UNIVERSITÉ NATIONALE DE HANOÏ ÉCOLE SUPÉRIEURE DE LANGUES ÉTRANGÈRES FACULTÉ POST-UNIVERSITAIRE -----***----- MÉMOIRE DE MASTER ANALYSE LINGUISTIQUE DE LA PUBLICITÉ Réalisé par : NguyÔn ThÞ Thanh TuyÒn Spécialité : Promotion : 11 Linguistique française Sous la direction du : Dr. Vò ThÞ Ng©n Hanoï 2006 UNIVERSITÉ NATIONALE DE HANOÏ ÉCOLE SUPÉRIEURE DE LANGUES ÉTRANGÈRES FACULTÉ POST-UNIVERSITAIRE -----***----- LuËn v¨n th¹c sÜ ph©n tÝch ng«n ng÷ qu¶ng c¸o Chuyªn ngµnh : Ng«n ng÷ tiÕng Ph¸p M· sè chuyªn ngµnh : 60.22.20 Hä vµ tªn : NguyÔn ThÞ Thanh TuyÒn Kho¸ häc Ng-êi h-íng dÉn ThÞ Ng©n Hµ néi – 2006 : : 11 TiÕn sÜ Vò 3 REMERCIEMENTS Nous tenons tout d’abord à remercier Madame Vu Thi Ngan d’avoir dirigé d’un bout à l’autre notre travail et de nous avoir donné des suggestions et des remarques très utiles. Nous aimerions remercier tous nos collègues qui nous ont beaucoup encouragée et nous ont aidée dans le travail pour que nous ayons du temps à réaliser ce mémoire. Un merci particulier à ma famille pour nous avoir soutenue et aidée durant ce travail. TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION 1 CHAPITRE I : GÉNÉRALITÉS SUR LA PUBLICITÉ 5 1. QU’EST-CE QU’UNE PUBLICITÉ ? 5 2. HISTOIRE DE LA PUBLICITÉ 6 3. 3.1. 3.2. 3.3. 3.4. 3.5. SUPPORTS PUBLICITAIRES Télévision Radio Internet Presse écrite Affiche 8 8 9 10 11 11 4. 4.1. 4.1.1. 4.1.2. 4.2. 4.2.1. 4.2.2. 4.2.3. 4.3. 4.4. CONSTITUANTS DU DISCOURS PUBLICITAIRE Éléments iconiques Composantes de l’image publicitaire Rhétorique de l’image publicitaire Éléments linguistiques Slogan Pavé rédactionnel Marque Éléments composites Rapport texte/image 12 12 12 14 15 16 18 19 20 21 5. 5.1. 5.2. CARACTÉRISTIQUES DE LA PUBLICITÉ Créativité Emprunt ou plagiat publicitaire 22 22 24 5.3. 5.4. 5.5. Exagération Humour Esthétique 26 28 30 CHAPITRE II : ANALYSE LEXICALE DU TEXTE PUBLICITAIRE 1. NÉOLOGIE OU CRÉATIVITÉ LEXICALE 1.1. Mot-valise 33 33 34 1.2. Modification orthographique 35 1.3. Changement de classe du mot 36 2. FIGURES DE RHÉTORIQUE 37 2.1. Métaphore 37 2.2. Métonymie 39 2.3. Hyperbole 41 3. RELATIONS DE SENS 42 3.1. Antonymie 42 3.2. Hyperonymie et hyponymie 43 3.3. Homonymie 45 3.4. Polysémie 46 CHAPITRE III : ANALYSE SYNTAXIQUE DU TEXTE PUBLICITAIRE 1. RELATIONS SYNTAXIQUES 1.1. Relations parataxiques 48 48 48 1.1.1. Juxtaposition 48 1.1.2. Coordination 50 1.2. Relations de subordination 55 1.2.1. Relative 55 1.2.2. Subordonnée conjonctive 55 1.2.3. Structures de mise en relief 57 2. EMPLOI DE MODES ET DE TEMPS 58 2.1. Modes 58 2.2. Temps 60 CHAPITRE IV : ANALYSE PRAGMATIQUE DU TEXTE PUBLICITAIRE 1. COMMUNICATION PUBLICITAIRE 1.1. Un cadre communicationnel singulier 1.2. Modèles communicationnels 1.2.1. Modèles communicationnels unilatéraux 1.2.2. Structure interactive 2. PUBLICITÉ COMME ACTE DE LANGAGE INDIRECT 3. ARGUMENTATION PUBLICITAIRE 63 63 63 64 64 65 74 77 3.1. Chemin de la persuasion publicitaire 3.2. Catégories d’arguments 3.3. Mise en texte de l’argumentation publicitaire 3.3.1. Séquence argumentative de base 3.3.2. Étayage argumentatif des propositions 3.3.3. Syllogisme et enthymème CHAPITRE V : RÉFLEXIONS SUR L’APPLICATION PÉDAGOGIQUE 1. POURQUOI LA PUBLICITÉ EN CLASSE DE LANGUE ? 2. QUELLE PUBLICITÉ EN CLASSE DE FLE ? 3. ANALYSE GLOBALE D’UNE PUBLICITÉ 4. PROPOSITIONS D’ACTIVITÉS 5. EXEMPLES D’ACTIVITÉS 6. FICHE PÉDAGOGIQUE CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE 77 79 84 85 86 87 90 90 92 93 95 97 100 102 104 INTRODUCTION I. Justification du choix du sujet Parallèlement à l’explosion des moyens de communication et l’apparition des masses médias, la publicité prend une importance de plus en plus grande jusqu’à devenir une science en soi qui influence en profondeur nos modes de vie quotidiens. L’objectif de la publicité ne se limite plus simplement à faire connaître et à vanter les qualités d’un produit, mais également à capter l’attention des clients potentiels et à susciter chez eux des désirs et des sentiments initiateurs de ventes. La publicité se doit de bien cibler ses objectifs ainsi que les méthodes pour y parvenir. Pour cela, la publicité doit regrouper à la fois des aspects commerciaux, sociaux, linguistiques, littéraires, culturels, psychologiques... Elle fait l’objet de recherches régulières de la part de nombreux chercheurs en sciences humaines. Au Vietnam, il n’existe qu’un nombre modeste de publications qui ont étudié la publicité dans un but essentiellement commercial, sociologique ou psychologique. Bien que quelques thèses et mémoires de fin d’études de master en vietnamien ou en anglais aient traité des aspects linguistiques, aucune recherche sur l’aspect linguistique de la publicité n’a été menée par un enseignant de langue et à fortiori par un enseignant de français. Il est certain que les études du langage publicitaire réalisées par un enseignant en langue ne seront pas basées sur les mêmes considérations et sur les même intérêts que celles d’un économiste ou d’un psychologue parce qu’elles doivent avant tout contribuer à l’enseignement et à l’apprentissage de la langue. Mais qu’est-ce qui peut pousser et motiver une enseignante telle que nous à accorder une telle importance à un domaine aussi spécialisé et aussi irrégulier que celui du discours publicitaire ? C’est avant tout un bon souvenir de l’université. En effet, une des rares séances de cours qui nous a beaucoup impressionnée est celle de l’expression orale où l’enseignant a introduit une publicité d’une revue comme document authentique. Nous avons tous participé activement au cours ce jour-là, même les étudiants les plus réservés et silencieux de la classe. Rétrospectivement, nous pensons que les points les plus intéressants de ce cours étaient multiples. D’une part, nous avons vu une très belle photo amusante avec deux slogans pleins de connotations qui ont permis d’aiguiser notre intérêt. D’autre part, l’enseignant nous a donné une grande liberté d’interpréter la publicité et de créer ensuite des slogans en rapport à cette 2 publicité, nous permettant ainsi de mettre directement en pratique les connaissances linguistiques acquises lors des années précédentes. Globalement, nous avons eu l’impression de mobiliser toute notre imagination, notre créativité et surtout notre personnalité. Ce simple souvenir nous a appris que la publicité pouvait tout à la fois amuser et motiver les étudiants dans leur apprentissage. Une autre raison fondamentale du choix du sujet sur la publicité vient tout autant des expériences que nous avons vécues avec nos étudiants. Dans les méthodes de français, on accorde une place importante à la publicité, à savoir le Nouvel Espaces, Panorama, Français.com, ... En effet, la publicité présente un aspect à la fois didactiquement très riche et massivement entrelacé avec la vie réelle. D’ailleurs, linguistiquement, elle forme une source inépuisable d’apprentissage. « En tant que production verbale et de par son orientation essentiellement soit argumentative, soit pragmatique, le texte publicitaire constitue à la fois un ensemble cohérent et un tissu de relations couvrant tous les niveaux d’ordre : thématiques, syntaxiques, narratifs, énonciatifs, figurés, sonores, iconiques, ... »1 Cette variété fait de la publicité un support pédagogique efficace et original mais qui peut aussi poser aux enseignants et aux étudiants des problèmes considérables. Nous avons ainsi entendu certains collègues remarquer qu’ils sont parfois confrontés à des difficultés dans l’exploitation de quelques publicités dues à un manque de connaissances sur les mécanismes publicitaires et surtout sur la signification des signes publicitaires. De surcroît, nous sommes enseignante à l’École Supérieure de Commerce, la publicité fait partie intégrante du domaine d’étude des étudiants. Évidemment, le travail sur la publicité présente de ce fait beaucoup d’intérêts et de motivations pour eux parce qu’ils peuvent mobiliser leurs connaissances acquises en cours de marketing pour bien remplir la tâche qui leur est proposée. Au vu de ces bénéfices de la publicité et des difficultés qui ont été rencontrées lors de l’enseignement de celle-ci, nous avons décidé de mener une recherche scientifique sur le langage publicitaire afin de mieux l’exploiter au sein d’une classe de langue. II. Présentation du corpus Au début, nous avions l’intention d’exploiter à la fois les publicités à la télévision et dans les journaux. Mais devant l’extension et la complexité de l’étude et du fait du temps limité alloué pour cette recherche, nous avons recentré notre attention sur la publicité écrite qui 1 TSOFACK J.-B., 2002, Thèse de doctorat Sémiotique-stylistique des stratégies discursives dans la publicité au Cameroun, Département de linguistique générale Université Marc Bloch - Strasbourg II, p.113 3 constitue un support publicitaire en même temps traditionnel et efficace. Le corpus est constitué de 80 publicités extraites des méthodes de français telles que Campus, Panorama, le Nouvel Espaces, Champion, Français.com, Taxi, Forum, Café crème, Reflet et auxquelles ont été ajoutées plus de 200 publicités qui ont été choisies sur différents sites internet, notamment http://slogandepub.free.fr. et http://www.ma-collection-de-pubs.com. Le choix de ces publicités sur internet a été motivé du fait que les publicités présentes dans les méthodes ne sont pas très variées du point de vue linguistique et iconographique. Toutes les publicités présentées par la suite ont été sélectionnées d’une part pour leur intérêt pédagogique et d’autre part pour leur apport aux objectifs des analyses linguistiques. III. Questions de recherche En partant de la problématique qui se pose dans le cadre de l’analyse publicitaire en classe de langue, la progression proposée à travers ce mémoire linguistique nous amènera à répondre à ces questions suivantes : - Quelle est l’histoire de la publicité ? - Quels sont les principaux types existants de publicité ? - Quelles sont les composantes et les caractéristiques générales de la publicité de presse écrite ? - Quelles sont les caractéristiques syntaxiques, lexicales et pragmatiques du texte publicitaire ? - Quel est l’intérêt de la publicité pour une classe de langue ? - Quelles sont les propositions d’activités d’exploitation et de choix des publicités introduites dans une classe de langue ? IV. Méthodologie de recherche La recherche descriptive constituera le « fil rouge » de cette étude qui reposera sur l’observation du corpus des centaines de publicités sélectionnées à partir de la presse écrite francophone. Parmi les démarches d’investigation potentielles concernant ce type de recherche, l’analyse des données langagières est celle qui sera adoptée dans la première partie de ce mémoire, sachant, de plus, que c’est celle qui est la plus souvent privilégiée dans le domaine des sciences du langage. Par la suite, nous nous reposerons essentiellement sur des théories linguistiques - la base des grilles d’analyse et des classifications employées pour aborder les différents aspects linguistiques de la publicité. De plus, toutes les analyses linguistiques présentées seront inspirées du courant pragmatique, c’est-à-dire que l’analyse du message ne se limite pas à étudier l’enveloppe 4 linguistique neutre contenant l’information active destinée à un lecteur, mais elle s’intéresse en même temps à l’intention du publicitaire et aux divers facteurs socio-contextuels. La problématique abordée dans ce mémoire nécessitera également l’introduction et l’usage de la notion de « recherche-action » dont l’application sera limitée au dernier chapitre, à l’étape d’élaboration de propositions d’intervention pédagogiques. V. Structure du mémoire Dans le premier chapitre, nous tenterons de fournir une vision d’ensemble de la publicité à travers une brève découverte de l’histoire de la publicité et de ses principaux types. Tout particulièrement, nous nous attacherons à l’étude des constituants d’une publicité choisie et à ses caractéristiques pour montrer que la création publicitaire constitue en soi une véritable œuvre d’art moderne. Dans les trois chapitres suivants, nous analyserons le message publicitaire sur le plan syntaxique, lexical et pragmatique en relevant les éléments linguistiques qui caractérisent ce type de discours et qui participent à la persuasion publicitaire. Le dernier chapitre est destiné à l’application pédagogique. Pour ce faire, l’analyse détaillée dans les chapitres deux, trois et quatre en servira de base dans le cadre d’une classe de langue. Dans un premier temps, nous expliquerons en quoi il est profitable d’introduire la publicité comme support de l’enseignement/apprentissage. Puis, dans un deuxième temps, nous verrons de quelles publicités il est possible de profiter et quelles activités il est possible d’en tirer. 5 CHAPITRE I GÉNÉRALITÉS SUR LA PUBLICITÉ En publicité, l'objet du désir se transforme en désir de l'objet et les choses de l'amour en l'amour des choses. François Brune Le domaine de la publicité est vaste et varié. Il est difficile d’en cerner exactement tous les tenants et aboutissants. Dans un premier temps, il est nécessaire de définir le mot « publicité » afin d’en avoir une compréhension commune et rigoureuse. 1. Qu’est-ce qu’une publicité ? Le terme « publicité » a été attesté pour la première fois en 1689 avec le sens d’action de porter à la connaissance du public, puis « notoriété publique » en 1694. Pourtant, jusqu’au XIXè et au début du XXè siècle, on parlait essentiellement d’annonce ou de réclame au lieu de publicité. Ci-dessous sont reportées quatre différentes définitions équivalentes de la publicité. Elles ont été tirées de différentes sources. « La publicité est l'action consistant à faire connaître une information ou un produit au public. C'est aussi le moyen par lequel l'information est délivrée : annonce-presse dans un journal, spot publicitaire à la radio ou à la télévision, affiche sur la voie publique, etc. sont des publicités. » (Définition tirée du site Internet http://fr.wikipedia.org) « Constitue une publicité toute inscription, forme ou image, destinée à informer le public ou à attirer son attention, les dispositifs dont le principal objet est de recevoir les dites inscriptions, formes ou images étant assimilées à des publicités» (article L 581-3 du Code de l'environnement) « Toute forme monnayée de présentation et de promotion non interactive d'idées, de biens et de services émanant d'un annonceur identifié comme tel. » (Définition de Kotler & Dubois in "Marketing Management") La publicité est définie dans le petit Robert comme "un ensemble des moyens de communication destinés à faire connaître un produit et d'inciter le public à l'acquérir, par un moyen de communication de masse". 6 La première remarque que l’on peut faire concernant ces définitions, c’est que le mot publicité recouvre en fait plusieurs facettes différentes. Premièrement, le mot publicité désigne un message, une information ou une idée que l’on désire faire transmettre à une audience. Deuxièmement, le mot publicité fait aussi référence aux moyens techniques et physiques mis en œuvre pour faire passer le message. Troisièmement, le mot publicité fait de même référence aux moyens rhétoriques et psychologiques pour faire passer le message et pour convaincre. Quatrièmement, le mot publicité recouvre tout un aspect mercantile caché ou visible qui va de paire avec l’extension de l’économie de marché. Aucune publicité n’est gratuite. Cinquièmement, le mot publicité peut tout aussi bien être appréhendé du point de vue sociologique. Quelle est la synergie existante entre la société actuelle, son évolution et la publicité ? Les différents points de vue brièvement exposés ci-dessus révèlent l’étendue des domaines touchés par la publicité, leurs interconnections et leurs degrés de complexité. La liste donnée ici n’est aucunement exhaustive. 2. Histoire de la publicité Le discours publicitaire est une pratique discursive qui n’est pas intemporelle. Comme tout genre discursif, la publicité a une histoire et s’inscrit dans l’évolution de la société. Au sens large de séduction commerciale, la publicité est peut-être aussi vieille que l’apparition de l’écriture. En effet, on a trouvé à Babylone des inscriptions de plus de 5000 ans vantant les mérites d’un artisan. Au 7è siècle avant Jésus-Christ, sous la dynastie Zhou, une publicité musicale faite par des joueurs de flûte a attiré l’attention des gens aux marchés en Chine. Quelques siècles plus tard, les commerçants de Pompéi profitaient des slogans à la structure argumentative et au style périodique bien élaborés dans l’esprit de l’art rhétorique pour faire l’éloge de leur bon vin : « Si vous dépensez 2 as, vous boirez du très bon vin ; si vous en dépensez 4, ce sera du vin de Falerne. » (Falerne) Ce slogan est composé d’un double mouvement argumentatif formé de deux propositions : Si proposition p [2 as], alors proposition q [très bon vin] Si proposition p’ [4 as], alors proposition q’ [vin de Falerne] 7 Il s’agit de l’argumentation fondée sur le modèle inductif de la construction hypothétique. Ainsi la stratégie argumentative était-elle déjà prise en compte. Pourtant, la publicité n’a connu un vrai tournant qu’avec le développement de l’imprimerie et la naissance de la presse. En 1629, Théophraste Renaudot a fondé le premier « Bureau d’adresses et de rencontres », sorte d’agence de petites annonces, répertoriant les demandes et les offres les plus diverses. Rencontrant un vif succès, il a publié, avec le soutien de Richelieu, La Gazette enrichie, à partir de 1631, de feuilles volantes reproduisant les petites annonces. La publicité s’est développée à un rythme considérable pendant la révolution industrielle. La fabrication en série et l’augmentation de la productivité ont abouti à une diversification et à un accroissement de la production. Si au XVIIè et au XVIIIè siècle, les petites annonces sous forme d’affiches et de prospectus pratiquaient un type de mise en texte conforme au modèle livresque et à l’écriture littéraire, au XIXè siècle et surtout à la fin du siècle, elles étaient considérées comme de véritables oeuvres d’art grâce à l’adoption d’un seconde système sémiotique, essentiellement visuel, celui de l’image. L’invention de la lithographie, de la chromolithographie et surtout la mise au point des machines à imprimer les grands formats favorisaient le développement de ce nouveau système. Des peintres tels que Toulouse-Lautrec, Steinlen se sont mis à produire des affiches publicitaires. L’art était donc mis au service du commerce : « [...] Oui, vraiment, la publicité est la plus belle expression de notre époque, la plus grande nouveauté du jour, un Art. Un art qui fait appel à l’internationalisme, au polyglottisme, à la psychologie des foules, et qui bouleverse toutes les techniques statiques ou dynamiques connues, en faisant une utilisation intensive, sans cesse renouvelée et efficace de matières nouvelles et de procédés inédits». 2 Dans les années 20, les messages publicitaires envahissaient de plus en plus l’univers quotidien des sociétés industrialisées. De nos jours, la publicité se présente sous diverses formes, participant au développement de la société de consommation. Elle est devenue un mécanisme indispensable au fonctionnement et au développement des sociétés libérales où le problème n’est plus de produire mais de vendre pour assurer un cycle d’écoulement continuel des marchandises. Avec le développement de la technologie de la communication, elle connaît un essor rapide sans précédent. 2 ADAM J.M. et BONHOMME M., 2005, L’argumentation publicitaire, Paris, A. Colin, p. 4 8 Quant à la persuasion, elle est de plus en plus réfléchie et calculée. Divers genres de publicité sont mis en oeuvre : la publicité mécaniste des années 50, les publicités suggestive et projective des années 60 et la publicité ludique développée vers les années 70 avec le grand succès de l’agence Poux Séguéla. À travers ce survol historique du discours publicitaire, il est à conclure que le discours constitue un genre mou, faiblement défini, hétérogène et instable, dont la seule ligne directrice est d’inciter à la consommation commerciale. 3. Supports publicitaires Dans notre société moderne, la publicité est présente tous les jours autour de nous à tous les coins de notre vie, allant de la télévision à la radio en passant par les affiches dans la rue, les prospectus distribués dans les boîtes aux lettres, ... Parmi différentes méthodes de classification de publicités, nous avons décidé de les classer selon le type de média utilisé pour les diffuser en raison de sa grande simplicité. Ainsi peut-on différencier si la campagne publicitaire se fait par la télévision, la radio, l’Internet, la presse écrite ou les affiches. 3.1. Télévision La télévision est un mode de communication dynamique, en ce sens que l’image n’est pas immobile. Depuis l’apparition du son et ensuite de l’image en couleur, la télévision est devenue le mode de communication par excellence de la publicité où elle peut exprimer toute sa créativité. La télévision permet une utilisation symbiotique du son et de l’image afin de diffuser un message plus profond de sens et plus interactif. Il est par exemple possible de faire appel à l’humour, l’information, la peur, la curiosité, l’envie, ... dans une publicité. L’image peut transmettre le même message que le slogan ou un message différent. Il est même possible que la publicité ne contienne pas du tout de slogan et que l’image se suffise à elle-même. Quelle est l’adéquation de sens entre l’image et le texte dans un spot publicitaire ? Quand il y a adéquation de sens entre image et texte (qu’il soit écrit ou parlé), les deux aspects de la télévision se complètent pour transmettre un même message, ce qui permet de donner une plus grande force de persuasion au message. L’adéquation de sens crée un message généralement plus facile à comprendre, plus simple et donc potentiellement accessible à un plus grand nombre de personnes. Pourtant, il existe parfois la contradiction entre image et texte qui peut créer des ambiguïtés pour rendre des messages plus forts. Depuis longtemps, nous avons une remarque très intéressante à faire. Les enfants possèdent la caractéristique de considérer leur environnement comme « allant de soi » et ne semblent globalement pas avoir d’opinion négative vis-à-vis de la publicité par eux-mêmes. 9 Pourtant, chaque fois qu’ils écoutent ou regardent une publicité à la télévision, ils ne peuvent plus la quitter. De plus, ils ont la capacité de retenir facilement les slogans chantés et les musiques de publicités. Qu’est-ce qui rend la publicité distinctive de tant d’émissions très variées et pas moins attirantes ? C’est sans aucun doute sa belle mélodie et ses images vivantes qui constituent son atout, et ceci permettant à la télévision d’être toujours le support privilégié des entreprises pour toucher un maximum de consommateurs. 3.2. Radio La radio a eu un impact tout aussi important que la télévision sur notre vie de tous les jours et sur les sociétés modernes. Il n’est donc pas étonnant que la publicité en ait fait un usage extensif afin de toucher la plus grande audience possible. À la différence de la télévision, il n’y a pas d’image pour attirer notre attention. La totalité du message publicitaire doit nécessairement se faire oralement. La radio est le seul moyen de communication ayant cette particularité de n’utiliser que notre ouïe pour communiquer. Une annonce publicitaire par radio est constituée le plus souvent de quatre étapes successives : - Souvent l’annonce publicitaire utilise un bruit inhabituel qui ne passe pas inaperçu dans le paysage sonore de tous les jours pour capturer l’attention et ensuite délivrer le message. Par contre, il est également possible d’utiliser le silence afin d’attirer l’attention de l’auditeur. Ce type d’introduction est plus généralement réservé à des publicités à caractère sobre. - Ensuite, l’annonce essaie de reproduire de façon caricaturale des situations de la vie quotidienne auxquelles on peut facilement s’identifier. Par exemple un couple discutant chez lui ou dans une grande surface, un enfant discutant avec son grand-père, ... - La troisième étape consiste à implanter, dans la situation quotidienne caricaturale déjà en place, un problème qui en découle. Par exemple, un des personnages peut se comporter de façon stupide, erronée, ... - La quatrième étape consiste à résoudre le problème posé en faisant intervenir le produit considéré. Par exemple, un autre personnage peut venir pour corriger l’erreur en utilisant le produit. L’auditeur doit s’identifier à ce personnage et non pas à celui qui se comporte de façon bête. Ensuite, par un phénomène d’association, le consommateur va finir par associer mentalement avec le produit les idées d’intelligence, de générosité, d’acceptation, … Dans une publicité de ce type, le consommateur est poussé à acheter le produit afin qu’il puisse retrouver, pour un moment, les sensations de grandeur qu’il a eues en écoutant la publicité. 10 Avec son seul moyen verbal, la publicité à la radio doit donc être performant et capter immédiatement l’attention de la cible tout en indiquant clairement à l’auditeur ce qu’on attend de lui. 3.3. Internet L’Internet est jeune parmi les médias de communication et s’est répandu à travers le monde très rapidement avec un impact majeur sur la société moderne. L’Internet a créé non seulement de nouveaux mots de vocabulaire dans le français, par exemple « internaute », et de nouveaux services tels que la vente en ligne, mais il a également permis l’apparition de nouveaux modes de publicité. L’Internet évolue très rapidement et constamment. Ainsi la publicité doit-elle s’adapter et évoluer rapidement pour ne pas perdre le rythme. Il est possible de distinguer et de caractériser les publicités sur Internet en différentes familles. - Les images publicitaires statiques et immobiles sont la première forme à apparaître sur la toile. - Ensuite, les banderoles défilantes sont apparues. Elles sont toujours immobiles sur l’écran mais maintenant elles contiennent des images successives qui se succèdent ou défilent soit horizontalement soit verticalement. - Après les banderoles, des publicités plus agressives viennent s’imposer à l’ouverture d’une nouvelle page. C'est-à-dire qu’à l’ouverture d’une nouvelle page d’Internet, une image publicitaire statique ou dynamique s’impose sur tout l’écran pendant quelques secondes avant de se rétracter dans un coin. L’image est alors clairement visible et inévitable. - La publicité se fait aussi en sponsorisant un site afin que le nom de la marque y figure à plusieurs reprises. C’est aussi une méthode pour les créateurs de sites sur Internet de se procurer une rentrée d’argent afin d’assurer la viabilité de leur site. - Bon nombre d’entreprises, d’organisations et de sociétés ont leur propre site Internet où elles peuvent faire leur propre promotion tout à loisir en vue d’attirer un maximum de visiteurs sur leur site, ceci par l’intermédiaire de banderoles, de liens venant d’autres sites ou d’une bonne position dans les moteurs de recherche. - Il existe également des publicités plus insidieuses qui s’installent sur l’ordinateur comme des virus afin de rediriger régulièrement l’internaute sur la page d’accueil du site Internet correspondant. Cela peut s’avérer gênant et irritant pour l’utilisateur et il n’est pas sûr que ce soit un bon moyen de persuader un client potentiel, à moins que ce virus ne soit créé par un concurrent indélicat. 11 Au sujet de l’impact de l'Internet sur les consommateurs, l'étude Net Impact2 menée par l'institut d'études Ipsos ASI (filiale du groupe Ipsos dédiée aux études publicitaires) publiée le 27 septembre 2005 montre que dans huit cas sur dix, la publicité améliore l'image de la marque, et que dans sept cas sur dix, elle incite à l'achat. L'Internet joue un rôle clé dans l'évolution de l'image des marques et dans la prédisposition à l'achat. La pertinence du média Internet apporte un bénéfice complémentaire aux annonceurs lorsqu'il est intégré au plan média. 3.4. Presse écrite À l’opposé de la télévision, de l’Internet ou de la radio qui sont très dynamiques, la presse écrite est un média statique. De ce fait, les textes et les idées qu’ils contiennent sont moins labiles et ont donc un impact comparablement plus important que ceux à la télévision. Cette opinion est mise en lumière par l’expression populaire « les paroles s’envolent, les écrits restent ». Une grande différence entre la télévision et la presse écrite, c’est que devant la télévision, on est passif, alors que la presse écrite exige une volonté de participation et une exposition plus grande de la part du lecteur au contenu du texte afin de faire passer le message. La publicité se doit de s’adapter à la nature de la presse écrite et non pas le contraire. Quand un lecteur lit un journal, il regarde ce qui l’intéresse, ce qui attire son regard, ce qui l’intrigue. Une publicité qui n’aurait aucune de ces qualités est une publicité inutile car personne ne la regarderait. La publicité à la télévision peut s’imposer au téléspectateur car ce dernier est passif. Le mode statique de la presse écrite et le mode actif du lecteur obligent la publicité à faire preuve d’une plus grande attractivité et d’une plus grande visibilité. C’est ainsi qu’une image de grande taille peut permettre de se distinguer plus facilement au milieu des textes. De même, le fait d’utiliser deux pages au lieu d’une donne une plus grande visibilité. Le slogan doit aussi être suffisamment attractif et accrocheur parce que le lecteur ne passe que quelques secondes à survoler la page publicitaire. Bien sûr, à l’instar des autres média, la publicité doit tenir compte des intérêts du consommateur potentiel. Il est toujours plus facile d’attirer le regard du lecteur quand on lui parle de choses qui l’intéressent. 3.5. Affiche De nos jours, l’affiche publicitaire fait partie de la vie quotidienne de tous les citadins. Sa présence est partout et maintenant le point important pour concevoir une affiche est de la faire ressortir parmi toutes les autres afin qu’elle soit vue et reconnue. C’est pour cela que l’affiche publicitaire et l’art graphique se sont joints pour produire de véritables œuvres d’art au service 12 du marketing. Les affiches les plus réussies sont des objets de collection et apportent au produit une renommée et une grande crédibilité. Les affiches publicitaires sont réparties partout dans les grandes villes afin d’être vues par le plus grand nombre. Elles sont d’un usage très général parce qu’une seule affiche touche toutes les tranches sociales, des personnes de tout âge, de différentes religions, opinions, préoccupations, ... Les affiches sont générales et bien soignées afin de ne choquer personne, sauf le cas où l’affiche est à caractère provocateur et que l’on cherche tout particulièrement à choquer les gens. Aux supports publicitaires dont nous venons de faire le point s’ajoutent catalogues, prospectus, tracts, cinéma, panneaux lumineux, moyens de transports, téléphone portable, ... Il est certain que ce paysage publicitaire déjà très diversifié continuera à se modifier. Car la publicité, plus que tout autre discours, se doit d’innover. 4. Constituants du discours publicitaire La publicité prend source de deux grandes traditions : d’abord celle du livre, ensuite celle de l’illustration esthétique et artisanale. Étant une structure sémiologique mixte, la publicité se fonde sur un double système, iconique et verbal. 4.1. Éléments iconiques Bien que la publicité soit aussi vieille que l’écriture, l’image ne fait partie de la publicité qu’au XIXè siècle. Au début, l’image dans les réclames journalistiques était très modeste : emblèmes épars et quelques portraits discrets. Elle était un simple élément de distraction qui complétait le texte. Jusqu’au XXè siècle, on voyait des dessins et des ornementations variées dans les publicités. Pourtant, comme on disposait un grand nombre d’annonces sur une même page, leur format était souvent réduit. Les réclames de presse reposaient, pendant des décennies en France, sur un agencement très majoritairement scriptural et accessoirement illustratif. Jusqu’en 1930, avec le lancement du journal Paris-Soir inspiré des modèles américains, l’image tenait une place plus importante dans une publicité et pouvait rivaliser sémiotiquement avec le texte. De nos jours, l’écrit cède de plus en plus de terrain à l’image. Les grandes marques soignent leur image à travers les photos publicitaires les plus attirantes, les plus sophistiquées parce que selon les publicitaires, la photo reste le meilleur moyen pour véhiculer un message, un état d'esprit, une identité, voire une philosophie propre à la marque. 4.1.1. Composantes de l’image publicitaire L’image publicitaire se subdivise essentiellement en visuel et pack-shot. 13 Le visuel est très souvent la part iconique de l’annonce la plus importante en termes de surface. Il peut représenter aussi bien le produit que le contexte d’utilisation. Selon la définition parue dans « L'encyclopédie du marketing”3 de Jean-Marc Lehu « le pack-shot est l’illustration du produit en gros plan. L’annonce dite pack-shot présente généralement ce gros plan du produit en bas et à droite de l’annonce. » Prenons le cas de la publicité Ariel. Dans le visuel de l’annonce occupant plus de la moitié de l’annonce, nous voyons un homme et son enfant à deux époques différentes. Deux images présentent une bonne comparaison : le temps passe, l’enfant grandit mais le blanc du tee-shirt est toujours entretenu à l’aide de la lessive Ariel. Le pack-shot se trouve en bas à droite avec une boîte de lessive sur le lave-linge. Pourtant, en publicité, il n’y a pas de règles strictes. Pour certaines publicités, le pack-shot est mis en bas au centre ou en bas à gauche, et même en haut à gauche. Regardons les images publicitaires pour Mercedes, Hermès, Jetz : Nous remarquons que l’image publicitaire est très bien soignée et attractive. Elle crée un sentiment d’euphorie chez le lecteur. Pour cela, une image publicitaire ne peut être analysée qu’à travers ce que l’on voit mais il faut aussi tirer sa signification de ce qu’on perçoit en procédant à la rhétorique visuelle. 4.1.2. Rhétorique de l’image publicitaire 3 LEHU J.-M., 2004, L'encyclopédie du marketing, Paris, Éd. d'Organisation, p.728 14 Comme un texte, l’image publicitaire est analysée à deux niveaux : le propre (ou le dénoté) et le figuré (ou le connoté). C’est à Roland Barthes que nous devons cette notion de rhétorique de l’image.4 « On entend (...) par dénotation le contenu d'information logique du langage. Il s'agit, en gros, de ce que Jakobson fait relever de la fonction référentielle du langage. (...) Il semble plus satisfaisant de considérer comme dénotation l'ensemble des élément du langage qui seraient éventuellement traduisibles dans une autre langue par une machine à traduire” 5 La dénotation désigne donc la signification fixée, explicite et partagée par tous, c’est-à-dire la description et le recensement des éléments qui constituent l’image tels que formes, personnages, décor, cadrage, couleurs... « On appelle connotations l'ensemble des systèmes signifiants que l'on peut déceler dans un texte outre la dénotation. »6 La connotation correspond à des sens supplémentaires, instables, variables selon l’expérience et la culture des individus. La connotation est donc signification de l'image, interprétations personnelles, stéréotypes... Nous voyons, dans l’image publicitaire d’Air France, un ciel bleu parsemé de nuages. L’originalité de cette annonce consiste à la forme d’une carte mondiale de ses nuages. Bien que chacun ait son interprétation pour cette image féerique, il est certain qu’avec cette rhétorique visuelle, la compagnie parvient à transmettre le message de son slogan de marque : "Voyages au pays d’Air France». En fait, il ne s’agit pas simplement d’un ciel bleu rempli de nuages ou du ciel en forme de carte mais d’un monde uni par le ciel, par Air France. Avec Air France, on peut faire le tour du monde. Notons que le sens dénotatif d’une image est stable alors que les connotations sont diverses, constituées en fonction des effets subjectifs et des contextes. Elles dépendent non 4 BARTHES R., 1964, Rhétorique de l’image, in Communications n° 4, Paris, Seuil, p.50 LE GUERN M.,1973, Sémantique de la métaphore et de la métonymie, Paris, Larousse, p. 20 5,6 15 seulement de la répartition des signes dans l'espace de représentation mais aussi du lecteur, de sa mémoire, de sa culture, de son inconscient et surtout de son imaginaire. À propos de l’approche rhétorique iconique, Peyroutet et Cocula rappellent que « le message visuel étant synchrone, la distinction entre l’axe paradigmatique – choix des mots – et l’axe syntagmatique – combinaison de mots – devient difficile, voire inopérante. Ce qui revient à dire que les outils linguistiques du découpage signifiant/signifié ne sont pas adaptés aux valeurs signifiantes de l’image à décoder ».7 Ainsi mettent-ils l’accent sur les deux tropes les plus importants à savoir la métonymie et la métaphore. Ils définissent les deux tropes comme suit : La métonymie dans les messages iconiques est un phénomène dans lequel l’émetteur substitue un signe S1 à un autre S2 dans l’intention de signifier un rapport de contiguïté (ou de cause à effet). Sur le plan linguistique, la présence de S1 est rarement indispensable. Cependant, pour qu’une métonymie soit perçue dans un message iconique, il faut soit que S1 et S2 soient représentés, soit qu’un texte d’appoint indique que tel message iconique est métonymique. La publicité utilise souvent la métonymie pour démontrer les effets heureux de la consommation d’un produit. Dans l’affiche d’Air France, l’image des continents formés des nuages blancs se réfère, par métonymie, à notre Terre qui est réunie grâce aux services de cette compagnie aérienne. La métaphore dans les messages iconiques consiste au remplacement d’un S1 attendu par un S2 qui se fait selon un rapport de ressemblance. En effet, la métaphore est fondée sur une relation d’analogie entre des référents distincts. Le comparant dans la métaphore graphique est exprimé par la syntaxe de l’image : le dessin, la couleur, ... L’image d’un village verdoyant et d’un ciel bleu dans la publicité Air France nous fait rêver à des voyages paisibles et magnifiques offerts par Air France comme le montre sa devise « Faire le ciel le plus bel endroit de la Terre » Il en résulte par ce qui précède qu’il est rare qu’une image impose un sens unique. Il est préférable de recourir également aux éléments linguistiques qui jouent une fonction d’ancrage. 4.2. Éléments linguistiques Si la production publicitaire est infinie, elle répond néanmoins à un certain nombre de règles plus ou moins établies. L’observation d’un large corpus nous permet de citer ci-dessous 7 LE GOAZIOU V., La rhétorique appliquée aux nouvelles images publicitaire, www.artemis.jussieu.fr/ssb/ hermes/actes/ac9596/05ac9596vf.htm 16 un modèle de base. En principe, une publicité regroupe, à part les éléments iconiques, les trois types de slogans, le pavé rédactionnel, le nom de la marque et les satellites : 17 slogan d’accroche visuel pavé rédactionnel slogan d’assise pack-shot logo marque slogan de marque Parmi les publicités étudiées, il nous semble que les annonces sur le domaine technique contiennent souvent presque tous les éléments d’une publicité-type telle que la publicité de Seat et Honda, deux marques d’automobile favorites : Découvrons maintenant plus en détails les éléments linguistiques d’une annonce publicitaire en commençant par les trois types de slogans. 4.2.1. Slogan Parmi les moyens discursifs et visuels à disposition du publicitaire, le slogan est sans aucun doute l'élément textuel qui jouit de la plus forte mémorisation. Son double rôle est, d’une part, de retenir l’attention du lecteur et d’autre part, d’opérer un lien très rapide entre la marque et certaines de ses caractéristiques. Lorsque l’on parle de slogan, il convient d’en distinguer trois catégories qui ne sont pas nécessairement toutes présentes sur une même publicité. 18 Le slogan de marque (ou corporate) est la devise de l’entreprise. On rencontrera ainsi "Auto emociòn" pour le groupe Seat et "First man, then machine" pour le groupe Honda ou « Créateur d’automobiles » de Renault. Ce type de slogan, caractérisant la marque, lui devient peu à peu indissociable. Le consommateur l'assimilera en définitive à cette dernière. Nous avons une remarque à faire à propos de la langue utilisée dans le slogan de marque. Une fois introduite dans un pays étranger, il paraît évident que le message linguistique doit être traduit et adapté au contexte socio-culturel. Pourtant, beaucoup de firmes décident de conserver le slogan dans leur langue nationale, notamment l’anglais dans le but d’attester leur vocation internationale. Le slogan d'accroche (ou head-line), généralement situé en haut de l’annonce, est la devise du produit, ciblée sur le moment de la transaction commerciale. Comme son nom l’indique, l’un de ses rôles principaux est d’attirer l’attention, d’interpeller le lecteur. Il est souvent lié au visuel et aux aspirations du client potentiel. Avec le slogan « Les femmes ne s’intéressent plus qu’à leur voiture », Seat Arosa a ciblé les femmes comme cliente potentielle, tandis que le slogan de Honda « HR-V 4x4. Le plaisir de suivre sa propre voie » prend en compte le nom de son nouveau modèle HR-V 4x4 et joue sur la séduction ludique et l’éloge implicite du consommateur. Enfin, le slogan d'assise (ou base-line) explicite généralement la devise de la marque, dont elle synthétise la stratégie adoptée. Il peut également donner des informations supplémentaires sur le produit présenté comme le slogan de la publicité du rouge à lèvres de Bourjois « Effet 3D, son pouvoir peut vous échapper ». La structure de ce type de slogan est généralement plus grammaticale que celles du slogan d'accroche ou du slogan de marque. Il arrive aussi fréquemment que le slogan d’assise soit fortement lié au rédactionnel et situé en bas à gauche. Pour tous les types publicitaires, le slogan est souvent considéré par les publicitaires comme un des éléments déterminants du succès d’une publicité. Ainsi, J.M. Adam et M. Bonhomme affirment-ils que « sollicitant surtout l’hémisphère droit du cerveau – plus responsable des composantes intonatives (Jakobson et Waugh 1980 : 60-62) et rythmes du langage de la perception et de l’élaboration de totalités que de la production logicoanalytique (phonétique, syntaxique et sémantique), le slogan se caractérise par une brièveté, une simplicité grammaticale, une tonalité péremptoire et une fermeture structurelle qui en font un syntagme figé et un idiolecte protégé par la loi sur la propriété artistique. Tous ces traits lui confèrent un pouvoir élevé de mémorisation et renforcent sa dimension performative. » 8 8 Op. cit., p.60 19 Néanmoins, pour certaines publicités, surtout celles des vêtements et des bijoux jouissant d’une bonne réputation, à part le nom de la marque, on ne voit que l’image des grandes personnalités. Car seule la notoriété de la marque peut tout dire. En fin de compte, le slogan joue un rôle important pour la persuasion publicitaire. Nous développerons cet aspect du slogan dans le chapitre suivant. Il est temps de passer au pavé rédactionnel, un autre constituant linguistique moins présent mais aussi persuasif. 4.2.2. Pavé rédactionnel Le rédactionnel (pavé rédactionnel) est un texte construit, fortement argumentatif, plus objectif et à forte charge informative. Généralement placé en bas d’annonce, sa typographie est de préférence neutre et de petite taille. Sur le plan pragmatique, il est moins expressif que l’image. C’est pourquoi, il est le lieu idéal pour développer l’argumentation publicitaire. Nous le trouvons très souvent dans les annonces des produits techniques tels que voitures, appareils électroménagers, téléphones mobiles,... ou de certains services bancaires, aériens,... Rarement lu, il reste cependant capital puisqu’il apporte des informations supplémentaires aux personnes interpellées par l’annonce. Avec des preuves scientifiques, le texte donne l’impression du sérieux et de la respectabilité scientifique. En général, le rédactionnel de ces publicités sert à concrétiser les avantages du produit par rapport aux concurrents, surtout l’innovation technique, son mode d’emploi ou parfois des indications d’accès au produit, ... Par exemple, dans le texte publicitaire du Rouge Magique de Lancôme, l’insistance est portée sur le nouveau procédé technique. Les deux tiers du texte servent à illustrer l’élément à coloration scientifique « un véritable ruban de polyfixine imprégné de couleur qui adhère incroyablement au dessin de votre bouche... ». Cependant, pour certains produits surtout les produits de luxe, l’utilité passe souvent en second, cédant la place prioritaire à la beauté et l’originalité. Prenons, par exemple, le cas de la publicité du téléphone sans-fil Matra : « Beau et lisse comme un galet caressé par la mer, mon téléphone sans-fil Nautila m’offre le meilleur de la technologie Matra en toute liberté. » Cet exemple montre que la publicité n'est donc plus seulement une rhétorique qui sert à convaincre de l'utilité du produit, mais une façon de faire connaître la nouvelle technologie, tout en exhibant la beauté, l'élégance... du téléphone. Ce type d’argumentation provoque une impression de dilatation spatiale et incite à la rêverie. 20 Le pavé rédactionnel n’est pas toujours présent dans une annonce publicitaire mais une fois apparu, il joue un rôle argumentatif par excellence. Contrairement au rédactionnel, c’est la marque, constituant linguistique minimal indispensable pour chaque annonce. 4.2.3. Marque La marque se décompose en deux sous-catégories : marque de la firme et nom du produit. 4.2.3.1. Marque de la firme Étant la signature de l’annonce, elle apparaît en bas, à droite, souvent à proximité du logo et du slogan de marque. Caractérisée par sa durée dans le temps, elle est en général arbitraire, liée au patronyme de ses fondateurs comme Renault, Ford, Toyota, ....ou au relativisme de la langue qui l’a vue naître (General Motors, Les Mutuelles du Mans ....). Il existe également des marques formées de la siglaison telles que IBM, BP, FPT, ... Cependant, même initialement arbitraire, la marque porte une grande force persuasive due à la réputation de l’univers qu’elle évoque. D’où le concept de l’« image de marque », ce qui explique de grosses sommes dépensées par les entreprises pour combattre la contrefaçon ou faire la publicité de leur marque. En fait, seule la marque suffit pour garantir l’argumentation de l’annonce. Total en est un exemple typique. Ce nom du groupe a une signification et une prononciation identiques dans de nombreuses langues de par le monde. Total est aussi le nom de sa marque principale qui, créée en 1954, a acquis un capital important de notoriété et de sympathie auprès de ses publics et de sa clientèle. Tenant compte de l’importance de la marque, tous les ans, le magazine Business Week et Interbrand publie le Classement des 100 marques les plus puissantes au monde selon lequel les trois premières marques de l’année 2005 sont Coca-Cola, Microsoft, IBM. Bref, la marque contient une orientation incitative qui opère comme argument de vente. C’est sa fonction globalement persuasive. Avec la marque de l’entreprise, le nom du produit renforce l’aspect argumentatif de l’annonce. 4.2.3.2. Nom du produit Le nom du produit a une durée de vie plus ou moins longue en fonction de la conjoncture économique. Si le produit se vend bien, son nom existera très longtemps et vice versa. L’appellation du produit est choisie par le producteur selon la place qu’il occupe dans une série manufacturière, comme certaines automobiles (la Peugeot 304, 404, 504 ...) ou par la nature, la composition du produit, notamment les produits chimiques et de beauté. Les nouveaux venus reflètent souvent l’innovation et le dynamisme du producteur en vue de 21 s’adapter au besoin du marché. Le nom du produit est ordinairement sa mini-description et a une portée argumentative avec différents procédés. Il s’agit d’une mise en évidence de ses effets bénéfiques (par exemple le rouge à lèvres Effet 3 D qui promet des qualités à découvrir), de ses composantes scientifiques (l’Huile essentielle de lavande officinale d’Ecocert), ou de son univers mythique (la voiture Elyséo Peugeot relative aux ChampsÉlysées, séjour des bienheureux dans la mythologie gréco-romaine). Quelque minimes qu’ils soient, le nom de la marque ou le nom du produit sont certainement indispensables et détiennent une forte influence sur la motivation d’achat du consommateur. 4.3. Éléments composites Dans certains types d’annonce, il y a des éléments à cheval entre linguistique et iconique tels que le logo ou les satellites. Avec le nom de la marque, le logo constitue la signature de l’annonce et remplit deux fonctions argumentatives : Premièrement, il assure la fonction de saisie immédiate de la marque. Étant une véritable image d’identité d’une entreprise, il doit être identifiable et mémorisable en un coup d’oeil par la compacité de son emblème, comme l’image d’une pomme («apple » en anglais) désignant la marque Apple très connue dans le domaine électronique (fig.1) ou l’initiale inductrice H de Honda qui en déclenche la lecture. (fig.2) Deuxièmement, il sert à valoriser le concept de la marque, souvent suggéré par le signifiant iconique. C’est ainsi que le globe bleu de Kuoni concrétise l’activité mondiale de cette agence de voyages aériens (fig.3) ou l’icône d’Air France représente sa nationalité française à travers les trois couleurs du drapeau français (fig.4). Fig.1 Fig.2 Fig.3 Fig.4 Les satellites sont les éléments parasitaires, facultatifs et permutables, mi-textes, miimages qui occupent une superficie plus ou moins faible et s’égrainent sur l’annonce. Il y a des satellites accessoires (notes, adresse, ...) et d’interpellation (nouveauté, offres spéciales, ...). 22 Pour illustrer ces propos, on peut examiner l’annonce Cif. Celle-ci, apparemment banale, regroupe différents satellites. Le premier satellite « nouveau » s’inscrit en lettres capitales rouges, en superposition sur le visuel. Le deuxième satellite, dans une forme ovale au fond blanc, promet un échantillon ("Allez chercher votre échantillon de Cif Oxy-Gel, le 9 juin 2001 à la succursale IKEA d’Aubonne"). Enfin, le lecteur remarquera le troisième satellite : l’étiquette annonçant le nom du produit, doublement mis en évidence. Au final, mineures dans leur aspect, ces mentions périphériques renferment cependant un très grand pouvoir argumentatif et captatif. En un mot, tous ces éléments, linguistiques et iconiques, constituent un ensemble logique et cohérent ayant une force argumentative. Parmi ces éléments, lesquels jouent le rôle le plus important dans la formation du sens ? Nous trouverons la réponse dans l’analyse du rapport texte/image. 4.4. Rapport texte/image Les constituants linguistiques et iconiques constituent un tout complexe d’une annonce publicitaire de presse écrite. Le sens global d’une annonce n’est pas la somme de ses parties. Il est en effet formé par un rapport interdépendant entre les différents constituants qui provoquent des circulations de sens. Dans son livre "Rhétorique de l’image", R. Barthes remarque que l’image engendre souvent un malaise, «la terreur» du signe incertain, qui tient à l’indécision du sens à donner parmi tous les sens possibles. Le texte, lorsqu’il y en a un, servirait alors de guide au lecteur et remplirait deux fonctions distinctes.9 Premièrement, pour remédier à l’éparpillement de sens de l’image, le message linguistique joue la fonction d’ancrage (fixer le sens) en orientant la lecture de l’image vers le but du publicitaire. La deuxième fonction, dite fonction de relais (fournir des sens complémentaires) consiste à apporter au lecteur des informations supplémentaires que l’image ne peut pas véhiculer telles que les indications de temps, de lieux, de personnes,... À quoi pense-t-on en regardant l’image à côté sans aucun signe linguistique ? (Il s’agit de la publicité d’un parc d’eau ou d’une piscine ?) À l’aide du slogan « Communiquer sans frontières » et du nom de marque, 9 Op cit, p.67 23 on peut savoir qu’il s’agit de la publicité d’Orange, un grand réseau de téléphonie mobile. Si R. Barthes aborde ce rapport dans une perspective unidirectionnelle, L. Bardin estime que les deux fonctions d’ancrage et de relais sont réversibles. Elle pose la question suivante : « Qu’est-ce qui prouve, dans le rapport texte/image, que c’est toujours le texte qui joue le rôle de mode d’emploi ? »10. Nous partageons l’idée de L. Bardin. Le texte n’est pas moins polysémique que l’image. La publicité, toujours à la recherche d’innovations, propose parfois des textes impossibles à interpréter sans l’aide de l’image. C’est alors l’image qui vient fixer le sens du texte. Une publicité de la coopérative Migros est représentative. À part la marque, on ne voit qu’une seule phrase "La vache, c’est cool...". Sans l’image, il est impossible de saisir le sens de ce slogan et deviner de quel produit il s’agit. L’étude des constituants de la publicité révèle la composition d’une publicité et la relation interdépendante des éléments. Il est évident que ces composantes ne sont pas de même importance dans une publicité. L’accent mis sur telle ou telle composante dépend largement du type du produit et de la notoriété de la marque. Une fois présentes, elles contribuent toutes à refléter l’intention du fabriquant et du publicitaire en créant des effets caractéristiques de la publicité. 5. Caractéristiques de la publicité Il y a différents points de vue sur les caractéristiques de la publicité. Les uns les considèrent comme des mensongères, d’autres les voient et les aiment parce qu’elles sont très créatives, amusantes, impressionnantes ... Dans le cadre de cette étude, nous laissons à côté leurs aspects négatifs pour nous concentrer à « faire la publicité » de la publicité en ne mettant en évidence que leurs mérites. 5.1. Créativité Qu’est-ce qui rend une marque visible et attirante dans un univers couvert de publicités de toutes sortes ? Parmi tant d’éléments jugés indispensables comme le format plus grand pour plus d’espace d’expression et de séduction, la finesse de son plan média, ..., une bonne création est toujours 10 BARDIN L., 1975, Le texte et l’image, Communication et langages, n° 26, Paris, Retz, p. 102 24 le meilleur moyen d’y parvenir. Tous les publicitaires apprennent par cœur la recette « Créativité = Efficacité ». Mais comment définir et mesurer la créativité? Pour Maslow, « la créativité nécessite une aptitude à exprimer des idées et des pulsions sans répression et sans crainte du ridicule. Elle implique l'absence de classification, l'ouverture à l'expérience, la spontanéité et la liberté d'expression ».11 Barron et Harrington relient plutôt la créativité à l'intelligence et la personnalité. 12 Selon Jean-Henri Francfort, directeur et rédacteur-concepteur d’une agence publicitaire suisse, « la créativité n’est pas pure intuition.[...] La créativité est endiguée par des études de marché, par des statistiques de toutes sortes, par les principes fondamentaux du marketing moderne, par des principes de communication aussi simples qu’incontournables ».13 Plus simplement, être créatif, c'est de sortir de l’ordinaire, de trouver quelque chose de différent. Rappelons-nous la citation de Nerval, qui n'était pas un publicitaire : « Le premier à avoir comparé une femme à une rose était un poète, le second un imbécile» . Comme toute création, la créativité publicitaire porte sur le fond, la maîtrise des mots, de la direction artistique et de l'interactivité. La plupart du temps, les publicités sont jugées sur la créativité. Or, la publicité est un outil qui sert à augmenter les ventes mais pas seulement celui de loisirs (ou de culture). C’est pourquoi, quelle que soit son originalité, la publicité est estimée inefficace si l’on n’arrive pas à retenir la marque, le produit et son bénéfice. Le point de départ devrait être le produit lui-même. Une bonne création doit tout d’abord répondre aux attentes de la marque et vanter les mérites du produit pour accrocher le consommateur, le toucher, lui donner envie d'aller plus loin… à l’aide des plus belles photos, des meilleurs messages. Une publicité créative évoque toujours la surprise, le plaisir, la curiosité et même l’admiration chez les lecteurs pour qu’ils s’en souviennent le mieux, qu’ils en discutent entre eux et qu’ils achètent enfin le produit. En fait, beaucoup de consommateurs disent qu’ils achètent parfois un produit non pas parce qu’il leur est vraiment utile mais seulement que la publicité est si attrayante et impressionnante. 11 MASLOW A., 1972, Vers une psychologie de l'être, Paris, Fayard, p.153 BARRON f. & HARRINGTON D.-M., 1981, Creativity ,Intelligence and Personality, Annual Review Psychology, p.441 13 FRANFORT J. H., 2001, Les publicitaires : professionnels du cirque médiatique ou saltimbanques de la communication ? , Le magazine d'information des professionnels de la communication ComAnalysis no 34 12 25 Ces deux images ci-dessous sont le fruit de la créativité. L’une reflète un spectacle très romantique d’un couple qui ne peut pas se séparer en raison de leur amour pour Paris et/ou de la séduction de l’odeur du parfum d’Yves Saint Laurent. L’autre paraît plus simple mais pas moins expressive : une beauté orientale très sublime nous touche jusqu'aux tréfonds de l’âme. La créativité se manifeste non seulement à travers une bonne idée, une belle image mais aussi au niveau lexical, sémantico-syntaxique. On peut trouver des mots nouveaux, des structures agrammaticalement modifiées dans des publicités : - Ford, encore plus Ford. (Ford) - Rowentez-vous la vie. (Fer à repasser Rowenta) - Vacances à la Framçaise. (Agence de voyage Fram) - Louez vos week-ends. (Location Orion) - Vacanciez-vous la vie. Cap d’Agde. (Sopra-Vacances) La créativité est donc synonyme de l’originalité, de la nouveauté mais il n’est pas à exclure que la création vient de ce qui est connu tout en apportant de belles surprises au lecteur. C’est ainsi que la caractéristique de créativité cohabite souvent avec le plagiat, un procédé s’appuyant sur la culture personnelle du lecteur. 5.2. Emprunt ou plagiat publicitaire Le plagiat qui est une copie conforme et intentionnellement dissimulée, désigne habituellement le vol de la propriété intellectuelle - qui se traduit en copyrights pour les produits artistiques et scientifiques et en brevets pour les produits techniques et économiques. Pourtant, le plagiat dans les pratiques artistiques ou dans la pratique publicitaire diffère considérablement. Les plus grands publicitaires encouragent même leurs disciples à les imiter. 26 Par exemple, D.Ogilvy invite ses jeunes publicitaires à le singer : « Ce n’est pas une mauvaise chose d’apprendre le métier de publicitaire en copiant vos aînés, et les meilleurs. »14 De même, Gilles Lugrin, docteur ès Lettres, fondateur du magazine ComAnalysis spécialisé dans la publicité, conseille à ses rédacteurs de copier jusqu’à ce qu’ils aient une meilleure idée.15 En réalité, la pratique de la copie est si ordinaire en publicité que les agences d’une certaine envergure ont systématisé le procédé. Les spécialistes divisent la copie des publicités en deux types : copie de modèles préexistants dite emprunts génériques et copie à d’autres textes, emprunts intertextuels. Certains linguistes classent la publicité dans la catégorie injonctive. Pour d’autres, elle est un discours argumentatif. En réalité, la publicité peut être à la fois injonctive, descriptive, poétique, argumentative,... car elle est représentée par différents genres préexistants : poème, fairepart de mariage, éditorial, petite annonce, bail à loyer, journal intime, pièce de théâtre, etc. Tel est le cas de la publicité Ford que nous voyons à côté, elle est un emprunt du genre de journal intime, le pavé rédactionnel s’actualise sous forme une page de journal. Les spécialistes appellent ce type de copie comme des emprunts génériques. De la même manière, on a recours à des discours qu’on a entendus. Ces faits intertextuels peuvent être de différentes natures et puiser dans les genres de la langue aussi bien que dans des stéréotypes ou des productions langagières notoires. On rencontre souvent des héros des bandes dessinées dans une publicité. Tintin, le héros très connu de la bande dessinée belge du même nom a été beaucoup exploité dans la publicité, il existe même un produit qui porte ce nom comme le fromage Tintin. 14 15 , LUGRIN G., 2003, « Splendeur et décadence de la créativité publicitaire : entre copie formatrice, plagiat crapuleux et allusion parodique », Le magazine d'information des professionnels de la communication ComAnalysis, no73 27 La publicité est coutumière du détournement des œuvres d'art. Regardons l’emprunt au tableau La Joconde de Léonard de Vinci de la sauce Chunky, la présence de Mona Lisa comme une cliente potentielle valorise le produit et donc le goût du consommateur. De plus, le changement très frappant de son apparence impressionne et amuse tout le monde. Il est aussi très fréquent que le slogan publicitaire est dû à la modification des formules figées connues de tous, du titre d’un roman ou d’une phrase extraite d’une œuvre littéraire comme « Qui va à la chasse avec Gaspard gagne sa place » de Gaspard («Qui va à la chasse perd sa place»), une station de sports d'hiver, «Qui veut innover bien ménage la culture” de la Citroën CX ("Qui veut voyager loin ménage sa monture" dans l’œuvre Les plaideurs de Racine ), « En attendant Godiva » du Chocolat Godiva (le nom du roman « En attendant Godo » de Samuel Bekectt). Quels sont les intérêts principaux pour lesquels les publicitaires recourent souvent à des emprunts ? Tout d’abord, l’emprunt des genres habituels favorise la rapidité d’interprétation. La maîtrise des genres permet au lecteur de se concentrer au message transmis par la publicité en évitant de porter son attention sur tous les détails. La compétence générique partagée par un large public assure aussi la sécurisation de la communication, l’efficacité de l’annonce. On court moins de risques de perdre une grosse somme pour rien. Par ailleurs, le discours publicitaire emprunte systématiquement des formes à d’autres discours pour se renouveler et évoluer. Il est certainement beaucoup plus facile de trouver quelque chose d’innovant à partir de ce qu’on a connu que de partir de zéro. Enfin, l’emprunt crée souvent chez le lecteur un choc entre ce qu’on a appris et ce que la publicité propose en vue de solliciter la mémoire du lecteur. 5.3. Exagération Selon l’article 30 Décret n° 88-66 du 20 janvier 1988 portant approbation du cahier des missions et des charges de Radio France internationale modifié par : Décret n° 2004-743 du 21 juillet 2004 (JO-28/07/04, « la publicité doit être conçue dans le respect des intérêts des 28 consommateurs. Les messages publicitaires ne doivent pas, directement ou indirectement, par exagération, par omission ou en raison de leur caractère ambigu, induire en erreur le consommateur» . En réalité, les publicités exagèrent toujours les avantages du produit et très peu de produits se montrent à la hauteur du battage publicitaire. L’exagération est même si fréquente dans la publicité, dans le journalisme et dans la langue courante qu’elle peut amoindrir son effet et n’est plus perçue comme telle. « - Ah! Il est bien le nouvel Omo. - C'est celui qui lave encore plus blanc que blanc. - Moi, j'avais l'ancien Omo qui lavait plus blanc et il lavait déjà bien, hein. - Mais maintenant il y a le nouvel Omo qui lave encore plus blanc. - Moi j'ose plus changer de lessive, j'ai peur que ça devienne transparent après.» Existe-t-il quelqu’un qui rie face à cet extrait de la publicité de Omo ? Nous sommes certains que personne ne le trouve étrange, non pas parce qu’on croit tous à ce que dit la publicité mais parce qu’on s’habitue à sa manière de présenter le produit. Aujourd’hui, l'hyperbole est omniprésente dans la rhétorique de l'éloge pratiquée par la publicité au niveau linguistique aussi bien qu’au niveau iconique. L'hyperbole consiste en un renforcement et en une surdétermination de l'expression par rapport à la réalité désignée. L'hyperbole langagière se manifeste avant tout par des marqueurs lexicaux et grammaticaux: - par suffixes d'intensité comme « issime » ayant une valeur superlative qui signifie «très », « au plus haut degré». « Diorissimo » ( DIOR) « Sandwichissime! Les viandes préparées Maple Leaf. » (Maple Leaf) - par préfixes d'intensité tels que maxi, super, hyper, extra, méga, macro: « Maxi-tonique » (EAU JEUNE de Galley) - par superlatifs: « Le plus grand des petits déjeuners » (Kellog’s Corn Flakes) L'hyperbole iconique est actualisée, quant à elle, par des procédés topographiques (jeu sur la spatialité interne à l'image) et géométriques (manipulation des formes). 29 Dans la publicité pour un serveur Internet destiné à vendre des produits bancaires, on a une image hyperbolique illustrant l'impossibilité de ''manquer le trou'' (sa taille est énormément amplifiée par rapport à un trou normal au golf), c'est-à-dire qu’avec les services de cette banque, il n’y a presque pas de risques dans les investissements. La pluie d’hallebardes dans la publicité Volkswagen est aussi une image hyperbolique qui exprime la super-résistance de la voiture. Selon certains analystes de la publicité automobile, « il semble même que le concept publicitaire sous-jacent à la publicité automobile soit une certaine constance dans " le rêve, la plongée dans l’irréalisme, dans le délire, l’imaginaire pur, car l’automobile, c’est d’abord l’évasion ". »16 Avec de belles images ou des expressions inventives qui vont à l’encontre de ce à quoi l’on s’attend, l’exagération publicitaire ne déplaît pas le lecteur mais bien au contraire, elle suscite, chez lui, la surprise, l’admiration et plus souvent le doute d’où sa mémorisation pour la marque et le produit. Par conséquent, on a envie de l’utiliser lorsqu’on le voit. 5.4. Humour Le grand principe de la publicité moderne est de nous faire croire qu’elle ne cherche pas à nous convaincre, à nous séduire. La publicité ne se contente plus d’énoncer des avantages mais doit se jouer d’elle-même en créant un climat de divertissement et de complicité qui incite le lecteur à la recevoir sans aucune défense. En fait, l’humour a un impact positif sur l’attention accordée à la publicité. Nous avons entendu dire : « Une fois que vous avez fait rire les gens, cela signifie qu'ils vous écoutent et que vous pouvez alors leur dire à peu près n'importe quoi. » 16 LUGRIN G. & TOLIVIA D., 2002, Check-up de la publicité automobile, Le magazine d'information des professionnels de la communication ComAnalysis no45 30 Voilà deux exemples parmi tant de publicités drôles du corpus. Le comique dans la première image, c’est la position ridicule et le regard stupéfait du chien. Il paraît que ce pauvre animal a trop peur de la vitesse de la Volkswagen «vraiment puissante» et s’agrippe au siège au lieu de se retrouver coincé sous la banquette arrière. Dans la publicité de Lu, on voit une association humoristique entre le slogan très solennel et l’image indécente d’un petit-beurre à l’oreille coupée. Il est évident que c’est cette qualité distractive qui rend ces publicités inoubliables. Généralement, si on se rappelle bien du comique d'une situation, on est également capable de se rappeler le nom de la marque. Si les images publicitaires amusantes sont multiples, les messages linguistiques à caractère humoristique sont rares. Parmi des centaines de publicités du corpus, nous ne relevons que de quelques dizaines de messages qui sont drôles en eux-mêmes : - « Un jour sans Bic, c’est la barbe. » (Rasoir jetable Bic) - « Si les poissons pouvaient parler, ils vous conseilleraient Hykro. » (Ecumeur Hykro) Dans la plupart des cas, le message linguistique joue le rôle de confortation, explicitant l’humour de l’image. Prenons, par exemple, le cas de Seat Arosa dans lequel seul le slogan “Seat Arosa. Les femmes ne s’intéressent qu’à leur voiture.” ne fait pas rire le lecteur. Il n’a que pour tâche de conforter le contenu d’humour du message iconique. L’humour et la communication publicitaire sont-ils toujours un mariage efficace ? Certainement pas. Utiliser l’humour est un jeu dangereux, même pour les grands publicitaires. En effet, l’humour est parfois incompréhensible. De plus, l’humour risque de se tourner vers le vulgaire et le ridicule. 31 Le meilleur humour doit être « l’humour stratégique, celui qui est inscrit au plus profond de la marque et qui lui donne sa personnalité ». 17 Enfin, une publicité est jugée attrayante si l’humour est subtil, fait appel à l’intelligence et demande un effort de compréhension. I.5.4. Esthétique L’image et le message qu’une publicité nous propose ont pour l’objectif plus que de distraire. Elle puise dans un répertoire de valeurs esthétiques pour répondre à la diversité des goûts du public. Beaucoup de textes enthousiastes sont consacrés à faire l’éloge de la beauté des publicités. Pierre Mac Orlan considère la publicité comme « un des beaux-arts ».18 Leo Spitzer l’appelle « la fleur de la vie contemporaine » qui « est une affirmation d’optimisme et de gaieté, distrait l’oeil et l’esprit ».19 Selon Henri Joannis, l’un des pères de la création publicitaire, caressant les cœurs et l’affectif du lecteur, la beauté des publicités fait partie des « procédés d’attention/spectacle [par les émotions] ».20 En réalité, l’attention du lecteur est très souvent attirée par un style raffiné, des paysages de rêve, une lumière rare ou des rapports de couleurs éclatants. Ces éléments esthétiques valident la crédibilité d’un produit plutôt que le produit lui-même. La publicité des produits de luxe est une preuve de cette dimension esthétique, ceci grâce à la contribution de bon nombre d’artistes et de photographes célèbres. Les deux publicités cidessous suffisent pour justifier ce qu’on estime de la publicité : 17 GRABY F., 2001, Humour et Comique en Publicité, Caen, Éd. EMS, p.78 ORLAN M., Vive la publicité !, recueil de texte, avec les œuvres de plus illustrateurs, Le Dilettante, Éd. Prima Linea 19 SPITZER L., 1978, « La publicité américaine comme art populaire », Poétique, no 3, Paris, Seuil 20 JOANNIS H., 1995, De la stratégie marketing à la création publicitaire, Paris, Éd. Dunod 18 32 La photo pour "Murmure", le parfum féminin de Van Cleef & Arpels, est indéniablement une véritable œuvre d'art. N’ayant pas de décor, pas trop de détails, la photo représente un accord parfait entre ce flacon et cette fleur aux tons pastel. C’est vraiment un régal pour l’oeil et l’esprit. Mercedes a recours au dédoublement du croissant de lune pour incarner la beauté. L’image de deux croissants de lune sert à traduire les événements exceptionnels que la Classe C Selection offrira à ses clients. Sur le plan linguistique, les publicitaires utilisent souvent des figures de rhétorique, des expressions ou structures empruntées aux œuvres littéraires… pour créer les plus beaux messages publicitaires. Blaise Cendras constate que l’esthétisation du message recourt aux mêmes stratégies discursives que la poésie. On y perçoit aussi le lyrisme, le romantisme : «Ce qui caractérise l’ensemble de la publicité mondiale est son lyrisme. Et ici la publicité touche la poésie. Le lyrisme est une façon d’être et de sentir ; le langage est le reflet de la conscience humaine ; la poésie fait connaître (tout comme la publicité un produit) l’image de l’esprit qui la conçoit. ... je fais appel à tous les poètes : Amis, la publicité est votre domaine. Elle parle votre langue. Elle réalise votre poétique. »21 Qu’ils soient courts ou longs, qu’ils soient une description ou une narration, les textes publicitaires sont en général très imagés et poétiques. « La femme est une île, Fidji est son parfum. » (Eau de parfum Fidji) « Qui sème les fleurs, récolte la tendresse. » (Interflora) « Il était une fois ... un charmant petit pays. Avec beaucoup de châteaux. Des collines verdoyantes, des forêts millénaires, des ruisseaux enchanteurs. Avec des habitants accueillants, joyeux et gourmets. Ils sont là, au cœur de l’Europe ; si près de chez vous. Car le plus beau de l’histoire, ce pays existe vraiment ! Le grand-duché de Luxembourg. » (Service du tourisme de Luxembourg) 21 Cité par J.-M. Adam et M. Bonhomme, op. cit. p. 5 33 Comme les images publicitaires, la beauté des messages publicitaires est souvent liée à la nature avec des fleurs, des îles, des forêts ... Par la manipulation magique des publicitaires, les expressions simples et les images habituelles renvoient à un monde de rêve, un vrai paradis sur la Terre. Pour conclure, plus la société de consommation se développe, plus la publicité devient indispensable à la vie quotidienne. Avec les caractéristiques que nous avons vantées dans ce présent chapitre, la publicité mérite d’être un art de notre temps moderne. « Plutôt qu’un endoctrinement, la publicité propose un rêve et feint un monde idéal. S’affranchissant d’une vision réaliste banale, il met l’imaginaire du lecteur en réveil, l’arrache à la monotonie du quotidien et lui propose une évasion. »22. Les connaissances que nous avons tirées de ce chapitre serviront de base pour notre analyse purement linguistique dans les chapitres suivants. DYE M., La “poétique” du message publicitaire. Interférence avec le discours littéraire et spécificité, Laboratoire Littératures et Réalités 22 34 CHAPITRE II ANALYSE LEXICALE DU TEXTE PUBLICITAIRE La publicité est classée parmi des textes argumentatifs, en ce sens que le but de la publicité est de persuader le client potentiel d’acheter le produit. Pourtant, à la recherche de la nouveauté et de l’originalité, les publicitaires empruntent aussi aux autres types de discours. Le cas le plus fréquent est le glissement de l’argumentation à la description ou à la narration qui est parfaitement mis en scène dans les publicités de Peugeot et de Tuborg : « .... La caisse tout acier de la 806 est construite selon une architecture qui donne une rigidité maximale à l’habitacle. Le plancher plat est continu, il est soutenu par plusieurs traverses et quatre longerons longitudinaux. Le pavillon est renforcé par deux arceaux. ... » (Peugeot) « ... Je venais de décider une petite pause pour recharger les batteries et admirer ce magnifique lever du jour. Aurélie était montée d’un bon rythme et, bien emmitouflée dans son ANNAPURNA, elle profitait d’une barre de chocolat. En tant que professionnelle de la montagne, j’avais conseillé à Aurélie pour sa première grande course de prendre des vêtements SCHÖFFEL pour leur coupe, leur résistance et surtout leur technicité. ... » (Tuborg) Cette diversité du genre ainsi que la subtilité des publicitaires dans la création publicitaire nous incitent à analyser cette « forme d’art »23 qui, selon Leo Spitzer, « n’en offre pas moins un « texte » où nous pouvons lire, aussi bien dans ses mots que dans ses procédés littéraires et picturaux, l’esprit de notre temps et le génie de notre nation ... ».24 Notre première remarque porte sur la langue publicitaire qui répond à un grand paradoxe. D’une part, elle doit se rapprocher du consommateur pour être comprise de lui, elle utilise donc des mots qu’il connaît et parle son langage. Mais, en même temps, elle s’écarte de la norme. Afin d’atteindre cet objectif, les publicitaires recourent à différentes stratégies lexicales parmi lesquelles la néologie et les figures de rhétorique jouent un rôle de premier plan. 1. Néologie ou créativité lexicale 23,24 Op. cit. p.152 35 À propos de la néologie publicitaire, il y a des opinions différentes et même contradictoires. Certains accusent la publicité d’abîmer la langue. Grandjouan regrette, par exemple, « la surenchère verbale des réclamiers [qui] fausse le français en l’abrégeant de force »25. Thévenaut condamne « les agressions caractérisées [...] des étrangetés néologiques propres au commerce et à la publicité. »26. Par contre, d’autres estiment que la publicité est un lieu de création et « examinent de près les spécificités stylistiques et communicatives d’une sorte de langue dans la langue ».27 En observant le corpus, nous constatons que loin d’être des aberrations répréhensibles, les publicités enrichissent la langue avec des phénomènes linguistiques habituels parmi lesquels la néologie en est un des plus sollicités, car la nouveauté suscite toujours la découverte, la réflexion, et donc la mémorisation : « Avec Carrefour, je positive. » (Carrefour) « Photovitaminez-vous les cheveux ! » (Photovitamines) La langue de la publicité utilise toutes les formes de créativité lexicale présentes dans la langue courante telles que néologie phonétique, sémantique, syntagmatique, d’emprunt. Pourtant, comme dans la langue courante, certains procédés sont particulièrement privilégiés par les créateurs de publicité, par exemple le mot-valise, la modification orthographique, le changement de classe du mot. 1.1. Mot-valise Le mot-valise28 est un procédé de néologie lexicale de plus en plus fréquent dans la société française. Né dans la littérature (Rabelais), il y a pris son essor au fil des siècles et se trouve aujourd’hui exploité dans de multiples domaines, comme la publicité, le journalisme, les vocabulaires techniques, etc. Beaucoup de marques commerciales sont formées par ce type de création lexicale en jouant sur les connotations, la mémoire et l'imaginaire collectifs : 25 GRANDJOUAN J.O., 1971, Les linguicides, Paris, Didier, p.253 THEVENOT J., 1976, Hé ! La France, ton français fout le camp, Gembloux, Duculot, p.118 27 ADAM J.M. et BONHOMME M., op. cit. p. 158 28 Le mot-valise est un jeu de mots qui consiste à prendre deux mots ayant une partie commune et à les mêler pour faire un néologisme. Au contraire de la composition et de la dérivation, dans la création d'un mot-valise les constituants de départ s'étant télescopés ils ne sont plus entièrement reconnaissables. Le processus de fusion utilisé consiste le plus souvent en une haplologie : la partie commune des deux mots n'est pas répétée. ... 26 36 - Valvert (eau minérale): val (connotation d'abri, d'intimité...) et vert (connotation de fraîcheur, d'écologie) - Safrane (voiture) : safari (connotation d'aventure) et savane (connotation exotique) - Chemisologue: idée de rigueur scientifique (ethnologue, cardiologue...) pour un fabricant de chemises - Éconergie : économie et énergie - Spormidable : sport et formidable - Festivolailles: "festival" (connotation festive et culturelle) voisine de façon amusante avec "volailles" (registre gastronomique, champêtre...) Les quatre premiers mots constituent une combinaison jugée savante qui exige sans doute au lecteur un certain effort de compréhension. Pourtant, il est à noter qu’un petit effort de réflexion ne dérange pas le lecteur mais, bien au contraire, cela lui apporte même une petite joie quand il réussit à trouver l’intention du publicitaire. Cela lui permet de retenir facilement les mots nouveaux et donc le produit. Les deux autres sont plutôt amusants et surprenants. Si « spormidable » impressionne le lecteur par sa sonorité inhabituelle, « festivolailles » est un « mariage asymétrique » entre une notion de festivité et d’une notion populaire. Dans une campagne récente de la société Zurich assurances, les mots-valises comme “trempête” - intempéries (trempé et tempête), “frighorrifié” - glacé jusqu’au sang (frigo et horrifié)... ont pour but de renforcer la nuance des mots et de créer des effets spéciaux à ceux qui lisent l’annonce. Pourtant, cette technique risque de donner un effet contraire si on doit mobiliser trop d’efforts pour comprendre le mot. Il vaut mieux l’appliquer pour le public qui a un certain niveau de connaissances et dans un contexte explicite. 1.2. Modification orthographique Les modifications orthographiques permettent littéralement d’inscrire un mot dans un autre mot. On peut introduire le nom du produit à l’intérieur des autres mots tout en les modifiant. De telles modifications ont été largement exploitées par la marque Perrier connue pour l’eau minérale naturelle gazeuse : «preaupagande », « expleausif », « niveau », « joyeau », « meaundial ». Dans cet exemple, tous les sons ayant une prononciation voisine de [o] sont remplacés par « eau ». La répétition de « eau » nous donne l’impression que l’eau Perrier existe partout et est aimée de par tout le monde. 37 Les publicitaires peuvent même inscrire le nom de la marque dans le slogan : « Vacances à la Framçaise » (Fram) « Jex four, c’est jextraordinaire. » (Jex) Plus subtile est la modification orthographique dans l’annonce de Fiat qui joue sur l’impératif du verbe « lire » et sur le mode de « leasing » pour l’achat d’une voiture : « L’Uno Mambo ? 12490 FS net seulement. Ou alors, leasez attentivement ci-dessous.» (Fiat) (lire + leasing = leaser). L’effet de cette annonce est d’autant plus important que le mot « leaser » est un mot francisé. Ce mot « leasez » a un double sens : lire et acheter sous forme de leasing. Ces modifications orthographiques justifient que tous les mots peuvent être modifiés si cette opération apporte une particularité à la publicité, ce qui est plus difficilement accepté pour d’autres types de textes. 1.3. Changement de classe du mot Nombreux sont des slogans où le nom est utilisé à la place d’un adjectif, d’un adverbe ou d’un verbe. Ce nom est très souvent le nom de la marque ou du produit. Cet usage nous rappelle le mot schtroumf qui remplace tous les verbes dans la bande dessinée du même nom très connue des enfants français. L’expressivité du mot est dès lors inestimable. Le lecteur peut lui attribuer différents sens à son gré. De plus, il mémorise le nom du produit et la marque sans aucun effort. On utilise très souvent le nom de la marque connue pour qualifier son produit : « 205 GTI, plus GTI que jamais. » (Peugeot) « Ça c’est très Ford. » (Ford) « Quelque chose en vous est Dior. » (Dior) Quel est le sens de « GTI », de « Ford » ou de « Dior » dans ces annonces ? Personne ne peut être sûr de sa réponse. Seule une chose est sûre, c’est que ces adjectifs désignent quelque chose de qualité et de haut de gramme dont la possession sera un grand plaisir, un grand bonheur. Les noms communs font aussi l’objet du changement de classe. À travers les adjectifs « poisson » et «chocolat », Pêcheur de France et de Danessa veulent peut-être souligner que leurs produits sont sains et naturels. « Complètement poisson. » (Pêcheurs de France) « Danessa, une mousse tellement chocolat. » (mousse chocolat Danone) 38 En tant qu’adverbe, le nom de la marque de fromage Entremont dans son slogan « C’est Entremont bon » renvoie à l’adverbe «extrêmement » par sa prononciation et sa combinaison syntagmatique dans la phrase. Quand le nom remplace un verbe, il est conjugué tout comme un vrai verbe. « Rowentez-vous la vie. » (Rowenta) « Je me rowente la vie. » (Rowenta) « Free shoesez-vous. » (Free shoes) « Laine-moi. » (Berger du Nord) « Snappez votre fil » (DMC Loisirs Créatifs) La détermination du sens des noms-adverbes dans ces slogans n’est pas facile. Le lecteur a une grande liberté d’interpréter sans que le publicitaire doive tout expliciter. Il s’agit d’une coopération entre le publicitaire et le lecteur dans la construction du sens. L’étude de ces exemples de la créativité lexicale nous permet d’estimer que peu de mots et beaucoup de non-dits font partie de l’art des grands messages publicitaires et que les usages jugés en violation avec le système linguistique accélèrent le rendement affectif de la communication publicitaire. Pourtant la créativité publicitaire ne se contente pas d’amuser le lecteur avec des moyens lexicaux frappants et « joyeaux ». Elle joue aussi sur les signifiants, ce qui est bien sûr à mettre en rapport avec la notion de « fonction poétique »29 (comme l’entend R. Jakobson) qui se manifeste dans la publicité par l'emploi permanent de figures de rhétorique traditionnelles. 2. Figures de rhétorique Les figures de rhétorique ont un tel pouvoir dans un message publicitaire qu’elles arrivent à faire disparaître le message et les arguments qui l’accompagnent. Parmi tant de figures, la métaphore, la métonymie et l’hyperbole sont les plus fréquentes dans les messages publicitaires. Analysons tout d’abord la métaphore, qui est nommée par Jacques Lacan « une opération de sorcière ».30 2.1. Métaphore La métaphore est une figure d’analogie (relation fondée sur la ressemblance) par laquelle on substitue à un mot un autre mot sous l’effet d’une comparaison qui reste implicite, sousentendue. Elle rapproche ainsi un comparé et un comparant sans terme de comparaison. Parfois, le comparé est absent, et la métaphore peut alors se transformer en véritable devinette. Prenons le cas des associations inattendues dans les slogans de Migros, Fiat : 29 30 Le message est centré sur lui-même : recherche de la forme, du style. http://jaseur.free.fr/jaseur/manipuler.htm 39 « Le pain est le sel de la vie. » (Boulangerie Migros) « La pêche sans les noyaux » (Fiat Panda) L’usage de ces métaphores vise à valoriser les qualités du produit dans l’espoir d’éveiller l’intérêt et surtout susciter le désir de le posséder. Quand on compare le pain de Migros avec le sel de la vie, on veut considérer que plus qu’un aliment énergétique, le pain, surtout le pain Migros, fait partie des éléments indispensables à la vie de l’homme. « Le sel de la vie » renvoie au plaisir, à l’essence de la vie. Le slogan de Fiat donne suite à beaucoup d’interprétations. D’abord, se référant à un fruit attirant et délicieux, une innovation technique comme Fiat fascine tout le monde une fois qu’on la voit. De plus, l’expression « avoir la pêche » sert aussi à désigner familièrement « avoir de l’énergie ». La métaphore de Fiat laisse également deviner l’énergie que peut déployer la voiture en question. Enfin, il est possible de pousser la vision métaphorique de ce slogan en comparant les « noyaux » à des « problèmes » que l’on rencontre en mangeant la pêche. Ce slogan peut donc se comprendre de la manière suivante : « une voiture avec beaucoup d’énergie sans les problèmes techniques ». La substitution n’est pas seulement mise en œuvre dans le cas des noms mais aussi pour d’autres classes de mots. « On peut avoir des envies folles et garder la tête sur les épaules. PEUGEOT 306, c’est bien réfléchi.» « Vous avez des idées larges. Elle aussi. PEUGEOT 406. » L’image métaphorique dans ces exemples est construite sur la structure caractérisante de type nom + adjectif. Ce qui est surprenant dans ces métaphores, c’est la combinaison entre "idées" et "larges", "envies" et "folles" qui fait passer d’un registre de sentiment ou de pensée à un registre beaucoup plus concret. Cette association inhabituelle sert à renforcer le degré d’expressivité de ces deux adjectifs. « Les envies folles » ne désignent certainement pas des envies anormales, mais celles qui semblent irréalistes. Ce slogan de Peugeot sous-entend que Peugeot peut transformer l’impossible et le mettre dans le domaine du possible. L'expression « avoir des idées larges » désigne le fait d'avoir une grande ouverture d'esprit, d'où une plus grande tolérance face à la modernité. Ainsi, ce slogan mentionne indirectement le caractère moderne de la voiture. D'autre part, le mot "large" fait aussi penser au "grand large" des marins et cela accentue l'idée des grands espaces où cette voiture peut nous conduire. Ce slogan, en quelques mots seulement, fait la promotion de la modernité et de l'évasion de cette voiture. 40 Quant aux exemples de Nescafé et Evian, le recours à l’infinitif fait naître des effets de bonheur et d’euphorie : “Boire Evian, c’est respirer à 3000m.” “Grandir, c’est Neslé.” Avec la publicité Auto-Journal, la relation métaphorique se fait par l’intermédiaire de «de» “La route des étoiles et les étoiles de la route.” Par la préposition “de”, ces publicités mettent en jeu une relation d’appartenance où “route” est associé à “étoiles”, ceci justifie la spécialité de l’Auto-Journal dont profitent les passionnés pour les automobiles et surtout la course automobile. « La route des étoiles » fait référence à la fois à la course automobile et au journal qui présente les stars des courses automobiles. Avec « association inattendue, analogie surprenante, effet empoisonnant, sens mystérieux, énigme perverse »31, la métaphore est la figure idéale pour charmer le lecteur. 2.2. Métonymie La métonymie (du grec metônumia, « changement de nom ») est une figure de rhétorique par laquelle un concept est dénommé à partir d'un mot désignant un autre concept. Ces rapports logiques peuvent être de natures différentes : le contenant pour le contenu, l’instrument pour l’utilisateur, le lieu pour la chose ou la personne s’y trouvant, le lieu d’origine ou fabricant pour le produit, etc. Cette dernière valeur de la métonymie est la plus présente dans la publicité. En effet, chaque fois qu’on annonce un produit par la marque de fabrication, on utilise la métonymie comme une Camaro, un Chanel, un Skidoo, une Renault, une Keton … « Vous vous changez. Changez de Keton. » (montre Keton) « Un jour sans Bic, c’est la barbe. » (Bic) On appelle aussi souvent le nom du produit par son lieu d’origine surtout les vins comme le Beaujolais, le Bordeaux : « Retrouvez les Beaujolais Villages. » « Bordeaux, la couleur singulièrement plurielle. » Le rapprochement métonymique de la publicité Total est fait sur la base de contenant à contenu : 31 http://jaseur.free.fr/jaseur/manipuler.htm 41 « TOTAL. La route vous a lessivés, nous allons vous rafraîchir ! » Dans cet exemple, le terme "route" n’est plus utilisé au sens dénotatif, mais pour désigner une abstraction, c’est-à-dire l’ensemble des obstacles et frustrations causés par le parcours. D’ailleurs le signifiant linguistique "rafraîchir", par sa forme métaphorique, renvoie à lubrifiant, carburant ou énergie. L’annonceur veut justifier le slogan de la marque “Vous ne viendrez plus chez nous par hasard”. La métonymie dans la publicité de Badoit est aussi construite sur la relation contenant/ contenu : “Badoit bouteille en verre, recommandée par les belles tables.” (Eau gazeuse Badoit) Au sens tropologique, « belles tables » est une métonymie pour les restaurants classés. Dans ce contexte, le contenant “bouteille” dérive vers une dénotation du contenu “eau gazeuse”. Ce slogan démontre que Badoit est une boisson parfaitement à sa place dans le cadre d’un dîner dans un bon restaurant. Le même mot “table” dans une autre publicité de Badoit désigne les invités : “L'eau des tables légères.” Dans le slogan de Ricard “Un gin fizz au zinc? Non, un Ricard dans l'avion”, le mot “zinc”, un comptoir dans un bar, est la métonymie du bar, du bistro qui se réfère à l’image "au sol" tandis que le mot “avion” renvoie à l’image "aérienne". Mais dans le langage familier, un "zinc" désigne aussi l'avion de type ancien (souvent un avion de l’après-guerre) par opposition aux avions plus récents... Il y a peut-être aussi une idée de modernité dans ce slogan. Celui qui boit un gin au zinc est dénoté comme ancien alors que celui qui boit un Ricard dans l’avion porte une connotation plus moderne. C’est ce qui est bien subtil dans cette métonymie. Très utile pour construire des généralités et éviter la redite, les publicitaires l'utilisent fréquemment. La force du détail singulier l'emporte sur la banalité de l'ensemble. Cette figure « économique » renouvelle l’image du produit et celle de la marque. 2.3. Hyperbole Comme nous l’avons dit dans le chapitre précédent, l’hyperbole est omniprésente dans la publicité et fait partie de la technique publicitaire. On trouve une certaine nuance hyperbolique dans presque toutes les publicités au niveau iconique aussi bien qu’au niveau linguistique. Il existe des hyperboles qui violent même les restrictions de sélection : “Les jambes ont la parole.” (Well) 42 “Cartes Bleu Visa. Elle parle toutes les langues.” (Cartes Bleu Visa) “Vous allez voir ce que vous allez entendre.” (CD Video) “Si les poissons pouvaient parler, ils vous conseilleraient Hykro.” (Hykro) Ces slogans choquent les lecteurs par des combinaisons incompatibles et irréelles. Cela fait appel à la “théorie de l’information” : plus l’apparition d’un mot est probable, moins il est informatif. Nous constatons que les publicitaires ont une prédilection pour le superlatif en vantant la qualité rare du produit : “Le meilleur emplacement pour le meilleur placement.” (Le Méditerranée) “Les plus petites choses peuvent faire le plus grand plaisir.” (Appareil photo Nikon) “La plus silencieuse des lave-vaisselle.”(Bosch) “Le plus grand des petits câlins.”(sac Lancel) “Le meilleur prix étudiant avec Campus.” (Campus) Un autre exemple d’hyperbole très amusant et intelligent, c’est celui de Seat : “Seat Arosa. Les femmes ne s’intéressent qu’à leur voiture.” (Seat) On ne peut bien comprendre l’aspect humoristique et exagéré du message qu’avec l’image où un homme est en train d’allaiter son enfant. La publicité sous-entend qu’avec Seat Arosa, les femmes risquent même d’oublier leur nature d’être mère pour ne penser qu’aux grands voyages dans leur belle voiture. Existe-t-il la relation entre l’amour et l’automobile ? Oui, c’est le cas dans la fameuse publicité Fiat : “Comment rencontrer l’amour grâce à la Cinquecento ? La Cinquecento consomme très peu. Donc vous faites des économies. Donc vous avez de l’argent. Donc vous pouvez le jouer. Donc vous pouvez le perdre. Donc vous êtes malheureux au jeu. Donc heureux en amour. Fiat Cinquecento. La voiture qu’il vous faut, Donc. Cinquecento prix net à partir de 43 800 F, 43 hors aide gouvernementale.” (Fiat ) À travers ces exemples, nous comprenons pourquoi la caractéristique des messages publicitaires est de toujours exagérer. Une publicité qui présente le produit tel quel n’attire personne bien que tout le monde aime la vérité. Afin de solliciter le désir du lecteur, “le discours surimpose volontiers à la substance même de l’objet une valeur étrangère”32. Et à force d’écouter des informations hyperboliques, nous arrivons enfin à les accepter comme une évidence. Ces figures de rhétoriques jouent non seulement un rôle esthétique afin de positiver ou d'embellir le réel mais elles ont aussi une valeur argumentative très persuasive car elle repose sur l'affectif. Au sujet du sens des mots, on ne peut pas se passer des relations de sens qui font moins appel à l'intelligence et demandent moins d’effort de compréhension mais ne sont pas moins importantes dans la création publicitaire. 3. Relations de sens Il est évident qu’on ne peut pas comprendre une publicité sans découvrir le sens des mots constitutifs. Les créateurs de publicité profitent au maximum des effets de sens dans le but de biaiser l’attention du lecteur vers le produit. Nous prenons ici comme cadre surtout les relations de sens classiquement décrites en sémantique : antonymie, hyperonymie et hyponymie, homonymie, polysémie. 3.1. Antonymie L’antonymie33 est un procédé très utilisé dans le langage courant aussi bien que dans le langage journalistique et publicitaire. Cette relation de sens se retrouve sous bien des formes plus ou moins sophistiquées. Les antonymes peuvent être verbes, adjectifs, noms, adverbes ou prépositions. Il s’agit des antonymes de même classe ou de classe différente. Voici des exemples qui justifient cette diversité des antonymes dans les messages publicitaires : - Les antonymes placés au début du fragment: « Loin des yeux près du cœur.» (Whisky Chivas) « Dur avec la saleté, tendre avec les couleurs.» (lessive Mir) « Moins on roule, plus on va vite.» (Air Inter) - Les antonymes placés en fin du fragment : « On peut vivre sans, mais c’est tellement mieux avec. » (bijoux Christofle) « Un paradis pour tous les enfers.» (Nissan) 32 33 DYE M., op. cit L’antonymie est un rapport sémantique existant entre des mots dont les sens sont “opposés”. 44 « Regardez de près pour voir loin.» (Crédit agricole) « Le couscous vous le connaissez comme là-bas. Découvrez le comme chez nous.» (Petit Navire, les plats préparés) - Les positions structurales comparables : « Quand on achète un petit Kaly, on achète un grand téléviseur. » « Ce sont aussi les petits détails qui font les grandes voitures. » (Nissan) - Les antonymes dans la dépendance de l’autre : « La douce violence d’un parfum d’homme.» (Drakkar) « L’énergie douce.» (Fruit’up) « La petite géante.» (Volkswagen) - Les antonymes dites supercherie linguistique : « Le plus grand des petits câlins.» (lessive Soupline) « Le plus grand des petits déjeuners.» (céréales Kellog’s Corn Flakes) Le point commun des antonymes dans ces publicités, c’est la valorisation du produit et donc celle de tous ceux qui le possèdent. Si les antonymes cités ci-dessus sont évidents et faciles à repérer, ceux de H&M sont plus subtils où l’antonymie n’appartient pas à la langue : « Vous choisissez entre confort et beauté ? Moi pas. » (Prêt à porter H&M) Ce slogan présuppose que plus un vêtement est confortable, moins il est beau et vice versa. Notre annonceur conteste cette fatalité de cette antonymie pour proposer une conciliation entre ces deux qualités. Il va de soi que l’emploi des antonymes dans la publicité vise à attirer l’attention du lecteur sur la supériorité du produit par rapport aux autres comme le cas de l’hyperonymie/ hyponymie. 3.2. Hyperonymie et hyponymie Comme la publicité comparative entre les deux produits est interdite selon la loi, la comparaison doit jouer de manière plus subtile. Canon a transformé l’interdiction de la loi en un slogan très connu : « Nous avons malheureusement pas le droit de comparer notre nouvelle BJC-5100 à d’autres imprimantes. Mais vous, vous le pouvez. » (Canon) 45 Ou bien nous ne pouvons que sourire de l’ingéniosité du procédé de Télé2 lorsqu’il lance une campagne de chasse au trésor, promettant une prime de 1000 francs à celui qui trouverait un prestataire plus avantageux : « Nous cherchons : un prestataire plus avantageux que Télé2. Prime : Fr.1000. » (Télé2) C’est la mise en œuvre de l’hyperonymie34 et l’hyponymie35 qui est le meilleur moyen de privilégier un produit par rapport aux autres de même classe sans nommer ces derniers. Il convient maintenant de voir de quelles façons s’effectue la comparaison in absentia : - À l’intérieur de la classe, X est mieux, est différent, est autre chose : « Omo lave plus blanc. » (Omo) « Avec Saint Maclou, le carrelage, c’est autre chose. » (carrelage Saint Maclou) Par la curiosité, tous ceux qui entendent les slogans de ce type veulent essayer le produit pour vérifier cette différence. - X est le meilleur représentant de la classe : « On ne peut égarer une cerise parmi des cerises, on ne peut égarer une Lancia parmi des voitures. » (Lancia) « Des pâtes, des pâtes, oui mais des Panzani. » (Pâte Panzani) « Des puces, des puces, oui mais des Olivetti. » (Opérateur de télécommunication Olivetti) « Quand on a besoin d’une voiture, on a besoin d’une Toyota. » « Le dentifrice qui va vous changer du dentifrice. » (Sanogyle bi-active) Dans ces slogans, on ne compare le produit à aucun autre mais il s’agit effectivement d’une comparaison avec tous les autres. Bien sûr, l’effet est plus remarquable. - X sort de la catégorisation : « Il y a les allèges et l'allège de St Hubert. » « Il y a les parfums et il y a Hermès. » « Au lieu d’acheter une voiture, achetez une Saab. » « Quand on est devant C+, au moins on n’est pas devant la télé. » « Une Yamaha pour le prix d’une tondeuse. » L’hyperonymie est la relation sémantique hiérarchique d'un lexème à un autre selon laquelle l'extension du premier terme, plus général, englobe l'extension du second, plus spécifique. Le premier terme est dit hyperonyme de l'autre, ou super ordonné par rapport à l'autre. 35 L'hyponymie est la relation sémantique d'un lexème à un autre selon laquelle l'extension du premier est incluse dans l'extension du second. Le premier terme est dit hyponyme de l'autre. 34 46 C’est toujours une comparaison implicite mais à un plus haut degré : le produit dans ces exemples est nommé hors-classe, ce qui sous-entend qu’il possède des particularités qui le distinguent des autres. Malgré une certaine différence de leur nuance, l’hyponymie/hyperonymie permet au fabriquant de vanter l’excellence et l’exclusivité du produit et de les classer au dessus de tous les produits concurrentiels sans aucun risque. C’est le moyen le plus simple et le plus efficace pour induire au comportement de l’achat. Toutefois, l’emploi excessif de cette surestimation risque de dégrader la confiance du lecteur lors de la lecture du message. 3.3. Homonymie L'homonymie est la relation entre plusieurs formes linguistiques ayant le même signifiant, graphique ou phonique, et des signifiés entièrement différents. Très souvent, le jeu homonymique motive le nom de la marque en inscrivant le sujet ou son désir dans le phonétisme de celle-ci. « Lego développe l’égo. » (Lego) « Il n’y a que Maille qui m’aille. » (moutarde Maille, peut être lu « il n’y a que Maille qui maille ») Si le slogan de Lego est très significatif, celui de Maille est un simple jeu de mot pour accrocher l’attention du lecteur. Parfois, l’homonymie ne se repose pas sur le nom de la marque mais met en valeur la qualité du service : « Transformez votre compte en conte de fées. » (une banque française) Nous avons peut-être là un fonctionnement métaphorique, mais à partir de l’identité des signifiants et non des signifiés. Avec cette banque, le client aura des bénéfices de rêve. L’homonymie dans la publicité de Crédit agricole joue sur sa caractéristique : « Quand on s’aime, on sème. » (Crédit agricole) L’homonyme se réfère également à des expressions connues par le lecteur : « La venue des Champs Elysées fait toujours un triomphe. » (Lindt, chocolats « Champs Elysées », lu « L’avenue des Champs Elysées ») « Les petits pois sont d’avril.» (Petits pois, peut-être lu « les petits poissons d’avril ») « Coup de cœur mais pas coût de cœur. » (Ford) L’usage de l’homonymie viole parfois des règles grammaticales et lexicales pour faire preuve de créativité : 47 « Et si on déjeunait Rome antique. » (Mobilier de France, meuble à la romaine, peut-être lu « si on déjeunait romantique ») « Un parfum de nouveau thé. » (The elephant, peut-être lu « un parfum de nouveauté » ) L'homonymie de ces deux slogans se base sur l'association des deux mots pour n'en former plus qu'un : "Rome antique" se prononce de la même manière que "romantique" et "nouveau thé" devient "nouveauté". Ainsi, pour le premier slogan, le terme "Rome antique" désigne la beauté du mobilier comme si c'était une œuvre d'art antique, tandis que le terme "romantique" désigne l'utilisation qui peut en être faite. En une seule phrase, ce slogan fait la promotion à la fois de l'utilité et de la beauté des meubles. Concernant le deuxième slogan, il insiste doublement sur la nouveauté de ce thé afin de se démarquer des autres marques de thés. Il y a donc différentes manières de produire des homonymes pour amuser le lecteur et favoriser sa mémorisation sur le nom de la marque ou les qualités des biens ou services de l’annonceur. 3.4. Polysémie Un même mot dans deux sens différents permet de doubler l’impact du message publicitaire. La polysémie fonctionne sous deux catégories : polysémie in praesentia36 et polysémie in absentia37. Citons deux exemples de polysémie in praensentia dont la même lexie « prix » : « À ce prix-là, elle ne devrait pas être à ce prix-là. » (Leclerc) « L’assurance à tout prix, mais pas à n’importe quel prix. » ( Assurance GAN) Dans le slogan de Leclerc, le premier “prix” renvoie à la valeur non monétaire et le deuxième à la valeur monétaire, au coût. C’est grâce au deuxième que nous pouvons interpréter le sens du premier. Le message que la publicité Leclerc transmet au client, c’est que le produit Leclerc est de bonne qualité mais à prix raisonnable, répondant à toutes ses attentes. Si le deuxième prix de l’annonce GAN fait appel à l’aspect coûtant, le “prix” dans la locution « à tout prix » n’exprime ni la valeur ni le coût. « L’assurance à tout prix » signifie l’obligation de l’achat de l’assurance imposée par la loi, « mais pas à n’importe quel prix » exprime à la fois la qualité et le faible prix. L’annonceur conseille donc à ses clients de prendre l’assurance GAN pour être bien assurés mais à prix raisonnable. 36 37 La polysémie in praesentia : le même mot est répété mais son sens n’est pas le même. La polysémie in absentia : le seul mot peut être interprété à la fois sur le littéral et sur le figuré 48 En raison d’économie, on voit plus fréquemment la polysémie in absentia dans les publicités. Ici nous avons un jeu sur le littéral et le figuré qui n'est pas loin d'un fonctionnement métaphorique en cas de motivation, mais le sens figuré apparaît dans un cadre polysémique : « UN BON TUYAU SUR L’ÉNERGIE Le gaz naturel. » (Gaz Métropolitain) L’annonce joue sur le sens propre du mot « tuyau » (conducteur de gaz) et son sens figuré (une bonne suggestion). "En Norvège, plus il fait froid, plus on se frotte les mains." (Crème Neutrogena). L’expression "se frotter les mains" peut avoir un sens concret qui désigne une action physique mais aussi un sens abstrait qui est un signe de contentement, de joie. Le slogan vante la qualité de protection de la crème Neutrogena : frotter les mains avec Neutrogena quand il fait froid est un signe d’euphorie. Ces relations de sens dits phénomènes classiques sont bien capables d’évoquer des effets nouveaux chez le récepteur. L’analyse que nous avons faite dans ce chapitre ne reflète que partiellement les particularités lexicales du message publicitaire mais suffit pour affirmer que les publicitaires sont de vrais magiciens des mots. Leurs stratégies lexicales sont caractérisées par l’économie de mots, le choix et l’utilisation créative des mots en fonction de leur sonorité et leur pouvoir d’évocation. Avec la créativité et la maîtrise de la langue, ils participent à « inventer une langue dans la langue »38. 38 ADAM J.-M. & BONHOMME M., op. cit. p. 149 49 CHAPITRE III ANALYSE SYTAXIQUE DU TEXTE PUBLICITAIRE Les mots publicitaires sont chers et bien choisis. Mais comment les combiner pour créer des slogans, des messages efficaces ? Cette question nous pousse à faire une analyse sur les modes d’enchaînement syntaxique et l’emploi de modes et de temps qui participent à l’argumentation publicitaire. 1. Relations syntaxiques Dans cette partie, nous relevons certains procédés de construction syntaxique fréquemment utilisés par les publicitaires. Notre analyse s’articule autour de deux axes. Le premier traite les relations parataxiques (coordination et juxtaposition). Le deuxième envisage les relations de subordination entre les propositions. 1.1. Relations parataxiques Les relations parataxiques sont représentées en abondance dans le texte publicitaire. Elles désignent un ensemble de phrases indépendantes les unes des autres, juxtaposées ou coordonnées sans mot qui indique le lien entre elles. 1.1.1. Juxtaposition La juxtaposition est décrite comme une coordination asyndétique implicite parce qu’il y a un effacement de la marque de relation, et que le rapport sémantique entre les éléments conjoints n’est pas explicitement précisé. L’intérêt de l’asyndète est d’alléger la phrase. Les deux phrases juxtaposées sont séparées par la ponctuation (virgule) à l’écrit et par l’intonation à l’oral. C’est ce que nous apercevons dans la publicité de Vitaform : « Cette eau, unique, naturellement chaude, jaillit à Bormes-les-Eaux des profondeurs de la terre. Douce, riche en sodium et oligo-éléments, elle s’associe avec bonheur à des soins de remise en forme raffinés, fruits de la grande expérience du thermalisme. En complément, la démarche exclusive de diététique équilibrée personnalisée à Vitaform contribue harmonieusement à un vrai ressourcement. » Ce sont des phrases simples, séparées par des points et sans lien formel entre elles (Cette eau... jaillit/ elle s’associe/ la démarche... contribue). Comme il n’y a pas d’éléments explicitant la relation de sens entre les phrases, le lecteur doit faire des hypothèses sur la nature de cette relation. Il peut s’appuyer sur différents indices 50 parmi lesquels l’intonation ou la ponctuation, les temps des verbes, la séquence textuelle dont font partie les phrases (description/narration), le genre de discours dont elles relèvent. Le texte suivant d’Elisa Raven en fournit un autre exemple : « Partez à la découverte de la nouvelle Crème anti-âge révélatrice du teint, une vraie révolution pour votre peau. Dès l’application, cet expert anti-âge révèle une peau plus douce, plus fraîche, plus lumineuse. Chaque jour, la peau s’embellit et devient lisse, éclatante, uniforme. Pourquoi ? Parce qu’une Crème anti-âge révélatrice du teint, élimine les cellules mortes et fait renaître une peau plus neuve, plus résistante, éclatante de santé. Au final, la peau perd son voile terne, elle est fraîche, moins marquée ; elle résiste mieux à l’environnement hostile. Offrez-vous une peau douce, douce comme coton ... une crème prodigieuse ! » Dans ce cas, l’interprétation est facilitée par les réseaux lexicaux propres à ce produit de beauté : « révélatrice du teint », « expert anti-âge », « une vraie révolution pour votre peau », « les cellules mortes »..., à la répétition du terme « peau » et de la caractéristique de la crème « anti-âge ». Un exemple extrait de l’annonce sur l’association « Clown solidaire » montre un enchaînement syntaxique organisé autour de l’anaphore pronominale et nominale : « Alice voulait faire médecine. Malheureusement. Elle n’a pas pu. Mais elle a de la suite dans les idées, Alice. Elle a donc décidé qu’elle soignerait autrement qu’en blouse blanche. Les enfants de préférence. Elle est devenue le clown le plus attendu des services de pédiatrie. Avec Alice et son association « Clown solidaire », les enfants malades oublient pendant quelques heures la réanimation et ses bip-bip, le scanner de demain, les piqûres de tous les jours. Alice sait qu’elle a le plus beau public au monde. » (Association Clown solidaire) Une publicité sur la carte de crédit Atouprix fait défiler une série de phrases apparemment sans liens. C’est au lecteur d’interpréter : « N’attendez plus ! Changez de voiture Partez en voyage Offrez-vous le salon de vos rêves 51 Faites plaisir à vos proches Ne vous refusez plus rien... » (Atouprix) Le lien de ces phrases est bien sûr thématique. L’annonceur veut insister sur la diversité des activités qu’on peut faire avec la carte Atouprix. Ce type de relation syntaxique occupe une place très importante dans les textes publicitaires. D’abord, il répond à un des impératifs de la publicité, c’est de suggérer au lecteur d’interpréter. L’absence de liens qui précisent le rapport entre les différentes propositions donne l’impression d’ « un refus d’avancer une interprétation de la part du locuteur et participe d’une esthétique de l’implicite ».39 D’ailleurs, si le raisonnement était explicité par des liens circonstanciels, il serait moins concis et perdrait donc sa force. En effet, l’efficacité du texte publicitaire tient au fait qu’il laisse une part d’interprétation au récepteur. On peut parler, à propos de la juxtaposition, de subordination implicite. 1.1.2. Coordination Les phrases du texte peuvent être liées dans une relation chronologique ou logique implicite, par un mot coordonnant. C’est une mise en relation de deux propositions, de deux phrases et également des constituants à l’intérieur de la phrase (deux groupes nominaux, deux verbes, deux adjectifs). Dans le texte publicitaire, la relation de coordination est souvent marquée explicitement, certaines conjonctions sont utilisées avec des nuances variées. 1.1.2.1. Conjonction « ou » Cette conjonction exprime une alternative, une disjonction avec deux nuances : une disjonction exclusive40 et une disjonction inclusive41. « Tu préfères être mobile ou immobile ? Pour nous, le choix est facile ! Mobilis, je peux compter sur toi. » ( Mobilis) « Vous souhaitez un appartement ou une maison ? » (Banque immobilière) « Une entreprise qui n’a pas cette idée-là de l’express finit tôt ou tard par boire la tasse. » (Transport Serman) Dans ces cas, le « ou » introduit une alternance, une disjonction exclusive puisque les arguments associés s’excluent mutuellement. « Allez-vous l’imprimer sur papier ordinaire ou lui offrir un vrai tirage photo ? Les deux. » (Canon) LOZACHMEUR G., 2003, Les Modes d’enchaînement syntaxique dans le texte publicitaire : les effets produits par les pôles de la coordination et de la subordination, Nouvelles Journées de l’ERLA n° 4 40 Dans le cas de disjonction exclusive, « ou » indique une alternative, et a le même sens que « ou bien ». 41 Dans le cas de disjonction inclusive, « ou » relie deux propositions qui sont vraies en même temps. 39 52 Le « ou » semble introduire une alternance, une disjonction exclusive mais elle est démentie par le discours qui suit. Le « ou » de l’exclusion devient le « ou » inclusive. La première nuance de « ou » est plus fréquente que l’autre dans le langage publicitaire. Le publicitaire utilise cette conjonction pour mettre en valeur la qualité du produit ou du service en montrant que malgré la diversité des besoins du client, l’entreprise peut les couvrir tous. 1.1.2.2. Conjonction « mais » « Mais » occupe aussi une place importante dans la publicité car elle exprime non seulement la valeur d’opposition, de restriction,.... mais aussi « une valeur argumentative et/ou affective ».42. Très souvent, le « mais » introduit une opposition entre la réalité et l’idée reçue qui reste toujours implicite : « Moins de sucre mais autant de plaisir dans le chocolat Sibon. » (Chocolat Sibon) Dans la publicité de Chocolat Sibon, l’idée reçue est « moins de sucre entraîne moins de plaisir », et la réalité est « moins de sucre mais toujours autant de plaisir ». Il en est de même pour la publicité de Sony : « Gravez vos DVD mais sachez que désormais tout le monde peut les regarder. » Elle est à interpréter comme : « Gravez vos DVD, d’accord, mais… ». Le « mais » est ici insinuatif. Il y a une idée de mise en garde contre l’idée reçue que les DVD ne peuvent pas être regardés par les autres. Dans la publicité d’IBM, avec l’expression « avant tout cela », le « mais » n’exclut pas la première proposition « Transformer », l’opposition semble être temporelle : « Transformer. Tout un programme. Et à la clef, de nouveaux produits. Mais avant tout cela… Décrypter l’A.D.N. de l’entreprise. Apprendre des autres secteurs d’activité. Combiner savoir-faire technologique, stratégie et des dizaines d’années d’expérience. Qui peut le faire ? Et qui peut le faire en profondeur ? » La publicité commence par décrire la fin du processus qui est la partie qui intéresse le consommateur. Elle finit par décrire le début du processus afin d’insister sur la qualité du travail fournie par l’entreprise. De plus, à travers la question « Et qui peut le faire en 42 JORGENSEN K.-S., Analyse stylistique et polyphonique du connecteur mais dans la narration Flaubertienne, http://www.hum.au.dk/romansk/polyfoni/XIV_%20congres/KathrineSorensenRavnJorgensen.htm 53 profondeur ? », cette publicité se sert de l’image de marque très connue de IBM. Dans cet exemple, le « mais » n’exclut pas la première proposition mais seulement l’idée que les deux propositions se font en même temps. Très varié et subtil, l’emploi de « mais » dans le message publicitaire renforce la persuasion de l’argumentation et requiert une certaine réflexion de la part du concepteur et de l’interprétateur. 1.1.2.3. Conjonction «et » Cette conjonction sert à relier des groupes verbaux, nominaux,… Son rôle traditionnel est l’addition, comme dans les exemples de Locauto et de l’Association « Clown solidaire »: « ... Locauto répond à toutes vos questions et à tous vos désirs. ... Une règle : les modèles les plus sûrs et les prix les plus intéressants. » (Locauto) « ...Avec Alice et son association « Clown solidaire », les enfants malades oublient pendant quelques heures la réanimation et ses bip-bip, le scanner de demain, les piqûres de tous les jours. » (l’Association « Clown solidaire »). La conjonction « et » dans l’exemple suivant ne marque pas l’addition mais une succession temporelle : « Écoutez Chérie FM et gagnez un an de salaire ! » (Chérie FM) « Partez pour Londres et découvrez une grande ville de la mode, de la musique et des arts ! » Les deux énoncés reliés dans chaque texte ont chacun une orientation argumentative différente. L'opposition temporelle se fait nette et entraîne l’antériorité de l'argument 1 qui se pose comme condition à la réalisation future de l'argument 2. Nous pouvons transformez ces publicités en une phrase hypothétique : Si vous écoutez Chérie FM, vous pourrez gagner un an de salaire. Si vous partez pour Londres, vous pourrez découvrir une grande ville de la mode, de la musique et des arts. Pourtant, il est évident que l’emploi de « et » rend l’annonce plus expressive et persuasive. Avec le mode impératif, on a l’impression que ce que dit la publicité est à notre portée. Mais en marge de ses emplois courants, on observe de nombreux cas où « et » suivi d’un groupe nominal ou d’un groupe adverbial figure en tête de phrase. « Et vous avez trois tee-shirts pour le prix de deux. » « Et vous, que ferez - vous d’une année sabbatique ? » (Chérie FM) 54 « Et puis, un voyage en TGV, ce n’est pas long. » (SNCF) « Et si vous jouiez au Père Noël cette année ! » (Village d’enfants SOS) Ce procédé est un moyen de mettre en relief les termes qui suivent. C’est un procédé de style. Une conjonction de coordination en position initiale absolue renvoie toujours à un terme ou à un membre précédent qui n’est pas exprimé. « Et puis, un voyage en TGV, ce n’est pas long. » sous-entend que le TGV apporte beaucoup de services avantageux aux passagers et en plus, la durée du voyage est raccourcie. « Et » est une conjonction si utilisée dans la langue courante qu’elle devient banale mais avec les publicitaires, elle est un moyen lexical effectif. 1.1.2.4. Préposition « pour » La préposition est traditionnellement présentée comme un mot de liaison, un outil de subordination entre les groupes. Elle introduit un élément et le relie, le subordonne à un autre élément. Toutefois, il faut reconnaître qu’outre ce rôle relationnel, les prépositions ont un rôle sémantique. Elles contribuent à l’interprétation sémantique du groupe prépositionnel qu’elles introduisent. La préposition « pour » nous intéresse particulièrement pour sa présence importante et son sémantisme très large. Cette préposition est très utilisée et apparaît fréquemment en tête de phrase. « Pour recycler, il faut trier. » « Pour les groupes de plus de 10 personnes, réduction de 10% sur les tarifs. Pour un voyage en avion, le week-end fait 890F au départ de l’aéroport de Paris. » « Pour tous renseignements, contactez Fabienne au 02 48 29 53 10. » « Une plage à Madagascar. Pour un départ coup de cœur, faites un 3615. » « PMS : Parlez plus pour seulement 19,90 euros par mois ! » On trouve que « pour » dans des emplois variés a souvent une valeur destinative ou intentionnelle. Le cas où « pour » est suivi d’un infinitif est aussi très fréquent : « Locauto pour vous faciliter la vie. » (Locauto) « Neuf serveurs Minitel pour partir demain. » (Minitel) Cette construction sert à marquer un rapport de finalité. La tournure infinitive permet d’éviter le « vous » trop direct. La tournure impersonnelle en publicité a l’avantage d’évacuer des messages les impératifs trop directifs. 55 Un autre emploi de « pour » est celui où il figure dans des constructions nominales du type Nom 1 pour Nom 2 : « Microsoft Windows XP Professionnel pour l’informatique mobile. ». Pour nommer une réalité, on peut utiliser « pour » et obtenir ainsi un effet de synthèse et de ramassé. La séquence « Nom pour Nom » se situerait entre le nominal et le propositionnel. « A Vitaforme, les richesses d’une eau thermale active pour une énergie nouvelle. » (Vitaforme) « La gamme idéale pour les peaux grasses. » (Nivea for Men) « Azzaro pour Hommes. Pour les hommes qui aiment les femmes qui aiment les hommes. » (Azzaro) (Les hommes ont besoin d’un parfum exclusif pour plaire aux femmes qui aiment les hommes). « Pour » déclenche donc des inférences par sollicitation des savoirs non organisés, liés à la situation d’énonciation. « Un rêve éveillé pour ceux qui conduisent avec passion. » (Honda) La préposition « pour » offre un éventail de possibilités d’emploi en raison de la diversité de ses valeurs et de ses combinaisons avec d’autres classes de mots. 1.1.2.5 Préposition « avec » « Avec » est la deuxième proposition la plus fréquente dans le texte publicitaire. « Avec Directravel, vous passez dix jours à l’hôtel Ambassador pour 10.600 francs, avec le prix du billet d’avion. Mais il faut partir avant le 30 mai. » (Directravel) « Mangez tout ce que vous voulez avec Mincevit’. » (Mincevit’) « Le meilleur prix d’étudiant avec Campus. » (Campus) « Jouez avec vos émotions. » (PMU) « Avec la carte de crédit Atouprix, tout vous est permis. » « Avec » + complément permet des inférences interprétatives globales au niveau discursif. Suivie de son régime, la préposition contribue à véhiculer des types variés d’informations. Premièrement, il s’agit des relations entre personnes : « avec vous ». Plus souvent, cette préposition marque le moyen, la valeur instrumentale : « avec Mincevit’ », « avec télé 2 », ... On peut alors interpréter par « grâce à », « à l’aide de ». Avec ces exemples, le rôle d’« avec » concurrence bien « grâce à » qui figure souvent en tête de phrase. Cette préposition crée un univers euphorique et annonce un résultat heureux. 56 Il résulte des analyses précédentes que les relations parataxiques l’emportent dans les textes publicitaires. Cependant les relations parataxiques n’excluent pas la relation d’une proposition non autonome à une proposition principale. Elles forment bien un tout comme les propositions coordonnées mais les deux ne sont pas sur un plan d’égalité et l’une dépend de l’autre. Il s’agit des relations de subordination. 1.2. Relations de subordination Notre analyse de ces relations porte sur les trois sous-catégories : relative, conjonctive et structure de mise en relief. 1.2.1. Relative Dans l’ensemble des propositions subordonnées relevées dans le texte publicitaire, la proposition subordonnée relative occupe une place de premier plan. « La tenue d’Eve qui fit craquer Adam. » (Pomme) « Andorre, le petit Pays où tout est plus grand ; où vivre au rythme de la montagne. Le pays au cœur des Pyrénées, où même la culture est contraste, où la lumière est émotion, et les connaisseurs des privilégiés. Rencontrez, découvrez Andorre, Terre des Princes. » « Le ticket qui va vous faire économiser encore plus d’argent. » (Ticket Carrefour) « Pensez à ceux qui vous entourent. » (Comité national contre le tabagisme) « Vous qui avez de la chance de voyager en 2003, vous aller pouvoir profiter du nouveau Scénic. » (Renault) « Un rêve éveillé pour ceux qui conduisent avec passion. » (Honda) Le plus fréquent est le pronom relatif « qui » ayant fonction de sujet dans la proposition qu’il introduit. Il s’agit presque exclusivement de relatives adjectives qui apportent des précisions sur le produit, le nom de la marque ou sur l’utilisateur du produit. Les plus fréquentes sont des relatives explicatives. 1.2.2. Subordonnée conjonctive La subordonnée conjonctive est d’un emploi plus éparpillé dans le texte publicitaire. Ce sont souvent des conjonctives circonstancielles, compléments de phrase. La subordonnée circonstancielle exprime une des circonstances du procès décrit dans la principale : temps, cause, but, concession, condition, comparaison. « Carte Noire crée Duo les premiers sachets de café moulu prédosés pour deux tasses, pour que d’un simple geste se libère tout l’arôme de Carte Noire. » (Carte Noire) « Qu’importe le bureau, pourvu qu’on reste connecté. » (Sony) 57 « Son système Flex Space vous permet de configurer l’espace intérieur selon vos besoin sans qu’il soit nécessaire de retirer un seul élément. » (voiture Nouvel Opel Meriva) « Réservez votre voiture Avis quand vous achetez votre billet dans les gares SNCF. » (SNCF) Les subordonnées circonstancielles ayant leur présence régulière dans les textes sont celles introduites par « quand » et « si ». 1.2.2.1. Si L’intérêt de « si » dans la publicité est de créer des univers sémantiques qui naviguent entre le monde réel et le monde imaginaire. Dans le classement des structures temporelles que nous opérons, la plupart des subordonnées sont construites avec le présent de l’indicatif et associées à des principales au présent de l’indicatif ou de l’impératif. On utilise un mode logique réel pour affirmer que les effets offerts par le produit sont aussi réels : « Réduction de 15% si vous partez le 25 avril. » (Agence de tourisme) « Si l’air du grand large vous attire et vous fait rêver, alors ... Abonnez-vous à l’Îles et recevez ce magnifique « carnet d’images » en cadeau ! » (Îles) L’usage des hypothèses irréelles crée un monde confactuel qui va à l’encontre de la loi de la nature : « Si les poissons pouvaient parler, ils vous conseilleraient Hykro. » (Hykro) « Si la mer n’avait qu’une couleur, il n’y aurait qu’un bleu Lacoste. » (Lacoste) Dans ces annonces, les hypothèses irréelles visent à renforcer la valeur réelle du produit. Le récepteur peut difficilement réfuter ces deux exagérations drôles. Parfois, la phrase hypothétique se réduit à une seule proposition. Il s’agit d’une suggestion ou d’un rêve comme les deux publicités suivantes : « Et si vous jouiez au Père Noël cette année ? » (Village d’enfants SOS) « Ah. Si j’avais un lit Happy. » (Happy) Au terme de cette brève analyse de quelques usages de « si » hypothétique, nous pouvons constater l’efficacité de ce connecteur pour créer de véritables micro-textes argumentatifs dans lesquels, la proposition subordonnée est marquée comme un argument alors que la proposition principale énonce la conclusion à tirer. 1.2.2.2. Quand « Quand » est aussi un opérateur de constructeur de monde, d’univers euphorique et il peut exprimer une hypothèse comme le connecteur « si » : 58 « Quand on exerce un métier lié à la vente, on souhaiterait passer davantage de temps sur le terrain. » (Intel Inside Centrino) Mais plus souvent, il reflète une vérité générale, un monde réel : « Quand deux esprits créatifs entament un pas de deux, les perspectives s’ouvrent à l’infini. » (Programme Rolex de mentorat artistique) « Quand vous conduisez l’une des meilleures voitures au monde, vous ne voulez faire aucun compromis entre performance, style et sécurité. » (Pirelli) « Veillez à la sécurité de votre réseau quand votre PC sort seul le soir. » (IBM) « Réservez votre voiture Avis quand vous achetez votre billet dans les gares SNCF. » (SNCF) Si « quand » est mis au début de la phrase, il fonctionne comme un déclencheur de récit qui va permettre de raconter une histoire à propos du produit : univers de rêve, d’évasion dans lequel on introduit le nom de la marque. 1.2.3. Structures de mise en relief Ce procédé emphatique associe un présentatif « c’est » et un relatif « qui/que » pour insister sur un constituant de la phrase. Cela permet d’obtenir une phrase clivée ou une phrase semi-clivée, une construction très proche dite pseudo-clivée qui combine l’extraction et le détachement d’un constituant. 1.2.3.1. Phrases clivées Parmi les phrases clivées, nous relevons quelques exemples : « Le nouveau Grand Vitara, c’est un intérieur accueillant et confortable. C’est aussi un moteur turbo diesel… qui allie force et vivacité et offre un couple qui permet d’affronter tous les terrains. » (Suzuki) « Après 8 bonnes heures de sommeil, il vous en reste 16 pour les loisirs. C’est ce qui a inspiré Mitsubishi Motors pour le nouveau Outlander. » (Mitsubishi) L’extraction est un procédé d’insistance susceptible d’exprimer la subjectivité du locuteur. Il veut porter une attention particulière à un élément de la phrase et attire donc le lecteur à ce propos. Par ailleurs, il contribue à l’enchaînement syntaxique puisque « c’ » dans le présentatif « c’est » joue le rôle de pivot. Il suppose qu’une question implicite est posée sur le référent. On s’interroge implicitement ou explicitement sur l’identité de quelqu’un ou de quelque chose dont la présence a été constatée. 1.3.2. Phrases semi-clivées 59 Une deuxième structure très proche concerne les phrases pseudo-clivées (ou semi-clivées). Elles relèvent de la dislocation. « Les passions authentiques finissent toujours par influencer le destin de ceux qui les vivent. Ce qui les rend si différents, c’est cette remarquable volonté d’aller au bout de leurs rêves. » ( Auto Subaru) On distingue deux parties dans la phrase. Le premier élément est une relative périphrastique (« ce qui les rend ») introduite ici par « ce » invariable, et qui représente un inanimé. Le second élément introduit par « c’est » est une séquence qui entretient une relation de complément avec le verbe de la relative. On retrouve à nouveau la répartition présupposé/posé. Le contenu du premier élément est présupposé : « ce qui les rend si différents. ». L’élément introduit par « c’est » est posé comme identifiant ce contenu et s’opposant à un autre référent spécifique possible : « la remarquable volonté d’aller au bout de leurs rêves » et non par une autre caractéristique. « Ce qu’elle apprécie le plus, ce sont ses sièges avant pivotants avec accoudoirs, sa climatisation quadri-zone… ainsi que le rangement réfrigéré… » (Citroën C8) « Ce qui peut être délicat, avec le sans-fil … c’est de travailler sans fil. » (IBM) Ces structures permettent bien de mettre en valeur la qualité du produit, ses caractéristiques, tout en assurant un lien avec ce qui précède. L’étude des liens syntaxiques de coordination, de subordination est un moyen efficace pour saisir la stratégie du message publicitaire. Les relations syntaxiques à l’intérieur du texte, entre phrases et entre paragraphes, permettent d’orienter la démarche du récepteur et l’amènent à se laisser séduire. 2. Emploi de modes et de temps Le choix du temps et du mode des verbes est aussi pris en considération dans l’argumentation publicitaire parce que les valeurs du temps et du mode sont très diverses et compliquées. Par exemple, pour faire croire le lecteur, il est indéniable que l’indicatif est plus subjectif et plus persuasif que le conditionnel et le subjonctif. Nous relevons ci-dessous quelques temps et modes qui tiennent une place plus ou moins importante par rapport aux autres. 2.1. Modes À l’observation du corpus, nous constatons que parmi les six modes de la grammaire française, l’indicatif et l’impératif sont les plus présents dans les textes publicitaires en raison de leur valeur réelle. Si au mode indicatif, le verbe indique une action certaine (ou considérée 60 comme certaine), l’impératif exprime un conseil, une demande, une défense, une suggestion, ce qui est le but du discours publicitaire. L’impératif est fréquent dans les annonces. C’est peut-être la raison pour laquelle, la publicité est, selon certains linguistes, un discours injonctif. L’impératif suppose la présence de l'autre, c'est-à-dire « l'absolue prééminence du locuteur sur son partenaire discursif »43 et vise la réaction immédiate de l’interlocuteur ou la modification de son comportement. L’annonce implique directement la personne qui l’écoute et attire son attention. On retrouve cette stratégie d'interpellation dans de nombreuses publicités comme les textes de Crédit Atouprix, Castel, Sprite : « N’attendez plus ! Changez de voiture Partez en voyage. Offrez-vous le salon de vos rêves Faites plaisir à vos proches Ne vous refusez plus rien ... » (Crédit Atouprix) « Castel beer. Savourez vos réussites ». (Castel) « Oublie ce que tu vois, pense à ce que tu bois, écoute ta soif ». (Sprite) Bien que l'impératif s'assimile à un vocatif qui, comme le dit C. Kerbrat-Orecchioni, «établit un rapport direct et immédiat entre le destinateur et les destinataires», il s'agit ici d'un ordre indirect, puisque la structure de la communication ne permet pas qu'il y ait réaction immédiate. Les locuteurs n’étant pas face-à-face, le tour de parole, la réversibilité sont impossibles. Dans la publicité de la Société d’assurance AXA, par exemple : «Il n'est jamais trop tard pour préparer l'avenir. Allez-y, allez plus loin avec AXA.» Pourtant, l’ordre de la consommation règne d’autant mieux qu’il ne prend plus l’air de dominer. L’omniprésence quantitative du phénomène publicitaire entraîne en effet un changement qualitatif dans sa façon d’imposer ses modèles : sa norme paraît normale. Elle ne dit plus d’un ton menaçant : “ Faites ainsi ”, mais tranquillement : “ Tout le monde fait comme cela ”. L’injonction publicitaire n’est plus “ Voilà ce que tu dois être ”, mais elle devient “ Voilà ce que tu es.”. Le mode indicatif se révèle dès lors beaucoup plus insidieux, plus oppressif que le mode impératif. En réalité, le mode indicatif est le mode majeur de la langue publicitaire. Il est certainement plus agréable de lire des phrases au mode indicatif qu’au mode 43 Kerbrat-Orecchioni C., 1980, L’énonciation. De la subjectivité dans le langage, Paris, Colin, p. 61 61 conditionnel ou impératif parce qu’on semble d’être dans une conversation quotidienne et plus familière: « Alice voulait faire médecine. Malheureusement. Elle n’a pas pu. Mais elle a de la suite dans les idées, Alice. Elle a donc décidé qu’elle soignerait autrement qu’en blouse blanche. Les enfants de préférence. Elle est devenue le clown le plus attendu des services de pédiatrie. Avec Alice et son association « Clown solidaire », les enfants malades oublient pendant quelques heures la réanimation et ses bip-bip, le scanner de demain, les piqûres de tous les jours. Alice sait qu’elle a le plus beau public au monde. » (Association Clown solidaire) Sans contexte, il se peut qu’on le confonde avec un extrait d’un reportage de presse. L’histoire d’Alice laisse une bonne impression au lecteur, ce qui permet à l’annonceur de se rapprocher de son public plus facilement. 2.2. Temps Généralement, les indices de l’espace et du temps ne sont pas marqués dans le texte publicitaire. Et le présent de l’énonciation porte une valeur atemporelle, c’est-à-dire que le présent sert ici de repérage non marqué au passé et au futur. Il s’agit d’un présent d’habitude ou présent itératif qui inclut le moment de l’énonciation dans une temporalité qui se répète ou d’un présent omnitemporel ou de vérité générale, comme dans la publicité de la Crème antiâge par exemple : « Partez à la découverte de la nouvelle Crème anti-âge révélatrice du teint, une vraie révolution pour votre peau. Dès l’application, cet expert anti-âge révèle une peau plus douce, plus fraîche, plus lumineuse. Chaque jour,la peau s’embellit et devient lisse, éclatante, uniforme. Pourquoi ? Parce qu’une Crème anti-âge révélatrice du teint, élimine les cellules mortes et fait renaître une peau plus neuve, plus résistante, éclatante de santé. Au final, la peau perd son voile terne, elle est fraîche, moins marquée ; elle résiste mieux à l’environnement hostile. Offrez-vous une peau douce, douce comme du coton ... une crème prodigieuse ! » Avec la nature de descriptive du texte, ce présent de vérité générale contribue à étendre la temporalité à la généralité. Dans ce cas, le récepteur sent que l’annonceur est en train de partager un savoir d’expérience. 62 Si on doit se repérer, du point de vue de la temporalité, par rapport à un procès antérieur, la forme la plus évidente est le passé composé. Le passé composé est devenue en apparence un temps du passé dominant dans la publicité parce que l’imparfait la pousse vers d’autres valeurs. « Vous avez travaillé pour votre épargne. Nous travaillons aussi durement ... pour lui assurer une totale sécurité. » (Standard Chartered Bank) « J’ai enfin trouvé le sens de ma vie. » (Matériaux de construction Gervais) « À force d’être riche, j’ai appris à compter. » ( Daewoo) Comme temps subjectif par excellence, le passé composé fonctionne ici comme un temps intermédiaire qui articule toujours le passé sur le présent de l’énonciateur. Quant à l’imparfait, une lecture un peu attentive de la publicité nous montre sa fréquence dans les structures hypothétiques avec « si » qui conditionne la création de mondes plus ou moins éloignés du nôtre. En principe, les conditionnelles irréelles correspondent à un univers fictionnel, imaginaire qui fait se méfier le récepteur des informations. Mais en publicité, la structure hypothétique est un outil syntaxique efficace pour créer de véritables micro-textes argumentatifs. Les publicités de Lacoste et de Mercedes-Benz renvoient à un monde contrefactuel dans le seul but de vanter la particularité et l’exclusivité de leur produit : « Si la mer n’avait qu’une couleur, il n’y aurait qu’un bleu Lacoste. » (Lacoste) « Si cette voiture n’existait pas, je la construirais moi-même. » (Mercedes-Benz) Avec le connecteur « si », l’imparfait peut également remplir une fonction de modélisation du monde positif et solliciter le souhait et l’aspiration chez les lecteurs comme ces deux exemples : « Et si la beauté venait de l’intérieur ? » (Vichy Célestins) « Et si vous jouiez au Père Noël cette année ? » (Village d’enfants SOS) Parfois on recourt à un temps du désir, le futur simple qui est pris en charge afin de mieux susciter l’adhésion du consommateur au produit et le pousser à l’action. « Aide-toi. Contrex t’aidera. » (Eau minérale Contrex) « Occupez-vous de votre bonheur, notre agence fera le reste. » (Agence de sécurité M.Martin) « J’irai cracher sur vos tongues. » (Tongue Slang) Dans ces textes, le futur simple traduit une intention et une promesse de la part de l’annonceur et crée une relation de connivence. Il réagira très vite et efficacement une fois que le client aura besoin de son service. 63 Le futur proche marque un futur lié à l’instant présent et exprime une action certaine dans un avenir proche. Le produit est donc à la portée du récepteur. « Le ticket qui va vous faire économiser encore plus d’argent. » (Cash Carrefour) « Chaque enfant a le droit d’aller à l’école. Avec vous, ce droit va devenir une réalité. » (Aide et Action) À part un certain nombre de phrases atypiques, la syntaxe des messages publicitaires respecte bien les règles grammaticales. Ce qui compte, c’est que les publicitaires savent les appliquer de façon optimale pour éveiller le désir du lecteur. Dans les slogans, les phrases simples et courtes sont les plus employées parce qu’« un slogan – c’est la règle – doit être concis pour être mieux fixé et répété ».44 Comme le cas des procédés lexicaux, ce n’est pas par hasard qu’on choisit telle ou telle formule, l’emploi des liens syntaxiques, du temps et du mode exerce des effets directs sur l’efficacité de la publicité. 44 BLUM Y. & BRISSON J., 1971, « Implication et publicité », Langage français, no12, Paris, Larousse 64 CHAPITRE IV ANALYSE PRAGMATIQUE DU TEXTE PUBLICITAIRE Pour étudier une publicité et comprendre son mécanisme, il faut tenir compte, non seulement des aspects lexicaux et syntaxiques du texte, mais nous nous attachons aussi à la pragmatique du texte publicitaire. Cette analyse repose essentiellement sur le fonctionnement de la communication publicitaire, l’utilisation du langage pour argumenter et convaincre le lecteur, celui qui construit l’interprétation finale. 1. Communication publicitaire 1.1. Un cadre communicationnel singulier Mettant en rapport des sujets en vue de transactions économiques, la publicité est étudiée en terme de théorie de la communication. Cependant, « il s’agit d’une situation de communication-interaction très particulière et irréductible aux schémas généraux de la communication linguistique». 45 Premièrement, la prise de parole de l’émetteur exige un grand investissement de la part de l’annonceur. Deuxièmement, il s’agit d’une communication différée dans l’espace et dans le temps. Par ailleurs, c’est une communication sollicitée et aléatoire parce qu’elle doit convaincre instantanément un destinataire qui n’attend pas le message et qui n’est pas obligé de le recevoir. Avec ces contraintes, la structure communicative est axée sur la recherche de l’établissement d’un contact et sur la quête du plus grand nombre de contactés possible. De plus, la communication publicitaire est ambivalente. Elle se compose des éléments à la fois verbaux et iconiques. À cette relation s’ajoute l’ambivalence d’une production qui est à la fois symbolique et commerciale. Les publicitaires ont tendance à masquer soigneusement cet aspect commercial par des valeurs comme la beauté, la santé, la nature. Vivons les moments de rêve à travers les publicités de Port-Grimaud et du Service de tourisme du Luxembourg : « Port-Grimaud, achetez le soleil et la mer. » « Il était une fois ... un charmant petit pays. Avec beaucoup de châteaux. Des collines verdoyantes, des forêts millénaires, des 45 ADAM J.M. et BONHOMME M., Op. cit. p. 23 65 Ruisseaux enchanteurs. Avec des habitants accueillants, joyeux et gourmets. Ils sont là, au cœur de l’Europe ; si près de chez vous. Car le plus beau de l’histoire, ce pays existe vraiment ! Le grand-duché de Luxembourg » Lors de la lecture de ces annonces, il est difficile de résister au désir de vivre ces moments agréables. Le lecteur se laisse complètement charmer. Car « tout se passe comme si dans ce cas d’expression créatrice dans un cadre commercial, le but essentiel, qui est de vendre et de faire un profit, était nié ; comme si le monde des affaires n’avait pas d’autre souci que de moissonner les dons de la nature et de les apporter à chaque animateur individuel – dans une vie idyllique en pleine harmonie avec la nature». 46 1.2. Modèles communicationnels Le classement de la communication publicitaire est fortement influencé par les théories de la communication. Elle peut être conçue comme une relation à sens unique entre l’annonceur et le public ou une structure interactive. 1.2.1. Modèles communicationnels unilatéraux Les modèles unilatéraux définissent la communication publicitaire comme une action contraignante : un annonceur tout puissant et omniscient utilise le canal du langage pour susciter une pulsion d’achat dans un public passif. Dans ce cadre, nous présentons trois modèles les plus connus et mentionnés en terme de communication publicitaire. Le plus simple des modèles est sans doute celui de Lasswell 47. La communication oriente de la source à l’effet publicitaire : Émetteur Référent Récepteur Canal-contact Qui ? Dit quoi ? À qui ? Par quel canal ? Avec quels effets ? Citons, par exemple, l’annonce Gerblé : « Madame, nous vous informons que la vitamine E contenue dans le germe de blé aide à lutter contre le vieillissement des tissus. GERBLÉ » On repère sans difficulté l’émetteur (nous), le contenu référent (renseignement sur la composition du produit Gerblé), le récepteur (Madame, vous), l’effet visé (désir de l’achat) masqué par un message informationnel. 46 SPITZER L., La publicité américaine comme art populaire, Poétique, no34, Paris, Seuil, p.155 66 Le modèle A.I.D.A48 et celui de Lavidge & Steiner sont plus complexes : Information Attention A.I.D.A Lavidge & Steiner Affects Intérêt Notoriété Connaissance Comportement Désir Action Attirance Préférence Conviction Achat On peut analyser la publicité Gerblé sur le modèle A.I.D.A. Le message commence par l’Attention sur l’information qui crée un Intérêt concernant la protection contre le vieillissement et un Désir d’avoir une meilleure santé. Persuadée par l’annonce, la cliente qui prend soin d’elle n’hésite pas à Acheter le produit. On constate, par ces modèles, que la publicité est un dialogue particulier, asymétrique car les interventions des deux participants, l’annonceur et les consommateurs, n’utilisent pas le même canal. 1.2.2. Structure interactive Contrairement au point de vue précédent, J.-M. Adame et M. Bonhomme rend compte que « bien loin d’obéir à un système unilatéral et de s’adresser uniformément à un public passif, elle s’intègre dans un circuit complexe, fondé sur l’interdépendance et la corégulation».49 Les trois éléments au moins qui influencent directement les énoncés sont le canal, le référent et le destinataire. 1.2.2.1. Influences du canal, du référent et du destinataire sur l’argumentation 1.2.2.1.1. Canal Pour toute communication, le canal exerce des impacts importants sur l’efficacité des échanges. Dans le cas de la publicité, la nature des supports pèse sur la réussite de la campagne. Chaque journal correspond à des types de publicités. Si les magazines sont privilégiés pour les publicités-affiches, axées sur l’image et le slogan, dans les quotidiens, on voit un grand nombre de publicités des biens et services de grande consommation. L’orientation thématique des journaux fonctionne comme filtre préalable. Le fabriquant choisit des journaux spécialisés dans leur domaine pour établir une argumentation appropriée et attirer le plus de clients potentiels. Le style de la presse exerce aussi des influences sur les annonces. Un produit n’est pas présenté de la même façon dans tous les supports. En effet, chaque support a son public et il 47,48 49 Cité par J.-M. Adam et M. Bonhomme, op. cit. p.28 Op. cit., p.31 67 faut que l’annonce réponde aux exigences des lecteurs. Les annonces dans un quotidien sont, dans la plupart des cas, de petit format et en noir et blanc tandis que les publicités des revues sont en couleurs vives et occupent souvent une grande surface, même une ou deux pages. Nous observons une nette interdépendance entre le message publicitaire et le support. Le support influence au départ le message et il peut en retour s’adapter à ce dernier. 1.2.2.1.2. Référent La publicité ne nous emmène pas seulement dans un monde imaginaire mais propose d’abord les services et les marchandises. L’important, c’est de trouver une stratégie adéquate pour chaque type de produit. On ne peut pas développer la même argumentation pour vendre une voiture, du chocolat ou un parfum. Les publicités des voitures ou du chocolat reposent souvent sur une argumentation directe qui valorise souvent le plaisir de les posséder : « Un moteur de 280 chevaux, c’est émouvant. Un enfant qui traverse aussi. Pour tout constructeur automobile, il y a une évidente noblesse à concevoir un beau moteur [...] Mais pour Audi, la noblesse se trouve aussi ailleurs. Là où l’ON n’oublie pas les réalités de la route. Là où l’ON prend conscience que le plaisir automobile ne se vit pleinement que maîtrisé [...]. » (Audi) « Moins de sucre mais autant de plaisir dans le chocolat Sibon » (Chocolat Sibon) Pourtant, lorsqu’il est question d’un parfum, l’argumentation est souvent indirecte. On ne cherche pas à décrire l’objet mais à l’attirer dans un mode d’euphorie et de rêve : « Paris, je t’aime. » (Parfum Yves Saint-Laurent) « Tu es le grand soleil qui me monte à la tête. » (Parfum Poême) La description publicitaire se subdivise en deux types correspondant à deux grands catégories de produits. Les produits peu divisibles tels que parfums, stylos, liquides suscitent des descriptions globales et synthétiques alors que les produits découpables en parties comme automobiles, ordinateurs permettent une description détaillante et analytique. L’empreinte du produit pré-oriente le message mais elle ne détermine pas un modèle rigide pour chaque catégorie de produit. Il ne faut absolument pas parler du produit pour le faire connaître au public. L’impression liée à un produit est plus importante que le produit lui-même. 1.2.2.1.3. Destinataire Avec les effets du support et du type de produit, la publicité s’efforce de s’adapter aux caractéristiques socioculturelles du public, ce qui conditionne son succès. L’annonceur cherche à 68 comprendre son public pour répondre à son attente et ses aspirations. Le Centre de communication avancée d’Europe a relevé cinq grandes familles de consommateurs : les activistes, les matérialistes, les rigoristes et les conservateurs, les décalés, les égocentrés.50 Prenons l’exemple des montres Tas-Heuer et de Girard-Perregaux qui sont destinées à deux groupes différents. Comme les activistes sont la clientèle visée de Tas-Heuer, le message est centré sur une description de la technologie et sur la compétition de haut niveau liée à l’élite américain Carl Lewis : « Carl Lewis porte une montre Heuer, une montre qui allie la compétence des horlogers suisses à la précision du quartz. Elle est munie d’un bracelet à double fermeture de sécurité, d’une couronne vissée, et s’il envisageait une course sous l’eau, elle est étanche jusqu’à 200 mètres. » Par contre, Girard-Perregaux oriente son argumentation vers le type rigoriste qui prend en considération la tradition, la matière : « Sa forme est essentielle, virile, mariant la pureté des lignes à la rigueur fonctionnelle. Classique, dans sa combinaison d’or et d’acier. Étonnante, dans la subtile harmonie de l’argent et de l’or rose ou encore de l’acier, simple et puissant. Ces bracelets sont disponibles en acier, en or ou en cuirs originaux cousus à la main. Girard-Perregaux. Manufacture de montres d’exception depuis 1791. » Les annonceurs suivent de près l’évolution des mentalités des gens. Par exemple, si avant les argumentations de la publicité étaient centrées principalement sur la qualité du produit, de nos jours, comprenant le souci du public pour la protection de la nature, les publicitaires, puisent l’aspect écologique du produit. Le trait commun de différents messages est souvent d’ordre écologique : « Le Chat Machine protège votre environnement. » (Lessive Chat Machine) 50 CATHELAT B. & EBGUY R., 1988, Styles de publicité, Paris, Éd. d’Organisation. Les activistes sont dynamiques et sensibles surtout aux argumentations pratiques, élitistes et inédites. Les matérialistes marqués par des préoccupations sécuritaires et le sens de l’utile sont réceptifs aux argumentations vulgarisatrices et simplificatrices insistant sur la fonctionnalité et la crédibilité des produits. Les rigoristes, conservateurs, recherchent de préférence une argumentation autoritaire, moraliste et bien structurée. Les décalés sont principalement parmi les moins de quarante ans peu affectés par la conjoncture économique, sont donc individualistes, anticonformistes, ouverts aux arguments humoristiques et esthétiques. Les égocentrés comprenant surtout les jeunes issus de milieux populaires et touchés par la crise, sont réceptifs aux arguments provocants, spectaculaires, en même temps que sentimentaux. 69 « Vous aimez la nature, les arbres, les petits oiseaux. Vous adorerez nos sacs plastiques. » (E. Leclerc ) « On est prié de laisser la planète propre en sortant. » (McDonald’s) C’est grâce à la compréhension des mentalités du public que le discours publicitaire est capable de faire acheter au lecteur « une identité autant et plus sans doute qu’une utilité »51 comme le slogan de Cartier « L’art d’être unique ». Un message à succès doit « écouter toujours et comprendre toujours »52 le client (le lecteur) sans quoi, malgré tout, il ne peut jamais atteindre l’objectif. 1.2.2.2. Dialogisme feint53 Si la communication publicitaire est réellement influencée par les éléments proactifs du cadre discursif, elle n’anticipe que de façon feinte le comportement rétroactif du public. Est-ce que le discours publicitaire est pris dans une structure d’intervention unilatérale ou bien il s’agit d’un dialogue ouvert sur une réversibilité ? Comme les autres médias, la publicité cherche toujours à créer une réversibilité de la communication, c’est-à-dire que les annonceurs donnent la parole aux consommateurs dans des enquêtes ou des publi-reportages. Malgré cela, s’agit-il d’un véritable échange ou d’un échange illusoire, programmé en fonction des objectifs de l’annonceur ? 1.2.2.2.1. Mise en scène de l’ouverture d’un échange L’annonceur implique le lecteur dans le discours publicitaire par des actes illocutoires d’un dialogue comme les actes salutatifs, directifs, interrogatifs : Les actes salutatifs et appellatifs ouvrent une interaction et attirent l’attention du lecteur : « Bonjour. » (Flore alpine Floralp) « Yo ! elle est là ! La génération L&B avec plein plein de cadeaux. La génération gagnante, c’est nous. » (Vêtements L&B) « Madame, monsieur, Votre voiture a quelques éraflures, vous aimeriez lui donner son éclat d’origine ?... » (Cami Toyota) 51 CATHELAT B., 1987, Publicité et société, Paris, Payot, p.34 Le slogan de Prudential 53 Dialogisme feint : le caractère dialogué d'un texte non théâtral n’est qu’artificiel, illusoire 52 70 « Madame, voulez-vous recevoir gratuitement une montre pour votre compagnon ? » (Lucorale) Les actes directifs très fréquemment formulés sous forme impérative sont de nature contraignante, davantage dominatrice que séductrice : « Purifiez, respirez ! » (Vittel) « Mangez moins et buvez Contrex ! » (Contrex) Les actes interrogatifs présupposant une réponse sont les plus caractéristiques du dialogue publicitaire. Dans la plupart des cas, ce sont des pseudo-questions. En effet, le texte consécutif donne tout de suite la réponse : « La bourse vous obsède ? Où que vous soyez, et quand vous le voulez, vous êtes alerté des mouvements de vos valeurs par SMS et suivez le cours, sur le WAP orange.fr de votre mobile ou par l’envoi SMS. Le futur, vous l’aimez comment ? ORANGE. » (Opérateur de téléphonie mobile Orange) ou il s’agit d’une question de rhétorique : « Madame, voulez-vous recevoir gratuitement une montre pour votre compagnon ? » (Lucorale) L’adverbe « gratuitement » de cette annonce induit difficilement une réponse qui n’est pas positive. Dérivés des actes interrogatifs, les actes probatoires constituent des publicités-tests. En principe, les tests présentent une série de questions afin d’aider le lecteur à estimer ses aptitudes et à en tirer les conséquences. Mais en réalité, la rétroaction ne consiste pas en de véritables réponses. Les questions sont plutôt fermées et les réponses plus ou moins prévues comme dans la publicité-test de CSS Assurances : « Préférez-vous le français au jargon spécialisé ? Oui Non Faites-vous presque toujours tomber votre tartine du côté du beurre ? Oui Non Est-ce que ça vous démange là où vous n’arrivez pas à vous gratter ? Oui Non [...] » 71 Ces exemples montrent que malgré l’apparente ouverture d’une véritable intervention, les initiatives de l’annonceur se révèlent toujours asymétriques. D’une part, elles consacrent une inégalité d’échange. D’autre part, elles le verrouillent rapidement. Les deux acteurs de la communication ne permutent donc pas. 1.2.2.2.2. Mise en scène de la réception-réaction Du point de vue réactif, très souvent l’annonceur introduit d’abord des appels à l’attention du lecteur : « Attention, ceci est une publicité comparative. » (Assurance Les Mutuelles du Mans) « Avant d’acheter une imprimante, assurez-vous d’avoir tout lu, y compris les petits caractères.» (Hewlett Packard) « Si vous n’êtes pas millionnaire, rendez-vous à la lettre b. » (Société Suisse d'Assurances sur la Vie Providentia) « Rendez-vous page 20. » (Café Douceur noire) La stratégie de teasing comme la publicité Douceur noire consiste à fragmenter la publicitaire sur deux pages ou plus. En lisant une telle publicité, le lecteur motivé ne reste pas immobile. Certaines publicités laissent aux lecteurs une place pour exprimer leurs réactions avec une attitude bienveillante ou une réfutation : " Monoprix, tu me plais, tu sais." (Monoprix) « Moi, au volant d’une Mercedes ! On va croire que j’ai pris la voiture de mon père ! » (Mercedes) « Ça va nous faire une belle génération de fainéants, oui ! » (Appareils électroménagers Miele) Les réfutations dans les publicités Mercedes et Miele ne nuisent pas la notoriété de la marque parce qu’elles restent, bien sûr, sous le contrôle de l’annonceur. La publicité de ce type est plus capable de se distinguer dans une jungle de messages publicitaires. De même manière, le message de Macintosh surprend le lecteur par une série de contre-arguments tranchants sur le produit comme: « D’après nos études, il y a trois raisons pour lesquelles vous n’avez pas encore acheté un Macintosh. 1. Macintosh n’est pas compatible. 72 2. Macintosh est un ordinateur pour graphistes. 3. Macintosh est cher. » Avec ce message, personne n’ose acheter un produit plein d’inconvénients. Pourtant, il est évident qu’elle ne s’arrête pas là. Le dernier message que l’annonce nous transmet est que « D’après nos études, vous n’avez pas encore acheté un Macintosh. ». C’est un bel exemple d’inversion argumentative où les reproches du public à l’encontre du produit se transforment en reproches au public. Pour susciter la réaction immédiate chez le lecteur, le publicitaire adopte la structure dialogale sous forme de paire minimale ou de répliques répétitives qui sont des contrearguments : « - En classe Affaires, on ne peut pas choisir son tarif. - Si, à partir du 28 mars. » (Agence aérienne British Midlands) « - Et si je la perds ? - On la remplace en 24 h. - Et si on me la vole ? - On la remplace en 24 h. - Et si c’est dimanche ? - On la remplace en 24 h. - Et si c’est férié ? - On la remplace en 24 h. » (American Express) La mise en scène des dialogues, une technique usuelle dans les spots télévisés, se voit parfois dans les messages de la presse écrite. C’est le seul cas où le lecteur/consommateur prend la parole. Pourtant cette prise de parole est plutôt factice et conforme à la ligne argumentative de l’annonceur. Les dialogues publicitaires sont très divers, des conversations quotidiennes aux pseudo-interviews en passant par des emprunts des personnages des romans, des films connus : « - Dis-moi chérie Simone ! Maintenant que tu n’es plus une Yoyette ! Tu veux quoi au juste ? Un bébé, un duplex ou une villa ? - Oui mon chéri Ebenezer ... oui mon chéri, je veux un bébé, je veux un duplex, je veux une villa, oui ! oui ! Oui !!! une villa Solimaison. [...] ) (Société mobilière Solimaison) « - Comment faites-vous pour avoir une si jolie peau ? - M.J. : ...Ah ... merci ... (rires). Il y a, je crois, trois ans, des choses déterminantes à considérer : la nutrition, l’équilibre alimentaire, ne pas fumer,[...]. Personnellement, je 73 suis une inconditionnelle de Mary Cohr et depuis des années. [...]) (Produits de beauté Mary Cohr) « Holmes, vous devriez garder un œil sur Mrs Petticott, la gouvernante, le niveau de la bouteille de Porto du salon baisse singulièrement. - Voilà qui est étrange, car les indices évoquent plutôt un homme d’âge mûr, corpulent avec une moustache poivre et sel. Cela ne vous dit rien, mon cher Wattson ? - Heu ... non, je ne vois pas. » (Vin Porto) Une autre preuve plus justificative de l’artifice interactif, c’est le fait de proposer au lecteur de compléter une publicité inachevée en pratiquant certaines activités manuelles ou intellectuelles sur le message publicitaire comme un collage ou un jeu d’énigme que représentent respectivement ces exemples suivants : « Collez la photo de votre bébé ici. » (Prêt-à-porter Tissaia) (Renault) Cette énigme de la publicité Renault recourt au procédé de teasing pour provoquer la curiosité et l’enthousiasme du lecteur. 74 Bien que le DIRE de l’annonceur se transforme en FAIRE du destinataire, la communication reste loin d’être symétrique. Le destinataire n’a pratiquement aucune initiative. Le dialogisme publicitaire n’est effectivement qu’un monologisme déguisé conforme à la ligne argumentative de l’annonceur. 1.2.2.2.3. Acteurs de la communication En tant que dialogisme feint, le discours publicitaire présente une particularité évidente en ce qui concerne les personnes entre lesquelles le message est transmis. Qui sont le locuteur et l'interlocuteur ? Qui dit je dans le slogan ? Dans son livre, Le langage de la publicité, Angela Goddard remarque le fait qu'il y a beaucoup de termes qui décrivent les individus concernés par un texte du genre publicitaire : écrivain/lecteur, émetteur/récepteur, locuteur/illocuteur (interlocuteur), producteur/consommateur.54 Pourtant selon le schéma proposé par P. Charaudeau, la communication publicitaire est une interaction entre quatre sujets, une mise en scène énonciative qui repose sur un jeu réciproque d'évaluation des partenaires. Nous convenons avec lui que l'acte de langage est toujours un acte interactionnel, même lorsque les partenaires ne sont pas présents physiquement dans un rapport d'échange immédiat.55 Au niveau du circuit externe, les « protagonistes » de l’acte de langage sont, d’une part, le sujet communicant, JEc (le fabricant d’un produit) qui se positionne comme émetteur et responsable du projet parole. D’autre part, le sujet interprétant, TUi (les consommateurs ) qui existe en tant qu’instance sociale et responsable de l’acte d’interprétation. Il est l’image d’un sujet interprétant construit par le sujet communicant. Au niveau du circuit interne, se trouvent les « partenaires » de l’acte langagier : le sujet énonçant ou énonciateur, JEé (l’agence publicitaire), image de sujet construit par et dans l’énonciation, il est toujours présent dans l’acte d’énonciation et est responsable de l’effet de parole produit par l’interprétant. Le sujet destinataire, TUd, image de destinataire déléguée par la situation de communication, est cet interlocuteur fabriqué par le JE comme destinataire idéal, adéquat à son acte d’énonciation. On observe donc non plus deux sujets en interaction, mais quatre protagonistes par dédoublement : GODDARD A., 2002, Le langage de la publicité, trad. Bianca Pop şi Albert Borbely (The Language of Advertising. Written Text, Routledge, 1998), Bucureşti, Éd. Polirom, p. 45. 55 CHARAUDEAU P., 1983, La presse : Produit, production, réception, Paris, Didier, p.171 54 75 - un "JE" communicant sujet réel, avec un "JE" énonciateur, image du sujet construite par l'énonciation. - un "TU" interprétant avec son image et un "TU" destinataire inscrit dans le circuit interne de l'énonciation. Ces relations interactionnelles se matérialisent par le schéma suivant : Circuit externe Circuit interne JEé Agence publicitaire TUd Lecteurs JEc TUi Fabriquant Consommateurs 2. Publicité comme acte de langage indirect En inspirant de la terminologie classique d’Austin56, nous considérons trois dimensions d’actes du discours publicitaire. Si la dimension locutoire, la dimension illocutoire concernent la communication langagière, la dimension perlocutoire s’ouvre sur la communication commerciale : le message réussit à persuader le lecteur d’acheter le produit ou non. Selon M. Bonhomme, J.M. Adam, la structure pragmatique du discours publicitaire peut être schématisée comme suit : Action Langagière Dimension Pragmatique Produire ayant une force visant un message de persuasion l’achat du produit Force Effet Acte LOCUTOIRE ILLOCUTOIRE PERLOCUTOIRE Constatif (explicite) faire croire Directif (+ou – implicite) faire faire Au plan locutoire, le discours est à la fois texte et image. 56 AUSTIN J.L.,1970, Quand dire c'est faire, Paris, Seuil 76 Au plan illocutoire, on peut parler de deux visées : une visée descriptive, informative sous forme d’un acte constatif et une visée argumentative. Comme le but d’une publicité est d’attirer le lecteur et l’inciter à acheter le produit, l’acte illocutoire directif est souvent dissimulé sous forme d’acte constatif. En effet, pour atteindre ce but, « la publicité fait une série de constatations à propos du produit et du consommateur (elle constate que le produit existe, qu’il est nouveau, qu’il a telles qualités, que le consommateur qui l’utilise en est comblé, que celui qui ne l’utilise pas encore se trouve dans un état de manque ...)».57 Au plan perlocutoire, l’acte d’achat est le but de la persuasion publicitaire. Comme l’a dit Nicole Everaert-Desmedt, dans un cadre théorique différent, l’acte illocutoire constatif est associé à une intention perlocutoire de type FAIRE CROIRE quelque chose au destinataire, et l’acte illocutoire directif à une intention perlocutoire de type FAIRE FAIRE quelque chose.58 Le passage du CROIRE au FAIRE ne peut être assuré que si le sujet-consommateur potentiel apprend quelque chose qu’il ne considère pas comme faux. Le message publicitaire persuasif est donc tout d’abord crédible, susciter la croyance et la confiance de la part du lecteur et ne provoque pas de réfutation de ce qu’il aborde. En outre, cette croyance n’est possible qu’à la suite d’une manipulation des désirs profonds du public. Il faut transformer le SAVOIR en VOULOIR. Pour ce faire, il est préférable de recourir aux énoncés constatifs servant à valoriser le produit et susciter le désir d’obtenir cet OBJET DE VALEUR. Il est aussi impératif de faire croire que l’acquisition de cet objet de valeur est synonyme de la valorisation de tous ceux qui le possèdent. Le discours publicitaire offre donc un exemple éloquent d'acte de langage indirect. Le plus souvent, le message d'une publicité est très implicite. D’une part, l’émetteur a prévu des connaissances psychosociales partagées par niveau intuitif) l'intention derrière l'acte de langage proposé, autrement dit, à percevoir l'intention directive de l'émetteur. D’autre part, le lecteur a tendance à réfuter des conseils ou des ordres directs tels que « Nous vous conseillons d’acheter notre produit parce que c’est un bon produit » ou « Achetez le produit X ». 57 EVERAERT-DESMEDT N., 1984, La communication publicitaire. Étude sémio-pragmatique, Louvan-laNeuve, Cabay, p.126 58 EVERAERT-DESMEDT N., 1984, La litanie publicitaire : valeurs fiduciaires et persuasion, in Argumentation et valeurs, Éd. G.Maurand, Presses de l’Universitaire de Toulouse-le-Mirail, p.158 77 C'est ainsi que la publicité est un discours persuasif qui implicite sa visée. Il vise à faire faire (à faire acheter, à faire choisir) mais n'explicite pas son but illocutoirel : c'est un acte illocutoire indirect. « L'acte illocutoire dominant de la plupart des publicités est explicitement constatif et implicitement directif». 59 Parmi les sous-catégories du constatif, on rencontre, dans le discours publicitaire, des actes assertifs, descriptifs, attributifs et informatifs. On a un acte assertif quand la publicité désigne un utilisateur du produit ou un produit placé dans un contexte d'utilisation pour affirmer que le produit est utilisé. Les messages publicitaires de Duomagic, Sprite et Jex en sont des exemples typiques : « Avec MON Duomagic, chaque jour je nettoie. En même temps, je désinfecte à fond, aussi efficacement qu’avec l’eau de Javel [...]. Et en plus, avec Duomagic, j’ai enfin un produit hypoallergique. » (Duomagic) « Oublie ce que tu vois, pense à ce que tu bois, écoute ta soif. » (Sprite) « Mettez –lui une grosse tarte. » (four Jex) Il s’agit d’un acte descriptif quand la publicité indique la marque du produit, quand elle le situe parmi une gamme de produits, qu'elle le déclare meilleur que les autres produits sans la marque, enfin quand elle le décrit de façon plus ou moins développée : ses qualités, son mode d'emploi, les circonstances de son utilisation, etc comme le cas des publicités C+ et Yamaha : « Quand on est devant C+, au moins on n’est pas devant la télé. » (Chaîne C+) « Une Yamaha pour le prix d’une tondeuse. » (Yamaha) Quand elle attribue une qualité à un produit, ou présente d'abord une de ses valeurs avant d’exposer le produit en surimpression ou en position de signature, il est question d’un acte attributif . Prenons, par exemple, les cas de Badoit et Trubert : « Et badadi Et badadoit La meilleure eau C’est la Badoit. » (Eau gazeuse Badoit) « Toutes les fleurs sont dans le miel, tous les miels sont dans les fleurs. Miel suisse. » (Trubert) 59 DUCROT O., 1995, Nouveau Dictionnaire Encyclopédique des Sciences du Langage, Paris, Seuil, p.56 78 « Toutes les vertus sont dans les fleurs Toutes les fleurs sont dans le miel. Le miel Trubert. » (Trubert) On a enfin un acte informatif lorsque la publicité annonce un nouveau produit : elle se présente comme accomplissant un acte d'information. « La Manta. De l’allure. Et du tempérament ! » (La Manta) « Un parfum de nouveau thé. » (The elephant) Le recours à l'acte constatif a une fonction argumentative. Il permet de ne pas donner l'impression d'exercer une pression directe sur le récepteur. En fin de compte, la publicité représente un acte de langage indirect complexe qui accomplit simultanément les trois fonctions que la publicité doit remplir : l'information, la suggestion (la création du désir du destinataire face à l'objet) et la gratification (la création de la confiance envers le produit à travers une image positive). 3. Argumentation publicitaire Parler, ce n’est pas une simple présentation ou description du monde, mais surtout de chercher à faire partager à un interlocuteur des opinions à un thème donné. En d’autres termes, on prend la parole pour argumenter. Or, si la plupart des annonces publicitaires répondent aux exigences de la communication, certaines d’entre elles ne peuvent pas provoquer l’adhésion du lecteur et le persuader d’acheter le produit. Des spécialistes ont ainsi proposé le chemin de la persuasion publicitaire. 3.1. Chemin de la persuasion publicitaire Certes il n’existe pas une méthode univoque pour toute publicité, mais certains procédés de persuasion ont tout de même prouvé leur efficacité et sont régulièrement mis en pratique. Selon Thierry Herman & Gilles Lugrin, on peut distinguer, au sein de la communication publicitaire quatre principales phases de persuasion60 : - Première phase : La valeur d’attention. - Deuxième phase : La compréhension de la promesse. - Troisième phase : La crédibilité / adhésion / sympathie. 60 LUGRIN G., mai 2003, Splendeur et décadence de la créativité publicitaire : entre copie formatrice, plagiat crapuleux et allusion parodique, Le magazine d'information des professionnels de la communication ComAnalysis, no73 79 - Quatrième phase : La signature / attribution / mémorisation. Ils ont schématisé ces diverses phrases de la persuasion comme suit : Première phase : Attirer l’attention Deuxième phase : Transmettre un message Troisième phase : Persuader Quatrième phase : Signer PERSUADER Crédibilité Adhésion Sympathie - expertise - répétition - monde euphorique - sincérité - amplification - parler à la cible - bienveillance La première phase de la persuasion, c’est accrocher l’attention. Pour Jean-Noël Kapferer, “le challenge de la publicité moderne est moins de convaincre la différence que de vaincre l’indifférence”.61 L’omniprésence des publicités mène parfois à l’indifférence du public et voire à l’hostilité envers la publicité. Pour que la publicité ne passe pas inaperçu, le message publicitaire doit pouvoir émerger de la masse des autres messages. La deuxième phase est liée à la perception de la publicité. Il est indispensable que le lecteur soit en mesure de comprendre le message, puis de saisir l’axe publicitaire et la raison qui le motivera à acheter ce produit plutôt qu’un autre. La troisième phase consiste à créer chez le récepteur la crédibilité, l’adhésion et la sympathie. Pour atteindre cet objectif, le publicitaire doit choisir un langage et des arguments qui coïncident avec ses attentes. L’adhésion n’implique pas seulement le partage de certaines valeurs ou la conviction face à certains arguments, mais aussi la levée de freins éventuels : 61 KAPFERER J.-N., 1984, Le chemin de la persuasion, Paris, Dunod, p.20 80 réticences, préjugés, tabous, nature superflue, voire nocive, du produit. Il faut que le récepteur se trouve au cœur même de la persuasion publicitaire. La quatrième phase, ce sont la signature, l’attribution et la mémorisation. Remarquer une publicité, la comprendre et être séduit par ses arguments peut conduire à une intention d’achat, mais encore il faut que l’éventuel consommateur soit capable d’identifier l’annonceur et de se souvenir de son message. Certaines publicités se closent si discrètement que le lecteur se souvient de la publicité, mais est incapable de l’attribuer à un annonceur. Ce n’est qu’en passant par l’ensemble de ces phases qu’un message publicitaire peut espérer une efficacité maximale, c’est-à-dire un effet potentiellement persuasif. Mais qu’est-ce qui détermine la réussite de ces quatre phases ? Ce sont sans aucun doute les arguments qui, pour la plupart des messages publicitaires, jouent un rôle décisif dans toutes les étapes. 3.2. Catégories d’arguments Bon nombre de publicitaires sont convaincus que la rhétorique peut être profitable à la pratique publicitaire parce que la rhétorique est définie comme l'art de persuader par le langage. L'orateur a deux moyens majeurs pour persuader : déduire ou séduire. Chaque argument empruntera soit à la raison (logos), soit aux affects (ethos, pathos). Ces trois catégories d'arguments peuvent être représentées de la manière suivante 62 : Déduction / Argumentation Centré sur le discours Logos Ethos Pathos Centré sur l’orateur Centré sur l’auditoire (la marque) (les prospects) Séduction Séduction 62 HERMAN T. & LUGRIN G., 2001, « La rhétorique publicitaire,ou l'art de la persuasion », Le magazine d'information des professionnels de la communication ComAnalysis no13 81 3.2.1. Le logos ou la rationalité Le logos désigne une rationalité gouvernant le monde. Il définit des arguments reconnus par tous qui ne dépendent ni de l'orateur ni de l'auditoire. Cependant, en publicité, le logos est rarement d'une rigueur absolue. L'objectif n'est pas d'opérer une démonstration scientifique, mais de réunir des arguments favorables, qui parfois dépassent un peu la réalité. Par exemple, l'annonce Rivella Vert fait explicitement référence à une phrase très connue de Descartes « Je pense, donc je suis »: "Je pense, donc j’ai soif."( Boissons Rivella Vert) Cela dit, l'argumentation est transposée au profit du produit vanté. C’est une simulation d’argumentation, une “parodie” d’argumentation. À partir de ce logos, le fabriquant fait ressortir son message dans le pavé rédactionnel : " Il rafraîchit non seulement la gorge, mais aussi l’esprit ". Certains messages semblent violer la nature logique mais en réalité ils sont acceptés volontairement par les lecteurs comme le slogan de Canderel : “Ça ne change rien et c'est ça qui change tout.” (Canderel) L’édulcorant en comprimés Canderel est un bon goût sucré mais contient peu de calories. Les malades de diabète peuvent le consommer comme une sucrette. L’annonceur veut souligner que malgré sa maladie, le consommateur ne doit pas changer ses habitudes, ce qui lui redonne une belle vie. Si le logos publicitaire se réduit souvent à la mise en évidence d'un avantage (prix, promotion, etc.), certaines formes publicitaires mettent à profit la dimension du logos. Lorsque la publicité véhicule une nouvelle information ou un nouveau produit, elle préfère souvent se centrer sur les arguments de vente. La galerie du vin de Coop montre la simplicité d'utilisation, de rapidité de livraison, de quantité et de qualité du choix : “ Le cellier virtuel. Commandé aujourd’hui avant 12 heures. Livré demain. Avec un simple clic vous accédez 24 sur 24 à notre cellier et à notre assortiment de plus de1500 vins …” (Vins Coop) Les arguments fondés sur la rationalité sont privilégiés en cas de communication de crise, c’est-à-dire un moment où il y des réactions ou opinions favorables envers une marque ou un produit. Pour remédier à la situation, il est impératif de créer un discours 82 fortement informatif et argumentatif, clairement situé du côté du logos. Face aux rumeurs sur la qualité de Coca-Cola ou sur les problèmes qu’avait rencontrés la Classe A de Mercedes, les deux grandes marques du monde ont lancé deux campagnes publicitaires avec de longs discours argumentatifs afin de défendre leur réputation et rassurer l’opinion publique : Le pôle du logos est destiné essentiellement aux publicités informatives et les produits en promotion ainsi que pour la communication en crise. 3.2.2. L'ethos ou l'image de l'entreprise L'ethos constitue le caractère de l'orateur, l'image qu'il donne au récepteur. Il s'agit de gagner la sympathie du public cible en faisant preuve de compétence, de confidentialité, de qualité, etc. Si l'ethos est construit par le discours, il existe naturellement un ethos pré-discursif, c'est-à-dire une image que le public se fait de l'orateur (la marque) avant que ce dernier ne prenne la parole. Ces deux types d'ethos peuvent interagir, soit en se renforçant mutuellement. L’idéal est de renforcer l’éthos pré-discursif tout en enrichissant l’autre. Jean-Noël Kapferer, expert français reconnu comme l’une des autorités de la réflexion internationale sur la question des marques, rappelle ainsi qu’une marque doit se renouveler pour survivre : "Pour acquérir un statut de repère, de contrat, il faut une constance dans le temps : savoir rester intangible sur la proposition de base faite par la marque. [Mais] pour durer, il faut savoir changer. Tel est le paradoxe de la marque".63 63 Op. cit., p.138 83 En publicité, l'ethos n'est pas attribué au réel orateur (l'agence de publicité), mais à la marque-produit vantée. Ainsi, une publicité Migros pour du thé froid recourt au personnage de la grand-maman. Le but de cette publicité est de mobiliser l'ethos prédiscursif de cette grand-mère qui détient le savoir-faire, la tradition, la recette ancestrale pour valoriser le produit lui-même (et éventuellement la marque). Cette volonté manifeste se voit confirmée par la surenchère du rédactionnel : " Ice Tea, l'original ", " à base d'infusion de thé ", " comme fait maison " : “Mes petits-enfants sont persuadés que je prépare le thé glacé moi-même. Ice Tea, l’Original, à base d’infusion de thé – riche en goûts comme fait maison. À déguster également Light ou à l’arôme Pêche. Des petites aux grandes soifs, en briquée de 0,3 à 2 litres. ” (Migros) Il existe trois cas particuliers où l'ethos proprement dit est systématiquement (sur)exploité. Premièrement, lorsque la marque est attribuable à un personnage authentique, l'ethos joue souvent à plein. Le nom du produit porte le nom de son créateur. En achetant le produit, on achète son créateur. C’est le cas d’une grande quantité de slogans. “Jean Louis David. Résultat professionnel.” (Jean Louis David) “Les “duos” Jacques Dessanges prennent la tête.” (Salon de coiffure Jacques Dessanges) Deuxièmement, d’une manière partiellement similaire, une autre stratégie publicitaire consiste à développer l’ethos de la marque en l’associant à celui d'un autre. Les stars dans différents secteurs (sport, divertissement, culture économie, politique, etc.) sont toujours présentes dans les publicités, des célèbres publicités pour le savon Lux jusqu’à celles pour Danette qui depuis quelques années fait un partenariat avec des sportifs pour promouvoir la marque comme Anelka, Yannick Noah, Sylvain Wiltord et Robert Pires :. “La femme la plus séduisante du monde Maryline Monroe nous dit : “ Une femme ne peut se permettre de négliger son teint…” (Lux) “On se lève tous pour Danette.” (Danette) (Ce slogan est toujours prononcé par des personnes de notoriété.) 84 Troisièmement, c’est le cas des affiches électorales, dont le thème est moins la mise en évidence d'un programme (logos) que d'un homme (ethos). On peut prendre, comme exemple, la célèbre affiche de Jacques Ségala pour la campagne 1981 de François Mitterrand visant à créer l'ethos de "La force tranquille" : Cette image du Président est construite à l’aide d’un ensemble subtil d’instruments. L’emploi de "la", plutôt que d’"une", témoigne du caractère unique et complet du personnage. De plus, l’oxymore (force vs tranquille) montre que François Mitterrand est également le seul président envisageable. La juxtaposition des termes "Mitterrand" et "président", phonétiquement semblables, renforce encore cette idée du seul candidat éligible. L’illusion était créée : ces deux termes associés sans aucun connecteur donnaient une impression de relation nécessaire. Enfin, une brève analyse sur les couleurs révèle le fond coloré bleu, blanc, rouge, couleurs du drapeau français, symbole patriotique par excellence. 3.2.3. Le pathos ou la séduction de la cible Le pathos constitue le deuxième pôle de l'argumentation par la séduction qui s’oriente vers le public pour induire une forte réaction émotionnelle telle que la joie, la peur, l'espoir, l'indignation, etc. Le but de toute publicité pour un produit, c'est évidemment de provoquer des sentiments euphoriques dans le public d’où vient l'envie de l’acheter à tout prix. Il en résulte que le pathos est souvent maniéré. La seule voie d’issue en la matière est un surengagement des sentiments et une hyperbolisation presque systématique, fondés par exemple sur la provocation de désirs silencieux comme Virgin Cola : " Sondage : Il paraît que les formes de la bouteille de Virgin Cola réveillent en vous des désirs inconscients. 85 Vous sentez quelque chose ? Seul un Virgin Cola est un Virgin Cola." (Virgin Cola) Contrairement aux publicités commerciales, les publicités d'institutions peuvent recourir au pathos dysphorique avec force, en suscitant l'indignation, le dégoût, le danger ou la compassion, souvent avec des mots et des images très durs, à l’instar de la dernière campagne Pro Infirmis avec le slogan “Comme vous, nous vivons notre vie.” (Pro Infirmis) Cette pratique est plus courante dans la communication d'institutions pour l'entraide humanitaire, l'écologie, la protection des animaux. 3.2.4. Des cas de mixité Il est rare qu’un argument appartienne à un seul pôle. Dans beaucoup de cas, l’annonce met en étroite relation les trois pôles rhétoriques. On peut cependant constater que pour chaque type de produit, les publicitaires ont tendance à privilégier l'un de ces pôles. Voyons l’exemple de Ferrier : “Vous et nous regardons dans la même direction. Parce que tout est une question de point de vue. Chez Ferrier Lullin depuis plus de deux siècles, vous êtes chez vous.” Dans le premier énoncé, on présente une relation étroite entre l'ethos et le pathos, représentés respectivement par un “nous” et un “vous” qui se glissent vers une fusion des deux pôles avec la conclusion "vous êtes chez vous”. Le pôle de l'ethos ne se limite pas à ce que nous venons d’évoquer. L’ethos lié à l'ancienneté de la banque inspire un sentiment de confiance et donne une impression de solidité et de savoir-vivre. Mais fusionner logos, ethos et pathos dans le même message représente « le danger de cacophonie, de dispersion et de déperdition, ennemis du message unique ».64 Il en résulte que le message peut-être centré soit sur lui-même, soit sur son émetteur, soit sur son récepteur. Pour chaque type de publicité, on met l’accent sur tel ou tel pôle : - Le pôle du logos pour les publicités informatives et les produits en promotion ainsi que pour la communication de crise. 64 HERMAN T. & LUGRIN G., 2001, « La rhétorique publicitaire,ou l'art de la persuasion », Le magazine d'information des professionnels de la communication ComAnalysis no13 86 - Le pôle de l'ethos pour les affiches électorales et certaines marques personnalisées. - Le pôle du pathos pour la communication institutionnelle des associations caritatives, humanitaires et écologiques. 3.3. Mise en texte de l’argumentation publicitaire 3.3.1. Séquence argumentative de base La séquence argumentative peut constituer un texte complet (texte de type argumentatif) ou une partie de texte (séquence argumentative) insérée dans un texte de type descriptif, explicatif, narratif ou dialogal ou dans un texte poétique. Selon Jean-Michel Adam, le schéma de base de l’argumentation est une mise en relation de données avec une conclusion. La donnée-argument vise à renforcer ou réfuter une proposition. La relation donnée/conclusion peut constituer une séquence textuelle de base dans la mesure « où une chaîne de propositions s’interrompt et où un effet de clôture est ressenti. »65 Marie-Jeanne Borel partage cette idée tout en relevant la différence de la séquence argumentative par rapport aux autres : « Il n’y a de conclusion que relativement à des prémisses, et réciproquement. Et à la différence des prémisses, le propre d’une conclusion est de pouvoir resservir ultérieurement dans le discours, à titre de prémisse par exemple. On a ainsi un type de séquence textuelle qui se différencie d’autres séquences, narratives par exemple. »66 Le texte suivant d’Elisa Raven démontre cette relation étroite entre les données et la conclusion : « Partez à la découverte de la nouvelle Crème anti-âge révélatrice du teint, une vraie révolution pour votre peau. Dès l’application, cet expert anti-âge révèle une peau plus douce, plus fraîche, plus lumineuse. Chaque jour, la peau s’embellit et devient lisse, éclatante, uniforme. Pourquoi ? Parce qu’une Crème anti-âge révélatrice du teint, élimine les cellules mortes et fait renaître une peau plus neuve, plus résistante, éclatante de santé. Au final, la peau perd son voile terne, elle est fraîche, moins marquée ; elle résiste mieux à l’environnement hostile. Offrez-vous une peau douce, douce comme coton ... une crème prodigieuse ! » 65 66 Op. cit., p.110 BOREL J.-M., 1991, Notes sur le raisonnement et ses types, Études de lettres no4, Université de Lausanne. 87 Le publicitaire donne différents arguments vantant les effets de la crème pour persuader le lecteur de s’offrir « une crème prodigieuse ». L’exemple de la Cinquecento se compose d’une chaîne de données-conclusions dans laquelle chaque conclusion devient la donnée d’un nouveau mouvement argumentatif : “Comment rencontrer l’amour grâce à la Cinquecento ? La Cinquecento consomme très peu. Donnée 1 --- > Conclusion Donc [1] vous faites des économies. Donnée 2 --- > Conclusion Donc [2] vous avez de l’argent. Donnée 3 --- > Conclusion Donc [3] vous pouvez le jouer. Donnée 4 --- > Conclusion Donc [4] vous pouvez le perdre. Donnée 5 --- > Conclusion Donc [5] vous êtes malheureux au jeu. Donnée 6 --- > Conclusion Donc [6] (Vous êtes) heureux en amour. À la question posée au début de l’argumentation, nous pourrons trouver de multiples hypothèses de réponse. Pourtant, il est difficile de trouver la deuxième personne qui a la même réponse proposée par ce publicitaire. C’est un raisonnement imprévu et intéressant parce qu’il est constitué de plusieurs mouvements argumentatifs et construit sur les topos mais pas sur la logique. Cette argumentation est dès lors plus amusante que persuasive. Il en résulte que la séquence argumentative est un acte de discours qui vise à faire croire, démontrer ou réfuter une thèse et qui peut amener à une approbation ou une réfutation de la part du lecteur. 3.3.2. Étayage argumentatif des propositions Comme nous l’avons dit, le schéma élémentaire de l’argumentation est une mise en relation entre donnée(s) et conclusion. La donnée-argument sert à justifier la conclusion. Selon Toulmin, pour que cette justification soit valable, il faut encore répondre à la question implicite : comment peut-on passer de la donnée à la conclusion ?67 Nous constatons que ce passage est plus souvent assuré par un topos (à savoir un stéréotype conceptuel) que par le 67 TOULMIN S.E., 1985, “The Uses of Argument”, Cambridge, Cambridge University Press 88 raisonnement logique. Le topos fondé sur l’opinion commune sert donc de fondement à l’interférence et vient étayer le passage de la donnée à la conclusion comme ce que montre l’annonce Rêv’Vacances : « Plus on voyage, plus on a envie de voyager. Comme vous le savez, avec la carte REV, plus on voyage et plus on bénéficie de réductions. Alors, s’il vous prend une irrésistible envie de repartir, c’est le moment d’en profiter et d’aller en parler avec votre agent de voyages. » La première donnée-argument est fondée sur la formule topique générale : Plus on voyage, plus on a envie de voyager. La deuxième est actualisée par une formule de topique spécifique proposée par l’agence : Or plus on voyage, plus on bénéficie de réduction. La conclusion souligne l’avantage offert par Rêv’Vacances : Alors, si vous avez envie de repartir, vous bénéficierez de réductions. Analysons une autre publicité dans laquelle l’interférence n’est pas explicite et ne s’applique pas : « Moins de sucre mais autant de plaisir dans le chocolat Sibon. » (Chocolat Sibon) La proposition « Moins de sucre» devrait être présentée comme une donnée-argument pour une conclusion « moins de plaisir » par le biais de l’application d’une règle d’interférence du topos : « Moins le chocolat a de sucre, moins il est bon et donc moins il plaît au consommateur. » Pourtant, dans cet énoncé, la proposition p « Moins de sucre » mène à la conclusion q « autant de plaisir dans le chocolat Sibon » par le connecteur « mais ». La seconde proposition, introduite par le connecteur « mais » vient souligner le renversement de la conclusion attendue. En d’autres termes, il y a une réfutation ou une exception dans l’argumentation. Dans ce cas, la règle d’interférence qui s’applique en général, ne s’applique pas pour des raisons qu’on peut étayer sous la forme d’une autre restriction comme « Sibon a une recette pour créer le goût du chocolat malgré le manque de surcre ». La mise en place d’une règle d’interférence contraire au topos général a pour but de révéler la différence et la particularité du produit par rapport aux autres de même catégorie et d’impressionner le public par l’imprévu. En résumé, la mise en relation de donnée avec une conclusion peut être implicitement ou explicitement fondée (étayage topique) ou contrariée (réfutation ou exception). Dans la 89 conduite de l’argumentation, la donnée est plus souvent explicite tandis que l’étayage topique est généralement implicite. 3.3.3. Syllogisme et enthymème Si le topos est fondé sur l’opinion commune, le syllogisme ou l’enthymème sont la mise en forme rigoureuse de l'argumentation rationnelle. Le syllogisme est un raisonnement dans lequel certaines prémisses sont à l’origine d’une proposition dite conclusion. Le syllogisme est généralement composé de trois propositions (la majeure, la mineure et la conclusion) et telles que la conclusion est déduite de la prémisse majeure par l'intermédiaire de la prémisse mineure. Le syllogisme strict a pour particularité d’amener la conclusion sans recours extérieur, c’est-à-dire qu’il nécessite ni étayage supplémentaire, ni restriction et que la règle d’interférence est la simple application d’un schéma abstrait. Nous voyons, ci-dessous, un bel exemple de syllogisme : "Tout homme est mortel, (majeure), Socrate est un homme, (mineure) donc il est mortel. (conclusion) » Notons cependant que dans la publicité, il existe rarement un syllogisme complet comme tel. Plus présents sont les syllogismes incomplets dits enthymèmes. Très souvent, l’enthymème publicitaire sous-entend une ou deux propositions du syllogisme. Soit les slogans suivants : « Il n’y a pas de bulles dans les fruits. Alors, il n’y a pas de bulles dans Banga. » (Jus de fruit Banga) « Moi, j’aime le naturel et mon visage aime Monsavon. » (Monsavon) Dans ces deux exemples, la prémisse mineure est effacée. Le passage de la prémisse majeure « Il n’y a pas de bulles dans les fruits » à la conclusion « Alors, il n’y a pas de bulles dans Banga » est rendu possible par l’intermédiaire de la prémisse « Or il n’y a que des fruits dans Banga ». Et la prémisse effacée du slogan Monsavon est sans doute « Or Monsavon est naturel. » Différente des deux exemples précédents, la publicité du miel Trubert semble sousentendre la conclusion : « Toutes les vertus sont dans les fleurs Toutes les fleurs sont dans le miel Le miel Trubert. » Lorsqu'il prend connaissance des deux prémisses («Toutes les vertus sont dans les fleurs» et «Toutes les fleurs sont dans le miel»), le lecteur s'attend à lire : «Donc toutes les vertus sont dans le miel». Or, le publicitaire souhaite promouvoir un miel en particulier, le Trubert, et pas le produit miel en tant que tel. La conclusion est donc modifiée. En donnant comme conclusion «le miel Trubert», le slogan va à l'encontre des attentes du lecteur, ce qui crée un 90 effet de surprise bénéfique pour la mémorisation. De plus, il y a une liaison de consonance entre le mot « vertu » et le nom propre « Trubert », ce qui fait retenir au consommateur un nom propre et aussi la propriété positive qui est associée. Donc, «Trubert» est égal à «vertu». L’observation du corpus nous permet de conclure que contrairement au syllogisme, les enthymèmes sont abondants dans la publicité. Le choix de l’enthymème est expliqué par diverses raisons. C’est peut-être un mécanisme de la publicité pour surprendre et puis faire mémoriser le lecteur comme le cas du miel Trubert. Plus subtilement, le publicitaire veut effacer la prémisse ou la conclusion pour rendre le slogan juridiquement intouchable, la publicité n’est ainsi pas dite mensongère, tel est le cas de Banga. Enfin, ce choix peut être à but purement ludique pour la plupart des cas comme le rappelle Barthes : « L’enthymème n’est pas un syllogisme tronqué par carence, dégradation, mais parce qu’il faut laisser à l’auditeur le plaisir de tout faire dans la construction de l’argument : c’est un peu le plaisir qu’il y a à compléter soi-même une grille donnée ».68 Il nécessite donc souvent un important travail interprétatif de la part du lecteur. De ce qui précède, il ressort que l’importance porte sur le choix des données et des prémisses d’une argumentation en fonction du public spécifique. « Il est nécessaire que le locuteur se fasse, parmi d’autres, une représentation de son auditeur. Non seulement des connaissances qu’il a, mais des valeurs auxquelles qu’il adhère».69 Pour le convaincre, il faut le mettre dans une position telle qu’il n’a pas la possibilité de refuser les propositions avancées, c’est-à-dire que les propositions sont les plus proches possible de l’opinion générale. BARTHES R., 1970, L’ancien rhétorique, Communications, no 16, Paris, Seuil GRIZE J.-B., 1981, « L’argumentation : explication ou séduction », in Linguistique et sémiologie : l’argumentation, Presses Universitaires de Lyon. 68 69 91 CHAPITRE V RÉFLEXIONS SUR L’APPLICATION PÉDAGOGIQUE « Que l’on soit des publivores ou des publiphobes, la publicité nous interpelle au quotidien. Qu’on le veuille ou non, elle envahit nos vies et manipule nos désirs et... nos habitudes de consommation. Vil commerce ou art au service de la vie économique, la publicité est un excellent moyen d’accéder au contexte culturel d’une société, de regarder vivre des représentations collectives, de percer un imaginaire. Les spots publicitaires peuvent donc devenir un auxiliaire précieux, si nous voulons associer l’enseignement de la langue à l’approche de la culture de l’autre. » Maria Filomena Capucho70 1. Pourquoi la publicité en classe de langue ? 1.1. Un matériel pédagogique varié et attrayant Si en sciences économiques, l’étude de quelques publicités peut être un point de départ fructueux de réflexion sur les stratégies commerciales des entreprises, en didactique de FLE, elle sort « des murs épais qui entourent la recherche académique ou commerciale très spécialisée en communication ou en marketing »71 pour devenir un trésor des professeurs de langue. Nous pouvons analyser les particularités de la publicité sous les aspects structural, sémantique, linguistique et culturel. Comme nous l’avons relevé dans les chapitres précédents, on peut trouver, dans la publicité, la quantité d’innombrables de beaux exemples sur la structure syntaxique, les figures stylistiques, les procédés langagiers. De plus, la publicité est un support culturel idéal. Avec des images et des éléments linguistiques, elle diffuse tout un système de valeurs, de représentations collectives, de pratiques, permettant de découvrir le quotidien des Français : leurs habitudes alimentaires, leur vie de famille, leur vie professionnelle, leur loisirs, leurs désirs. 70 Professeur de langue et linguistique française à la faculté des lettres de l'université catholique portugaise, pôle de Viseu 71 CAPUCHO M.-F. 2004, « L'interculturel en classe de français », revue de l'AMIFRAM 92 En fait, selon certains auteurs, « il est possible d’apprendre en direct la grammaire et les expressions courantes et de mieux comprendre les coutumes et les modes de vie des Français d’aujourd’hui, ... de progresser dans la langue française en s’amusant et en découvrant de nombreux aspects de la vie quotidienne ... d’apprendre à observer, à analyser la culture, de développer la créativité. »72 1.2. Déclencheur de parole Bien souvent, l’étudiant a des réticences à parler pour différentes raisons. En général, on n’instaure pas des rapports dans la classe basés sur la reconnaissance de l’autre. C’est ainsi que l’étudiant ne se sent pas être dans un climat de confiance, il n’accepte donc pas de s’ouvrir, de s’exprimer et de prendre des risques. Par contre, dans beaucoup de cas, l’étudiant a réellement envie de dire quelque chose mais il n’a rien à dire. L’écart entre le vouloir dire et le pouvoir dire constitue un gros obstacle à la prise de parole de l’étudiant. Le remède à cette situation est sans doute de proposer des tâches ou activités qui touchent les étudiants affectivement ou intellectuellement et qui leur donnent envie de s'exprimer sur des sujets qui les intéressent, notamment celles qui impliquent les étudiants dans leur personne et dans leurs capacités créatives et imaginaires. Tout ceci est difficile mais possible. La publicité est sans doute un des bons moyens de susciter la motivation et la prise de risques chez l’étudiant parce qu’elle est plaisante et qu’elle revêt une forme à la fois linguistique et iconographique. En effet, les images et les messages linguistiques ambigus, énigmatiques des publicités laissent toujours une place à l’imaginaire de ceux qui les regardent et aboutissent à des lectures plurielles, des commentaires et des récits très divers. Les publicités posent très souvent aux étudiants une énigme. Ils vont pouvoir lever le voile de l’ambiguïté ou combler les lacunes de la publicité. Soulignons que notre objectif n’est pas d’établir la vérité de la publicité, mais le jeu, pour eux, est bien évidemment de trouver eux-mêmes la vérité et celle des uns n’est pas moins tangible que celle des autres. C’est ainsi que les étudiants ont une grande marge de manœuvre. Par ailleurs, l’introduction des documents identiques et différents de ceux des méthodes suscite toujours la motivation d’apprentissage des étudiants. Face à ces 72 BUCKBY M. & GRUNEBERG A., 1998, Le français de la publicité, Paris, Didier, p.4 93 documents, ils ont plus de volonté et d’envie de sortir du cadre universitaire pour conquérir un monde plus proche de la vie réelle. En un mot, la publicité est le moteur de l’expression. Le travail sur la publicité permet, par un transfert de compétence, de renouer l'écrit et le langage en général. Le bénéfice de la publicité n'est pas seulement un déclencheur de parole mais elle favorise aussi la maîtrise des compétences discursives et socioculturelles. 2. Quelle publicité en classe de FLE ? Si nous sommes donc convaincus que le travail sur la publicité peut être utile et agréable, il faudra toutefois que nous nous posions quelques questions fondamentales avant de commencer à planifier notre travail. La première de ces questions porte sur le choix des documents. Est-ce que tout document publicitaire est un bon moyen d’apprentissage ? Y a-t-il des publicités plus intéressantes que d’autres ? Comment les choisir ? Sur quels critères ? La réponse à toutes ces questions passera par une réflexion sur les différents types de publicité, c’est-à-dire ce que quelques auteurs appellent «les idéologies publicitaires». Floch propose une opposition entre 4 types de publicité, selon une organisation en «carré sémiotique»73: Les Idéologies Publicitaires Publicité Référentielle Publicité Mythique (fonction représentielle du (fonction constructiviste langage) du langage) Publicité substantielle Publicité Oblique (négation de la fonction (négation de la fonction constructiviste) représentielle) À l’aide d’exemples assez connus ci-dessous, notre choix deviendra plus facile : 73 FLOCH J.-M., 1990, Sémiologie, marketing et communication, Sous les signes, les stratégies, Paris, PUF. 94 Type d’idéologie Référentielle Mythique Valeurs mises en relief Valeurs pratiques immédiates Utopies (valeurs existentielles souvent « globalisées ») Amusement (luxe, joie, bonheur) – négation de l’utilisation pratique des objets Substantielle Caractéristiques détaillées du produit (négation des valeurs existentielles) Oblique Médias référentiels Journaux et magazines Télé Télé Journaux et magazines Exemples Lessives, shampooings, tampons hygiéniques… Citroën traversant la mer, la plupart des publicités pour Coca Cola, les hommes dauphins du Whisky Lawson…. La dernière campagne pour la Peugeot 206 («La jalousie est un vilain défaut»), la publicité Micra, les campagnes Benetton… Très souvent les publicités pour des produits de beauté (Garnier, L’Oréal), pour des voitures (la Ford)… Il nous semble évident que c’est plutôt du côté des publicités « obliques » et « mythiques » que nous trouverons des documents à la fois intéressants du point de vue culturel, séduisants, amusants et intelligents (puisqu’ils présupposent la participation active du spectateur dans la production du sens). Il faut enfin insister que la publicité est constituée de belles images et de phrases courtes et simples. On peut donc utiliser pour tous les niveaux, du niveau débutant au niveau avancé. L’important est de déterminer les activités qui correspondent le mieux au public et aux objectifs visés. 3. Analyse globale d’une publicité L'intérêt de lire la publicité est multiple. La lecture permet d'une part d'accéder aux messages implicites qui sous-tendent les thèmes et aux éléments culturels que les publicitaires introduisent dans leurs créations. Elle permet par ailleurs de retrouver le métalangage comme celui de la rhétorique, des tropes, des figures du discours. On peut également déchiffrer les slogans, les accroches, l'iconographie des publicités sous l’angle d’un art vieux de plus deux mille ans. Malgré les objectifs spécifiques fixés par les professeurs, il est indispensable de procéder à la première étape de l’exploitation de la publicité, c’est l’analyse globale. À la suite de l’étude des publicités sous différents aspects dans les chapitres précédents, nous proposons une grille 95 d’analyse globale ci-dessous. C’est au professeur de centrer son analyse sur les questions qui leur semblent les plus importantes. Quoi ? Produit Concepteur Commanditaire Qui ? Cible Pour qui ? Iconographie Inscriptions Comment ? Techniques Référents Supports et médias Où ? - marchandise - service - agence de publicité - publicitaire - client - annonceur - entreprise - Quel produit et pour qui ? - Quel consommateur ? - Qui est l’acheteur ? - Qui veut-on viser, toucher ? - Personnages - Objets - Texte - Slogan - Accroche - Argumentaire - Message - Marque, nom - Logo - Jeu de mots - Paradoxe - Humour - Provocation - Couleurs, sons, odeurs - Photo, dessin, image, montage, collage - Distribution dans l’espace - Typographie - Atmosphère - Lieu et temps - Symboles, mythologies - Clichés, stéréotypes - Radio, télévision, presse - Affiches - Panneaux lumineux - Distribution 96 4. Propositions d’activités Ayant choisi les documents à travailler, c’est le moment de se poser encore d’autres questions : Comment les exploiter efficacement ? Quelles sont les activités les plus rentables du point de vue de l’apprentissage linguistique et culturel ? Nous proposons 4 types d’activités qui nous semblent intéressants : - Travail sur la langue - Travail thématique - Travail interculturel - Travail de production 4.1. Travail sur la langue Nous pouvons choisir des slogans ou des textes publicitaires comme exemple d’exercices pour traiter des règles syntaxiques, lexicales ou phonétiques comme - les adjectifs spécifiques au type de produit dont on parle - les figures de rhétorique - les superlatifs - les phrases interrogatives ou impératives - les phrases complexes (subordonnées relatives, conjonctives, appositions...) - les mots de liaison tels que : car, à cause de, parce que, puisque.... - la prononciation des sons difficiles Les publicités sont utilisées comme exemple pour présenter les règles linguistiques ou des exercices de repérage des éléments linguistiques. En particulier, il est possible de donner des exercices de phonétique à partir des slogans parce que les jeux de mots, les rimes, les assonances et les allitérations sont des pratiques courantes des publicitaires. L’entraînement de sons avec des slogans est certainement plus amusant et plus efficace que de les répéter comme des perroquets. Ces exercices intéressants et originaux sont bien capables de motiver les étudiants, surtout les débutants. Pourtant, il est évident que toutes les publicités ne peuvent être introduites dans la classe parce qu’il y existe souvent des fantaisies. Il ne faut pas choisir des publicités trop compliquées et trop imagées. 4.2. Travail thématique En tant que miroir des tendances sociologiques de l’actualité, comprenant la mise en scène des valeurs et des idéologies dominantes, les documents publicitaires sont des outils excellents pour des recherches thématiques. Un ensemble de documents iconiques et linguistiques peut servir de support pour un travail centré sur un thème spécifique: la femme, la famille, les 97 loisirs, l’écologie… L’analyse des documents permettra de regarder comment ces thèmes sont traités dans la publicité, c’est-à-dire comment ils sont perçus par un public cible parce que la publicité reflète toujours l’évolution, la mode et les tendances du temps. 4.3. Travail interculturel Le travail thématique peut être développé sous une perspective interculturelle, conduisant les étudiants à une analyse comparative du traitement de ces thèmes par la publicité en langue étrangère et par la publicité dans leur langue maternelle. Certains spots, certaines images sont diffusés dans un contexte mais pas dans l’autre, alors que certains documents publicitaires semblent universels ou du moins internationaux. D’autre part, un travail de recherche interculturelle peut être fait à travers la comparaison des publicités dans des contextes variés. Ce travail permettra une ouverture sur la culture des pays, notamment celle de la France, qui est encore mal connue des apprenants et même des enseignants. 4.4. Travail de production Finalement, à la suite de toutes ces activités, nos élèves auront acquis des compétences linguistiques, culturelles et techniques qui leur permettront de «jouer» avec la publicité. Ils pourront ainsi créer eux-mêmes des documents publicitaires, faisant appel à leur créativité et à leurs capacités d’organisation et d’autonomie. Cependant, étant donné qu’ils ne sont pas des professionnels, il faudra inscrire cette tâche dans le cadre du jeu, de l’imaginaire, de façon à « créer de la distance par rapport au monde du travail et du marketing ». 74 Il vaut mieux proposer des campagnes pour des objets courants (une fourchette, un seau, un balai), des objets inventés (l’essuie-glace pour lunettes…) ou des sentiments positifs ou négatifs (la peur, la joie, l’espoir…). En travaillant en groupe collaboratif, les étudiants devront ainsi préparer toute la campagne, définissant un public-cible et un média adéquat, produisant les photos, les textes et les vidéos qui serviront de support au marketing du produit ou du service sélectionné. Ou bien les professeurs leur demandent de produire seulement des slogans parce que le slogan est la clé du sens qui est construit et en plus, il est souvent court, attirant, facile à mémoriser, donc simple. Pour conclure, il faut remarquer que ces activités peuvent servir à toute la classe ou être attribuée à un seul étudiant pour centrer le travail sur la production orale ou écrite, la dramatisation ou le français fonctionnel. De plus, la publicité nous fournit une source d’activités pédagogiques très variées. Les exemples présentés ci-dessous ont été sélectionnés en raison de leur caractère représentatif. 74 CAPUCHO M.-F. 2004, « L'interculturel en classe de français », revue de l'AMIFRAM 98 5. Exemples d’activités 5.1. Travail sur la langue 5.1.1. Les phrases impératives * Public : les étudiants en première année * Objectif : Enseigner les phrases impératives * Publicités : « N’attendez plus ! Changez de voiture Partez en voyage. Offrez-vous le salon de vos rêves Faites plaisir à vos proches Ne vous refusez plus rien ... » (Crédit Atouprix) « Castel beer. Savourez vos réussites ». (Castel) « Oublie ce que tu vois, pense à ce que tu bois, écoute ta soif ». (Sprite). « Pensez à ceux qui vous entourent. » (Comité national contre le tabagisme) « Oublie ce que tu vois, pense à ce que tu bois, écoute ta soif ». (Sprite). «Il n'est jamais trop tard pour préparer l'avenir. Allez-y, allez plus loin avec AXA.» « Aide-toi. Contrex t’aidera. » (Contrex) « Occupez-vous de votre bonheur, notre agence fera le reste. » (M.Martin) * Activités : - Faire trouver les caractéristiques des phrases impératives à l’aide des exemples des publicités. - Faire produire des phrases impératives sous forme de slogans sur le même produit pour toute la classe ou sur les différents produits selon le choix de chaque étudiant ou du groupe. 5.1.2. Prononciation de « ch » * Public : les étudiants en première année * Objectif : Enseigner la prononciation de « ch » * Publicités - "Le ticket chic, le ticket choc." (RATP) - "Très chic, très charme, très femme." (Mausner) - "C'est chic, c'est chaud, c'est Polichinelle cet hiver." (Polichinelle) - « Ça change rien et ça change tout." (Canderel) 99 - "Des prix qui ne changent pas, ça change" - "Joujou... chou... Bijou... Bisou" (Citroën) * Activités - Faire prononcer les slogans en mettant l’accent sur « ch » 5.2. Travail thématique * Public : les étudiants en troisième année * Objectif : Travailler sur le thème « le téléphone portable » * Publicités de Diax et Orange * Activités - Faire observer et faire décrire les publicités de ces deux opérateurs de téléphonie mobile Orange et Diax - Proposer aux étudiants de parler du sujet « Quel est le rôle du téléphone portable dans la vie moderne ? » 5.3. Travail sur l’interculturel * Public : les étudiants en première année *Objectif : Travailler sur le thème « les animaux domestiques » * Publicité de la voiture Golf TDI et d’OPUS life * Activités : - Faire observer et faire décrire la publicité 100 - Faire faire la comparaison de la place des animaux domestiques au Vietnam et en France (à l’oral ou à l’écrit) 5.4. Travail de production 5.4.1. Expression écrite * Public : les étudiants en deuxième année * Objectif : Travailler sur la création d’une publicité * Publicité « La sirène » * Activités : - Faire observer l’image et faire décrire l’image - Faire écrire le texte publicitaire qui correspond à l’image. - Faire comparer leur texte avec celui de leurs camarades. 5.4.2. Expression écrite * Public : les étudiants en troisième année * Objectif : Travailler sur la création d’une publicité * Publicité « La publicité Gervais » * Activités : - Faire observer l’image et faire répondre aux questions suivantes : 1. Comment reconnaissez-vous que ces images sont des publicités ? 2. À qui s'adressent ces publicités ? 101 3. De quoi parle-t-on ? 4. Décrivez les situations dans lesquelles se trouvent les enfants ? 5. Trouvez des arguments de vente. - Faire écrire deux textes qui donneront envie d'acheter ce produit ? (Un texte pour chaque publicité, à placer sous la photo de l'enfant) 6. Fiche pédagogique * Public : les étudiants en troisième année * Objectif : Travailler sur le thème « le téléphone portable » * Durée : 90 minutes * Publicités de deux opérateurs de téléphonie mobile Diax et Orange (voir p.96) * Démarche + Observation et compréhension (travail en groupe) - Chaque groupe choisit une publicité et l’analyse à l’aide de la fiche d'observation. Fiche d'observation : 1. Quel est le titre ou le sujet de la publicité? 2. Où peut-on voir cette publicité? 3. À quel public s'adresse-t-elle? 4. Décrivez l’image en répondant aux questions « Qui », « Quoi », « Où »,... 5. Donnez tous les détails concernant le message linguistique : a. Y a-t-il un slogan? Si oui, lequel ? Analysez-le ! ( mots importants, caractère des lettres, rimes, couleurs, forme et contenu de la phrase... ) b. Lisez le texte et relevez les mots clés. 6. Quelle est l'importance relative du texte par rapport aux photos ? Et comment est-ce que les photos aident à transmettre le message ? 7. Quel est le message que le fabriquant veut nous transmettre ? (avantages du réseau, services, technologie, ....) - Le rôle du professeur est de circuler entre les groupes et de les guider à accomplir leur mission. + Mise en commun - Chaque groupe présente à la classe le résultat de son travail. - Le professeur pose aux étudiants des questions : Quelle est, à votre avis, la meilleure publicité ? Pour quelles raisons ? + Expression orale (travail en groupe) 102 - Chaque groupe de trois personnes discute du sujet « Quel est le rôle du téléphone portable dans la vie moderne ? » - Quelques groupes présentent leur exposé. - Le professeur donne des remarques sur les exposés et insiste sur les bonnes idées. + Remarque : On peut également proposer aux étudiants de créer, à leur tour, une publicité sur le même thème en s’adressant à un public différent et en changeant le ton et le style du texte. 103 CONCLUSION L'étude des publicités démontre que l’importance de la publicité est de plus en plus constatée à mesure que les moyens de communication moderne se généralisent. Une publicité est composée généralement de slogans, d’images et de textes qui contribuent tous à remplir ses trois fonctions principales : information sur des biens et services, incitation à l’achat et rappel des marques ou des produits et de leurs propriétés essentielles. La publicité intéresse non seulement les spécialistes de marketing mais elle constitue aussi, pour les spécialistes des langues, un domaine linguistique à part entière et très riche dont l'analyse structurale révèle l'utilisation d'une grande variété de techniques. Premièrement, les messages publicitaires sont soumis à des contraintes d’ordre lexical. La langue publicitaire se caractérise par sa concision et sa recherche de l'effet, aux dépens des lois ordinairement admises du langage. Elle est donc à la fois simple et originale, concise et précise. Pour cela, on exploite la langue en jouant avec ses mots. Si les techniques lexicales telles que les figures de rhétorique et les relations de sens usent des mots et expressions connus pour créer de nouveaux effets de sens, la néologie lexicale construite sur la base de modification orthographique, de changement de classe de mot ou de mot-valise permet souvent de créer des mots nouveaux à partir du nom de la marque ou du produit. Deuxièmement, la loi d'expressivité impose non seulement le choix d'un mot rare, piquant, tentateur, mais encore elle dicte la forme de la phrase et l'élimination des mots-outils. C'est elle qui donne à la phrase « une allure télégraphique », souvent caractéristique de la publicité moderne. « Le point d'aboutissement, c'est la phrase inorganisée, hachée, informe, la pure phrase nominale, où il n'existe plus de syntaxe, mais une juxtaposition de mots ».75 Les constructions elliptiques et condensées sont répandues dans la langue publicitaire. Quant à l’emploi de temps et de mode, nous constatons que le présent de l’indicatif et l’impératif sont omniprésents dans les slogans ainsi que dans les textes pour prouver le caractère réel et actuel du produit et de ses valeurs. Troisièmement, du point de vue pragmatique, la publicité représente une communication asymétrique dont les interventions des deux participants, l’annonceur et les consommateurs, n’utilisent pas le même canal : le premier utilise le langage alors que le second réagit par l’acte d’achat. Pour persuader les consommateurs et les inciter à l’achat, le publicitaire recourt à des actes de langage indirects. Les actes illocutoires directifs sont souvent dissimulés sous forme d’acte constatif. À travers des images, des messages attirants, on vante les valeurs du produit 75 GRUNIG B., 1990, Les Mots de la publicité, Paris, Presses du CNRS 104 et la notoriété de la marque plutôt que de faire des phrases impératives liées directement à l’idée d’achat. L’argumentation publicitaire repose sur le logos (la rationalité), l’ethos (l’image de la marque) ou le pathos (la séduction de la cible). Parmi les types de raisonnement, le syllogisme incomplet dit l’enthymème est le plus usuel dans la publicité parce qu’il permet au publicitaire de ne pas tout expliciter et qu’il laisse au lecteur le plaisir de tout faire pour construire l’argument. Les analyses de ces aspects linguistiques montrent que le langage publicitaire reflète toute la diversité de la langue. D’une part, il est riche d’éléments lexicaux, de figures de stylistique et de constructions syntaxiques, d’autre part, il constitue un matériel spécifique, original traitant la problématique de la société contemporaine. Elle présente donc une grande richesse linguistique et culturel qui peut servir d’outil éducatif exceptionnel et de grande qualité pour renforcer les compétences linguistiques aussi bien que les compétences socioculturelles. D'un point de vue strictement pratique, les publicités offrent l'avantage non négligeable d'être un document authentique, court et ainsi facile à incorporer à tout programme déjà conçu comme outil pédagogique d'appoint à tous les niveaux. En effet, deux ou trois publicités montrées en classe remplaceront avantageusement une leçon de grammaire ou de culture. À travers le mémoire présenté ici, nous avons proposé des types de publicité à choisir dans la classe de langue et exploré certaines pistes pédagogiques en faveur d'une meilleure utilisation de la publicité avec, en plus, des exemples illustratifs détaillés. Pour terminer, on peut dire que, malgré les difficultés liée à la compréhension et l’analyse de nombreuses publicités en raison du niveau de langue utilisé ou de la connaissance d'un référent culturel ou historique, il est préférable d’exploiter ce « trésor linguistique » parce que « - C’est un art - C’est un plaisir - C’est riche d’informations - Ça fait réfléchir - Ça fait parler - Ça fait apprendre. »76 Dans le cadre de ce travail, nous avons fait l’analyse sur l’ensemble des éléments linguistiques de la publicité pour but de l’exploiter dans la classe de langue. Nous aimerions traiter, dans une recherche ultérieure, ce sujet intéressant de façon plus approfondie, à savoir l’étude sur l’argumentation publicitaire. 76 CAPUCHO M.-F., 2004, « L'interculturel en classe de français », revue de l'AMIFRAM 105 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages et mémoires en français 1. Adam J.M. et Bonhomme M., 2005, L’argumentation publiciraire, Paris, Armand Colin 2. 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