60 Courrier de l'environnement de l'INRA n°43, mai 2001
indispensable pour concevoir un plan de conservation. Doit-on ajouter que les inventaires et les
données biologiques ne doivent pas concerner uniquement les espèces animales ou végétales les plus
populaires, ou intéressant un plus grand nombre de systématiciens ?
On constate, en France, que les programmes basés sur des espèces telles que le chamois, le bouquetin,
les aigles ou le grand tétras sont souvent privilégiés par les gestionnaires. Pour expliquer ces choix, il
ne faut pas oublier que la conservation de la nature intéresse certes des scientifiques mais aussi des
militants et que ces deux populations se recoupent en partie. Pour des militants, il est sans doute
important de disposer d'adversaires bien définis et le fait de défendre des espèces emblématiques, qui
ont souvent le statut de gibier, n'est pas sans importance. Il est certain que la défense des collemboles
apporte moins de plaisirs polémiques que celle du chamois. Il ne faudrait pas pourtant que la défense
légitime de ce dernier nous détourne d'autres problèmes au moins aussi importants, sinon plus.
Il faut donc reconnaître que, souvent, l'aspect médiatique, voire politique, l'emporte sur l'aspect
scientifique et que les conditions d'une conservation à long terme ne sont peut-être pas toujours
remplies. C'est aussi la voie ouverte vers le parc de vision clos qui a peu de choses à voir avec la
conservation de la nature. Conscients de cet inconvénient notable mais aussi de l'intérêt promotionnel
des espèces emblématiques, certains ont alors commencé à parler d'espèces-parapluie dont la
protection garantirait celle de leurs écosystèmes en entier.
On peut ainsi citer le saumon atlantique dont on assure que la protection est certainement bénéfique
non seulement au milieu, mais aussi à la quasi-totalité des espèces qui s'y rencontrent. La chose est
vraisemblable en ce qui concerne les frayères mais plus contestable le long des trajets de migration
pour lesquels les exigences du saumon atlantique sont réduites. En général, d'ailleurs, il est
déconseillé d'utiliser des espèces migratrices dans ce rôle bien qu'à mon avis leurs zones de
reproduction puissent être prises en compte. On constate aussi qu'en faisant ce choix, on se dispense
d'étudier les divers éléments de l'écosystème, ce qui ne peut pas être considéré comme une bonne
option, malgré la valeur propre de l'idée.
Souvent aussi, on se base pour évaluer la valeur écologique d'un milieu sur la présence d'espèces
répertoriées sur des listes nationales, européennes ou internationales d'animaux ou de végétaux
protégés, rares ou menacés. Sans nier l'importance de ces listes qui permettent de prendre des mesures
administratives de protection, en particulier des arrêtés de biotope, il faut reconnaître que leur valeur
scientifique n'est pas toujours évidente. En particulier, bien des taxons n'y figurent pas ou sont très
mal représentés. En la matière, on ne peut comparer la pression exercée par les ornithologues ou les
spécialistes des orchidées avec celle des mycologues ou des microbiologistes.
Une autre pression aboutit à la désignation d'espèces dites confidentielles parce qu'on craint que les
indications concernant leur présence ne soient utilisées par différents pillards. Cette précaution
présente sans doute plus d'inconvénients que d'avantages. De plus, on peut faire remarquer que la
disparition d'une espèce rare, certes très regrettable, n'affecte qu'elle-même alors que les espèces dites
« clé de voûte » peuvent, par leur présence ou leur absence, influencer l'ensemble de l'écosystème.
Assez curieusement, en France du moins, il semble que celles-ci ne soient pas prises en compte en tant
qu'espèces dont la conservation est essentielle. Il est vrai que, depuis la définition donnée par Paine,
en 1969, de nombreuses discussions ont eu lieu au sujet de ce concept. Il faut admettre que la notion
d'espèces jouant à elles seules un rôle déterminant doit être examinée avec quelques précautions.
Par exemple, souvent, dans un écosystème donné les espèces clé de voûte sont redondantes et
nombreuses. C'est plus une guilde qu'une espèce que nous devons considérer. C'est pourquoi Brown
et Heske, en 1990, ont parlé de guilde clé de voûte au sujet du rôle des rongeurs en milieu désertique.
D'autre part, la même espèce peut jouer un rôle important dans un écosystème et insignifiant dans un
autre.