Histoire naturelle d`une masse rénale suspecte chez

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◆ CAS CLINIQUE
Progrès en Urologie (2004), 14, 1206-1208
Histoire naturelle d’une masse rénale suspecte chez une patiente atteinte
d’un cancer gastrique : comment évaluer le risque de tumeurs malignes
multiples primitives (TMP) ?
Guillaume VAN AGT (1), Arnaud BRACQ (1), Denis CHATELAIN (2), Marc FOURMARIER (1),
Jean Marc REGIMBEAU (3), Pierre VERHAEGHE (3), Jacques PETIT (1), Fabien SAINT (1)
(1) Services
d’Urologie-Transplantation, (2) d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, (3) et de Chirurgie Générale, CHU d’Amiens, France
RESUME
La coexistence chez un patient de plusieurs tumeurs est un phénomène rare et correspond au syndrome des
tumeurs malignes multiples primitives (TMP). Parmi les TMP les plus souvent diagnostiquées on retrouve au
premier plan : Les tumeurs gastro-intestinales associées aux tumeurs d’origine urologique. La surexpression du
gène STAG1 pourrait expliquer le développement de plusieurs tumeurs solides et être à l’origine du syndrome
des tumeurs malignes multiples primitives. La découverte d’une masse suspecte rénale synchrone d’un cancer
avéré est la plupart du temps une lésion de nature maligne et doit faire discuter un traitement radical chirurgical associé. Nous rapportons l’histoire naturelle d’une masse suspecte rénale chez un patient porteur d’une
tumeur primitive gastrique réalisant un syndrome des TMP. Nous rappelons et discutons les éléments épidémiologiques, la physiopathologie, les éléments diagnostiques et la prise en charge thérapeutique des TMP.
Mots clés : Tumeurs malignes multiples primitives, cancer de l’estomac, cancer du rein.
L’amélioration croissante des explorations complémentaires (échographie, tomodensitométrie et IRM), qu’elles soient initiales (lors
de l’évaluation d’une pathologie) ou secondaires (lors de son suivi
thérapeutique), est associée à l’augmentation de l’incidence de
découverte des tumeurs malignes multiples primitives (TMP)
asymptomatiques. Parmi les tumeurs le plus souvent diagnostiquées
se trouvent au premier plan les tumeurs gastro-intestinales associées aux tumeurs d’origine urologique. Les auteurs rapportent le
cas d’une tumeur de l’estomac associée à une masse suspecte du
rein dont l’histoire naturelle conduira au diagnostic de tumeur
maligne du rein. L’incidence, la physiopathologie, les éléments diagnostiques et la prise en charge thérapeutique sont discutés.
OBSERVATION
Mme F, âgée de 59 ans, a consulté en 1995 pour altération de l’état
général avec douleurs épigastriques. Un examen endoscopique,
associé à des biopsies gastriques, a conclu en un adénocarcinome
localisé à l’antre. Une tomodensitométrie réalisée dans le but de
pratiquer un bilan d’extension de cette tumeur, a mis en évidence
fortuitement une masse rénale gauche de 30 mm de grand axe,
arrondie, régulière, légèrement hétérogène. La mesure de la densité tumorale sans injection de produit de contraste iodé était de 77
Unité Hounsfield (UH) et de 86 UH après injection (Figure 1A). La
patiente a bénéficié, après discussion thérapeutique, d’une ponction
diagnostique et d’un geste de gastrectomie totale avec remplacement par une anse grêle en Y. L’examen anatomopathologique de la
pièce de gastrectomie a confirmé le diagnostic d’adénocarcinome
gastrique bien différencié de stade pT3 N0 M0 (Figure 2A). L’examen cytologique et histologique du produit de ponction rénale ne
retrouvait pas d’éléments suspects de malignité.
Une surveillance radiologique par tomodensitométrie fût mise en
place, durant laquelle aucune évolution notable de la masse n’était
observée jusqu’au mois de mars 2003. En juin 2003, un nouveau
contrôle par tomodensitométrie était réalisé, trois mois après une
chute et un traumatisme lombaire gauche. Une volumineuse masse
rénale gauche de 15 cm de diamètre, hétérogène, calcifiée, avec un
rein gauche muet et un envahissement du muscle psoas était alors
mise en évidence (Figure 1B). Une néphrectomie totale élargie gauche fût réalisée. L’examen anatomopathologique de la pièce opératoire a décrit une tumeur de type carcinome sarcomatoïde avec une
composante à cellules géantes de type ostéoclasique, classée pT4
N0 M0 (Figure 2B). En Septembre 2003 la patiente présentait une
récidive locale avec envahissement duodénal nécessitant une dérivation percutanée. Elle décédait rapidement des suites d’une dissémination tumorale un mois plus tard.
DISCUSSION
La coexistence chez un patient de plusieurs tumeurs est un phénomène rare. Depuis la première description de BILLROTH en 1889, de
nombreuses publications ont rapporté plusieurs cas de tumeurs malignes multiples primitives (TMP). Les tumeurs malignes multiples
primitives sont définies par l’existence de plus d’une tumeur primitive dans des organes différents, ou de deux tumeurs primitives ou
plus développées à partir de différents types de cellules au sein d’un
Manuscrit reçu : décembre 2003, accepté :septembre 2004
Adresse pour correspondance : Dr. F. Saint, Service d’Urologie, CHU Sud, avenue
R. Laennec, Salouel, 80054 Amiens Cedex 1.
e-mail : [email protected]
Ref : VAN AGT G., BRACQ A., CHATELAIN D., FOURMARIER M., REGIMBEAU
J.M., VERHAEGHE P., PETIT J., SAINT F. Prog. Urol., 2004, 14, 1206-1208
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G. Van Agt et coll., Progrès en Urologie (2004), 14, 1206-1208
Figure 1. A/ Masse rénale gauche de 3 cm de grand axe, arrondie,
régulière, légèrement hétérogène avec une densité tumorale de 86
Unité Hounsfield (UH) après injection. B/ Volumineuse masse rénale gauche de 15 cm de grand axe, hétérogène, calcifiée, avec un rein
gauche muet et un envahissement du muscle psoas.
même organe [11]. Les tumeurs sont dites synchrones lorsqu’elles
sont diagnostiquées moins de 6 mois l’une de l’autre, et métachrones si elles sont diagnostiquées après 6 mois. Si les TMP avec localisation urologique représentaient 0.9% des cancers et 9% des
tumeurs urologiques dans l’étude de KOYAMA, et si la présence
d’une tumeur urologique est un facteur de risque important de retrouver une tumeur synchrone ou métachrone associée, l’association
de TMP avec une localisation urologique reste rare [5, 11].
L’analyse de plusieurs séries d’autopsies a permis de mettre en évidence 21.6% de cancer multiples primitifs chez les sujets porteurs
de tumeurs urologiques [8]. Ces tumeurs étaient d’origine pancréatique, oesophagienne, gastrique, hépatique ou encore localisées aux
voies biliaires [8, 9]. Des tumeurs gynécologiques ont aussi été rapportées [13].
Même si le cancer de l’estomac est une tumeur fréquente, l’association à d’autres tumeurs primitives demeure un phénomène peu
ou mal évalué. Cette association tumeur de l’estomac et tumeurs
urologiques (rénales, vésicales ou prostatiques) serait cependant
observée chez 4% des malades atteints [1]. Pour les mêmes auteurs,
la découverte d’une masse rénale suspecte synchrone d’un cancer
de l’estomac serait la plupart du temps une lésion de nature maligne
et nécessiterait une résection dans le même temps opératoire [1].
Cette attitude semble être confirmée par l’augmentation significative de l’incidence des tumeurs rénales chez les patients porteurs
d’une autre tumeur non urologique [2, 6]. Dans certaines séries
Figure 2. A/ Adénocarcinome gastrique antral bien différencié, d'architecture tubulée, bordé de cellules cylindriques, au cytoplasme éosinophile, au noyau élargi, atypique. Le stroma est fibreux, inflammatoire (HES x 100). B/ Carcinome sarcomatoïde rénal composé de cellules arrondies ou fusiformes, souvent de grande taille, au cytoplasme éosinophile, au noyau élargi, pléiomorphe, avec des mitoses anormales. Nombreuses cellules géantes plurinucléées de type ostéoclastique (HES x 100).
japonaises, ce sont tout particulièrement les tumeurs de l’estomac
qui semblent être associées aux TMP. Ce phénomène peut être rapporté à une incidence très importante de ce type de cancer au Japon
[5].
L’âge du diagnostic des TMP est le plus souvent supérieur à 60 ans.
La combinaison la plus fréquente des TMP avec localisation urologique est : cancer de prostate et de l’estomac puis cancer de vessie
et du côlon, et enfin cancer de prostate et du côlon [5]. Les tumeurs
de prostate sont plutôt de découverte métachrone, les tumeurs de
vessie de découverte primitive et les tumeurs du rein, plus rares, de
découverte synchrone [5]. Le diagnostic de TMP est cependant
associé à des tumeurs synchrones pour plus de 25% des patients et
métachrones (dans les 5 ans) pour les autres. L’intervalle médian
entre un cancer non urologique et l’apparition d’une tumeur du rein
serait évalué à 14.5 mois, avec un risque relatif de développer une
tumeur nouvelle après avoir présenté une tumeur du rein estimé à
plus de 1.5 [5].
Une anomalie génétique pourrait expliquer le développement de
plusieurs tumeurs solides primitives et être à l’origine du syndrome
des TMP. En effet, la sur-expression du gène STAG1 (codant une
protéine transmembranaire dont le rôle fonctionnel est en évaluation) semble être présente chez 87% des patients porteurs de
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tumeurs du rein et chez certains patients présentant des cancers de
l’estomac et/ou du côlon [10]. Cette sur-expression du gène STAG1
semble de plus être présente chez les patients présentant un cancer
de prostate, néoplasie urologique le plus fréquemment associée aux
TMP.
Dans cette observation clinique, l’analyse rétrospective du dossier
(masse tissulaire rénale avec une densité spontanée supérieure à 50
UH et un rehaussement à l’injection) associée aux éléments épidémiologiques des TMP (présence d’un cancer gastrique) aurait dû
faire discuter une exérèse de première intention de cette masse rénale suspecte [12].
A cette époque fût discutée la réalisation d’une ponction percutanée
en tomodensitométrie. Cette biopsie percutanée n’a malheureusement pas permis de faire le diagnostic. En dehors du risque théorique de dissémination tumorale, la morbidité de la ponction à but
diagnostique est faible. La précision diagnostique de la biopsie percutanée est proche de 90% lorsqu’elle est comparée aux résultats de
l’exérèse chirurgicale [4]. La biopsie percutanée a pour limite
essentielle un nombre de faux négatifs variant entre 10 et 25% [7,
4]. Les faux négatifs sont principalement dus aux difficultés de
localisation d’une cible tumorale de petite taille comme cela était le
cas dans cette observation clinique. La sensibilité et la spécificité de
l’examen cytologique après biopsie sont estimées entre 80 et 92%
et entre 83 et 100% respectivement. La sensibilité et la spécificité
de l’examen histologique sont estimées entre 70 et 92% et à 100%
respectivement [3]. La précision pour le diagnostic de tumeur
maligne et pour le type histologique est proche de 92% [7].
L’histoire naturelle de cette observation clinique plaide en faveur
d’une attitude chirurgicale radicale devant une masse suspecte rénale chez un patient porteur d’une autre tumeur primitive d’origine
gastro-intestinale et pouvant s’intégrer dans un syndrome des TMP.
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CONCLUSION
Les tumeurs malignes multiple primitives, même si elles demeurent
rares et restent un diagnostic occasionnel. Le praticien doit toujours
rester vigilant quant au risque de voir associer ou apparaître une
autre tumeur primitive lorsqu’il prend en charge une tumeur gastrointestinale et/ou une tumeur urologique. Lorsque le diagnostic
initial est une tumeur du tractus gastro-intestinal, la surveillance
carcinologique doit être associée à la surveillance des organes urologiques (vessie, reins et prostate). La mise en évidence d’une anomalie évocatrice d’une pathologie tumorale de l’un de ces organes
doit conduire à une attitude chirurgicale.
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SUMMARY
Natural history of a suspicious renal mass in a patient with gastric
cancer: how to evaluate the risk of multiple primary tumours
(MPT)?
The coexistence of several tumours in the same patient is a rare
phenomenon and corresponds to the multiple primary tumour
(MPT) syndrome. The most frequently diagnosed MPT include gastrointestinal tumours associated with urological tumours. Overexpression of the STAG1 gene could explain the development of several solid tumours and could be the origin of the multiple primary
tumour syndrome. A suspicious renal mass discovered at the same
time as a documented cancer is usually a malignant lesion and may
justify combined radical surgical treatment. The authors report the
natural history of a suspicious renal mass in a patient with primary gastric tumour corresponding to a MPT syndrome. They recall
and discuss the epidemiology, pathophysiology, diagnosis and
treatment of MPT.
Key words: Multiple primary tumours, gastric cancer, renal cancer
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