Comment l`économie française se finance La finance permet à l

Comment l'économie française se finance
La finance permet à l'épargne des ménages de financer l'investissement des entreprises alors que l'Etat
est à l'équilibre en longue période. Cependant, la globalisation financière a bouleversé ce schéma: dans un
contexte mondial d'abondance de liquidités, l'endettement des ménages s'accélère, le déficit de l'Etat de-
vient chronique, les entreprises se concentrent sur la gestion de leur patrimoine et les financements croi-
sés entre pays se multiplient.
1 La France en déséquilibre?
Même si les financiers sont facilement diabolisés dans le monde actuel, leur rôle est essentiel. La question
du financement se pose lorsqu'un agent économique connaît un décalage entre ses dépenses et ses re-
cettes. Le recours à un financement extérieur permet de consommer ou d'investir sans avoir à attendre
d'avoir accumulé l'épargne nécessaire. C'est d'ailleurs souvent l'investissement lui-même qui fournit les
ressources permettant de rembourser les sommes empruntées. Mais le financement n'est pas seulement
un transfert de ressources dans le temps; c'est aussi un transfert de risque. Si le risque d'une opération se
concrétise, c'est en effet celui qui a avancé le capital qui perd de l'argent. La rémunération que reçoit
l'agent qui finance a donc une double justification: compenser l'immobilisation de son capital et compen-
ser le risque pris. Par conséquent, cette rémunération est d'autant plus élevée que le capital est immobili-
sé pour une longue durée et que l'opération réalisée est risquée.
Le besoin de financement est mesuré dans la comptabilité nationale par l'écart positif entre l'investisse-
ment et l'épargne. Cet écart peut être comblé en puisant dans le patrimoine ou en utilisant une source de
financement externe. Au niveau national, un besoin de financement peut aussi être analysé comme l'écart
entre les importations et les exportations de biens et de services. Le besoin de financement de la nation
est en effet égal au solde extérieur, corrigé de l'écart entre les revenus versés et reçus de l'étranger.
En France, un besoin de financement est récemment apparu, après plusieurs années d'excédent. Faut-il
s'en inquiéter? Ce besoin de financement représente environ 1,3% du produit intérieur brut (PIB) en
2006, ce qui contraste évidemment avec l'excédent allemand; mais il est inférieur aux déficits italien (2%),
anglais (3%) ou américain (6%). L'inquiétude peut venir du fait qu'il s'est creusé très rapidement : le
solde des transactions courantes est passé de + 29 milliards d'euros en 2001 à - 22 milliards en 2006.
D'autre part, ce déficit n'est pas justifié par un effort particulier d'investissement, qui permettrait d'envi-
sager plus tard un surcroît d'exportations rétablissant la situation. Enfin, le déficit n'est pas du tout finan-
cé par des entrées spontanées de capitaux étrangers à la recherche de placements attractifs, comme c'est
le cas aux Etats-Unis. Au contraire, les investissements directs à l'étranger ont dépassé les investissements
étrangers en France de 29 milliards d'euros en 2006 et les investissements de portefeuille de 33 milliards.
La France, en particulier les banques, emprunte donc de plus en plus à l'étranger: 280 milliards d'euros en
2006. Ces emprunts se font dans de bonnes conditions, car les taux d'intérêt sont assez bas et parce que la
signature de la France est bonne.
2 Les entreprises, plus que jamais au service des actionnaires
Les entreprises financent d'abord leurs investissements par leur épargne. Mais, généralement, celle-ci ne
suffit pas et les entreprises ont besoin de se financer à long terme auprès d'autres agents pour investir,
selon un cycle endettement -> investissement -> production -> profit -> remboursement. Le financement
de l'investissement par l'emprunt peut aussi viser à accroître la rentabilité des capitaux propres de l'en-
treprise par un effet de levier .
Capacités et besoins de financement
Depuis 2000, on observe une baisse continue du taux d'épargne des entreprises. Cette baisse est étrange,
dans la mesure où les profits restent à un niveau élevé. Le taux de marge est stable depuis la fin des an-
nées 80 à un niveau élevé, supérieur à 30% pour les sociétés non financières, et la rentabilité économique
se maintient également à un bon niveau. En fait, comme le montre le graphique, la chute du taux d'épargne
vient principalement de l'augmentation considérable des revenus distribués par les entreprises, essentiel-
lement les dividendes; si bien que, pour la première fois, les revenus distribués par les entreprises en
2006 dépassent leur épargne!
Finance directe et indirecte : une fausse opposition ?
Le financement d'un agent par un autre peut se faire directement, par achat de titres sur un marché finan-
cier, ou indirectement, par l'intermédiaire des banques. Celles-ci ne se contentent pas de faire se rencon-
trer offre et demande de crédit: elles transforment des placements à court terme en crédits à long terme,
ce qui favorise l'activité des entreprises.
Depuis le début des années 90, la part des financements passant par les banques et autres institutions
financières a sensiblement baissé, quel que soit l'instrument de mesure utilisé. Est-ce à dire que les
banques sont supplantées par les marchés financiers ? Certainement pas, pour au moins deux raisons: le
taux d'intermédiation bancaire semble aujourd'hui se stabiliser à un niveau qui demeure élevé: selon les
indicateurs, les intermédiaires financiers apportent encore entre 40 % et 60 % des financements en
France. D'autre part, les intermédiaires financiers jouent un rôle très important sur les marchés finan-
ciers, achetant et vendant des titres pour le compte de leurs clients, ce qui leur donne un nouveau rôle en
tant qu'intermédiaires.
La différence entre finance directe et intermédiée n'est d'ailleurs pas toujours évidente. Ainsi, une banque
chargée de placer sur les marchés une émission obligataire pour le compte d'une grande entreprise peut
fort bien souscrire elle-même une partie de l'émission, surtout si elle éprouve des difficultés à la placer.
Ces distributions ont doublé depuis 1997 et leur part dans la valeur ajoutée a triplé depuis 1986. Récem-
ment, les grandes entreprises ont également pris l'habitude d'utiliser leur épargne pour racheter leurs
propres actions, ce qui réduit le nombre d'actions et en accroît la rémunération. Ces distributions de béné-
fices illustrent le pouvoir croissant des actionnaires, mais aussi la nécessité pour les entreprises françaises
de rémunérer leurs actionnaires aussi bien que les entreprises étrangères, ce qui est difficile compte tenu
de la faible croissance de l'économie française.
En résumé, les entreprises voient leur besoin de financement s'accroître bien que leurs bénéfices progres-
sent, car elles distribuent ces derniers et financent leurs investissements par l'emprunt. Comment ce be-
soin de financement est-il financé? Les émissions de titres reculent : les émissions d'actions sont en baisse
depuis le plus haut de 2000, de même que les émissions de titres de créance négociables. Les émissions
nettes d'obligations sont négatives depuis trois ans (les remboursements dépassent les émissions). Cette
baisse d'ensemble est compensée par l'endettement bancaire, favorisé par des taux d'intérêt réels (une
fois l'inflation prise en compte) relativement bas. Il faudrait néanmoins relativiser selon les secteurs: là où
la concurrence internationale est sévère, les prix de vente ont tendance à baisser. Dès lors, un taux nomi-
nal de 4% correspond à un taux réel très élevé. Par ailleurs, cette évolution accentue l'insuffisance tradi-
tionnelle des fonds propres des entreprises françaises.
Situation des sociétés non financières, en %
3 Ménages et état au risque de l'endettement
La diminution de la capacité de financement des ménages observée ces dernières années s'explique prin-
cipalement par la diminution de leur taux d'épargne, de 20,3% en 2002 à 17,7% en 2006. La croissance
des revenus a ralenti ces dernières années, le revenu médian (la moitié de la population gagne plus, l'autre
moitié gagne moins) baissant même en 2003 et 2004. Comme toujours dans un tel cas, les ménages pui-
sent dans leur épargne pour maintenir le rythme de progression de leur consommation. La capacité des
ménages à financer les autres agents diminue donc.
Cette diminution est également liée à l'évolution de l'immobilier. La hausse des prix immobiliers agit sur
l'épargne des ménages de deux façons contraires. Le patrimoine des ménages a doublé en sept ans, essen-
tiellement du fait de l'élévation de la valeur des logements et des terrains qu'ils détiennent. L'enrichisse-
ment des ménages propriétaires ou accédants fait qu'ils se sentent moins tenus de mettre de l'argent de
côté, ce qui contribue à la baisse du taux d'épargne. La hausse des prix immobiliers a également pour effet
d'accroître les efforts des ménages pour accéder à la propriété: certes, elle interdit l'accès des ménages les
plus démunis à la propriété, mais elle renforce l'incitation des autres à acheter, à la fois pour profiter de la
hausse et pour se prémunir contre la hausse des loyers. De ce fait, l'épargne financière (c'est-à-dire hors
immobilier) des ménages est en baisse sensible depuis 2002.
Par ailleurs, les achats immobiliers accroissent l'endettement des ménages, avec des prêts contractés sur
des durées de plus en plus longues. Après une hausse de dix points en trois ans, la dette des ménages dé-
passe aujourd'hui les deux tiers de leur revenu disponible, ce qui est un plus haut historique, même s'il
demeure très inférieur à ce qui est actuellement observé dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni ou
l'Allemagne.
Les ménages semblent donc vulnérables à un retournement toujours possible des prix immobiliers; il
entraînerait une chute de la valeur de leur patrimoine et les pousserait à épargner davantage, donc à res-
treindre leur consommation. A plus long terme, le vieillissement de la population pourrait influer sur le
taux d'épargne des ménages. Mais les relations entre âge et épargne sont beaucoup plus complexes qu'on
a pu le penser à une certaine époque. En particulier, les comportements des retraités évoluent d'une géné-
ration à l'autre et ne sont pas constants. Il y a vingt ans, les simulations reposant sur l'évolution de
l'épargne au cours du cycle de vie concluaient que l'épargne américaine allait remonter jusqu'en 2005, ce
qui permettrait aux Etats-Unis et à l'ensemble des pays développés de financer les pays en développement
; en réalité, c'est le contraire qui est observé aujourd'hui.
De son côté, l'Etat est généralement en déficit en France. Il faut remonter à 1980 pour trouver une année
équilibrée. En théorie, les administrations publiques ont une action contracyclique: elles sont en déficit
lorsque la croissance est faible et en excédent dans la situation inverse, l'Etat jouant un rôle d'amortisse-
ment des fluctuations conjoncturelles. Mais les difficultés persistantes de l'économie française ont rendu
le déficit permanent. L'ampleur de la dette publique accentue ce phénomène, puisque le remboursement
des sommes empruntées et le paiement des intérêts constituent aujourd'hui la principale explication du
déficit. Le paiement des intérêts approchent, à lui seul, les 50 milliards d'euros par an. Le rétablissement
du solde budgétaire est donc devenu une préoccupation, car le déficit a régulièrement dépassé la limite
des 3% du PIB fixée par le traité d'Amsterdam.
L'Etat finance son déficit en émettant des titres, des bons du Trésor et, surtout, des obligations assimi-
lables du Trésor (à échéance très lointaine, puisqu'elle peut aller jusqu'à cinquante ans). Actuellement, ces
émissions représentent 60 à 70 milliards d'euros par an pour l'ensemble des administrations publiques;
elles sont principalement souscrites par les sociétés d'assurances et les institutions financières. En fait, les
titres de la dette publique constituent la base des portefeuilles construits dans le cadre des placements
collectifs tels que les assurances vie ou les Sicav, au point qu'une faible dette publique est considérée
comme un handicap pour le développement des marchés financiers de certains pays. Les titres de la dette
publique sont également souscrits par l'étranger pour un encours global d'environ 600 milliards d'euros,
ce qui représente la moitié de la dette publique. Cela ne signifie pas forcément que c'est l'étranger qui
finance la dette, mais plutôt que les investisseurs de chaque pays diversifient leur portefeuille en achetant
des titres publics un peu partout dans le monde (les résidents français détiennent ainsi des titres de dette
publique de nombreux pays étrangers pour des montants comparables).
Le financement de l'économie est donc bouleversé: les agents pratiquent une gestion active de leur patri-
moine, les financements croisés entre la France et le reste du monde se multiplient, et le développement
de la finance entraîne l'abondance des liquidités. Reste à savoir si c'est le lissage des fluctuations ou les
risques de crises financières qui sont ainsi favorisés.
Arnaud Parienty Alternatives économiques octobre 2007
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