/ Orientation diagnostique devant une anémie1 Item n° 297 : Devant une anémie, argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents) Introduction L'anémie constitue certainement pour le médecin la question la plus transversale de la pathologie. Cette anomalie peut certes constituer une affection en ellemême et justifier un traitement spécifique, mais elle peut être observée dans tous les domaines de la médecine, même celui de la psychiatrie. Par ailleurs, l'hémogramme est l'un des examens biologiques les plus prescrits de l'activité médicale, que l'on suspecte ou non l'existence d'une anémie. C'est bien souvent dans ces circonstances qu'une anémie est découverte. La façon dont la question est posée laisse supposer que l'anémie est affirmée et non qu'elle est seulement suspectée. Dire que l'anémie est affirmée suppose que l'on dispose du résultat d'un hémogramme contemporain de la rencontre avec le patient (interrogatoire du patient lui-même ou de son entourage, examen somatique). En pratique, le diagnostic d'anémie est acquis sur l'interprétation du taux d'hémoglobine2, en fonction de l'âge et du sexe du patient : < 13 g/dl chez l'homme, < 12 g/dl chez la femme < 10,5 g/dl chez au cours du dernier trimestre de la grossesse (hémodilution), < 14 g/dl chez le nouveau-né. Il n'y a pas d'anémie physiologique des sujets âgés. Toute anémie exprime l'existence d'un processus pathologiques, quel que soit son niveau de gravité. L'anémie étant affirmée, il convient alors d'en déterminer l'étiologie, seul moyen de proposer une attitude thérapeutique adaptée. Cette adaptation doit tenir compte non seulement de l'étiologie de l'anémie, mais aussi de l'état spécifique du patient (en particulier son âge et son état cardio-vasculaire). Les bases du diagnostic Comme dans toute démarche diagnostique, l'orientation étiologique d'une anémie repose sur : 1 Pr J CORBERAND (Laboratoire d’Hématologie) 2 L'hématocrite (Hte) qui exprime la proportion d'hématies dans un volume de sang évolue parallèlement au taux d'hémoglobine (Hb et Hte varient donc parallèlement, qu'il y ait hémoconcentration ou hémodilution); ainsi, face à un problème d'anémie, peut-on facilement suivre l'état d'un patient sur le simple Hte, ses caractéristiques érythrocytaires étant déjà connues grâce à l'hémogramme. L'Hte peut facilement être réalisé sur simple prélèvement par microponction (pulpe du doigt en général, talon chez le nouveau-né), ce qui en fait un bon examen de surveillance transfusionnelle ou lors de risque d'hémorragie interne. 1/12 / - l'interrogatoire orienté du patient, - l'examen somatique, dont sont aussi retirés des éléments d'appréciation de la gravité de la situation, - la lecture rationnelle de l'hémogramme, C'est l'association des informations obtenues au terme de cette triple analyse qui permet de proposer des hypothèses diagnostiques et de déterminer les investigations complémentaires pertinentes qui en découlent. 1- L'interrogatoire orienté du patient Cette phase de la prise en charge du patient est essentielle. Doivent être relevées les informations suivantes : - sur le plan personnel : - âge : l'incidence des différentes pathologies susceptibles de s'accompagner d'une anémie varie en fonction de l'âge. Ainsi, par définition, l'anémie hémolytique du nouveau-né par incompatibilité Rh ne s'observe qu'à la naissance. Elle a pratiquement disparu au prorata de la surveillance de la grossesse, rendue obligatoire par la loi. À l'opposé, les anémies des syndromes myélodysplasiques sont presque toutes découvertes chez des patients de plus de 60 ans. A mécanisme équivalent et pour le même niveau d'hémoglobine, une anémie est moins bien supportée chez un sujet âgé que chez un plus jeune. - sexe : les affections gynécologiques (bénignes ou malignes) sont de grandes pourvoyeuses d'anémies. - origine ethnique (nombre d'anémies d'origine génétique sont liée à l'origine du patient), - activité professionnelle conduite au cours des dernières années (y compris les activités de détente, susceptibles d'entraîner une exposition à des substances toxiques), - antécédents pathologiques et les maladies en cours, avec les traitements y afférant, - médicaments dits "de confort", tels les antalgiques, les tranquillisants et les somnifères, - antécédents obstétricaux (y compris les interruptions de grossesse, volontaires ou non), le nombre et la répartition des grossesses et la notion d'une grossesse en cours avec la date prévue du terme, - habitudes alimentaires, en insistant si besoin sur les apports en nutriments riches en fer, - régime menstruel en insistant sur la durée et l'évaluation du volume des pertes (sachant que la notion de "règles normales" alléguée par la patiente ne peut être considérée comme suffisante), - signes fonctionnels dont se plaint le patient : 2/12 / • certains témoignent de la mauvaise tolérance de l'anémie (asthénie, essoufflement à l'effort puis au repos, troubles visuels, céphalées, sensations vertigineuses, trouble de l'attention voire troubles de la conscience), • certains correspondent à l'aggravation de pathologies préexistantes (angor, décompensation cardiaque, claudication intermittente) • d'autres peuvent orienter vers une pathologie d'organe (respiratoire, digestive, cardiaque, uro-néphrologique) ou de système (atteintes articulaires, épanchement des séreuses). - vitesse d'installation de l'anémie. - sur le plan familial : Les affections, hématologiques ou non, susceptibles d'orienter vers une affection à caractère héréditaire (anomalies constitutionnelles de l'hémoglobine, le plus fréquemment). 2- L'examen somatique Il vise à recueillir quatre types d'informations : - les éléments de gravité de l'anémie : outre la pâleur, tachycardie avec souffle systolique de pointe, hypotension artérielle et accélération du rythme respiratoire; des signes témoignant de l'hypoxie cérébrale peuvent apparaître : de simples sensations vertigineuses jusqu'à la perte de connaissance. En l'absence de résultats d'investigations complémentaires, ces signes doivent conduire à la prescription d'un hémogramme. - tous éléments d'orientation vers une affection susceptible de s'accompagner d'une anémie, quel qu'en soit le mécanisme (infections chroniques, maladies inflammatoires, affections néoplasiques, maladies auto-immunes, hépatopathies chroniques), - l'état des organes hémo-lymphatiques : recherche systématique d'adénopathies périphériques, d'hypertrophie amygdalienne et de splénomégalie, - la recherche de manifestations hémorragiques, cutanées et muqueuses avec éventuellement l'examen du fond d'œil. 3- Les éléments retirés de l'analyse de l'hémogramme La valeur informative de l'hémogramme tient en partie à la qualité du laboratoire. Il est attendu que la découverte d'une anémie entraîne automatiquement l'examen microscopique d'un frottis sanguin. Le biologiste peut avoir, à bon escient, ajouté la numération des réticulocytes, même si cet examen ne figurait pas sur l'ordonnance. 3/12 / Ainsi peut-on disposer des trois séries d'informations nécessaires à l'orientation étiologique, sur base biologique : - les paramètres érythrocytaires (VGM et TGMHb) et la morphologie des hématies, - les autres paramètres de l'hémogramme, - la numération des réticulocytes. L'analyse érythrocytaire complète permet de classer l'anémie en trois classes selon le VGM : - normocytaire (80 - 100 fl), - microcytaire (< 80 fl), - macrocytaire (> 100 fl). TGMHb et CGMHb permettent de considérer si l'anémie est hypochrome (< 27 pg pour le TGMHb; < 32 % pour la CGMHb) ou normochrome (≥ 27 pg pour le TGMHb; ≥ 32 pour la CGMHb); cette appréciation ne présente d'intérêt que pour les situations de microcytose ou de normocytose. L'hypochromie est confirmée par l'examen au microscope (hématies pâles par élargissement de leur centre clair). Les anomalies de la morphologie érythrocytaire3, observées au microscope, peuvent donner une forte orientation diagnostique. Les plus significatives sont : - aniso-poïkilocytose : orientant vers une myélodysplasie, chez le sujet âgé, - dacryocytes : suggérant une myélofibrose, - schizocytes : évoquant une anémie par rupture mécanique des hématies. La considération du reste de l'hémogramme (leucocytes et plaquettes) permet de déterminer si l'anémie est isolée ou non. - Le caractère isolé de l'anémie (plaquettes et leucocytes ne sont l'objet d'aucune variation significative, quantitative ou qualitative) laisse supposer que le mécanisme inducteur n'affecte que la lignée érythrocytaire (érythroblastopénie, non disponibilité du fer, destruction périphérique, anomalie constitutionnelle de l'hémoglobinosynthèse). - L'association à une ou plusieurs autres anomalies4 ouvre sur de nombreuses hypothèses : • hémopathies : leucémies aiguës et dissémination sanguine de lymphomes malins, syndromes myéloprolifératifs tels que la LMC et la myélofibrose primitive, syndromes lymphoprolifératifs chroniques, aplasies médullaires, 3 Leur identification repose sur l'interprétation du biologiste, comme pour un compte-rendu d'anatomie pathologique. C'est dire l'importance de la qualité du laboratoire. 4 - quantitatives dans le sens de l'augmentation ou de la diminution, - qualitatives avec présence anormale de cellules immatures ou présence de cellules anormales. 4/12 / • atteintes médullaires, par métastases osseuses des cancers ostéophiles ou par myélome multiple. • hypersplénisme (devant une pancytopénie) dont il convient de rechercher à son tour l'origine. Le nombre des réticulocytes5 permet de déterminer si l'anémie est régénérative (réticulocytes ≥ 150000 /µl) ou non régénérative (< 150000 /µl). Cet examen ne présente d'intérêt que pour les anémies normocytaires ou macrocytaires lorsque l'étiologie n'est pas évidente par ailleurs. Le caractère régénératif dédouane une origine médullaire, qu'elle soit quantitative (aplasie ou hypoplasie) ou qualitative (myélodysplasie, carence vitaminique en vitamine B12 ou en folates). En cas de cause périphérique (hémorragie et hémolyse), la réponse réticulocytaire ne peut être observée qu'après un intervalle libre de 48 heures au minimum; le niveau significatif (> 150 000 /µl) n'étant atteint qu'après 5 à 6 jours6. Ce délai est allongé lorsque le fer n'est pas disponible pour l'hémoglobinosynthèse (déplétion martiale ou détournement du fer). Cadres clinico-biologiques Le recueil de l'ensemble de ces informations permet d'individualiser plusieurs cadres clinico-biologiques auxquels rattacher des hypothèses diagnostiques et les examens complémentaires pertinents à proposer. 1- Les données cliniques (autres que celles de l'anémie) témoignent d'une pathologie connue ou évolutive et l'anémie est isolée : - Hémorragies aiguës ou chroniques • hémorragies extériorisées7 : - d'origine traumatique (plaies vasculaires), - hémoptysie, - hématémèse • hémorragies internes : - origine vasculaire (plaie à l'arme blanche, rupture d'anévrysme), - origine digestive avant extériorisation, 5 qu'ils aient été demandés d'emblée ou qu'ils l'aient été dans un second temps après confirmation de l'anémie par l'hémogramme. La connaissance de ce paramètre restreint considérablement le champ des hypothèses à envisager. 6 Les automates qui permettent actuellement de déterminer la numération des réticulocytes de façon fiable donnent aussi un nouveau paramètre : le pourcentage de réticulocytes dont la teneur en ARN est la plus élevée (réticulocytes "jeunes"). Ce pourcentage lorsqu'il est augmenté est annonciateur de la crise réticulocytaire. L'intérêt pratique de ce paramètre est important dans le cadre des traitements myéloablatifs (sortie d'aplasie) et dans l'utilisation des facteurs de stimulation (EPO dans l'insuffisance rénale chronique). 7 Il est à noter que certaines hémorragies extériorisées, susceptibles d'impressionner le patient, n'entraînent pas obligatoirement une anémie ; c'est le cas des épistaxis et des hémorroïdes. Il convient alors de ne pas se laisser abuser et de savoir rechercher une autre cause derrière ce signe mis en avant par le patient lors de l'interrogatoire. 5/12 / - origine obstétricale : grossesse extra-utérine. Dans toutes ces situations, l'anémie présente les caractéristiques érythrocytaires qui étaient celles du patient auparavant; indépendamment de la gravité de la cause elle-même, elle peut mettre en jeu le pronostic vital. - Notion d'anémie à caractère familial, - Notion de voyage en pays impaludé, - Notion d'exposition à des toxiques (professionnels ou non), - Affections de nature néoplasique : cancers avec ou sans métastases, myélome multiple, affections lymphoprolifératives (LLC, lymphomes malins non hodgkiniens, maladie de Waldenström), - Syndromes inflammatoires (maladies rhumatismales, infections fébriles prolongées, affections auto-immunes systémiques, cancers, maladie de Hodgkin), - Maladies auto-immunes (lupus systémique et autres connectivites), - Endocrinopathies (insuffisance thyroïdienne, surtout), - Insuffisance rénale chronique, - Syndromes de malabsorption [maladie cœliaque, maladie de Crohn, lymphomes du tube digestif (MALT), chirurgie digestive d'exérèse : gastrectomie, anastomoses iléo-coecales], - Cardiopathies valvulaires avec prothèse, et microangiopathies thrombotiques, - Consommation médicamenteuse susceptible d'induire une anémie : • par hémolyse (α-méthyl-dopa, antibiotiques variés), • par aplasie médullaire (cytostatiques, anti-inflammatoires…), • par action métabolique (antifoliques) • par déperditions sanguines, plus ou moins évidentes (aspirine, traitements anticoagulants). Les mécanismes des anémies observées dans ces situations, sont multiples, possiblement associés : - déperdition sanguine : anémies par hémorragie, - non disponibilité du fer pour l'hémoglobinosynthèse (déplétion martiale de l'organisme, captation du fer dans le secteur de réserve) : anémies microcytaires et hypochromes, - déficit en EPO (insuffisance rénale chronique) : anémie non régénérative, - déficit vitaminique (B12, folates) : anémies macrocytaires, mégaloblastiques ou non. • Pour la vitamine B12, le tableau le plus typique est celui de la maladie de Biermer (affection auto-immune à tropisme digestif, le plus souvent sans signes d'appel – voir ci-dessous). Mais d'autres causes de déficit 6/12 / en vitamine B12 peuvent être observées dans différentes circonstances : - végétariens absolus, sur des années (manque d'apport), - gastrectomie (suppression de la production du FI) (déficit d'absorption), - atteinte de l'iléon terminal (maladie de Crohn, maladie cœliaque, résection du grêle, fistule digestive) (déficit d'absorption). • Pour les folates, les causes en sont multiples : - manque d'apport (régimes pauvres en légumes verts); - perturbation du stockage (alcoolisme); - augmentation des besoins (grossesses répétées, hémolyse chronique); - déficit d'absorption (maladie coeliaque, résection jéjunale); - médicamenteuse [trimethoprime (Bactrim), améthoptérine (Méthotrexate), anticomitiaux (hydantoïnes); - élimination (hémodialyse). - effet inhibiteur sur l'érythropoïèse de médiateurs de l'inflammation (TNFα en particulier) : anémies inflammatoires (microcytaire et hypochromes), - métastases (perturbation du micro-environnement médullaire) : anémies non régénératives, - atteinte des progéniteurs hématopoïétiques (toxique, immunologique) : anémies non régénératives des aplasies médullaires, - destruction des hématies par des anticorps (allo, auto, immuno-allergique) : anémies hémolytiques, - déficit enzymatique constitutionnel (G6PD, PK) : anémies hémolytiques, - anomalie constitutionnelle de l'hémoglobine (thalassémies, hémoglobinopathies S, C…) : anémies hémolytiques avec ou sans dysérythropoïèse, - anomalie constitutionnelle de la membrane [sphérocytose héréditaire (ou maladie de Minkowski-Chauffard), elliptocytose familiale…], Pour ces trois types d'anémies constitutionnelles (affectant les enzymes, l'hémoglobine et la membrane), si le diagnostic de certitude ne peut venir que des investigations complémentaires, de forts éléments d'orientation justifiant la nature de ces examens complémentaires peuvent être tirés des données ethniques, de l'analyse des antécédents familiaux et de l'existence de signes cliniques (splénomégalie, subictère conjonctival). - destruction mécanique des hématies (anémies schizocytaires) : anémies hémolytiques. 2- Que des signes cliniques soient présents ou non, l'anémie est associée à d'autres anomalies de l'hémogramme : - plaquettes abaissées : purpura thrombopénique immunologique aigu ou chronique (myélogramme, anticorps anti-plaquettaires et anti-phospholipides), 7/12 / - plaquettes très augmentées : thrombocytémie essentielle (BOM, cytogénétique), - hyperleucocytose avec myélémie sans érythroblastose : LMC (moelle avec cytogénétique conventionnelle ou moléculaire), LMMC (myélogramme), - hyperleucocytose avec érythromyélémie : myélofibrose primitive, métastases médullaires (BOM), - hyperleucocytose avec blastose : leucémies aiguës (myélogramme pour classification FAB, immunophénotypage et cytogénétique), - présence de cellules lymphoïdes anormales, avec ou sans hyperleucocytose : • cellules lymphoïdes activées : syndrome mononucléosique (bilan étiologique), • cellules lymphomateuses : LMNH (biopsie ganglionnaire et BOM), - dystrophie des cellules matures, quel que soit le nombre des leucocytes et des plaquettes (aniso-poïkilocytose, PNN dégranulés, plaquettes géantes) : myélodysplasies (myélogramme), - leucopénie et thrombopénie (pancytopénie) : • avec neutropénie profonde (formule leucocytaire inversée) : aplasie médullaire, métastases de cancer ostéophile; dans ces deux situations la BOM s'impose. Forme crypto-leucémique de leucémie aiguë, myélodysplasie (voir ci-dessus), anémies mégaloblastiques; dans la plupart des cas, pour ces affections, une seule aspiration médullaire suffit pour porter le diagnostic. • sans neutropénie marquée (formule conservée) : hypersplénisme (quelle que soit la cause de la splénomégalie). Les examens complémentaires à mettre en œuvre sont ceux justifiés par la splénomégalie. Ces différentes anomalies peuvent être associées pour constituer des tableaux plus ou moins complexes. Ainsi le volume de la rate (hypersplénisme) peut-il modifier l'évaluation d'une anémie découverte dans le cadre d'une affection myéloproliférative avec importante splénomégalie. 3- Dans les autres cas l'anémie est isolée (sans autres signes cliniques que ceux de l'anémie). La situation peut être aiguë, revêtant un caractère d'urgence. Le plus souvent elle est de type chronique. La mesure de la VS, souvent demandée en même temps que l'hémogramme, peut constituer un élément d'orientation (son élévation est en faveur d'un état inflammatoire; supérieure à 100 mm/1h, elle doit faire suspecter une immunoglobuline monoclonale). Mais ce sont les caractéristiques érythrocytaires, particulièrement les réticulocytes, qui ont une grande valeur d'orientation. L'anémie est régénérative ou non. 8/12 / - régénérative : l'anémie, plus ou moins profonde, peut être normocytaire ou macrocytaire. 1- normocytaire, normochrome : - spoliation sanguine interne, d'un débit suffisant (origine digestive : tumeur bénigne ou maligne); en fait, cette situation est exceptionnelle, l'examen somatique et l'interrogatoire permettant d'obtenir des éléments d'orientation, lorsqu'ils sont soigneusement réalisés. - hémolyse d'origine corpusculaire : outre les examens qui permettent d'affirmer l'hémolyse (abaissement de l'haptoglobine et élévation de la bilirubine indirecte, élévation des LDH), c'est la morphologie érythrocytaire qui constitue le signe essentiel d'orientation. Des affections constitutionnelles peuvent être découvertes sans que l'interrogatoire n'ait apporté d'information à ce sujet : ce sont essentiellement la sphérocytose héréditaire (sphérocytes sur le frottis sanguin, étude de la résistance globulaire aux solutions hypotoniques, test d'auto-hémolyse à 37°C) et l'elliptocytose familiale (elliptocytes sur le frottis). 2- macrocytaire : hémolyses (l'augmentation du VGM est imputable à la forte réticulocytose) : anémies hémolytiques auto-immunes idiopathiques (test de Coombs, type et spécificité de l'anticorps en cause, recherche d'un contexte auto-immun), - déficit enzymatique en G6PD ou en PK, le plus souvent (dosage des enzymes érythrocytaires). Dans tous ces cas, on pratiquera un groupe sanguin dans l'hypothèse de besoins transfusionnels. - non régénérative : 1- normocytaire, normochrome : - aplasies médullaires : le diagnostic nécessite obligatoirement la réalisation d'une BOM8; les autres investigations complémentaires sont guidées par la recherche de l'étiologie de l'aplasie. Aucune étiologie n'est trouvée dans plus de 50% des aplasies médullaires, - érythroblastopénies : le diagnostic repose sur l'étude de la moelle (aspiration ou BOM). Le diagnostic étiologique repose sur la recherche d'une infection par le Parvovirus B19 ou d'un thymome. Le caractère auto-immun de l'érythroblastopénie n'est souvent prouvé que de façon indirecte par l'efficacité du traitement immunodépresseur, 8 Le risque hémorragique ne peut, dans ce cas, faire récuser cet examen. Il convient alors d'assurer la préparation adaptée du patient. 9/12 / - insuffisance rénale chronique : l'anémie peut être la circonstance de sa découverte (créatinine, bilan ionique, éventuellement dosage de l'érythropoïétine. Les autres investigations complémentaires sont celles de la recherche de la cause de l'insuffisance rénale. 2- macrocytaire : - alcoolisme : dans la plupart des cas, l'anémie est l'expression d'une carence associée (liée aux conditions de vie) ou d'une complication (le plus souvent liée à une cirrhose avec son cortège de facteurs favorisants). L'anémie est le plus souvent modérée, modérément macrocytaire9. - carences vitaminiques : il s'agit essentiellement des carences en B12 et en folates (vitamine B9). Ces dernières sont les plus fréquentes, mais dans ce cas l'interrogatoire décèle le plus souvent des arguments étiologiques. La macrocytose est en général importante (entre 110 et 140 fl). Le diagnostic de mégaloblastose repose sur le myélogramme. La carence en cause est établie par le dosage des vitamines. - Les déficits en B12 résultent de mécanismes variés ; la maladie de Biermer ne constitue que l'une des étiologies et son diagnostic repose sur la mise en évidence : • de l'atteinte gastrique (endoscopie révélant une atrophie de la muqueuse en aires nacrées avec confirmation histologique de la lésion par la biopsie), • du déficit d'absorption de la vitamine B12 (test de Schilling avec facteur intrinsèque, • de la présence d'anticorps dirigés contre des composants d'origine gastrique (anti-FI, anti-cellules pariétales). Son traitement repose sur de la vitamine B12 administrée à vie, par voie parentérale. - Les déficits en folates peuvent aussi survenir dans de nombreuses circonstances révélées par le simple interrogatoire (voir ci-dessus). Mais certains existent sans signes d'appel, particulièrement chez les sujets âgés par manque d'apport (régimes pauvres en légumes verts). Ils peuvent orienter à tord vers une myélodysplasie primitive (toutefois, les deux peuvent être associés). 9 Dans bien des circonstances, il n'est pas facile d'en obtenir l'aveu lors d'une première prise de contact et, chez les sujets obèses en particulier, l'examen peut ne pas trouver les signes somatiques d'orientation. L'alcoolisme est la première cause de macrocytose; en général elle est modérée, n'excédant pas 110 fl. Sa suspicion impose de réaliser les tests hépatiques avec dosage des γ-GT; indépendamment des autres facteurs, l'alcool par lui-même est inducteur de macrocytose; seul l'arrêt de l'intoxication peut la faire disparaître en quelques mois; l'apport de folates, sans arrêt de l'intoxication, est inefficace. 10/12 / - myélodysplasies : il s'agit d'un ensemble d'affections survenant surtout chez les sujets, hommes et femmes, au-delà de 60 ans dont certaines s'accompagnent d'une splénomégalie. Elles s'expriment essentiellement sur l'hémogramme (voir ci-dessus) et sont souvent découvertes fortuitement à l'occasion d'un bilan de surveillance ou pour une fatigue inexpliquée. Elles sont liées à une anomalie de la cellule souche hématopoïétique, mais leur expression la plus fréquente est celle d'une anémie macrocytaire non régénérative (isolée, si l'on ne considère que les données quantitatives). Le diagnostic repose sur le myélogramme (simple ponction). - hypothyroïdie : sa symptomatologie peut être très discrète et non révélée ni par l'interrogatoire ni par l'examen clinique. L'anémie est modérée, de même que la macrocytose. Il faut savoir y penser si l'on ne dispose d'aucune autre donnée d'orientation étiologique. Le diagnostic repose sur le dosage de la TSH. 3- microcytaire et hypochrome : La présence d'hématies de petite taille ne renfermant pas leur contenu normal d'hémoglobine correspond à deux mécanismes essentiels : • la non disponibilité du fer pour l'hémoglobinosynthèse (déplétion martiale ou détournement du fer); cette situation est traitée dans le cadre de l'item 222, • les anomalies constitutionnelles de la synthèse de l'hémoglobine (syndromes thalassémiques). Les thalassémies : Leur expression homozygote donne des tableaux très graves (maladie de Cooley pour la forme β, létalité pour la forme α). Seules les formes hétérozygotes posent des problèmes de diagnostic en médecine courante. Fréquentes et parfaitement bien supportées, elles s'expriment sous forme de microcytose avec un taux d'hémoglobine limite ou légèrement inférieur à la normale. Assez souvent, le nombre des hématies est augmenté, tableau que l'on peut aussi observer chez certains patients avec déplétion martiale. Il existe des indices discriminatifs qui, sur la base des paramètres érythrocytaires, permettent d'orienter le diagnostic (déplétion martiale ou thalassémie hétérozygote ?) et déterminer le type d'examens complémentaires à prescrire (dosage du fer + transferrine ou électrophorèse de l'hémoglobine ?). La distinction entre ces 2 situations est importante pour éviter de prescrire indûment du fer aux thalassémiques qui n'en ont pas besoin. 11/12 / Dans la pratique on retiendra…. 1- L'anémie est définie par la baisse du taux d'Hb au dessous de la valeur normale, variable selon l'âge et le sexe (ces valeurs doivent être connues "par cœur"). 2- L'anémie étant affirmée, il convient d'en déterminer l'étiologie, seul moyen de proposer une attitude thérapeutique adaptée. 3- L'orientation étiologique d'une anémie repose sur l'examen clinique du patient et la lecture rationnelle de l'hémogramme. 4- Le nombre des réticulocytes permet de déterminer si l'anémie est régénérative ou non. Cet examen bien qu'indispensable ne doit pas être prescrit systématiquement devant toutes les anémies. Il ne présente d'intérêt que pour les anémies normocytaires ou macrocytaires lorsque l'étiologie n'est pas évidente par ailleurs. Le caractère régénératif dédouane une origine médullaire, quantitative ou qualitative. En cas de cause périphérique (hémorragie et hémolyse), la réponse réticulocytaire ne peut être observée qu'après un intervalle libre de 48 heures au minimum; le niveau significatif (> 150 000 /µl) n'étant atteint qu'après 5 à 6 jours. Ce délai est allongé lorsque le fer n'est pas disponible pour l'hémoglobinosynthèse, par déplétion martiale ou détournement du fer. 5- Le recueil de l'ensemble de ces informations permet d'individualiser plusieurs cadres clinico-biologiques auxquels rattacher des hypothèses diagnostiques et les examens complémentaires pertinents à proposer : - soit, les données cliniques (autres que celles de l'anémie) témoignent d'une pathologie connue ou évolutive et l'anémie est isolée. Les circonstances sont multiples et variées, les mécanismes physiopathologiques, tout aussi variés sont souvent associés. - soit, l'anémie est associée à d'autres anomalies de l'hémogramme, que des signes cliniques soient présents ou non. Ces anomalies, portant sur les différentes catégories de leucocytes et sur les plaquettes peuvent être associées pour constituer des tableaux plus ou moins complexes. - soit, l'anémie est isolée (sans autres signes cliniques que ceux de l'anémie). Ce sont encore les caractéristiques propres de l'anémie qui vont orienter les investigations conduisant à l'étiologie. 12/12