LA CONSTIPATION Pr B.M. CAMARA * INTRODUCTION La constipation est souvent considérée comme banale et inquiète peu, elle est de fait fréquemment négligée et mal traitée. Nous insisterons surtout sur la constipation maladie qui représente la grande majorité des constipations. Mais il ne faut pas ignorer qu’il existe des constipations symptômes, révélateurs ou accompagnateurs d’autres maladies, en particulier les tumeurs coliques. Aussi, toute constipation inaugurale ou ancienne qui s’aggrave devra être explorée. CONSTIPATION : Définition, Epidémiologie et Physiopathologie. La définition de la constipation n’est ni simple, ni aisée, d’où la multiplicité des propositions : • Emission trop rare, difficile et douloureuse ou non, de selles trop dures, • Emission de selles ayant fait un séjour trop long dans l’intestin. La constipation se manifeste chez les patients par des troubles divers et variés. Ils la définissent comme étant : • la difficulté à aller à la selle, • ne pas aller à la selle au moins une fois par jour ou y aller moins de trois fois par semaine, • la sensation d’une évacuation incomplète de l’intestin. Ailleurs dans les pays développés sa fréquence varie de 6 % dans la population générale à 20 % chez les sujets âgés, voire plus de 50 % en milieu gériatrique. La prédominance féminine est retrouvée dans la plupart des études. La physiopathologie de la constipation n’est pas univoque. Deux mécanismes impliqués dans la survenue de la constipation, permettent de la distinguer en deux types : • Les constipations de transit qui peuvent être mesurées par le test des marqueurs radio-opaques. Dans ce cas, la constipation survient par allongement du temps de transit dû à un trouble de la progression des selles dans le côlon (côlon atone, plus souvent côlon spastique), • Les constipations distales, ici la constipation est due à un trouble de l’évacuation, au niveau du rectosigmoïde par obstruction atone ou spastique. Ces deux mécanismes peuvent être associés chez le même patient. Les constipations africaines relèvent en effet souvent à la fois de ces deux mécanismes ; les malades ont une anomalie morphologique du côlon (dolicho et / ou mégacôlon) et un passé d’utilisation de lavements évacuateurs au piment remontant parfois à la naissance et cause possible de dyschésie rectale. STRATEGIE DIAGNOSTIQUE La constipation est très répandue et existe sur tous les continents, notamment en Afrique noire où la richesse de l’alimentation traditionnelle en fibres ne semble pas protéger totalement la population. Nous y reviendrons au chapitre de la physiopathologie. La constipation est peu chiffrée en Afrique, mais les études en milieux hospitaliers urbains relèvent sa grande fréquence. On connaît également sa place dans la médecine traditionnelle qui dispose d’un arsenal thérapeutique à base de décoctions et de lavements drastiques. Plus que la référence aux différentes définitions de la constipation, c’est l’interrogatoire du patient qui est essentiel pour reconnaître les vrais constipés qui se présentent cependant parfois comme des diarrhéiques (fausse diarrhée des constipés). L’interrogatoire précise un certain nombre de points : • L’ancienneté de la constipation en sachant que, plus une constipation est ancienne, plus elle pourrait être d’origine fonctionnelle. En revanche, les constipations aiguës, Service de Médecine et d’hépato-gastro entérologie CHU de Cocody 01 BP V 13 Abidjan Côte d’Ivoire. Médecine d'Afrique Noire : 1999, 46 (4) Pr B.M. CAMARA 245 souvent douloureuses, sont dues à une affection organique. • Les circonstances de survenue : . Intervention chirurgicale digestive ou non, . Changement de mode de vie (modification des habitudes alimentaires, voyages etc), . Prise de certains médicaments (tranquillisants, anticonvulsivants antispasmodiques etc), . Alitement, . Apparition simultanée avec une autre maladie. • L’existence de signes associés : . Douleurs, diarrhée, . Signes recto-sigmoïdiens, . Hémorragie, . Signes généraux. On distinguera au terme de cet interrogatoire : • les constipations bien tolérées, • les constipations mal tolérées. Caractères des constipations bien tolérées Exonérations rares, retardées, difficiles (car demandant un effort de défécation important), incomplètes parce que n’aboutissant pas à la vacuité du recto-sigmoïde. Au total, hormis la raréfaction de l’émission des selles, cette constipation est bien supportée, elle ne provoque aucune gêne, à la rigueur, une sensation de ballonnement abdominal. Caractères des constipations mal tolérées ou compliquées Elles sont traitées avec des laxatifs drastiques ou de grands lavements évacuateurs ; elles sont anciennes, accompagnées : soit de douleurs (qui précèdent les selles et parfois leurs succèdent), soit d’une fausse diarrhée qui est la conséquence d’une irritation de la paroi colique du fait de la stase stercorale dans le sigmoïde. Cette irritation aboutit à une sécrétion d’eau qui dilue la selle et lui confère ses caractères de fausse diarrhée à savoir : • selles enrobées de mucus, • selles hétérogènes avec des fragments durs et des parties molles. Cette diarrhée alterne le plus souvent avec une constipation. Médecine d'Afrique Noire : 1999, 46 (4) Elle est précédée de selles dures lors de son émission, donnant une impression de bouchon. L’analyse coprologique permet, dans tous les cas, de la différencier d’une vraie diarrhée dans laquelle la flore iodophile, l’amidon et la cellulose sont en quantité abondante. En cas de fausse diarrhée, il y a disparition de ces éléments. A la longue, ces constipations mal tolérées qui entrent le plus souvent dans le cadre du syndrome de côlon irritable s’accompagnent de troubles psychiques avec irritabilité, syndrome dépressif parfois retentissement sur l’état général. L’examen clinique Il est souvent pauvre et contraste avec les plaintes du malade. Mais ce temps ne doit cependant jamais être négligé. • La palpation de l’abdomen peut mettre en évidence une ”corde” colique gauche, • On pourra noter également une distension de l’abdomen avec météorisme du cadre colique, • Les touchers pelviens constituent une étape essentielle de l’examen clinique. Ils apprécient le tonus musculaire, recherchent une masse et la vacuité de l’ampoule rectale. Au terme de cette étape clinique, la grande majorité des constipations apparaissent comme bien tolérées et bénignes. Il ne faut pas oublier d’éliminer une cause tumorale, notamment lorsque la constipation est récente, ancienne mais récemment aggravée, surtout si le malade a plus de 40 ans ou a des antécédents familiaux de polypes, de cancer du côlon. Les examens complémentaires Le choix des examens (coloscopie, lavement baryté, mesure du temps de transit, manométrie ano-rectale) dépend des possibilités techniques dont on dispose. • La coloscopie constitue l’examen de première intention pour déceler une tumeur, effectuer des biopsies, • Le lavement baryté en double contraste est une alternative à la coloscopie même si elle doit être parfois complétée par celle-ci, notamment en cas de nécessité de prélèvements histologiques, • La manométrie ano-rectale est l’examen de choix pour LA CONSTIPATION explorer la constipation distale qui semble être le principal type des constipations africaines. Une fois éliminée une cause tumorale, il faut exclure d’autres maladies avant d’affirmer le caractère fonctionnel de la constipation. • Maladies endocriniennes : diabète hypothyroïdie, hyperparathyroïdie, • Maladies neurologiques : maladie de Parkinson, neuropathies périphériques, • Maladies iatrogènes : neuroleptiques, opiacés etc. Toutes les causes organiques étant éliminées, il faut instituer un traitement. QUEL TRAITEMENT DE LA CONSTIPATION ? Le traitement pour être rationnel doit se fonder sur le mécanisme de la constipation. Les règles hygiéno-diététiques sont toujours de mise. Aussi, faut-il s’assurer : • d’un apport hydrique suffisant, au moins deux litres d’eau par jour ; de préférence entre les repas, • d’un apport en fibres végétales surtout sous forme de légumes verts et de fruits, • de prendre les repas à heures régulières en mastiquant bien, • de pratiquer une activité physique régulière, • si possible, de se présenter à la selle après les principaux repas, notamment après le petit-déjeuner, afin d’optimiser les périodes de motricité digestive (réflexe gastrocolique) et rééduquer l’exonération. En cas de constipation atonique, il est nécessaire de diminuer les apports excessifs en fibres alimentaires. En cas de constipation spasmodique, il faut augmenter les apports en fibres alimentaires : 20 g de son brut par jour, soit 4 cuillères à soupe à atteindre progressivement, car des ballonnements et des fermentations excessives apparaissent fréquemment en début de traitement. Les fibres alimentaires peuvent être incorporées à un légume, un potage ou à un laitage. 246 Le traitement médicamenteux Le traitement médicamenteux repose sur la prescription de : • laxatifs de lest (mucilages), • émollients (huile de paraffine), • laxatifs osmotiques (disaccharides, hydratants). Les laxatifs mucilagineux ( N o r m a c o l ®, Spagulax ®, Transilane®, Mucipulgite ®, etc...), comme les fibres végétales non digestibles, forment un ballast qui retient l’eau dans la lumière intestinale. L’utilité de cet effet ballast résulte de la corrélation existant entre le volume du contenu colique et la fréquence des contractions propulsives. Ces laxatifs sont hélas difficiles à avaler et sont contreindiqués en cas d’atonie colique. Les laxatifs émollients, essentiellement les huiles de paraffine (Lubentyl ®, Lansoyl®, Laxamalt ®, etc...), sont des huiles non absorbables et non modifiables qui provoquent une action sur le transit par ramollissement et lubrification du bol fécal. Ces substances sont à prendre avec précaution en cas de troubles de la déglutition, fréquents chez les sujets âgés, qui leur feraient courir un risque de pneumopathie d’inhalation. En cas de reflux gastro-œsophagien, l’utilisation de laxatifs émollients sera déconseillée avant le coucher. Les laxatifs lubrifiants peuvent également majorer une incontinence fécale en cas de suintement anal. Enfin, leur prise au long cours peut être à l’origine d’un déficit en vitamines liposolubles A, D, E et K. Les laxatifs osmotiques sont de deux types : les plus anciens, à base de lactulose, et les plus récents, à base de macrogol. Les laxatifs osmotiques disaccharides (lactulose, lactitol) sont des sucres non absorbables qui exercent un eff e t osmotique grâce à leur concentration endoluminale. Parallèlement, la fermentation de ces sucres au niveau du côlon droit entraîne la formation d’acides gras volatiles venant renforcer le pouvoir osmotique, et stimuler la motricité colique. En revanche, cette fermentation colique est souvent la cause de ballonnements consécutifs à une production excessive de gaz. Les laxatifs osmotiques hydratants (macrogol) ne sont pas transformés dans la lumière digestive. Leur action s’exerce par une augmentation locale de la pression osmotique. Médecine d'Afrique Noire : 1999, 46 (4) Pr B.M. CAMARA 247 Grâce à sa capacité à fixer les molécules d’eau par liaisons hydrogènes, le macrogol retient l’eau ingérée dans le côlon pour hydrater les selles et contribuer à leur ramollissement et à l’augmentation de leur volume. Parallèlement, les laxatifs osmotiques hydratant n’induisent aucun appel d’eau dans la lumière colique. Les laxatifs à base de macrogol sont actuellement reconnus et recommandés en première intention pour leur efficacité et pour leur bonne tolérance clinique et biologique, notamment chez les sujets âgés ou fragilisés. Lorsque la symptomatologie évoque des difficultés d’évacuation, la prescription d’un laxatif osmotique demeure utile afin d’éviter l’arrivée dans le rectum de selles dures et donc difficiles à émettre. Toutefois, il convient de complé- ter le traitement par des médicaments à action locale, suppositoires ou micro-lavements, visant à faciliter l’exonération. Il existe une dernière classe de laxatifs : les laxatifs irritants (senne, bisacodyl, etc...). L’action des laxatifs irritants s’exerce par une augmentation de la sécrétion d’eau et d’électrolytes au niveau de la muqueuse digestive. Utilisés de façon systématique et prolongée, ils peuvent induire des désordres hydro-électrolytiques, l’apparition de lésions de la muqueuse colique ainsi qu’un risque d’accoutumance nécessitant une augmentation de la posologie. En raison de leurs effets secondaires, le recours aux laxatifs irritants devra être évité. BIBLIOGRAPHIE 1 - ATTIA Y., SOUBEYRAND J., GAUDET D., MANLAN K., MOTTE M., KOUAKOU N., CAMARA B.M., N’DRI N., et coll. Place de la pathologie colique en milieu africain. Médecine d’Afrique Noire. 1981, 28, 349-51. 2 - CAMARA B.M., MANLAN K, ATTIA Y. Aspects épidémiologiques des cancers du côlon chez le noir africain en Côte d’Ivoire. Afrique Médecine et Santé 1986 (7) 10-13. 3 - CAMARA B.M., YDRI N., LOMBARDO A., DIALLO M.A., MANLAN K., ATTIA Y. R. Eléments d’épidémiologie de la pathologie colique du noir africain en milieu hospitalier en Côte d’Ivoire. Méd. Chir. Dig. 1991, 20, 449-52. 4 - CHEVREL B. Elément d’Epidémiologie des maladies digestives : La constipation. Med.Chir. 1989, 18, spl 3, 1-5. 5 - DOSSIER DU MOIS : LA CONSTIPATION. in L’objectif Médical 1991 (85),10-25. 6 - DAPOIGNY M. Troubles fonctionnels intestinaux, diagnostic, traitement. Rev. Prat.1996, 46, 1265-1270. 7 - FREXINOS.J., STAUMONT G. Pour une utilisation rationnelle des laxatifs dans la constipation chronique. Méd. Chir Dig. 1990, 19, 513-17. Médecine d'Afrique Noire : 1999, 46 (4) 8 - GANDET D., ATTIA Y., CAMARA B.M. Traitement de la constipation par l’association trimébutine/son. Ann. Univ. Abidjan 1980, 14, 258. 9 - GANGET D., CAMARA B.M., N’DRI N., MANLAN K., MOTTE M, KOUAKOU N. et ATTIA Y. . La constipation chronique : approche de son étiopathogénie en milieu africain. Gastro-entérol clin Biol. 1981, 5 (1 bis) 214 A. 10 - LAURENT-PUIG P., BARBEROT V. Constipation. L’objectif Médical 1987 (41) 31-37. 11 - LUNAUD B., CUER J.C., LARPENT J.L. Traitement de la constipation. Intérêt et Résultats de l’Exploration Fonctionnelle. Méd. Chir. Dig. 1988, 17, 461-4. 12 - N’DAM N.E.C. La maladie de la honte : in Voyage sans transit. Beaufour (Paris) 1997 PP 128. 13 - QUINTON A. Les Constipations : in Sémiologie Digestive 1979 Ed. MARKETING 14 - SOUBEYRAND J., CONDAT J.M., NIAMKEY E. Constipation africaine. Nouv. Press. Méd. 1980, (30), 2083.