et
public, ce qu'on oublie souvent -, et ce qui rend possible ce caractère profane (Jean-Pierre
Vernant l'a développé très longuement et très brillamment), c'est l'écriture. L'écriture est
la condition de cette transmission publique, publique c'est à dire à tous les citoyens qui
sont isonomes, égaux devant la loi c'est à dire devant le savoir - en droit, pas en fait mais
en droit -. publique c'est à dire aussi ouverte au débat public, tout comme la loi est
ouverte à toute jurisprudence que voudrait inscrire en débat n'importe qui, par exemple
Hésiode allant trouver le juge pour lui dire "je suis désolé mais la loi ça ne va pas", etc... -
ça, c'est la Cité. Ce modèle matriciel de la possibilité de contester la loi, qui est rendu
possible exclusivement par l'écriture (là aussi, cela renvoie à Vernant, cela renvoie à
Détienne, à beaucoup d'autres), c'est le modèle de toutes les disciplines de transmission.
Toutes ces thérapeutiques que sont les disciplines (l'histoire depuis Thucydide, la
géométrie depuis Thalès, la physique depuis Aristote, Galilée, etc...), supposent un
instrument intellectuel, une technique ou une technologie de l'esprit, qui constitue le fond
commun de compétence et l'espace public de débat, à l'intérieur desquels la rationalité est
possible et en dehors desquels il n'y a pas de rationalité possible.
Maintenant, ayant dit tout cela, j'ajouterai un point encore : n'est objet d'enseignement
que ce qui produit de la cumulativité, que ce qui est inscrit dans l'histoire de la discipline.
Y compris dans les arts, par exemple : il y a une cumulativité de l'histoire de l'art, une
cumulativité des pratiques musicales, des pratiques artistiques. C'est absolument
essentiel. Et cette cumulativité, qui est une transmission intergénérationelle, donc dans
une histoire des savoirs - l'école est d'abord une instruction dans l'histoire, dans
l'historicité même des savoirs, une historicité critique -, n'est pas possible sans écriture.
Cette historicité, qui est indispensable au renouvellement des savoirs, à la recherche - une
thèse n'est pas possible, n'est pas imaginable, sans faire un état de l'art, une histoire du
savoir à partir d'où l'on parle -, cette historicité est ce qui va constituer ce que j'appelle
des circuits de transindividuation. Là j'emploie une terminologie qui vient du concept de
"transindividuel" de Gilbert Simondon. Je considère que les concepts de Simondon sont