qu’un cliché occlusal qui montre une image d’ostéolyse
avec fracture de l’angle mandibulaire gauche et un
aspect «grignoté» de l’os au niveau de l’angle contro-
l a t é ral. Deux hypothèses diagnostics sont alors ava n -
cées : soit une deuxième localisation d’un cancer des
voies aéro-digestives supéri e u r e s, soit plus probabl e -
ment compte tenu de l’aspect clinique, radiologique et
de l’anamnèse, la survenue d’une ostéoradionécrose 2
ans après l’irradiation. La patiente est adressée au
service de chirurgie maxillo-faciale pour prise en char-
ge, diagnostic et thérapeutique.
DISCUSSION
Cette observation nous permet de rappeler cert a i n s
aspects de cette pathologie iatrogène, malheureu-
sement encore trop fréquente, qui gr è ve les résultats
fonctionnels de la radiothérapie des cancers des voies
aérodigestives supérieures. D’autre part elle nous per-
met d’attirer l’attention sur la nécessaire prévention qui
passe par une remise en état bucco-dentaire, préalable
à toute radiothérapie de la région.
1. Aspects cliniques de l’ostéoradionécrose.
Sur le plan clinique on décrit deux tableaux typiques.
L’ o s t é o radionécrose précoce ou ostéora d i o n é c r o s e
v r aie survenant dans les semaines ou les mois sui-
vants l’irradiation est rare et le plus souvent imputable à
une faute technique à type de surdosage dans le pro-
tocole théra p e u t i q u e . Elle fait suite à une ra d i o é p i -
thélite et une radiomucite, et s’accompagne de phéno-
mènes douloureux non atténuables par les antalgi-ques
u s u e l s. La dénudation osseuse s’installe à con-tours
irréguliers et à fond grisâtre laissant apparaître un os
blanc jaunâtre de consistance plus ou moins dure (4,
6).
L’ostéoradionécrose tardive ou ostéite post-radique est
plus fréquente. En moyenne 2 ans après l’irradiation à
la suite d’un traumatisme (extraction dentaire, prothèse
défectueuse, etc...) provoquant une effraction muqueu-
se, un processus ostéitique se déclenche. Ce proces-
sus infectieux chronique souvent lui aussi hy p e ra l g i -
que, s’accompagne de phénomènes inflammatoires et
i n fectieux au niveau des tissus péri m a n d i bulaires à
L’OSTEORADIONECROSE MANDIBULAIRE
W. EL WADI*, G. PAYEMENT**, D. CANTALOUBE***
* Service d’Odontologie chirurgicale - Faculté de Médecine Dentaire -
Rabat
** Service de Chirurgie Plastique, Chirurgie Maxillo-faciale et de
Stomatologie HIA DESGENETTES - Lyon
*** Service de Chirurgie Plastique, Chirurgie Maxillo-faciale et de
Stomatologie HIA PERCY - Paris
INTRODUCTION
L’ o s t é o r adionécrose ou ostéite post-ra d i q u e, est une
complication redoutable de la ra d i o t h é rapie des can-
cers cerv i c o - m a x i l l o - faciaux. Cette maladie iatrogène
pose des probl è m e s, non pas de diagnostic mais de
prise en charge des patients irradiés d’où l’intérêt d’un
traitement préventif. le but final est en effet non seule-
ment de guérir le malade de sa pathologie cancéreuse
mais aussi de limiter autant que possible les séquelles
de la thérapeutique instituée afin d’améliorer la qualité
de vie des patients à moyen et long terme (3).
L’odontologiste tient une place à part entière au sein de
l’équipe pluridisciplinaire et par la rigueur de la prépa-
ration bucco-dentaire permettra de réduire la fréquence
d’apparition de cette grave complication.
A propos d’un cas clinique, nous nous proposons de
faire une mise au point concernant la clinique, la phy-
siopathologie de cette affection et de rappeler les
moyens de sa prévention.
CAS CLINIQUE
Une jeune femme de 22 ans nous est adressée en
1991 pour soins dentaires après avoir subi en 1989 une
radiothérapie pour tumeur maligne du cavum à la dose
de 46 Grays par 2 champs latéraux et 24 Grays centrés
sur le cavum, fractionnées en 23 séances, étalées sur
34 jours. Elle n’a bénéficié d’aucune mise en état de la
cavité buccale avant de débuter cette radiothérapie.
Sur le plan général la patiente présente un amaigri s -
sement et des douleurs importantes mal soulagées par
la prise des antalgiques usuels. L’ examen ex o bu c c a l
met en évidence une asymétrie faciale et une fistule
latéro cervicale gauche productive (fig. 1). L’ ex i s t e n c e
d’une constriction permanente des mâchoires rend
l ’ examen endobuccal difficile. Ce dernier révèle une
hyposialie et des dents réduites à l’état de racines (fig.
2). L’ examen radiologique réalisé lors de la consul-
tation initiale comporte un ort h o p a n t o m o gramme ainsi
L’ostéoradionécrose…
27
type de cellulite. Ils majorent la constriction permanen-
te des mâchoires aggravant les difficultés d’alimenta-
tion, l’ensemble aboutissant inexorablement à une alté-
ration de l’état général (3, 6).
La radiologie standard et les examens tomodensitomé-
triques permettent de suspecter le diagnostic et de sur-
veiller l’évolution du phénomène ostéitique. Les clichés
montrent au début un flou des contours osseux, l’exis-
tence de zones de densité osseuse va ri a ble pouva n t
t r aduire une ostéolyse, l’existence de séquestres
osseux ou une néoostéogénèse. Les signes débu t e n t
le plus souvent au niveau de la région alvéolaire zone
du traumatisme initial et se développe en direction du
bord basilaire de la mandibule d’une part, de la bran-
che montante et de la partie hori zontale d’autre part .
Quelque soit la forme clinique l’évolution se fait inéluc-
tablement à plus ou moins long terme vers des fractu-
res de la mandibule comme le montre la radiographie
occlusale de notre patiente (fig. 3).
L’ é volution de l’ostéoradionécrose peut se faire de 2
m a n i è r e s. Elle peut-être favo ra bl e, l’état général du
patient reste conservé, le trismus est souvent absent et
l ’ é v olution se fait vers l’élimination spontanée du
séquestre suivie de la guérison muqueuse. L’évolution
d é favo ra ble se fait vers une nécrose ex t e n s i ve ave c
complication infectieuse, trismus, fistulisations traînan-
t e s, douleurs invalidantes et des fractures osseu-ses
dont la consolidation reste hypothétique. Ces complica-
tions vont gêner l’alimentation du malade ce qui va
aggraver son état général et se traduire à terme par un
état de cachexie responsable du décès du patient.
2. Aspects physiopathologiques de l’ostéoradioné-
crose
Les radiations ionisantes sont responsables de lésions
immédiates par mort cellulaire et lésions tardives en
rapport avec des troubles de la vascularisation à type
d ’ e n d a rt é r ite obl i t é ra n t e. Ces lésions ont des consé-
quences variables selon les différents types tissulaires.
Au niveau de l’os l’hy p o c e l l u l a r ité contemporaine de
l’irradiation associée à l’hypovascularisation secondaire
aux lésions vasculaires post-radiques provoquent une
hy p oxie et une diminution de la nu t rition des tissus
p o u vant aboutir à la nécrose. C’est la théorie des 3H
de M A R X (1983). (3,8). Plus récemment, DA M B R A I N
(1991) (5) a montré que c’est l’infection associée à
l’ischémie qui représentent les deux éléments les plus
i m p o rtants dans le déclenchement de l’ostéora d i o n é -
crose car la résorption osseuse n’est pas nécessaire-
ment irréve r s i bl e . Les agents responsables de la
destruction osseuse sont classés selon DAMBRAIN en
3 groupes : de nature cellulaire par l’action des ostéo-
clastes et des ostéocytes ce qui représente une notion
nouvelle et de nature chimique par l’action de la salive
et du pus.
La résorption ostéoclastique
Par ra p p o rt au tissu osseux normal, le tissu osseux
irradié se trouve privé de ses cellules souches détruites
par l’action des rayonnements ionisants. Il en résulte
une ostéoporose progr e s s i ve, qui ressemble au phé-
nomène observé au niveau du tissu osseux chez un
patient immobilisé de façon prolongée. Cependant cet
état n’est pas irréve r s i b le et après recolonisation
conjonctivo-vasculaire de la zone irradiée par des cel-
lules souches venues des régions externes au champ
d ’ i r radiation il peut y avoir une néo-ostéogénèse. En
cas d’infection, la résorption ostéoclastique est stimu -
lée et la néo-ostéogenèse ne compense plus la perte
osseuse.
La lyse peri o s t é o c y t a i r e . C’est le mécanisme de
r é s o rption pathognomonique de l’ostéite post-ra d i q u e
mis en évidence par DAMBRAIN. Plusieurs études ont
montré que des ostéocytes mis en relation avec le
milieu ex t é rieur ou contaminés par des toxines micro-
biennes peuvent être responsables d’une ostéolyse.
Les résorptions chimiques
Il s’agit d’une déminéralisation du tissu osseux surve -
nant en l’absence d’activité ostéoclastique et ostéo-
cytaire. Ce phénomène est dû à l’action dissolvante de
la salive.
La mandibule doit donc rester dans un équilibre pré-
caire au sein de son étui muco-périosté et toute rupture
de cet équilibre peut déclencher le processus osteiti-
que.
Au niveau des parties molles diverses mécanismes
viennent potentialiser ou participer à l’aggravation de la
s y m p t o m a t o l o g i e . La muqueuse peut être siège
d ’ é n a n t h é m e, de mu c i t e , parfois de nécrose décou-
vrant l’os fragilisé. La peau à la suite d’une epithéleite
ex s u d a t i ve peut être fragilisée et inflammatoire. L’ a t -
teinte des muscles masticateurs réalise des myo s i t e s
rétractiles responsables de la constriction permanente
des mâchoires qui rend difficile l’hygiène bucco-dentai-
re et favo rise ainsi l’apparition de lésions dentaires,
portes d’entrée de l’ostéite post-radique. Le tissu cellu-
laire soumis à l’action des rayonnements ionisants peut
présenter des lésions infectieuses extensives et chroni-
ques à l’origine de cellulites péri - m a x i l l a i r e s. L’ a t t e i n t e
Odonto-Stomatologie Tropicale
L’ostéoradionécrose…
28
des glandes salivaires se traduit initialement par une
hy p e r s a l i vation secondaire à la ra d i o mucite qui laisse
place à une hyposialie se traduisant par une séche-
resse bu c c a l e, une diminution du PH, conditions opti-
males pour le développement des caries post-radiques.
Enfin l’organe dentaire subit l’action directe de l’irradia-
tion qui se manifeste histologiquement par une dégé-
nérescence pulpaire aboutissant à une calcification.
L’odontonécrose se traduit classiquement par une carie
du collet évoluant vers des fractures cervicales ave c
changement de teinte allant du jaune au noir. Cepen-
dant l’aspect classique type dent d’ébène devient rare
en raison de la modification des modalités radiothérapi-
ques. Au stade ultime l’émail se fissure et se craquelle
p o u vant laisser des pans tranchants susceptibles de
blesser le malade.
3. La prévention
Les mécanismes physiopathologiques exposés ex p l i -
quent que l’odontologiste a un rôle majeur à jouer dans
la prévention de l’ostéoradionécrose chez tout sujet
soumis à une irradiation des structures maxillo-faciales.
Les mesures de prévention ne doivent pas être ponc-
tuelles mais doivent débuter avant même l’irra d i a t i o n
( p r é vention primaire) et s’étaler tout au long de la vie
du malade (prévention secondaire), nécessitant une
parfaite compréhension du sujet lui même et une infor-
mation précise de tout le personnel soignant pouva n t
être amené à s’occuper du malade.
La prévention primaire vise tout d’abord à lutter contre
l’intoxication alcoolo-tabagique.
L’alcoolisme est incriminé avec le tabac dans l’appa-
rition des lésions malignes des voies aérodigestive s
s u p é ri e u r e s, dans 9 cas sur 110 et la poursuite de
cette intoxication chez des malades irradiés augmente
signi-ficativement le risque d’ostéoradionécrose (2). La
mise en état bucco-dentaire est au centre du problème.
Tout patient devant recevoir une irradiation pour une
tumeur des voies aérodigestives supérieures doit subir
un exa-men odontologique ou stomatologique clinique
et ra d i o - l o g i q u e . Le but de cet examen est de
s u p p rimer toutes les dents, situées dans les champs
d ’ i r radiation ou, siège d’une infection ou pouvant en
entraîner une. En cas de doute ou de patient difficile à
s u r veiller il faut avoir recours à des av u l s i o n s
complètes avant irradia-tion. Ces ex t ractions doive n t
être les moins traumati-santes possibles car plus la
c i c a t r isation est rapide plus l’irradiation pourra
commencer tôt. La cicatrisation complète est obtenu e
en sept à dix jours, cependant par sécurité il est
habituel de n’entreprendre la ra d i o - t h é r apie qu’au
terme de la troisième semaine.
La prévention secondaire passe par une hygiène buc-
co-dentaire stricte avec des brossages dentaires
f l u o r é s, idéalement complétés par l’utilisation après
chaque repas d’un hydropulseur pour extraire les parti-
cules alimentaires restantes dans les espaces inter-
dentaires. La fluoration par topiques fluorés a modifié la
conception classique d’ex t raction systématique des
dents situées dans les champs d’irradiation et a conduit
à moduler ces extractions en fonction de l’état bucco-
dentaire initial, de la psychologie et de l’état de récep-
tivité du patient aux complications éve n t u e l l e s. Des
empreintes sont prises et des gouttières porte-gel fluo-
ré personnalisées sont réalisées (1,9). Elles dev r o n t
être portées enduites de gel durant 5 minutes par jour
toute la vie. Le contact du fluor au niveau de l’émail
dentaire provoque la fo rmation d’une nouvelle couche
de cristaux de fluoroapatite tous les 3 mois afin de sur-
veiller l’apparition de caries post-radiques ou de lésions
p a r o d o n t a l e s . Cette surveillance est capitale pour
s’assurer de l’assiduité de la prophylaxie fluorée.
CONCLUSION
La difficulté du traitement médical ou chirurgical de
l’ostéite post-radique justifie pleinement le rôle de
l’odontologiste dans la prise en charge primaire et
secondaire de ces patients. Dans notre pratique quo-
tidienne le problème demeure entier étant donné le
coût de la mise en état préalable de la cavité buccale,
de la confection des gouttières sans parler du gel fluoré
d’usage quotidien pour toute la vie dont le prix atteint
des chiffres dépassant les possibilités matérielles de
nos patients.
Odonto-Stomatologie Tropicale
L’ostéoradionécrose…
29
Odonto-Stomatologie Tropicale
RÉSUMÉ
L’ o s t é o r a d i o n é c rose est une complication redoutable de la radiothérapie des cancers cerv i c o - m a x i l l o -
faciaux. La difficulté du traitement de cette maladie iatrogène justifie pleinement le rôle de l’odontologiste
dans la prise en charge primaire et secondaire des patients irradiés.
A propos d’un cas clinique d’ostéoradionécrose mandibulaire, les auteurs proposent de faire une mise au
point concernant la cl i n i q u e , la physiopathologie de cette affection et de rappeler les moyens de sa
prévention.
Mots clés : Ostéoradionécrose - radiothérapie - prévention
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