3 Ménages et état au risque de l'endettement
La diminution de la capacité de financement des ménages observée ces dernières années s'explique prin-
cipalement par la diminution de leur taux d'épargne, de 20,3% en 2002 à 17,7% en 2006. La croissance
des revenus a ralenti ces dernières années, le revenu médian (la moitié de la population gagne plus, l'autre
moitié gagne moins) baissant même en 2003 et 2004. Comme toujours dans un tel cas, les ménages pui-
sent dans leur épargne pour maintenir le rythme de progression de leur consommation. La capacité des
ménages à financer les autres agents diminue donc.
Cette diminution est également liée à l'évolution de l'immobilier. La hausse des prix immobiliers agit sur
l'épargne des ménages de deux façons contraires. Le patrimoine des ménages a doublé en sept ans, essen-
tiellement du fait de l'élévation de la valeur des logements et des terrains qu'ils détiennent. L'enrichisse-
ment des ménages propriétaires ou accédants fait qu'ils se sentent moins tenus de mettre de l'argent de
côté, ce qui contribue à la baisse du taux d'épargne. La hausse des prix immobiliers a également pour effet
d'accroître les efforts des ménages pour accéder à la propriété: certes, elle interdit l'accès des ménages les
plus démunis à la propriété, mais elle renforce l'incitation des autres à acheter, à la fois pour profiter de la
hausse et pour se prémunir contre la hausse des loyers. De ce fait, l'épargne financière (c'est-à-dire hors
immobilier) des ménages est en baisse sensible depuis 2002.
Par ailleurs, les achats immobiliers accroissent l'endettement des ménages, avec des prêts contractés sur
des durées de plus en plus longues. Après une hausse de dix points en trois ans, la dette des ménages dé-
passe aujourd'hui les deux tiers de leur revenu disponible, ce qui est un plus haut historique, même s'il
demeure très inférieur à ce qui est actuellement observé dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni ou
l'Allemagne.
Les ménages semblent donc vulnérables à un retournement toujours possible des prix immobiliers; il
entraînerait une chute de la valeur de leur patrimoine et les pousserait à épargner davantage, donc à res-
treindre leur consommation. A plus long terme, le vieillissement de la population pourrait influer sur le
taux d'épargne des ménages. Mais les relations entre âge et épargne sont beaucoup plus complexes qu'on
a pu le penser à une certaine époque. En particulier, les comportements des retraités évoluent d'une géné-
ration à l'autre et ne sont pas constants. Il y a vingt ans, les simulations reposant sur l'évolution de
l'épargne au cours du cycle de vie concluaient que l'épargne américaine allait remonter jusqu'en 2005, ce
qui permettrait aux Etats-Unis et à l'ensemble des pays développés de financer les pays en développement
; en réalité, c'est le contraire qui est observé aujourd'hui.
De son côté, l'Etat est généralement en déficit en France. Il faut remonter à 1980 pour trouver une année
équilibrée. En théorie, les administrations publiques ont une action contracyclique: elles sont en déficit
lorsque la croissance est faible et en excédent dans la situation inverse, l'Etat jouant un rôle d'amortisse-
ment des fluctuations conjoncturelles. Mais les difficultés persistantes de l'économie française ont rendu
le déficit permanent. L'ampleur de la dette publique accentue ce phénomène, puisque le remboursement
des sommes empruntées et le paiement des intérêts constituent aujourd'hui la principale explication du
déficit. Le paiement des intérêts approchent, à lui seul, les 50 milliards d'euros par an. Le rétablissement
du solde budgétaire est donc devenu une préoccupation, car le déficit a régulièrement dépassé la limite
des 3% du PIB fixée par le traité d'Amsterdam.
L'Etat finance son déficit en émettant des titres, des bons du Trésor et, surtout, des obligations assimi-
lables du Trésor (à échéance très lointaine, puisqu'elle peut aller jusqu'à cinquante ans). Actuellement, ces
émissions représentent 60 à 70 milliards d'euros par an pour l'ensemble des administrations publiques;
elles sont principalement souscrites par les sociétés d'assurances et les institutions financières. En fait, les
titres de la dette publique constituent la base des portefeuilles construits dans le cadre des placements
collectifs tels que les assurances vie ou les Sicav, au point qu'une faible dette publique est considérée
comme un handicap pour le développement des marchés financiers de certains pays. Les titres de la dette
publique sont également souscrits par l'étranger pour un encours global d'environ 600 milliards d'euros,
ce qui représente la moitié de la dette publique. Cela ne signifie pas forcément que c'est l'étranger qui
finance la dette, mais plutôt que les investisseurs de chaque pays diversifient leur portefeuille en achetant
des titres publics un peu partout dans le monde (les résidents français détiennent ainsi des titres de dette
publique de nombreux pays étrangers pour des montants comparables).
Le financement de l'économie est donc bouleversé: les agents pratiquent une gestion active de leur patri-
moine, les financements croisés entre la France et le reste du monde se multiplient, et le développement
de la finance entraîne l'abondance des liquidités. Reste à savoir si c'est le lissage des fluctuations ou les
risques de crises financières qui sont ainsi favorisés.
Arnaud Parienty – Alternatives économiques – octobre 2007