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Pour étudier les interactions microbiennes à l'intérieur du tractus
digestif,
il est
indispensable de disposer d'animaux gnotoxéniques, c'est-à-dire d'animaux hébergeant
uniquement des souches connues de bactéries intestinales. Ces animaux sont obtenus
en ensemençant, en général per os, des animaux totalement dépourvus de bactéries,
appelés animaux axéniques. Les animaux axéniques ou gnotoxéniques sont élevés dans
des enceintes complètement stériles appelées isolateurs. Ils se nourrissent d'aliments
stériles et respirent un air stérile. Ces enceintes ont été maintenant adaptées à de
nombreuses espèces animales et même au nouveau-né humain et à l'adulte lorsqu'ils
doivent être protégés rigoureusement contre l'environnement microbien. Des
techniques de césarienne stérile ou, le plus souvent maintenant, de décontamination
à la naissance du nouveau-né humain ou animal obtenu par voie basse, sont utilisées
pour placer des animaux ou des bébés en axénie (15). Les animaux de laboratoire,
rats et souris, sont les plus utilisés à l'état axénique. Mais, occasionnellement, d'autres
modèles peuvent s'avérer nécessaires pour étudier certaines interactions. Ainsi, le
poulet axénique représente un modèle précieux pour étudier les facteurs intervenant
dans les interactions microbiennes chez le nouveau-né. C'est en effet une des rares
espèces qui puisse être nourrie facilement dès la naissance. Cailles et poulets
gnotoxéniques permettent d'étudier l'influence de l'anatomie et de la physiologie des
oiseaux sur l'équilibre de leur flore dans les divers compartiments de leur tube
digestif.
Le lièvre axénique a été nécessaire pour mettre en évidence des effets de barrière dus à
une flore complexe à l'égard de Clostridium difficile, très pathogène chez cet animal (6).
Un autre outil a été développé dans notre laboratoire pour étudier les équilibres
des flores d'espèces sur lesquelles il est difficile d'expérimenter pour des raisons
éthiques comme l'homme, ou économiques et techniques comme le porc adulte. C'est
la souris axénique ensemencée per os avec la flore fécale du sujet à étudier. On
constate, au moins pendant les premières semaines qui suivent l'ensemencement, que
la flore qui s'établit chez la souris est très proche de celle du sujet donneur et très
différente de celle de la souris associée à sa flore habituelle. Par exemple, on a ainsi
pu établir que l'absorption d'antibiotiques par des souris à flore humaine entraînait
des effets mimant exactement ceux que l'on observe chez les sujets recevant le même
antibiotique. C'est donc un des rares cas où l'on peut expérimenter directement sur
la flore humaine par animal axénique interposé (1).
Les techniques d'élevage des animaux gnotoxéniques se sont considérablement
simplifiées depuis quelques années, mais ne sont évidemment pas disponibles dans
tous les laboratoires. Ceci explique pour une part la pauvreté de nos connaissances
actuelles sur les mécanismes d'interactions bactériennes, d'autant plus que les méthodes
permettant de dénombrer les bactéries du tube digestif et d'identifier leurs métabolites
sont, elles aussi, fort complexes. En effet, les bactéries qui jouent un rôle prédominant
sont pour la plupart anaérobies strictes. Toutes doivent croître en l'absence
d'air,
mais
certaines peuvent être manipulées en présence d'air et les techniques de dénombrement
quantitatif qui leur sont applicables sont relativement simples. D'autres, au contraire,
sont tuées par un contact, même bref (dix minutes dans certains cas), avec l'oxygène
de
l'air.
Il faut que l'échantillon soit placé le plus rapidement possible à l'intérieur
d'une chambre anaérobie pour y dénombrer ce type de bactéries. La chambre est
remplie d'un mélange de gaz réducteur (H2 : 10 %, CO2 : 5 %, N2 : 85 %) qui est en
permanence débarrassé des traces d'oxygène grâce à un catalyseur, l'oxyde de palladium.
Pour séparer les innombrables métabolites bactériens, il faut utiliser les méthodes
actuelles de Chromatographie et d'électophorèse ; pour les doser, il faut faire appel aux
méthodes enzymatiques ou immuno-enzymatiques. En
bref,
l'étude des interactions
requiert un laboratoire bien équipé dans un centre de recherche pluridisciplinaire.