Interrogation surprise ! Introduction à la philosophie des émotions En raison du manque de salle, l’examen de philosophie de l’esprit est organisé aujourd’hui. VEUILLEZ SORTIR UNE FEUILLE SVP ! Qu’est-ce qu’une émotion ? Normalement, cette mauvaise blague a dû susciter certaines émotions en vous : Surprise Etonnement Stupéfaction Colère Soulagement Essayons de décrire les changements qui ont eu lieu en vous pendant cet épisode émotionnel : des pensées ou “états cognitifs” : la croyance selon laquelle l’examen a lieu maintenant, la croyance selon laquelle c’est parfaitement anormal, le désir de ne faire cet examen, l’incrédulité ... des changements physiologiques ou corporels : hausse du rythme cardiaque, transpiration, ... Certaines expressions faciles Des sentiments conscients, typiques de l’incrédulité, de la stupéfaction et de la colère, puis du soulagement Une modulation de l’attention, accompagnée de modifications corporelles (regard plus fixe et dirigé vers le texte projeté) Un début d’action, ou la planification consciente ou non de certaines actions Quelques théories La théorie des émotions comme sentiments corporels (ou somatiques) La théorie béhavioriste La théorie cognitive Les théories hybrides ou mixtes Complexité des émotions Un épisode émotionnel se révèle donc très complexe Il se compose de pensées (croyances, jugements — en particulier, de valeur — désirs ...), de modifications corporelles, de sentiments conscients, de comportements, et d’une modulation de certaines activités cognitives (attention) Problème philosophique : qu’est-ce qui définit l’essence de l’émotion, dans cette pluralité ? La théorie des sentiments corporels Sources : William James, “What is an emotion”, Mind, 1884 Carl Lange, Les émotions, 1885. Selon le sens commun, une émotion cause des modifications des états corporels Selon James et Lange, le sens commun se trompe sur ce point précis, mais a raison de mettre au premier plan le lien entre les émotions et les modifications physiologiques Thèse : les émotions sont des perceptions d’états corporels La modification corporelle précède l’expérience consciente de l’émotion, et ne la suit pas. “Notre façon habituelle d’envisager les émotions courantes consiste à suggérer que la perception d’un fait excite une affection mentale que l’on appelle l’émotion, et que c’est cet état d’esprit qui donne lieu à une expression corporelle. Ma thèse, au contraire, est que les changements corporels suivent directement la perception du fait à la source de l’excitation, et que notre perception (feeling) de ces changements lorsqu’ils ont lieu est l’émotion” (James, p. 190) Un argument phénoménologique changement corporel Perception de ce changement = Objet Perception de l’objet Emotion Argument par soustraction : “If we fancy some strong emotion, and then try to abstract from our consciousness of it all the feelings of its characteristic bodily symptoms, we find we have nothing left behind (...) and that a cold and neutral state of intellectual perception is all that remains” (James, op. cit., p. 193) Version contemporaine : Damasio Référence : A. Damasio, L’erreur de Descartes ; Le sentiment même de soi ; Odile Jacob L’idée fondamentale est identique à celle de James, mais Damasio la généralise : une émotion peut consister en une perception d’une modification de certains milieux internes au corps Par ailleurs, une réponse émotionnelle peut selon Damasio avoir lieu sans modification physiologique La théorie béhavioriste Emotion = disposition à se comporter d’une certaine façon Ryle, 1949 (Le concept d’esprit), B. F. Skinner Skinner : “Un homme ‘en colère’ manifestera une probabilité accrue de frapper, d’insulter, et en général d’infliger des blessures, et une probabilité affaiblie d’aider, de faire preuve de gentillesse, de réconforter, de câliner (to make love)” (Science and human behavior, p. 163) La théorie cognitive Selon la théorie cognitive pure, les émotions peuvent être réduites à des états cognitifs ou à des pensées. Les psychologues parlent souvent d’évaluations (appraisals) On peut faire remonter cette doctrine à la philosophie stoïcienne, en particulier à la philosophie de Chrysippe telle que la rapporte Diogène Laërce dans ses Vies et opinions des philosophes “Ils croient que les passions sont des jugements, comme le dit Chrysippe au traité “Des Passions” : l’avarice est en effet cette opinion que l’argent est une belle chose ; il en est ainsi de l’ivresse, de l’incontinence et des autres passions” (Les stoïciens, Pléiade, p. 51). Martha Nussbaum (Upheavals of Thought: The Intelligence of Emotions) : éprouver de la colère vis-à-vis de X, c’est juger que X m’a causé du tort. Difficultés : Enfants et animaux ; cf la peur des serpents La peur de l’avion : se réduit-elle à la croyance que prendre l’avion est dangereux, et au désir d’éviter le danger!? Les approches hybrides Aristote : une émotion consiste en un sentiment (un affect) accompagné d’un désir d’action (donc d’un état cognitif) ; dans la rhétorique, Aristote précise que les émotions affectent le jugement --> mixte entre théorie du sentiment et théorie cognitive Descartes : Traité des passions de l’âme Et ... qu’est ce qu’un état cognitif ? La théorie de Descartes Une émotion est une perception du corps en tant qu’il se prépare à agir Mais les émotions comportent également des éléments cognitifs Ex : “lorsqu’une chose nous est représentée comme bonne à notre égard (...) cela nous fait avoir pour elle de l’amour ; et lorsqu’elle est représentée comme mauvaise ou nuisible, cela nous excite à la haine” (TP, Alquié t3 p. 1000) Conclusion Problème de l’essence des émotions : cellesci semblent impliquer des sentiments, des modifications corporelles, des comportements, des jugements, des états cognitifs, ... et des mixtures de tous ces ingrédients Mais qu’est-ce qui constituent l’essence des émotions et qui les distinguent des autres états mentaux ?