4
La place qu’ils occupent dans le système de production, leurs relations avec la société
d’accueil, rendent leur situation comparable à celle des immigrants étrangers.
Si, aux premières heures de la migration, on observait un nombre relativement
important de fonctionnaires
, cette population a été rapidement relayée par des ouvriers
de l’industrie et du bâtiment. D’un niveau d’instruction souvent comparable à celui des
travailleurs étrangers, ils bénéficiaient cependant d’une formation scolaire de type
intégrationniste dans un contexte culturel univoque, médiatisant la Métropole à travers
des valeurs linguistiques, historiques et idéologiques avec lesquelles les migrants étaient
familiarisés avant même leur arrivée sur le sol métropolitain. De tels indicateurs
peuvent apparaître comme des privilèges. Il n’en est rien. Les Réunionnais, peu
qualifiés professionnellement, ont trouvé leur place, « comme les étrangers », aux
postes les plus répétitifs, les plus éprouvants et les moins rémunérateurs.
»
Les migrants pionniers des années 60 ont pleinement adhéré au courant
assimilationniste de l’époque, affichant à la moindre occasion, une volonté d’intégration
économique et sociale et le désir d’être identifiés comme des citoyens français à part
entière. La responsabilité des discriminations subies a longtemps été attribuée à des
singularités individuelles ne remettant pas en cause la société française et ses
institutions.
En 1975, Isabelle Taboada Leonetti
, consacrant sa thèse de doctorat à la
problématique migratoire des Réunionnais, évoquait déjà le caractère complexe de cette
migration. Elle insistait surtout sur la dispersion et le refus de regroupement, sur la
multiplicité des comportements individuels induisant une typologie des migrants selon
des critères liés au phénotype. Elle soulignait la place particulière des Réunionnais dans
le champ des migrations, entretenant avec la France, des relations à la fois privilégiées
et critiques.
Cette posture singulière nous incita à analyser cette dynamique du retour à l’origine
qui caractérise aujourd’hui la diaspora. Le groupe qui s’est progressivement constitué
revendique un droit à l’altérité en réponse aux stéréotypes du discours commun qui
associe le plus souvent les Réunionnais à des étrangers.
Sur ce terrain, le chercheur doit s’efforcer de comprendre la nature et les causes des
revendications identitaires. A l’évidence, elles posent le constat d’une « question
réunionnaise » non maîtrisée.
Pourtant le traitement du phénomène réunionnais dans le champ de la sociologie des
migrations et relayé dans l’espace public, n’est jamais abordé. Ce constat pourrait
laisser supposer que cette migration ne pose pas « problème » et témoigne d’une
intégration réussie
Précisons cependant que les premiers fonctionnaires originaires des D.O.M. ont occupé des emplois subalternes. Les
archives de l’Assistance Publique révèlent notamment que la majorité des Domiens a été employée comme agent
auxiliaire sous contrat.
Isabelle TABOADA-LEONETTI, « Le problème de l’identité chez les immigrants des départements d’outremer :
l’exemple des Réunionnais » : Sociologie du Travail, juillet-septembre 1972, n°3, p.295.
Isabelle TABOADA-LEONETTI, De l’aliénation à la prise de conscience. Itinéraire de l’identité des migrants
réunionnais en métropole, thèse de doctorat de 3e cycle, Paris, Sorbonne, 1975.
R. GAILLAND. Les trois âges de la migration réunionnaise. Thèse de doctorat de 3e cycle, Paris, EHESS, novembre
2002, R. GAILLAND : La Réunion : anthropologie politique d’une migration, Paris, l’Harmattan, collection anthropologie
critique, 2005.