Congrès AFS 2011 RT 6 : « Protection sociale, politique sociale et

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Congrès AFS 2011 RT 6 : « Protection sociale, politique sociale et solidarités :
Innovation et expérimentation. Acteurs, territoires et dispositifs »
Grenoble, 5-8 juillet 2011
Changements des représentations et innovations dans le domaine des politiques de
l’emploi : l’influence du contexte de crise en Wallonie
Bernard Conter, Valérie Vander Stricht
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Introduction
La crise financière et économique des années 2008-2009 a été soudaine et a affecté avec une
ampleur rarement égae l’économie et l’emploi de la plupart des pays européens. Les
réponses des politiques de l’emploi à la crise dans les différents pays européens sont
relativement ambigües. Elles s’inscrivent globalement dans la continuité des réformes
antérieures (en particulier dans le mouvement d’activation) et, dans le même temps, des
mesures adoptées en faveur du soutien au revenu et de la protection de l’emploi « conduisent
également à réintroduire des débats qui semblaient oubliés (sur le partage du travail, le
salaire minimum) » (Erhel, 2010 : 3).
Nous nous intéresserons dans cette communication aux effets de la crise sur les discours et les
politiques en Région wallonne.
Le choix de ce niveau d’analyse peu habituel des approches cognitives des politiques
publiques se justifie d’un double point de vue. D’une part, les régions de Belgique disposent
de compétences autonomes (non subordonnées à l’État fédéral) importantes en matière
d’économie et d’emploi. D’autre part, les institutions, traditions et rapports de force en
Wallonie présentent certaines caractéristiques qui contribuent au maintien de certains traits
d’un référentiel de type social démocrate (ampleur de l’emploi public, importance des
transferts sociaux, rôle des services publics) et à leur coexistence avec des caractéristiques
plus libérales (compétitivité, activation) des objectifs des politiques de l’emploi (Conter,
2009).
S’intéresser au référentiel sectoriel des politiques de l’emploi demande d’investiguer de
nombreux forums et arènes pour deux raisons : d’une part, certaines politiques en application
en Wallonie relèvent de la concertation sociale ou de politiques du gouvernement fédéral
(droit du travail, sécurité sociale) ; d’autre part, les arènes fédérales sont investies pour partie
par les acteurs wallons.
Dans un premier temps, nous mettrons en évidence la manière dont la crise a affecté l’emploi
en Wallonie, en soulignant en particulier le le de mesures de préservation de l’emploi, puis
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Bernard Conter, politologue, et Valérie Vander Stricht, économiste, sont attachés scientifiques à l’Institut
wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS).
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nous analyserons les réponses politiques à la crise, en nous intéressant tant aux discours
qu’aux réalisations. Enfin, nous discuterons du caractère innovant des mesures adoptées et des
éventuelles inflexions subies par le référentiel dominant.
1. Repères théoriques
Classiquement, une politique publique est considérée à partir des éléments qui la rendent à la
fois opérationnelle et visible : un problème auquel il faut pondre, un budget, une
administration, un ensemble formel de règles.
Or, comme l’ont montré de nombreux travaux en sciences politiques notamment, une
politique publique est autant « une image sociale, c'est-à-dire une représentation du système
sur lequel on veut intervenir » (Jobert, Muller, 1987 : 47) qu’un ensemble de règles, de
moyens organisationnels et humains. Plus précisément, « chaque politique est porteuse à la
fois d’une idée du problème (le problème agricole, le problème de l’exclusion,…), d’une
représentation du groupe social ou du secteur concerné qu’elle contribue à faire exister (les
exclus, …) et d’une théorie du changement social » (Muller, 1995 : 159).
La notion de référentiel permet d’appréhender cette dimension cognitive des politiques
publiques. Par référentiel, on entend les images cognitives autour desquelles les acteurs
organisent leur perception d’un problème, confrontent leurs solutions et définissent leurs
propositions d’action. Muller (2006 : 63) en propose les éléments de définition suivants : « le
référentiel d’une politique est constitué d’un ensemble de prescriptions qui donnent sens à un
programme politique en définissant des critères de choix et des modes de définition des
objectifs. Il s’agit à la fois d’un processus cognitif qui permet de comprendre le réel en
limitant sa complexité et d’un processus prescriptif permettant d’agir sur le réel ».
Les référentiels sont élaborés au sein de forums et d’arènes des acteurs confrontent leurs
idées ou négocient les politiques publiques. Les forums sont des lieux de discussion alors que
les arènes sont des lieux de négociation.
Le référentiel ne doit toutefois pas être envisagé comme un discours formalisé et cohérent,
d’une part, et consensuel, d’autre part. Il s’agit du périmètre des possibles au sein duquel des
débats peuvent avoir lieu (on débattra moins, par exemple, de la nécessité d’accompagner les
chômeurs que des catégories de ciblage, des délais de convocation, des modalités
d’accompagnement ou de sanction). En outre, les représentations se construisent par
« stratification », intégrant les compromis passés et représentations plus récentes, parfois
contradictoires à certains égards. On peut ainsi considérer qu’un référentiel se compose d’un
noyau dur formé des convictions partagées et de stratégies, qui peuvent être davantage
sujettes à débat.
Enfin, l’insistance sur la dimension cognitive des politiques ne réduit pas les approches
cognitives à des « approches par les idées » ; elles invitent, au contraire à prendre en compte
les intérêts (qui s’expriment à travers des idées) et les institutions.
En tant qu’ensemble de valeurs, de normes et de techniques qui structurent les politiques
publiques, les référentiels comprennent trois dimensions (Jobert, 1995) : une dimension
cognitive (éléments d’interprétation causale de problèmes à résoudre), une dimension
normative (valeurs à prendre en compte dans la résolution des problèmes) et une dimension
instrumentale (principes d’action prenant en compte les valeurs pour la résolution des
problèmes).
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Muller (1995) a précisé les contours et la finition du référentiel : en tant que structure de
sens, il articule quatre niveaux de perception du monde : des valeurs, des normes, des
algorithmes et des images. Les valeurs sont « les représentations les plus fondamentales sur
ce qui est bien ou mal », désirable ou à rejeter. Les normes établissent l’écart entre le réel et le
désirable et définissent les principes d’action. Les algorithmes sont « des relations causales
qui expriment une théorie de l’action » (par exemple : « si le coût du travail ne diminue pas,
les entreprises perdront de leur compétitivité »). Enfin, les images véhiculent implicitement
des valeurs, « elles font sens immédiatement, sans passer par un long détour discursif »
(Muller, 1995 : 158-159). Cette déclinaison du référentiel en valeurs, normes, algorithmes et
images ne s’oppose pas à sa présentation en trois dimensions, mais la précise. Nous veillerons
par la suite à utiliser ces éléments comme grille de lecture.
Un dernier élément essentiel de la perspective théorique du référentiel à prendre en compte est
la distinction entre le référentiel global et le référentiel sectoriel. Le référentiel global est la
représentation qu’une société fait de son rapport au monde à un moment donné, il s’agit d’une
représentation générale autour de laquelle vont s’ordonner et se hiérarchiser les
représentations sectorielles (discipline, champ, profession) qui forment les référentiels
sectoriels. Ainsi, si un référentiel global de marché, inspide principes néolibéraux, anime
nos sociétés occidentales depuis le début des années 1980, les différents secteurs de politiques
publiques vont être structurés par des férentiels plus spécifiques (référentiel d’incitation
dans le domaine des politiques de l’emploi, par exemple). La dynamique entre ces deux
composantes (sociétale et sectorielle) du référentiel est appelée rapport global-sectoriel.
Ce cadrage théorique nous permet d’introduire quelques questions auxquelles nous tentons
d’apporter des éléments de réponse dans les sections suivantes : Dans quelle mesure la crise
de 2008-2009 a-t-elle affecté le référentiel global ou le référentiel sectoriel des politiques de
l’emploi ? À partir de quels indicateurs la crise est-elle perçue et commentée ? Les
représentations autour des diagnostics et solutions se sont-elles transformées ? Quels
équilibres peuvent s’établir entre des visions du monde (ou des politiques de l’emploi)
contradictoires à certains égards ?
2. Indicateurs et mesures de la crise
Les discours politiques font référence depuis 2008 au « contexte de crise », et même de crise
la plus importante depuis la seconde guerre mondiale. Nous questionnerons l’usage de cette
notion de crise dans la section suivante. Les économistes utilisent habituellement la notion de
récession économique qui est en général définie par un recul du PIB au cours de deux
trimestres successifs
2
. Les économies européennes (zone euro) ont connu globalement une
croissance négative (évolution du PIB à un an d’écart) entre le quatrième trimestre 2008 et la
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D’autres finitions font férence au temps qui sépare un pic et un creux du PIB trimestriel, ou les écarts par
rapport au PIB potentiel. Il n’est finalement pas si facile de définir ce terme. L’OCDE précise en note de bas de
page dans ses Perspective de l’Emploi 2010 que « me si la formulation est un peu imprécise, on parlera dans
ce chapitre de ‘récession de 2008-09’, considérant que c’est un raccourci pratique pour désigner le
ralentissement de l’activité économique lié à la crise financière mondiale qui s’est intensifié au moment de la
faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers en septembre 2008. Les turbulences sur les marchés
financiers ont entraîné un vif recul de la production et des échanges au niveau mondial dans les derniers mois
de 2008 et au début de 2009, mais le déclin s’est vite atténet une reprise économique s’est enclenchée, dans
la plupart des pays de l’OCDE, au second semestre de 2009. Même si la plupart des pays de l’OCDE ont connu
une récession en 2008-09, on peut estimer que le ralentissement de l’activité, dans quelques pays, n’a pas été
suffisamment marqué ni suffisamment long pour qu’il soit justifié de parler de récession, alors que, dans
d’autres, la récession avait commencé dès la fin de 2007 ou se poursuivait jusqu’en 2010 » (OCDE, 2010 : 96).
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fin de l’année 2009, soit cinq trimestres consécutifs. Le PIB mondial a quant à lui connu une
décroissance, ce qui n’avait jamais été observé.
Tableau : Évolution du PIB à un an d’écart
2008
tI
2008
tII
2008
tIII
2008
tIV
2009
tI
2009
tII
2009
tIII
2009
tIV
2010
tI
2010
tIII
2010
tIV
Z. euro
2,1
1,5
0,5
-1,8
-5,0
-4,9
-4,0
-2,0
0,8
2,0
2,0
Belgique
1,6
1,9
1,1
-1,3
-3,7
-4,1
-2,7
-0,1
1,7
2,0
2,0
Wallonie
2,1
2,8
1,7
-1,0
-3,7
-4,4
-3,0
-0,4
1,5
1,8
1,8
Sources : IWEPS et Eurostat
Dans ce contexte international, la Belgique a été relativement moins affectée par la crise. Le
recul de son PIB a été de moindre ampleur et, dès la fin de la crise, sa croissance a été plus
soutenue. Mais surtout, les effets de cette crise sur l’emploi et le chômage ont été relativement
limités en Belgique et en particulier en Wallonie
3
.
Les dernières données d’emploi issues de la comptabilité régionale confirment en effet
l’impact relativement faible de la récession économique sur le marché du travail wallon. En
2009, l’emploi intérieur wallon aurait ainsi reculé de 3.200 unités (soit -0,3%). Ce sont surtout
l’« Industrie manufacturière » (-5.730 emplois) et l’ « Immobilier, location et services aux
entreprises » (-2.493 emplois) qui ont été touchés. En revanche, les secteurs dit abrités, tels
que l’« Administration publique » (+ 705), l’ « Éducation » (+ 2.032) et surtout la « Santé et
action sociale » (+ 5.015), ont continué à créer des emplois.
Ces informations sont publiées en moyenne annuelle. On peut aussi mesurer l’évolution de
l’emploi au cours de l’année 2009 (entre le 1er janvier et le 31 décembre). Selon nos
estimations, on assisterait alors à un recul de l’emploi d’un peu plus de 9.000 unités entre le
début et la fin de l’année 2009. Il est à noter que le recul de l’emploi en Wallonie a été plus
faible que pour l’ensemble du pays (-0,4% en moyenne annuelle) alors que le PIB wallon a
connu une décroissance (-2,9%) gèrement plus importante que le PIB belge (-2,7%),
aggravant ainsi le différentiel de productivité par tête.
3
La structure de l’économie wallonne se caractérise, davantage que le reste du pays, par un poids éledes
secteurs publics et non marchands. Cette particularité rend la région moins vulnérable aux chocs conjoncturels.
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Graphique Évolution du nombre de travailleurs et du nombre d’équivalent temps-
plein recensés par l’Office national de sécurité sociale (ONSS)
Indice 2008.II = 100, données dessaisonnalisées
96,0
97,0
98,0
99,0
100,0
101,0
102,0
2008.II
2008.III
2008.IV
2009.I
2009.II
2009.III
2009.IV
2010.I
2010.II
2010.III
2010.IV
Travailleurs Wallonie
Travailleurs Belgique
ETP Wallonie
ETP Belgique
Source : ONSS brochure verte Calculs : IWEPS.
La Belgique a maintenu un niveau d’emploi relativement stable grâce à l’usage ou au
renforcement de mesures de « protection des insiders », telles que le chômage temporaire ou
diverses formes de réduction totale ou partielle du temps de travail (crédit temps). Comme le
montre le graphique ci-dessus, la baisse du nombre d’emplois a été, au cours des périodes de
crise, bien inférieure à celle du volume de travail (mesuré en équivalent temps plein).
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