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Muller (1995) a précisé les contours et la définition du référentiel : en tant que structure de
sens, il articule quatre niveaux de perception du monde : des valeurs, des normes, des
algorithmes et des images. Les valeurs sont « les représentations les plus fondamentales sur
ce qui est bien ou mal », désirable ou à rejeter. Les normes établissent l’écart entre le réel et le
désirable et définissent les principes d’action. Les algorithmes sont « des relations causales
qui expriment une théorie de l’action » (par exemple : « si le coût du travail ne diminue pas,
les entreprises perdront de leur compétitivité »). Enfin, les images véhiculent implicitement
des valeurs, « elles font sens immédiatement, sans passer par un long détour discursif »
(Muller, 1995 : 158-159). Cette déclinaison du référentiel en valeurs, normes, algorithmes et
images ne s’oppose pas à sa présentation en trois dimensions, mais la précise. Nous veillerons
par la suite à utiliser ces éléments comme grille de lecture.
Un dernier élément essentiel de la perspective théorique du référentiel à prendre en compte est
la distinction entre le référentiel global et le référentiel sectoriel. Le référentiel global est la
représentation qu’une société fait de son rapport au monde à un moment donné, il s’agit d’une
représentation générale autour de laquelle vont s’ordonner et se hiérarchiser les
représentations sectorielles (discipline, champ, profession) qui forment les référentiels
sectoriels. Ainsi, si un référentiel global de marché, inspiré de principes néolibéraux, anime
nos sociétés occidentales depuis le début des années 1980, les différents secteurs de politiques
publiques vont être structurés par des référentiels plus spécifiques (référentiel d’incitation
dans le domaine des politiques de l’emploi, par exemple). La dynamique entre ces deux
composantes (sociétale et sectorielle) du référentiel est appelée rapport global-sectoriel.
Ce cadrage théorique nous permet d’introduire quelques questions auxquelles nous tentons
d’apporter des éléments de réponse dans les sections suivantes : Dans quelle mesure la crise
de 2008-2009 a-t-elle affecté le référentiel global ou le référentiel sectoriel des politiques de
l’emploi ? À partir de quels indicateurs la crise est-elle perçue et commentée ? Les
représentations autour des diagnostics et solutions se sont-elles transformées ? Quels
équilibres peuvent s’établir entre des visions du monde (ou des politiques de l’emploi)
contradictoires à certains égards ?
2. Indicateurs et mesures de la crise
Les discours politiques font référence depuis 2008 au « contexte de crise », et même de crise
la plus importante depuis la seconde guerre mondiale. Nous questionnerons l’usage de cette
notion de crise dans la section suivante. Les économistes utilisent habituellement la notion de
récession économique qui est en général définie par un recul du PIB au cours de deux
trimestres successifs
. Les économies européennes (zone euro) ont connu globalement une
croissance négative (évolution du PIB à un an d’écart) entre le quatrième trimestre 2008 et la
D’autres définitions font référence au temps qui sépare un pic et un creux du PIB trimestriel, ou les écarts par
rapport au PIB potentiel. Il n’est finalement pas si facile de définir ce terme. L’OCDE précise en note de bas de
page dans ses Perspective de l’Emploi 2010 que « Même si la formulation est un peu imprécise, on parlera dans
ce chapitre de ‘récession de 2008-09’, considérant que c’est un raccourci pratique pour désigner le
ralentissement de l’activité économique lié à la crise financière mondiale qui s’est intensifié au moment de la
faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers en septembre 2008. Les turbulences sur les marchés
financiers ont entraîné un vif recul de la production et des échanges au niveau mondial dans les derniers mois
de 2008 et au début de 2009, mais le déclin s’est vite atténué et une reprise économique s’est enclenchée, dans
la plupart des pays de l’OCDE, au second semestre de 2009. Même si la plupart des pays de l’OCDE ont connu
une récession en 2008-09, on peut estimer que le ralentissement de l’activité, dans quelques pays, n’a pas été
suffisamment marqué ni suffisamment long pour qu’il soit justifié de parler de récession, alors que, dans
d’autres, la récession avait commencé dès la fin de 2007 ou se poursuivait jusqu’en 2010 » (OCDE, 2010 : 96).