Animation régionale de Dakar
Réseau des chercheurs “Droit de la Santé”
Agence Universitaire de la Francophonie
Le contentieux du consentement de la victime en matière
médicale : les données et la solution d’un problème complexe
Professeur Sikiratou Aguemon
Université du Bénin, Faculté de Sciences Juridiques
Introduction
L’évolution des conditions d’exercice de la médecine a sensiblement affecté, au cours de ces
dernières années, les données d’une question de déontologie depuis longtemps débattue, celle du
caractère déterminant ou non du consentement de la victime dans la répression de telle ou telle
infraction. L’infraction pénale comporte fréquemment une victime. Il arrive quelquefois, pour des
motifs très variés que cette “Victime” ait accepté préalablement de subir l’infraction, voire qu’elle ait
incité l’auteur à la commettre : le créancier avait reçu sciemment un chèque sans provision en garantie
de la dette ; la personne blessée ou tuée dans un combat singulier avait accepté de se battre en duel ; le
malade incurable avait supplié qu’on mette fin à ses jours pour abréger ses souffrances etc. L’opinion
publique est portée à supposer que, lorsque la victime a consenti, l’infraction disparaît. Le problème
est néanmoins beaucoup plus complexe que cela. Il n’est d’ailleurs pas susceptible de recevoir une
solution absolue. Tenant compte des transformations scientifiques, aussi bien que sociales, subies par
la profession, une série d’arrêts est en effet, venue mettre pratiquement un terme aux controverses
antérieures en ces domaines, tout en apportant aux solutions du droit positif soit la souplesse, soit la
rigueur qui leur faisait auparavant défaut.
Jusqu’à une date récente, la doctrine et la jurisprudence française étaient restées dans leur ensemble
attachées à une conception dite absolue du secret professionnel et certains textes précisent
formellement que le consentement de la victime est indifférent à la répression de telle ou telle
infraction, par exemple l’article 317 du code pénal punit l’avortement pratiqué sur une femme enceinte
ou supposée enceinte “qu’elle y ait consenti ou non”.
En effet, la répression n’est habituellement pas organisée dans le seul intérêt particulier de telle ou
telle victime : elle protège l’intérêt général. Il importe peu, dès lors, qu’une personne ait accep
qu’une infraction soit commise à son détriment. Elle n’est pas seule en cause :
quand un père de famille se bat en duel pour une question d’honneur, il expose stupidement sa
femme et ses enfants à subir injustement les conséquences affectives et matérielles de son décès ou de
ses blessures, il crée, d’autre part, un désordre social dont l’Etat ne peut pas se désintéresser car le duel
est une forme de guerre privée incompatible avec l’ordre public. Depuis un arrêt de la chambre réunie
du 15 décembre 1837, les dommages physiques occasionnés au cours d’un duel sont toujours réprimés
sous la qualification d’assassinat ou de blessures volontaires. C’est ici un exemple fort ancien mais qui
26/05/17 Sikiratou Aguemon, Le contentieux du consentement de la victime en matière médicale : un problème complexe 2
demeure toujours d’actualité. La personnalisation extrême de la prestation médicale, la sensibilisation
de l’opinion envers tout ce qui touche à la protection de la vie privée expliquent facilement que, dans
les milieux médicaux surtout, une telle interprétation soit apparue à beaucoup comme le prolongement
naturel des positions, par eux prises, quant au maintien du caractère libéral de leur profession.
Cependant, ces préoccupations, pour légitimes qu’elles soient, ne sauraient faire oublier que, si le fait
médical est un fait intime, il est tout autant un fait social. Les progrès mêmes de la médecine l’obligent
à se doter d’un support technique et financier, qui y introduit nécessairement un élément collectif et à
travers lui une certaine publicité.
La recherche d’une solution compatible avec les divers intérêts en présence, comme avec la
situation actuelle de la science, s’avère ainsi plus complexe qu’il ne pourrait sembler et explique les
mutations progressives de la jurisprudence ; surtout la jurisprudence européenne récente qui, loin
d’assouplir sa position, n’a fait que la renforcer.
Dans l’affaire Pretty contre Royaume-Uni, la Cour a fait clairement savoir qu’un homicide par
compassion (Mercy Killing) du type de celui envisagé par le patient (Assisted Dying), Bill était
légitimement interdit par l’Etat en vertu de l’article 2 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme
(CEDH).
Nous procèderons donc dans la première partie de notre travail, à l’analyse critique du
durcissement du droit positif (I) avant de plaider pour une dépénalisation strictement réglementée de
certaines infractions afférentes au consentement de la victime en matière médicale (II).
En matière d’infractions relatives au consentement de la victime, nous retiendrons seulement pour
notre étude l’euthanasie et la violation du secret professionnel médical.
I. Vers un durcissement de la position du droit positif en matière
du contentieux relatif au consentement de la victime
Il importe ici de rappeler les facteurs de cette évolution avant d’exposer l’état présent du droit
positif.
A) Les facteurs de l’évolution
En faveur de la radicalisation du droit positif, en matière d’infractions afférentes au consentement
de la victime, on peut tout d’abord invoquer l’histoire et le droit comparé.
L’interprétation intransigeante de ce principe qui a toujours dominé la France et ses colonies, a été
à l’encontre des solutions du passé aussi bien que de la tendance de la plupart des législations
contemporaines.
Le Christianisme et l’Islam ne veulent pas entendre parler de l’Euthanasie quelle que soit sa forme :
euthanasie active, passive, suicide assisté, etc.
Dans l’affaire de Berck qui a mis les médias et la population française en émoi sur le thème de
l’euthanasie, la position catholique est claire et formelle. Le site de la conférence des évêques de
France a publié une déclaration de Monseigneur Bill, le 12 mars 2002, alors évêque et président de la
conférence des évêques : « Personne n’a le pouvoir de donner le droit de mettre un terme à la vie d’un
homme. La loi ne pourra jamais donner à quiconque ce droit de vie et de mort. Ce serait
26/05/17 Sikiratou Aguemon, Le contentieux du consentement de la victime en matière médicale : un problème complexe 3
outrepasser un des fondements de la société “l’interdit de meurtres”. Ce serait une rupture dans tout
ce qui a été la lente émergence de l’humanité au cours de l’histoire ».
A l’occasion de la mort de Yasser Arafat, l’imam Tayssir Al Tamimi, chef des tribunaux religieux
de Palestine, a assuré que Yasser Arafat était sans euthanasie et a rappelé qu’un tel acte est illicite dans
l’Islam.
En 1997, la plus haute instance religieuse en Arabie Saoudite, promulguait un décret religieux
selon lequel 1’euthanasie était interdite par la loi islamique, car la vie est un don de Dieu qui doit être
respecté. Le Docteur Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, précise que « le médecin n’est
que l’instrument de la volonté de Dieu » et qu’il ne peut en aucun cas avoir « une prérogative sur la
mort ».
L’islam comme les autres religions monothéistes, n’autorise pas l’euthanasie, condamne
l’acharnement thérapeutique et encourage le développement des soins palliatifs.
L’isolement même de cette attitude permet donc déjà de s’interroger sur son réalisme. Ce doute se
trouve au surplus confirmé dès que l’on recherche les motifs propres à justifier un tel rigorisme. Si
respectables qu’en soient les mobiles, une dissimulation ne saurait jamais être admise sans nuances ni
réserves.
Les considérations sociologiques tirées de l’exemple des divers systèmes juridiques passés et
présents (a) recoupent ainsi les considérations rationnelles ; et cette convergence explique l’orientation
nouvelle prise par la jurisprudence depuis quelques années (b).
a Considérations sociologiques
Que le médecin soit, de par sa mission, amené à connaître des faits à propos desquels certaines
obligations s’imposent à lui, est une constatation qui a été faite de longues dates par les sociétés les
plus diverses.
Pour la tradition médicale occidentale, ces diverses obligations ont trouvé dès l’origine son
expression dans le serment hippocratique auquel se réfère encore l’étique professionnelle
contemporaine : « Tout ce que je verrai et entendrai dans l’exercice de mon art ou hors de mon
ministère et qui ne devra pas être divulgué, je le tairai et le considérerai comme un secret ».
Mais autant, cette règle de morale déontologique est facilement admise en son principe, autant les
divergences se manifestent dès qu’il s’agit de la traduire en préceptes juridiques. Les variations
révélées à cet égard par l’histoire et par la comparaison des législations contemporaines sont
significatives.
b Considérations rationnelles
Certains pays subordonnent, comme le fait la loi française en matière de diffamation, la poursuite à
une plainte de la victime, à son consentement ou encore à l’existence d’un intérêt public ou privé.
C’est le cas du code pénal allemand (article 300), du code pénal suisse (article 321), et enfin du code
pénal italien (article 622).
Fréquemment aussi les textes préconisent que certains faits soient de nature à justifier la
divulgation : consentement de la victime suisse) ou encore l’existence d’un intérêt supérieur public
aussi bien que privé (Italie, Portugal).
26/05/17 Sikiratou Aguemon, Le contentieux du consentement de la victime en matière médicale : un problème complexe 4
En ce qui concerne le délit de révélation de secret professionnel, le respect du secret professionnel
est imposé dans l’intérêt primordial de la personne que concerne ce secret. Aussi de nombreux auteurs
estiment-ils que le délit disparaît lorsque le confident a été autorisé par cette personne à révéler le
secret qui la concerne. Cependant la question est loin d’être résolue en ce sens par les tribunaux. Alors
que la chambre criminelle de la Cour de Cassation a proclamé le caractère absolu du secret
professionnel médical dans son arrêt du 22 décembre 1966
1
, le conseil d’Etat dans un arrêt du 11
février 1972 a accordé de son coté au consentement du malade une valeur justificative
2
. La
controverse doctrinale demeure entière.
Quant à l’euthanasie c’est la bonne mort, la mort que délivre de ses souffrances un malade
incurable à qui elle est procurée par un tiers compatissant. Mais souvent la pitié de l’assassin ou du
meurtrier a suppléé au consentement que la victime n’était même pas capable d’exprimer. Euthanasie
d’un enfant monstrueux, d’un débile mental torturé par la souffrance. L’étude de la jurisprudence
pourrait laisser supposer qu’il existe au sujet de la solution de ce douloureux problème un désaccord
entre les magistrats professionnels et les jurés des cours d’assises. En effet, les juridictions qui ont
pour mission de se prononcer sur les mises en accusation en matière criminelle renvoient généralement
l’auteur de l’homicide devant la Cour d’assises sous l’accusation d’assassinat ou de meurtre. Mais il
arrive que les jurés prononcent l’acquittement de cette catégorie d’accusés, ou de condamnations très
indulgentes. Cependant l’attitude des uns et des autres n’est pas nécessairement contradictoire : les
magistrats qui en l’occurrence doivent se prononcer sur l’existence objective de l’infraction pénale, ne
peuvent que constater l’absence de fait justificatif, et les jurés qui sont sensibles aux mobiles du
délinquant n’ont pas le cœur de condamner un accusé qui n’a pas véritablement l’âme criminelle.
Dans les pays d’Afrique et particulièrement au Bénin, le problème du consentement de la victime
se pose de façon plus cruciale et pour le cerner de plus près, il faut se poser deux (2) questions au
préalable : deux (2) questions qui ne peuvent pas trouver de réponses satisfaisantes compte tenu du
contexte local et de la réalité sociologique.
Est-ce que dans la plupart des pays africains, les autochtones connaissent leurs droits et surtout
ceux attachés à leur personne ?
Est-ce que les médecins respectent déjà ces droits méconnus par leurs détenteurs ?
Tout le problème se situe à ce niveau et ces problèmes relatifs au consentement de la victime qui
demeurent complexes voire insolubles dans les pays du Nord ne retiendront pas pour autant notre
attention dans le contexte africain. Nous essayerons d’examiner en ce qui concerne l’Afrique plutôt le
volet de certaines pratiques traditionnelles qui touchent à la question. C’est la pratique des mutilations
génitales féminines qui pendant des décennies ont été considérées comme un sujet tabou, et celles des
scarifications. Ces deux pratiques qui normalement devraient se faire avec le consentement des
concernés ignorent royalement ces derniers, tout simplement parce que ces pauvres victimes sont des
mineurs, des bébés, bref des personnes incapables de manifester leur volonté et que les parents ont
donné ce consentement à la place de leurs progénitures. Notons que ce consentement des parents est
vicié et non éclairé.
En Afrique, on rencontre une multitude de pratiques traditionnelles qui doivent être bannies telles
que les mutilations génitales féminines qui consistent à supprimer de la partie génitale de la femme le
clitoris et parfois les petites lèvres. Cette pratique de mutilations génitales féminines a des
conséquences sanitaires négatives et dangereuses sur les organes génitaux de la femme et doit être
rigoureusement sanctionnée, car ne pouvant bénéficier d’aucun fait justificatif.
L’Islam ne la recommande même pas expressément. Elle est une simple recommandation qui du
reste n’est pas observée en Arabie Saoudite, berceau de l’Islam et terre de l’orthodoxie musulmane,
1
crim 22 Déc 1966 JCP 1967 II 1526 note savater
2
CE 11 Fév 1972 D 1972 page 426
26/05/17 Sikiratou Aguemon, Le contentieux du consentement de la victime en matière médicale : un problème complexe 5
ainsi que dans plusieurs pays du Maghreb. Il n’y a dans le Coran ni un verset ni une sourate incitant à
la pratique des mutilations génitales féminines.
Quant à la scarification, c’est également une pratique ancestrale qui vient déformer le plus souvent
l’expression du visage, des membres etc. Cette pratique permet d’identifier les porteurs par rapport à
leur groupe ethnique. Non seulement cette pratique de scarification est inesthétique, elle peut être
dangereuse pour la santé et peut être vecteur du VIH/sida, des infections de tout genre et ne requiert
aucun consentement de la victime qui est en général impubère.
A côté des problèmes de l’euthanasie, des violations du secret professionnel, les Africains doivent
se mobiliser pour lutter efficacement contre ces différentes formes de mutilations qui portent atteinte
aux droits à l’intégrité physique et morales des enfants, surtout des filles.
Heureusement, par le dynamisme des associations féminines, une loi a été prise au Bénin, dans ce
sens. Il s’agit de la loi 2003-03 du 3 mars 2003 portant répression de la pratique des mutilations
génitales féminines en publique du Bénin dont les articles 3, 4 définissent et répriment l’infraction
tandis que l’article 5 aggrave les peines lorsque la mutilation génitale féminine est pratiquée sur une
mineure de moins de 18 ans.
Cette pratique doit être donc considérée comme une violence.
Tous les pays africains ont ratifié toutes les conventions afférentes à la protection des enfants et il
est inadmissible que perdurent encore ces genres de pratiques néfastes à la sande ceux-ci. Même
plaidoyer pour les scarifications qui constituent également une pratique mutilante, dangereuse et
inutile. Dans certaines familles relativement aisées, pour éviter que la mutilation n’entraîne de graves
maladies les MGF sont effectuées par un personnel médical. Mais cela ne change rien au fait que la
mutilation reste une violation de l’intégrité physique de la femme, de sa dignité, et ceci quel que soit le
degré d’excision.
Il est donc urgent de mettre en place un plan d’action national de grande envergure pour lutter
contre la pratique des MGF et éradiquer les résistances culturelles face à la santé de la reproduction.
Les facteurs de l’évolution du droit étant connus grâce aux considérations sociologiques et
rationnelles, il reste dès lors à savoir si cette évolution souhaitable pour certains et moins pour d’autres
est compatible avec les orientations du droit positif en vigueur dans un certain nombre de pays que
nous allons retenir ici.
B Les orientations du droit positif
Malgré les prétentions de certains partisans de la thèse radicale, le sort de la question dépend
évidemment de la jurisprudence dont la position devra être précisée.
a Les données légales
Le principe, c’est que quelques textes assez rares d’ailleurs précisent formellement que le
consentement de la victime est indifférent à la répression d’une infraction; c’est l’exemple de l’article
317 du Code pénal précité. Mais ces précisions légales sont superflues. Les tribunaux n’ont ni besoin
d’un texte pour affirmer dans d’autres hypothèses qu’en principe ni le consentement, ni la tolérance
habituelle, ni le pardon de la victime ne justifient l’infraction pénale.
En effet, la répression n’est habituellement pas organisée dans le seul intérêt particulier de telle ou
telle victime. Elle protège l’intérêt général. Il importe peu dès lors qu’une personne ait accepté qu’une
infraction soit commise à son détriment. Elle n’est pas seule en cause. Le consentement de la victime
1 / 8 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !