AMBASSADE DE FRANCE EN CORÉE DU SUD
MISSION ÉCONOMIQUE
NOTE
- Objet : Les chaebols dans l'économie coréenne
Les grands conglomérats (chaebols en coréen) sont l'un des éléments les plus célèbres de l'histoire
économique coréenne. Constitués généralement dans les années qui ont suivi la guerre de Corée
(1950-1953) sur un modèle similaire (mais pas identique!) à celui des keiretsu japonais, les chaebols
sont généralement perçus comme les principaux acteurs de la réussite économique de la Corée du
Sud. Les dernières années ont toutefois abouti à un déclin significatif de l'influence des grands groupes
dans l'économie coréenne. Commencée dès avant la crise, cette évolution a été amplifiée par les
réformes économiques menées depuis 1998. Elle a poussé les chaebols à une réorganisation en
profondeur de leur structure et de leur mode de fonctionnement.
1) Les grands groupes coréens: une sortie de crise difficile
L'origine des grands groupes coréens est double. Elle découle, d'une part, de la détermination du
Président Park Chung-hee (1961-1979) à appliquer en Corée les recettes qui avaient fait la réussite de
l'économie japonaise et en particulier l'idée de faire porter l'essentiel de l'oeuvre de développement
économique par quelques grands groupes industriels étroitement liés à l'Etat. Elle s'explique également
par le talent d'une poigné de jeunes entrepreneurs qui ont su transformer ce qui n'étaient à l'origine que
de modestes entreprises familiales en de vastes empires industriels tournés vers l'exportation.
Les principales caractéristiques du système des chaebols sont:
- L'intégration, autour d'une société holding jouant le rôle de maison-mère, de dizaines de filiales
résultant soit de la croissance normale des activités du groupe ou bien, plus fréquemment, de
l'acquisition de fournisseurs, de clients ou de concurrents. Cette concentration d'activités est à la fois
verticale (activités de nature différente mais complémentaires) et horizontale ("from ships to chips").
- L'interconnexion des filiales par un réseau dense de participations capitalistiques et de garanties
financières croisées.
- La prépondérance, au sein de l'actionnariat et du management, des membres de la famille fondatrice
qui représentent jusqu'aux deux-tiers du capital des sociétés du groupe. Le processus de décision est
généralement centralisé à l'extrême et remonte fréquemment jusqu'au président du groupe. Le chaebol
est une affaire de famille.
- Une stratégie d'expansion fondée sur la prise de parts de marché en Corée et à l'export largement
financée par endettement bancaire. De manière générale, l'augmentation continue de la production et
du chiffre d'affaires prime sur la recherche de la rentabilité des investissements.
La croissance des chaebols a été favorisée jusqu'au milieu des années 1990 par:
- Une alliance objective entre les grandes familles dirigeantes et un Etat dirigiste et fortement
interventionniste.
- La mise à disposition par le gouvernement coréen de financements bancaires quasi-illimités et bon
marché destinés à financer la politique de développement par les exportations.
- Une pression sociale contenue qui permettait aux grands groupes de disposer d'une main d'oeuvre
disponible et peu onéreuse.
- Un marché intérieur fermé et oligopolistique.
De nombreux observateurs s'accordent à penser que ce modèle industriel avait atteint ses limites dès
avant la crise asiatique de 1997-1998: deux groupes de taille moyenne, Hanbo et Kia, ont ainsi fait
faillite dès 1997. La crise a toutefois servi à la fois de révélateur et d'accélérateur du déclin des
chaebols. Sur le plan financier, la crise de liquidité qui a touché la Corée à la fin de 1997 et au début de
1998 a privé les banques locales et, par contrecoup, les conglomérats des capitaux nécessaires à la
poursuite de leur expansion. L'endettement excessif de la plupart des grands groupes et leur incapacité
à honorer le remboursement de leur dette ont poussé à la faillite une grande partie du secteur financier
coréen.
Sur le plan commercial, la crise asiatique et ses répercussions mondiales ont confronté les chaebols
coréens à la contraction de leurs débouchés traditionnels, tandis que l'ouverture rapide du marché
intérieur à la concurrence étrangère les privait d'une clientèle jusqu'ici plus ou moins captive.
Les mid-chaebols, une catégorie à part?
L'expression "mid-chaebols", ou "chaebols de second rang", est généralement utilisée pour désigner les
groupes coréens de taille moyenne, par opposition aux cinq grands (quatre depuis la faillite du groupe
Daewoo en 1999) Samsung, Hyundai, LG et SK. Situés entre la cinquième et la soixante quatrième
place du classement des entreprises coréennes en termes d'actifs, ces groupes ne forment pas une
catégorie homogène en termes de filiales (le groupe Lotte a 32 filiales), d'activités ou de situation
financière. D'autre part, selon qu'ils appartiennent ou non aux trente principaux groupes, les mid-
chaebols ne sont pas soumis au même régime juridique (obligations de transparence) que les
entreprises de plus petite taille.
Les principaux mid-chaebols sont: Hanjin, Posco, Lotte, Kumho et Ssangyong.
A bien des égards, la crise de 1997-1998 rendait inévitable une adaptation dont les chaebols avaient
jusqu'ici choisi de faire l'économie. Cette restructuration, très largement dictée par le haut, c'est à dire
par le gouvernement du Président Kim Dae-jung, sous l'impulsion du FMI et de l'OCDE, a donné des
résultats positifs mais reste, de l'avis général, inachevée.
2) Les grands groupes coréens aujourd'hui: une restructuration inachevée
Les quelques années qui ont suivi la crise asiatique ont été marquées, pour les chaebols, par un
changement en profondeur des règles du jeu qui avaient prévalu au cours des quarante années
précédentes. Ce choc sans équivalent dans la région a pris la forme d'un accroissement brutal des
contraintes règlementaires qui encadrent l'activité des chaebols, d'un rationnement des financements
bancaires et d'un découplage très net entre les familles fondatrices des chaebols et le pouvoir politique
incarné par le Président Kim Dae-jung. Cette politique a principalement concerné les 30 premiers
groupes (en termes d'actifs) auxquels un cadre législatif dérogatoire du droit commun a été imposé. Les
principales mesures ont concerné:
- le désendettement des grands groupes: les autorités coréennes ont imposé aux 30 premiers
conglomérats un objectif de ratio dette / capital inférieur à 200%, alors que le ratio moyen s'établissait à
519% à la fin de 1997. Les garanties croisées entre filiales d'un même groupe ont également été
interdites.
- le recentrage sur quelques métiers de base: l'expansion des groupes coréens a également été limitée
par une pression à la baisse sur le nombre total de filiales et par l'interdiction faite aux chaebols de
consacrer plus de 25% de leur capital à de nouvelles prises de participation.
- L'accroissement de la transparence des comptes: les trente premiers chaebols ont été soumis à une
obligation de publication annuelle de leurs comptes consolidés (pour la première fois en juillet 2000) et
à un renforcement du contrôle des petits actionnaires sur les résultats financiers des groupes. Ces
mesures inédites ont profondément affecté le fonctionnement des chaebols. Pour autant, elles n'ont pas
toujours atteint leur objectif.
- Une amélioration inégale de la situation financière des grands groupes:
Globalement, les contraintes réglementaires et financières imposées aux grands groupes et la nouvelle
discipline imposée au secteur bancaire en matière de prêts ont incité les chaebols à mettre en oeuvre
une restructuration salutaire. Elles ont surtout permis d'éviter la transmission des difficultés financières
d'une société aux autres filiales du groupe. L'analyse financière des chaebols passe donc aujourd'hui
moins par une analyse par groupe que par une analyse plus ciblée au niveau des entreprises
individuelles, dont la situation, à l'intérieur d'un même chaebol, peut être très contrastée.
D'autre part, si l'endettement et la solvabilité de la plupart des grands groupes se sont sans conteste
améliorés, la capacité des sociétés coréennes à dégager des profits, et donc de la valeur pour les
actionnaires, reste, à quelques exceptions près, trop limitée.
¤ En termes d'endettement, le ratio dette sur capital moyen des 30 principaux chaebols est passé de
521% en 1997 à 170% en 2001. Celui des cinq principaux chaebols est passé de 352% à 161,9% en
moyenne sur la même période. Ces résultats ont été permis en partie par la réduction du stock de la
dette mais surtout par l'augmentation rapide des fonds propres (augmentations de capital, ventes
d'actifs). En valeur absolue, la dette des principaux chaebols reste très importante: 97 milliards d'euros
pour le groupe Samsung et environ 45 milliards d'euros pour Hyundai ou LG.
¤ L'endettement encore très important de la plupart des chaebols entretient une inquiétude justifiée
quant à la solvabilité des groupes coréens. Ainsi, la majorité des chaebols présentent des ratios de
solvabilité égaux ou inférieurs à 1,0 ce qui signifie qu'ils ne sont pas en mesure d'honorer le
remboursement des intérêts de leur dette (sans parler de rembourser le capital!). Sur les 15 principaux
chaebols, seuls 6 présentent une solvabilité suffisante (Samsung, SK, LG, Lotte, Kolon et Youngpoong).
Samsung est de très loin le groupe le plus sain financièrement avec un ratio de solvabilité supérieur à
8,0.
¤ La situation financière toujours préoccupante des chaebols s'explique très largement par une
rentabilité traditionnellement faible. Ainsi, pour un chiffre d'affaires de près de 300 milliards d'euros, les
15 principaux chaebols ont réalisé en 2000 un résultat d'exploitation de seulement 24 milliards d'euros
soit environ 8 euros pour 100 euros de chiffres d'affaires en moyenne. Cette difficulté à réaliser des
profits démontre que certains investissements réalisés avant la crise continuent de peser sur la
rentabilité des chaebols. Il convient toutefois de nuancer ce constat en indiquant que la rentabilité des
filiales peut varier très fortement à l'intérieur d'un même chaebol.
- Vers l'éclatement des chaebols?:
L'idée d'un éclatement des chaebols coréens a souvent été avancée comme la seule alternative
crédible à une restructuration en profondeur des groupes et comme la conséquence naturelle du
recentrage des conglomérats sur quelques métiers de base. Cette formule présente l'avantage de
renforcer les fonds propres des sociétés mères grâce à la vente d'actifs. Elle permet également
d'empêcher le financement des activités les moins rentables par le prélèvement systématique des
profits dégagés par les filiales les plus performantes. Elle donne enfin aux sociétés coréennes
l'occasion de nouer des partenariats industriels avec des sociétés étrangères lorsque la séparation des
filiales prend la forme d'une prise de participation ou d'une acquisition.
Pourtant, à ce jour, l'éclatement des groupes industriels coréens a plus rarement pris la forme d'une
restructuration stratégique, que d'une vente en catastrophe destinée à éviter la faillite d'un chaebol sous
l'impulsion des banques créancières: c'est notamment le cas de certaines ventes d'actifs ou
d'opérations d'échange de dette contre actions (debt equity swap) qui aboutissent à la perte de contrôle
des actionnaires sur le capital d'une entreprise trop endettée (cas de Hyundai Engineering &
Construction en 2000 et de Hynix en 2001). Dans d'autres cas, la séparation de certaines filiales a pu
découler d'une mésentente entre les membres de la famille fondatrice quant à l'avenir du groupe (cas
de Hyundai Motor).
Enfin, il convient de préciser que la réduction du nombre de filiales n'est pas une dynamique
irréversible. La plupart des chaebols, tout en se séparant de certaines activités non prioritaires,
continuent de créer de nouvelles filiales: le nombre de filiales des trente premiers chaebols, qui était
passé de 819 en 1996 à 544 en 2000, est repassé à 615 au mois de décembre 2001. Par ailleurs la
plupart des grands chaebols conservent un nombre de filiales (et donc de lignes d'activités) très
impressionnant: c'est le cas de SK avec 63 filiales, du groupe Samsung avec 62 filiales ou du groupe
Lotte avec 32 filiales.
Pour certains groupes toutefois, la dispersion des filiales est bien une réalité: le groupe Hyundai est
ainsi passé de 57 filiales en 1996 à 17 aujourd'hui. De même, le nombre de filiales du groupe LG est
passé de 56 en 1996 à 46 actuellement.
L'éclatement du groupe Hyundai
Le groupe Hyundai est à ce jour la meilleure illustration du phénomène d'éclatement des chaebols. Le
nombre de filiales liées au groupe Hyundai est ainsi passé de 57 en 1996 à 17 en 2001. Exigée par les
créanciers et par les autorités de supervision pendant plusieurs mois, la sortie du groupe de Hyundai
Motor et de sept filiales associées est effective depuis août 2000. Le consortium américain American
International Group négocie actuellement la reprise des filiales financières de Hyundai regroupées dans
Hyundai Securities. Hynix a été récemment séparée du groupe et Hyundai Heavy Industries doit l'être
en cours d'année.
Il existe donc aujourd'hui au moins deux groupes Hyundai, l'un regroupé autour de Hyundai Motor et
l'autre autour de Hyundai Engineering & Construction et Hyundai Merchant Marine, qui continue de faire
face à de graves difficultés financières.
- Quel avenir pour les familles fondatrices?
Les profondes évolutions qui ont marqué le système des chaebols au cours des dernières années n'ont
que rarement abouti au remplacement des familles fondatrices par des gestionnaires professionnels.
Les fondateurs des chaebols ont généralement manoeuvré avec succès pour confier la gestion du
groupe à l'un de leurs fils (généralement le fils aîné). Cette passation de pouvoir peut d'ailleurs être
l'objet de rivalités à l'intérieur de la famille dirigeante qui nuisent fortement à l'image, voire au
fonctionnement de l'entreprise. C'est le cas de Hyundai où la succession du fondateur Chung Ju-yung,
l'an dernier, a été l'objet d'une rivalité entre l'aîné Chung Mong-koo et le cinquième fils Chung Mong-
hun. Chung Mong-koo a pris la tête de Hyundai Motor et Chung Mong-hun a conservé la direction des
autres composantes du groupe.
Dans le cas de Samsung, Lee Byung-chul, le fondateur du chaebol a démissionné en 1966. Son petit
fils Lee Kun-hee est actuellement à la tête du groupe. Au total, Lee Kun-hee et sa famille détiennent des
participations dans 18 filiales du groupe Samsung dont 9,51% dans Samsung Life, 54,39% dans
Samsung Everland et 12,97% dans Samsung SDS. Choi Tae-won, le fils aîné du fondateur de SK Choi
Jong-hyun, est actuellement président de SK Corp. Il détient des participations dans 12 filiales de SK.
Chez LG le fondateur du groupe, Koo Ja-kyong, a laissé sa place à son fils aîné Koo Bon-moo en 1995.
Au total, la famille Koo détient des participations dans 17 filiales du groupe LG dont 45,25% dans LG
Chemical et 35,89% dans LG Capital Services.
L'influence des familles fondatrices reste donc importante mais leur participation au capital des
chaebols est clairement orientée à la baisse. Les familles, qui détenaient généralement entre 40% et
50% du capital de leurs principales filiales, ne parviennent aujourd'hui à garder le contrôle du
management qu'en profitant du caractère très morcelé de l'actionnariat des chaebols.
En contrepartie de leur maintien au pouvoir, les familles fondatrices doivent par ailleurs désormais
rendre des comptes sur leur gestion. La présence de plus en plus systématique de managers
professionnels aux côtés des héritiers contribue à rendre la gestion des chaebols plus profesionnelle.
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