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MASTER « ETUDES EUROPEENNES »
HISTOIRE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE
Cours du Professeur Etienne Criqui
INTRODUCTION
L’idée européenne est très ancienne et donc de très loin antérieure à la
Seconde Guerre Mondiale.
Mais l'Europe politique, et l'Europe du droit, trouve certainement son
origine dans le choc de la Deuxième Guerre.
Contrairement à la guerre de 1914 qui reste, au départ en tout cas, un
affrontement classique entre états, le conflit qui éclate en 1939 oppose
clairement le droit et la démocratie d'un côté à la barbarie de l'autre.
Dès ce moment certains esprits lucides engagés dans la Résistance posent
les premiers jalons d’une Europe à réconcilier et à reconstruire, Europe qui
pourrait devenir fédérale. Je pense en particulier à Jean Monnet et Altiero
Spinelli.
À partir de 1948 le processus s'accélère :
- création à Paris de l’OECE en avril 1948 ;
- Congrès de La Haye en mai 1948, présidé par Churchill qui lance ce cri
célèbre : « plus jamais cela ».
Nous sommes ici aux prémices de l'Union Européenne. À ce congrès sera
créé le Mouvement Européen, mais aussi en 1949 le Conseil de l'Europe.
Certes il ne s'agit alors que d'une instance principalement consultative sans
véritable pouvoir contraignant, mais le processus de l'Europe du droit reste en
marche.
Comme le déclarait le bâtonnier Pettiti, ancien juge à la Cour européenne
des droits de l'homme, lors d'une conférence au Centre Européen Universitaire
de Nancy le 9 novembre 1998 (quelques jours avant sa mort) :
« Pour que les horreurs et le génocide de la deuxième guerre ne puissent
plus se reproduire, il fallait une construction européenne, une citadelle
européenne, qui reposerait sur la démocratie et qui serait le garde-fou contre les
risques de répétition du totalitarisme. Si l'on voulait asseoir les démocraties (…)
Il fallait qu'elles aient pour base une philosophie. Cette philosophie devait être
celle des droits de l'homme, des droits fondamentaux… »
Naturellement le contexte politique n’est alors plus seulement celui de
l’après-guerre, c’est aussi celui de la « Guerre Froide ». C’est en avril 1949,
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presque en même temps, qu’est signé à Washington le Traité de l’Atlantique
Nord, censé protéger les démocraties européennes de la menace soviétique.
Le cadre de la coopération en Europe est alors bien dessiné : il concerne la
démocratie européenne à l’ouest du « Rideau de fer ».
Il faudra encore presque une décennie pour arriver, depuis le projet
« Monnet-Schuman » de mai 1950, à la signature du Traité de Rome en 1957,
avec des succès (comme la création de la CECA) et des échecs, comme celui de
la Communauté européenne de défense (CED) rejetée en France par la Chambre
des Députés le 10 août 1954.
Cinquante ans après un autre projet ambitieux, celui de la « Constitution
Européenne a également été rejeté, notamment par le peuple français.
L’histoire de la construction européenne n’est pas linéaire et les crises ont
été nombreuses et parfois douloureuses.
Malgré tout, me semble-t-il, la volonté des peuples de l’Europe de
promouvoir le chemin tracé par les pères fondateurs demeure. En témoigne la
signature du Traité de Lisbonne.
C’est le chemin de la paix, de la solidarité entre les peuples, gage d’un
développement économique harmonieux, mais aussi la protection des droits de
l’homme.
I - AUX ORIGINES DE L’IDEE EUROPEENNE
« L'Europe est un continent, un ensemble de peuples et de nations. C'est
aussi le foyer de civilisation d'où est sorti le monde moderne. C'est enfin une
idée politique, une tentative sans précédent, un grand dessein d'une audace et
d’une difficulté inouïes : unir pacifiquement des peuples longtemps ennemis
dont le passé est plus riche de conflits que de coopération. »
(Robert Toulemon, « La construction européenne », Le Livre de Poche,
p.10).
Ce grand dessein va se mettre en oeuvre progressivement au lendemain de
la seconde guerre mondiale. Néanmoins l'idée européenne est beaucoup plus
ancienne.
Peut-être d'ailleurs ceux qu'on appellera les « Pères Fondateurs » de
l'Europe avaient-ils la nostalgie du premier empire européen, l'Empire romain. À
son apogée (IIe siècle après Jésus-Christ), l'Empire romain fédère une multitude
de peuples tout autour de la Méditerranée, mais aussi à l'Ouest d'une diagonale
partant de l'Écosse pour rejoindre les Balkans en suivant les rives du Rhin et du
Danube. Ces peuples, qui ont été admis à la citoyenneté, forment une première
communauté et sont unis par les mêmes lois (le droit romain), l'usage des
mêmes langues (latin et grec) et la défense contre un ennemi commun : le
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barbare de l'Est et du Nord. Cette communauté est d'ailleurs non seulement une
communauté politique, mais aussi une communauté économique dans laquelle
les échanges sont nombreux, favorisés par un réseau de villes et de voies de
communication.
Vous voyez que nous ne sommes pas loin de l'Union Européenne actuelle.
La nostalgie de l'Empire (mis à mal par les invasions) a perduré pendant
tout le Moyen Âge et a failli prendre corps à nouveau avec Charlemagne (dans
une configuration très proche de celle de l'Europe des six). Mais à sa mort, dans
une logique féodale de partage de l'héritage, le traité de Verdun, en 843, ouvre la
voie à la fragmentation de l'Europe.
Néanmoins jusqu'à la Renaissance et à l'apparition des États-nations
européens (favorisée par le schisme religieux et l'invention de l'imprimerie)
l'Europe vit encore en partie sur l'héritage romain (par la langue latine, la
culture, le droit romain…).
Ensuite il faut plutôt parler de l'Europe des conflits, des conflits de nations,
l'histoire de l'Europe étant marquée par une multitude de guerres et par les
aspirations nationales qui au XIXe siècle mettront à mal les empires (Prusse,
Russie, Autriche-Hongrie) et verront la réalisation de l'unité italienne et de
l'unité allemande.
Cela n'empêche pas quelques grands esprits de plaider en faveur d'une paix
durable assurée par une forme d'union des Etats et des peuples : le juriste
hollandais Grotius ; le roi tchèque Georges de Podébrady et son conseiller
français Antoine Marini qui rédigent en 1464 un projet d’union des puissances
chrétiennes d’Occident, sorte d’ONU avant la lettre qui instaure le principe
d’égalité entre les Etats ; cette initiative trouve un prolongement en France un
siècle et demi plus tard avec le projet d’union des puissances d’Europe défendu
par le roi Henri IV et son conseiller Sully ; certains philosophes des Lumières
(au XVIIIe siècle, qui répand la langue française dans toute l'Europe) ; le Comte
de Saint-Simon en 1814, qui annonce l'avènement d'une communauté
européenne, impulsée par une alliance entre la France et l'Angleterre, avec un
Parlement bicaméral qui prélèverait l'impôt et un Roi « chef scientifique et
politique ». Le républicain italien Mazzini rêve d'une fédération des peuples
libres. Proudhon, socialiste utopique français, évoque aussi une fédération
européenne d'États devenus eux-mêmes fédéraux.
Mais le plus prophétique est sans doute Victor Hugo.
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Le 21 août 1849, il préside à Paris le Congrès de la Paix et propose l'Union
de l'Europe fondée sur le suffrage universel. Il réclamera même la constitution
des « États-Unis d'Europe » :
« Un jour viendra vous France, vous Russie, vous Italie, vous
Allemagne, vous Angleterre, vous toutes les nations du continent, sans perdre
vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez dans
une unité supérieure et vous constituerez la fraternité européenne…
Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes,
par le suffrage universel des peuples, par le véritable arbitrage d'un Sénat
souverain qui sera à l'Europe ce que le Parlement est à l'Angleterre, ce que la
Diète est à l'Allemagne, ce que l'Assemblée Législative est à la France. »
Malheureusement le jeu des alliances allait très vite opposer deux groupes
de puissances : d'une part les Empires centraux réconciliés et d'autre part la
France, l'Angleterre et la Russie.
La mécanique infernale était lancée et l'attentat contre l'archiduc d'Autriche
à Sarajevo allait précipiter l'Europe dans la catastrophe de 14 -18 et ce dans une
étonnante ambiance de chauvinisme populaire.
La guerre 14- 18 fera au moins 10 millions de morts et verra l'effondrement
de l'Empire austro-hongrois, de la Russie tsariste et de la monarchie allemande.
Mais les vainqueurs eux-mêmes, aidés par l'armée américaine, sortiront
exsangues du conflit.
L'Europe cesse d'être le centre du monde (sauf peut-être pour les
révolutionnaires bolcheviques qui fondent leur espoir dans la révolution russe,
mais qui coupera durablement la Russie de l'Europe).
Néanmoins l'idée européenne renait après la Guerre dans les années 20,
portée par l'idéal de paix. La SDN aurait pu incarner cette idée, mais elle sera
très vite paralysée, alors même que le Congrès américain a refusé la
participation des États-Unis. Le comte Coudenhove-Kalergi aristocrate
autrichien fonde en 1923 l'Union Paneuropéenne dont le premier congrès réunit
à Vienne, en 1926, 2000 participants venus de 24 pays. C'est dans ce cadre
qu'Aristide Briand, Président du Conseil en France, Prix Nobel de la Paix en
1926 mais aussi président d'honneur de l'Union Paneuropéenne, propose, en
1929, devant la SDN un « lien fédéral » entre les nations européennes et publie
en 1930 un « mémorandum sur l’organisation d’un régime d’Union fédérale
européenne » élaboré par le Secrétaire Général du Quai d’Orsay, Alexis Léger
(plus connu sous son nom de plume : Saint John Perse, prix Nobel de
littérature).
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Mais l’accession au pouvoir d’Hitler, en janvier 1933, sonne le glas des
espoirs d’Union Européenne et annonce une nouvelle catastrophe qui se
produira 6 ans plus tard.
Comme je l’ai dit dans l’introduction, la Seconde Guerre mondiale oppose
clairement le droit et la démocratie à la tyrannie et à la barbarie.
Avant même la Libération certains européens pleinement engagés dans la
Résistance conçoivent la nécessité d’une réconciliation des peuples et d’une
fédération des nations en vue de la reconstruction (Manifeste fédéraliste
d’Altiero Spinelli et Ernesto Rossi ; ébauche à Alger de ce qui sera la CECA par
Jean Monnet, ancien secrétaire général adjoint de la SDN…).
II - L’EUROPE DES « PERES FONDATEURS » (1945-1957)
Si beaucoup d’auteurs et d’historiens datent du 9 mai 1950, avec le « Plan
Schuman », les débuts du processus d’intégration européenne, il ne faut pas
oublier la période de l’immédiat après-Guerre, riche d’un foisonnement
d’initiatives dont le point d’orgue reste la création du Conseil de l’Europe en
1949.
A) L’après Guerre et la création du Conseil de l’Europe :
Pour comprendre ce foisonnement d’initiatives au lendemain de la Guerre,
il faut prendre en compte le contexte. Pour simplifier disons que trois éléments
sont déterminants.
1) La coupure Est-Ouest et la menace soviétique :
C’est Winston Churchill, ancien Premier Ministre britannique, qui, le
premier, pointera du doigt la menace que constitue à ses yeux l’URSS en
évoquant le « rideau de fer » qui s’était abattu sur l’Europe.
C’est dans cet esprit que dès 1946 il appelle de ses vœux la création des
« Etats-Unis d’Europe », pour faire bloc contre la nouvelle puissance
hégémonique.
La menace soviétique (souvenons-nous du blocus de Berlin en 1948-1949)
fut pour beaucoup dans la rapidité avec laquelle s’organisa la solidarité
européenne et atlantique au lendemain de la Guerre, je vais y revenir.
Mais un peu plus tard, en avril 1949, est signé à Washington le « Pacte
Atlantique » qui donnera naissance à l’OTAN, avec son commandement
militaire intégré (sous la direction du Général Eisenhower en 1951). L’Alliance
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