DISCOURS DE GEORGES MARSHALL A L’UNIVERSITE DE HARVARD
LE 5 JUIN 1947
Présentation du European Recovery Program
Georges Marshall (1880-1959), général qui participa aux deux guerres mondiales, occupa
de 47 à 49 les fonctions de Secrétaire d’Etat Major, poste auquel il développa la diplomatie
du containment face à l’URSS
Ce discours prononcé le 5 Juin 1947 lors de la cérémonie de remise des diplômes à Harvard
présente le European Recovery Program (connu en France comme le Plan Marshall) , le
plan de sauvetage économique américain pour l’Europe.
Le moment n’est pas fortuit, car la cérémonie lui assure la présence de nombreuses
personnalités importantes. C’est aussi à la veille du troisième anniversaire du D-Day
(débarquement allié en France) que les Etats Unis se proposent de « sauver encore une fois
l’Europe » avec ce plan Marshall.
Le fait que ce discours concerne les chefs d’Etats Européens mais soit prononcé à Harvard
lui confère une double intention : d’une part rallier un maximum de pays européens à ce
plan, d’autre part emporter l’approbation des Américains et leur montrer que cette aide
n’est pas un cadeau coûteux fait à l’Europe, mais un pari sur l’avenir pour les USA.
On peut diviser ce discours en trois parties :
-Présentation alarmante de la situation de l’Europe : « A l’heure actuelle, elle [la civilisation
moderne] est menacée de ruine »
-Les buts de l’aide Marshall
- Les conditions de l’aide américaine
Nous nous concentrerons plus particulièrement sur les deux dernières parties, qui sont plus
pertinentes pour l’objet de notre analyse, à savoir dans quelle mesure le Plan Marshall a-t-il
influé sur la construction Européenne.
1) Une aide motivée par des raisons économiques
A. Un appui direct à l’Europe en naufrage
Marshall souligne avec justesse que les besoins de l’Europe sont largement supérieurs
à sa capacité de paiement. L’aide Marshall est donc un appui direct en marchandises
et en capitaux, à l’Europe qui est gravement endettée. Son appareil productif a été très
endommagé, et la transition d’une économie de guerre à une économie de
consommation courante ne peut s’opérer aussi rapidement qu’il serait nécessaire, et
surtout sans une aide financière. C’est pourquoi les Etats Unis se proposent d’apporter
à l’Europe une aide financière et d’exporter les produits dont l’Europe a besoin et
qu’elle n’est pas encore en mesure de produire.
B. Un plan de sauvetage mondial
Les Etats Unis se sont octroyé une mission qui n’est pas seulement d’aider l’Europe
dans sa reconstruction, mais bel et bien « d’aider à rétablir la santé économique du
monde ». En effet, cette aide vise à rétablir les mécanismes du système économique
et remédier à la « dislocation de toute la structure de l’économie européenne » due à la
guerre .
D’autre part, cela montre que Marshall reconnaît à l’Europe un rôle primordial dans le
système mondial, puisque sa mauvaise santé économique pourrait se répercuter sur le
monde entier.
C. Un don américain indirect à leur propre pays
La nécessite pour Marshall d’arriver à convaincre son auditoire de personnalités
influentes américaine, le contraint à révéler ses craintes pour l’Amérique. En effet, il
montre que s’il est impératif de venir en aide à l’Europe, c’est que la première victime
de son naufrage pourrait être les Etats Unis. La ruine de l’Europe serait la perte pour
les USA d’un très gros client.
Marshall souligne que les besoins de l’Europe sont une part non négligeable des
exportations des USA.
Il est sous entendu que si un pays reçoit des fonds du plan Marshall, il est évident qu’il
devra s’en servir en majorité pour acheter les produits dont il a besoin à son
« partenaire » :les Etats Unis. « Les conséquences de cette situation pour l’économie
des Etats Unis devraient être évidentes pour tous. » ceci dans un sens négatif
comme dans un sens positif .Ce retour de bonnes pratique se traduit donc au final par
une évidence : le plan Marshall est avant tout un don indirect des américains à leur
propre pays, ce n’est pas un acte philanthropique et désintéressé.
2) Des enjeux politiques non avoués
A. Crainte des « troubles sociaux »
Le Secrétait d’Etat major craint que les difficultés économiques n’entraînent des
troubles sociaux graves qui nuiraient à la stabilité politique des pays et constituerait
un véritable terreau pour le développement de mouvements révolutionnaires
communistes.
Ainsi, rétablir une situation économique et sociale normale et sereine, c’est s’assurer
que les pays européens seront moins touchés par la tentation communiste, et surtout
entièrement acquis au camp de leur « sauveur ».
B. Une aide ouverte à TOUS
« Notre politique n’est dirigée contre aucun pays, aucune doctrine » bien que
jamais nommée lors de ce discours, il est clair pour tout le monde que l’URSS est
visée à plusieurs reprises. Marshall insiste donc sur le fait que l’aide américaine est
ouverte à tous les pays, même ceux qui sont communistes. L’ambition des Etats Unis
est que ce programme s’étende à toute l’Europe. Cependant, ils prévoient déjà le
refus de l’URSS et ses vassaux : « un grand nombre de nations européennes sinon
par toutes »
C. Réaction soviétique
Bien entendu l’URSS refusa catégoriquement toute aide américaine, et imposa ce
choix aux pays d’Europe Centrale et Orientale sous son influence.
En réaction au Plan Marshall, elle créa le KOMINFORM en 47 pour assurer la
cohésion du monde communiste et permettre aux dirigeants soviétiques d’instaurer
leur contrôle sur les partis communistes Européens.
3) L’Europe institutionnelle naît des conditions de cette
aide stipulées par les USA
A. Europe divisée en 2
Les Etats Unis espéraient par ce plan que l’Europe s’unirait et formerait une sorte de
bloc qui serait tout acquis à la cause américaine. En réalité le plan Marshall a divisé
l’Europe en deux parties distinctes chacune des deux grandes puissances s’y
étant taillé sa part .
Insister sur la nécessité de regrouper la majorité sinon la totalité des pays d’Europe,
c’est aussi envoyer un signal clair aux pays d’Europe Centrale et de l’Est :l’Europe
unie est en train de se construire refuser l’aide Marshall serait risquer de rater le
train et se marginaliser .
B. « Un remède plutôt qu’un simple palliatif »
Les Etats Unis n’entendent pas voler au secours de l’Europe à chaque fois qu’elle
serait ans une situation difficile. Il s’agit de rétablir le système économique une fois
pour toutes, le Plan Marshall est donc présenté comme une opportunité unique.
Ceci suppose donc une restructuration profonde et solide, qui ne peut se faire sans
un consensus européen.
En effet comme le souligne Marshall « la reconstruction Européenne demandera
évidemment beaucoup plus de temps et des efforts plus grands que nous ne l’avions
prévu », c’est un processus de longue haleine qui nécessite la concertation et l’union
des pays Européens pour être mené à bien.
C. Les USA prennent l’initiative d’amorcer la coopération
européenne
Les Etats Unis, conscients de la nécessité d’ union , condition de l’efficacité de leur
aide, invitent les pays bénéficiaires à se mettre d’accord sur la voie de la reprise. Ils
posent donc comme condition de l’aide que les pays l’administrent entre eux, et
s’entendent pour répartir le montant de cette aide de 19 milliards de dollars
globalement.
C’est à cet effet qu’est créée par la suite l’OECE (Organisation Européenne de
Coopération Economique), qui marque un premier pas vers une Europe unie autour
d’institutions.
C’est donc paradoxalement sous la tutelle des Etats Unis que l’Europe a tenté de se
constituer en un bloc cohérent.
D. Néocolonialisme et critiques
Les Etats Unis affirment ne pas vouloir s’immiscer dans les affaires intérieures de
l’Europe et la répartition de cette aide, ne pas vouloir imposer leur tutelle. C’est une
façon de rassurer ceux qui craignent l’impérialisme américain en faisant acte de
bonne foi. « L’initiative doit venir de l’Europe ».
Certains argueront que c’est une façon bien commode de se laver les mains de
conséquences futures. Si l’aide américaine n’était pas concluante, ce serait à cause
de la mauvaise gestion qui en aura été faite par les Européens.
La critique du plan Marshall est venue sur le devant de la scène parmi des historiens
révisionnistes pendant les années 60-70.Ils ont accusé le plan économique américain
d’impérialisme, et de n’être seulement qu’une tentative de rattacher l'Europe de
l'ouest face à l'Europe de l'Est des Soviétiques.
Les critiques des années 80, dont l’historien économique Alan S. Milward, précisent
que la croissance de nombreux pays européens avait été rétablie bien avant l'arrivée
à grande échelle de l'aide provenant des États-Unis, et était même rapide chez
certains destinataires. Tandis que le plan Marshall soulagea les premières difficultés
et le rétablissement des secteurs principaux, la croissance d'après-guerre était en
grande partie un processus indépendant.
CONCLUSION
Le plan Marshall a été souvent cité comme exemple de la façon dont l'aide économique
massive peut produire la prospérité. En effet grâce au Plan Marshall, l'Europe a connu une
énorme hausse de la croissance (taux de croissance X 1,7).
Cependant, certains ont précisé que la reconstruction d'après-guerre de l'Europe était un
problème bien plus facile que le développement ou la reconstruction des secteurs actuels
dans le tiers monde par exemple. Dans le cas de l'Europe, en dépit d'avoir été dévastée par
guerre, il restait une infrastructure physique significative et la qualification technique de la
population.
Si cette aide peut être vue comme une tentative d’impérialisme économique et politique, il
reste néanmoins qu’on ne peut nier son succès et les atouts qu’elle a apporté à l’Europe.
C’est aussi une première institutionnalisation de l’Europe en tant qu’union, sous l’impulsion
des Etats Unis qui déclaraient « L’initiative doit venir de l’Europe ».
C’est une bonne approche de l’aide internationale, partant du principe qu’il advient aux pays
eux même de se reconstruire, même s’ils nécessitent une aide financière extérieure.
Cette optique tranche avec l’attitude interventionniste des Etats Unis aujourd’hui, qui, trop
impatients, ne peuvent attendre de voir les pays évoluer par eux même avec leur aide, et
interviennent directement pour renverser les régimes ou systèmes économiques et sociaux
et quittent ensuite le pays, laissant aux habitants hébétés le soin de le reconstruire sans
avoir eu le temps de mûrir une réflexion pour savoir comment faire.
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