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Orientation diagnostique devant une anémie
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Item 297 : Devant une anémie, argumenter les principales hypothèses
diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents)
Introduction
L'anémie constitue certainement pour le médecin la question la plus transversale
de la pathologie. Cette anomalie peut certes constituer une affection en elle-
même et justifier un traitement spécifique, mais elle peut être observée dans
tous les domaines de la médecine, même celui de la psychiatrie. Par ailleurs,
l'hémogramme est l'un des examens biologiques les plus prescrits de l'activité
médicale, que l'on suspecte ou non l'existence d'une anémie. C'est bien souvent
dans ces circonstances qu'une anémie est découverte.
La façon dont la question est posée laisse supposer que l'anémie est affirmée et
non qu'elle est seulement suspectée. Dire que l'anémie est affirmée suppose que
l'on dispose du résultat d'un hémogramme contemporain de la rencontre avec le
patient (interrogatoire du patient lui-même ou de son entourage, examen
somatique). En pratique, le diagnostic d'anémie est acquis sur l'interprétation du
taux d'hémoglobine
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, en fonction de l'âge et du sexe du patient :
< 13 g/dl chez l'homme,
< 12 g/dl chez la femme
< 10,5 g/dl chez au cours du dernier trimestre de la grossesse (hémodilution),
< 14 g/dl chez le nouveau-né.
Il n'y a pas d'anémie physiologique des sujets âgés. Toute anémie exprime
l'existence d'un processus pathologiques, quel que soit son niveau de gravité.
L'anémie étant affirmée, il convient alors d'en déterminer l'étiologie, seul
moyen de proposer une attitude thérapeutique adaptée. Cette adaptation doit
tenir compte non seulement de l'étiologie de l'anémie, mais aussi de l'état
spécifique du patient (en particulier son âge et son état cardio-vasculaire).
Les bases du diagnostic
Comme dans toute démarche diagnostique, l'orientation étiologique d'une anémie
repose sur :
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Pr J CORBERAND (Laboratoire d’Hématologie)
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L'hématocrite (Hte) qui exprime la proportion d'hématies dans un volume de sang évolue parallèlement au taux
d'hémoglobine (Hb et Hte varient donc parallèlement, qu'il y ait hémoconcentration ou hémodilution); ainsi, face à un
problème d'anémie, peut-on facilement suivre l'état d'un patient sur le simple Hte, ses caractéristiques érythrocytaires étant
déjà connues grâce à l'hémogramme. L'Hte peut facilement être réalisé sur simple prélèvement par microponction (pulpe du
doigt en général, talon chez le nouveau-né), ce qui en fait un bon examen de surveillance transfusionnelle ou lors de risque
d'hémorragie interne.
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- l'interrogatoire orienté du patient,
- l'examen somatique, dont sont aussi retirés des éléments d'appréciation de la
gravité de la situation,
- la lecture rationnelle de l'hémogramme,
C'est l'association des informations obtenues au terme de cette triple analyse
qui permet de proposer des hypothèses diagnostiques et de déterminer les
investigations complémentaires pertinentes qui en découlent.
1- L'interrogatoire orienté du patient
Cette phase de la prise en charge du patient est essentielle. Doivent être
relevées les informations suivantes :
- sur le plan personnel :
- âge : l'incidence des différentes pathologies susceptibles de
s'accompagner d'une anémie varie en fonction de l'âge. Ainsi, par
définition, l'anémie hémolytique du nouveau-né par incompatibilité Rh ne
s'observe qu'à la naissance. Elle a pratiquement disparu au prorata de la
surveillance de la grossesse, rendue obligatoire par la loi. À l'opposé, les
anémies des syndromes myélodysplasiques sont presque toutes
découvertes chez des patients de plus de 60 ans. A mécanisme équivalent
et pour le même niveau d'hémoglobine, une anémie est moins bien
supportée chez un sujet âgé que chez un plus jeune.
- sexe : les affections gynécologiques (bénignes ou malignes) sont de
grandes pourvoyeuses d'anémies.
- origine ethnique (nombre d'anémies d'origine génétique sont liée à
l'origine du patient),
- activité professionnelle conduite au cours des dernières années (y
compris les activités de tente, susceptibles d'entraîner une exposition
à des substances toxiques),
- antécédents pathologiques et les maladies en cours, avec les traitements
y afférant,
- médicaments dits "de confort", tels les antalgiques, les tranquillisants et
les somnifères,
- antécédents obstétricaux (y compris les interruptions de grossesse,
volontaires ou non), le nombre et la répartition des grossesses et la
notion d'une grossesse en cours avec la date prévue du terme,
- habitudes alimentaires, en insistant si besoin sur les apports en
nutriments riches en fer,
- régime menstruel en insistant sur la durée et l'évaluation du volume des
pertes (sachant que la notion de "règles normales" alléguée par la
patiente ne peut être considérée comme suffisante),
-
signes fonctionnels
dont se plaint le patient :
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certains témoignent de la mauvaise tolérance de l'anémie (asthénie,
essoufflement à l'effort puis au repos, troubles visuels, céphalées,
sensations vertigineuses, trouble de l'attention voire troubles de la
conscience),
certains correspondent à l'aggravation de pathologies préexistantes
(angor, décompensation cardiaque, claudication intermittente)
d'autres peuvent orienter vers une pathologie d'organe
(respiratoire, digestive, cardiaque, uro-néphrologique) ou de
système (atteintes articulaires, épanchement des séreuses).
- vitesse d'installation de l'anémie.
- sur le plan familial :
Les affections, hématologiques ou non, susceptibles d'orienter vers une
affection à caractère héréditaire (anomalies constitutionnelles de l'hémoglobine,
le plus fréquemment).
2- L'examen somatique
Il vise à recueillir quatre types d'informations :
- les éléments de gravité de l'anémie : outre la pâleur, tachycardie avec souffle
systolique de pointe, hypotension artérielle et accélération du rythme
respiratoire; des signes témoignant de l'hypoxie cérébrale peuvent apparaître :
de simples sensations vertigineuses jusqu'à la perte de connaissance. En
l'absence de sultats d'investigations complémentaires, ces signes doivent
conduire à la prescription d'un hémogramme.
- tous éléments d'orientation vers une affection susceptible de s'accompagner
d'une anémie, quel qu'en soit le mécanisme (infections chroniques, maladies
inflammatoires, affections néoplasiques, maladies auto-immunes, hépatopathies
chroniques),
- l'état des organes hémo-lymphatiques : recherche systématique
d'adénopathies périphériques, d'hypertrophie amygdalienne et de splénomégalie,
- la recherche de manifestations hémorragiques, cutanées et muqueuses avec
éventuellement l'examen du fond d'œil.
3- Les éléments retirés de l'analyse de l'hémogramme
La valeur informative de l'hémogramme tient en partie à la qualité du
laboratoire. Il est attendu que la découverte d'une anémie entraîne
automatiquement l'examen microscopique d'un frottis sanguin. Le biologiste peut
avoir, à bon escient, ajouté la numération des réticulocytes, même si cet examen
ne figurait pas sur l'ordonnance.
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Ainsi peut-on disposer des trois séries d'informations nécessaires à
l'orientation étiologique, sur base biologique :
- les paramètres érythrocytaires (VGM et TGMHb) et la morphologie des
hématies,
- les autres paramètres de l'hémogramme,
- la numération des réticulocytes.
L'analyse érythrocytaire complète permet de classer l'anémie en trois classes
selon le VGM :
- normocytaire (80 - 100 fl),
- microcytaire (< 80 fl),
- macrocytaire (> 100 fl).
TGMHb et CGMHb permettent de considérer si l'anémie est hypochrome (< 27
pg pour le TGMHb; < 32 % pour la CGMHb) ou normochrome (≥ 27 pg pour le
TGMHb; 32 pour la CGMHb); cette appréciation ne présente d'intérêt que pour
les situations de microcytose ou de normocytose. L'hypochromie est confirmée
par l'examen au microscope (hématies pâles par élargissement de leur centre
clair).
Les anomalies de la morphologie érythrocytaire
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, observées au microscope,
peuvent donner une forte orientation diagnostique. Les plus significatives sont :
- aniso-poïkilocytose : orientant vers une myélodysplasie, chez le sujet âgé,
- dacryocytes : suggérant une myélofibrose,
- schizocytes : évoquant une anémie par rupture mécanique des hématies.
La considération du reste de l'hémogramme (leucocytes et plaquettes) permet
de déterminer si l'anémie est isolée ou non.
- Le caractère isolé de l'anémie (plaquettes et leucocytes ne sont l'objet
d'aucune variation significative, quantitative ou qualitative) laisse supposer que
le mécanisme inducteur n'affecte que la lignée érythrocytaire
(érythroblastopénie, non disponibilité du fer, destruction périphérique, anomalie
constitutionnelle de l'hémoglobinosynthèse).
- L'association à une ou plusieurs autres anomalies
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ouvre sur de nombreuses
hypothèses :
hémopathies : leucémies aiguës et dissémination sanguine de lymphomes
malins, syndromes myéloprolifératifs tels que la LMC et la myélofibrose
primitive, syndromes lymphoprolifératifs chroniques, aplasies médullaires,
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Leur identification repose sur l'interprétation du biologiste, comme pour un compte-rendu d'anatomie pathologique. C'est
dire l'importance de la qualité du laboratoire.
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- quantitatives dans le sens de l'augmentation ou de la diminution,
- qualitatives avec présence anormale de cellules immatures ou présence de cellules anormales.
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atteintes médullaires, par métastases osseuses des cancers ostéophiles ou
par myélome multiple.
hypersplénisme (devant une pancytopénie) dont il convient de rechercher à
son tour l'origine.
Le nombre desticulocytes
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permet de déterminer si l'anémie est régénérative
(réticulocytes ≥ 150000 /µl) ou non régénérative (< 150000 /µl).
Cet examen ne présente d'intérêt que pour les anémies normocytaires ou
macrocytaires lorsque l'étiologie n'est pas évidente par ailleurs.
Le caractère régénératif dédouane une origine médullaire, qu'elle soit
quantitative (aplasie ou hypoplasie) ou qualitative (myélodysplasie, carence
vitaminique en vitamine B12 ou en folates).
En cas de cause périphérique (hémorragie et hémolyse), la réponse
réticulocytaire ne peut être observée qu'après un intervalle libre de 48 heures
au minimum; le niveau significatif (> 150 000 /µl) n'étant atteint qu'après 5 à 6
jours
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. Ce délai est allongé lorsque le fer n'est pas disponible pour
l'hémoglobinosynthèse (déplétion martiale ou détournement du fer).
Cadres clinico-biologiques
Le recueil de l'ensemble de ces informations permet d'individualiser plusieurs
cadres clinico-biologiques auxquels rattacher des hypothèses diagnostiques et
les examens complémentaires pertinents à proposer.
1- Les données cliniques (autres que celles de l'anémie) témoignent d'une
pathologie connue ou évolutive et l'anémie est isolée :
- Hémorragies aiguës ou chroniques
hémorragies extériorisées
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:
- d'origine traumatique (plaies vasculaires),
- hémoptysie,
- hématémèse
hémorragies internes :
- origine vasculaire (plaie à l'arme blanche, rupture d'anévrysme),
- origine digestive avant extériorisation,
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qu'ils aient été demandés d'emblée ou qu'ils l'aient été dans un second temps après confirmation de l'anémie par
l'hémogramme. La connaissance de ce paramètre restreint considérablement le champ des hypothèses à envisager.
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Les automates qui permettent actuellement de déterminer la numération des réticulocytes de façon fiable donnent aussi un
nouveau paramètre : le pourcentage de réticulocytes dont la teneur en ARN est la plus élevée (réticulocytes "jeunes"). Ce
pourcentage lorsqu'il est augmenté est annonciateur de la crise réticulocytaire. L'intérêt pratique de ce paramètre est
important dans le cadre des traitements myéloablatifs (sortie d'aplasie) et dans l'utilisation des facteurs de stimulation (EPO
dans l'insuffisance rénale chronique).
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Il est à noter que certaines hémorragies extériorisées, susceptibles d'impressionner le patient, n'entraînent pas
obligatoirement une anémie ; c'est le cas des épistaxis et des hémorroïdes. Il convient alors de ne pas se laisser abuser et de
savoir rechercher une autre cause derrière ce signe mis en avant par le patient lors de l'interrogatoire.
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