Communication interculturelle 5
La face des Chinois et
la communication interculturelle
跨文化交际第五讲
中国人的面子与跨文化交际
1. Introduction
Si quelqu’un subit une atteinte grave contre son honneur ou son
prestige, on dit en français qu’il « perd la face ». Pourtant, peu de gens
savent que cette expression française, tout comme son équivalent en
anglais « lose face » est un emprunt au chinois
1
. La notion de « face »
découle en effet directement de la civilisation chinoise. Elle
correspond à une forme de contrainte ancrée dans la culture et
constitue la charpente de la conduite des Chinois dans leurs relations
interpersonnelles ordinaires. Mais qu’est-ce, au fond, que la « face »
chinoise ? Malgré sa portée extraordinaire, il est difficile d’en donner
une définition précise. Ainsi que le fait remarquer LIN, chercheur
chinois : « Le sens de la ‘face’ n’est ni à traduire ni à définir. La face
semble relever d’une idée de prestige, ce qui n’est pas tout à fait
exact ; elle ne s’achète pas mais confère une réelle splendeur aux
1
cf. « Le Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française »,
tome 2, p.794.
2
individus ; elle est abstraite mais elle constitue quelque chose que les
hommes se disputent et pour lequel des femmes meurent ; elle est
invisible mais elle existe et s’étale devant le public » (1990 : 183-184).
Le caractère insaisissable et mystérieux de la face ne saurait nous faire
reculer devant une possible explication. Notre hypothèse, c’est que la
face, norme culturelle et sociale fondamentale d’une société, tend à se
refléter à la fois dans les comportements humains et les pratiques
linguistiques.
2. La face des Chinois
En chinois, deux mots différents distinguent au sens propre la
partie du corps qu’est le visage, et au sens figuré, la notion de face :
(mian) et (lian). Selon une étude de H.C. HU, du point de vue
étymologique, « mian » est plus ancien que « lian ». Il paraît que
« mian » a acquis le sens figuré de face dès le IVe siècle av. J.C.
« Lian » est un mot plus récent dont la première attestation remonte,
dans le Dictionnaire Kang Xi, à la dynastie des YUAN (1277-1367)
(HU, 1944 : 45-46). Dans les langues chinoises contemporaines, pour
désigner le « visage », les Chinois du Sud utilisent plutôt « mian »,
alors que ceux du Nord, plutôt « lian » qui, de plus, est conforme à
l’écrit moderne, celui-ci étant basé sur les langues du nord. Les deux
mots peuvent s’employer au sens figuré pour parler de la notion de
« face », mais se différencient de façon imperceptible : « lian » se
réfère plutôt au respect qu’un groupe accorde à un de ses membres
riche d’une bonne réputation morale, c’est-à-dire la qualité qu’un
individu doit posséder pour être inséré dans la société et qui fait partie
intégrante de sa personnalité ; « mian », souvent utilisé avec le suffixe
« zi » (面子 : mian zi) se réfère plutôt au prestige social reconnu par
une société et qui se manifeste sous forme d’un succès social lié à
l’effort et à l’intelligence et constituant l’environnement lumineux de
l’homme ; « mian zi », de plus, se réfère au sentiment personnel issu
d’une relation sociale. De ce fait, il semble possible de distinguer trois
aspects de la face générale : face en tant que « réputation morale »,
face en tant que « prestige social », et face en tant que « sentiment
personnel ». Nous allons examiner ces trois aspects de la face chinoise
tels qu’ils se manifestent dans les proverbes et dictons chinois.
2.1. La première face : la réputation morale
3
1) Ren ren you lian, shu shu you pi (人人有脸, 树树有皮) : chaque
personne a une face, comme chaque arbre a une écorce.
Dans la langue chinoise, on trouve toute une série de proverbes
qui prennent l’écorce de l’arbre pour objet de comparaison de la face
de l’homme :
Ren yao lian, shu yao pi (人要脸, 树要皮) : l’homme veut la
face, comme l’arbre veut l’écorce.
Ren huo lian, shu huo pi (活脸, 树活皮) : l’homme doit avoir
une face pour pouvoir vivre, comme l’arbre doit avoir une écorce.
A la lumière de ces expressions, on s’aperçoit que la face est
considérée comme devant être naturelle chez l’homme et nécessaire à
son existence sociale. Cette face est étroitement liée au concept de
nomming fen : 名份)dans la culture chinoise. Chacun porte un
nom (dans le sens de titre social comme père, mari, professeur, etc.) et
chaque nom entraîne certaines obligations sociales. Ce nom, comme le
disent deux chercheurs chinois, est comme une peau qui recouvre tout
homme à tout moment et dans toute situation, qui lui appartient et le
suit comme son ombre. Elle devient alors l’essence même de sa face
(LIU et LIN, 1987 : 346). La face est donc le symbole du nom que la
société attribue et reconnaît à un individu. Elle constitue la dignité
qu’il peut et doit avoir, dignité liée à son nom, sans laquelle la vie en
société devient impossible. Cette face peut se développer ou se réduire
en fonction du statut social des interactants.
2) Ning jiao shen gu ku, bu jiao lian pi re (宁叫身骨苦,不叫脸皮
) : on préfère faire souffrir son corps qu’avoir chaud à la face.
Avoir chaud à la face, c’est sentir qu’on perd la face. La paresse
étant objet de mépris, on préfère peiner pour éviter de perdre la face.
En teochiu, on dit souvent « bo liang su xi » : si l’on n’a pas de face,
on préfère mourir.
3) Diu lian (丢脸) : perdre la face.
La société, en même temps qu’elle octroie un nom à un individu,
lui fixe des responsabilités et conçoit des attentes de sa part. Celui qui
n’agit pas en fonction des attentes sociales et qui viole les conventions
s’attire des commentaires ou des critiques et perd la face, ce qui
constitue une grave atteinte à sa personnalité et à sa dignité. En effet,
le synonyme de « diu lian » est « diu ren » (丢人) qui signifie : perdre
la qualité d’homme.
Selon les faces (les noms) de ses membres, la société engendre
des attentes différentes. Un même acte peut faire perdre la face à l’un
4
sans la faire perdre à l’autre. Par exemple, quand un cocher s’assoit au
bord de la route et enlève sa veste pour chercher ses puces, ce n’est
pas grave. Si cela est effectué par une personne de haut statut social,
elle perdra la face (LU, 1981 : 126). En général, plus le statut de
quelqu’un est élevé, plus sa dignité est en jeu, plus fragile est sa face
et plus il lui faudra de vigilance pour ne pas la perdre.
Dans l’interaction, chacun a le droit de protéger sa propre face et
les autres ont le devoir de respecter l’image que l’autre veut donner de
lui. Mais la face chinoise est aussi celle dont parle GOFFMAN : ce
n’est qu’un prêt que la société consent à une personne : si elle ne s’en
montre pas digne, ce prêt lui sera retiré (GOFFMAN, 1974 : 13). On
peut donc perdre même le droit à sa face et les autres se débarrassent
en même temps de leurs devoirs à l’égard de cette face.
La perte de face est liée à la situation et/ou aux circonstances
spatiales. Si l’on commet une action coupable sans être vu ou dans un
endroit l’on n’est pas connu, on a moins le sentiment de perdre la
face.
En résumé, d’un côté, la face est le bien le plus précieux de
l’individu et son refuge le plus confortable ; de l’autre côté, la face
étant une contrainte sociale et psychologique, elle est comme une
geôle pour lui.
Respecter la face des autres est une vertu prioritaire pour les
Chinois. Ceux qui font perdre la face aux autres perdent eux-mêmes la
leur. Un proverbe dit : « Da ren xiu da lian, ma ren xiu jie duan » (
人休打脸,骂人休揭短) : quand vous frappez quelqu’un, il ne faut
pas toucher son visage ; quand vous insultez quelqu’un, il ne faut pas
toucher son point sensible. C’est-à-dire qu’il ne faut pas porter atteinte
à sa face ni la lui faire perdre.
« Perdre la face » peut être causé par un acte volontaire : vol,
crime, fraude, adultère, etc., mais aussi par un événement qui échappe
à la volonté : une jeune fille violée perd aussi la face.
Si l’on a perdu la face, on n’est plus digne de vivre dans une
communauté. Ce qu’on a de mieux à faire, c’est de changer de lieu de
travail ou de domicile, d’aller l’on n’est pas connu, pas plus que
n’est connue « l’affaire de perte de face » (diu lian zhi shi : 丢脸之事).
4) Mei lian jian ren ( ) : ne pas avoir de face pour se
présenter devant quelqu’un.
Ce « quelqu’un » est souvent le groupe d’appartenance ou bien
quelqu’un d’un rang supérieur. Une fois la face perdue, il est naturel
qu’on n’ait plus la face cessaire pour pouvoir se présenter devant
5
ses amis, sa famille, son directeur, etc. C’est donc plutôt la sanction
psychologique de la face qui fonctionne. Parfois, cette sanction
intérieure agit de façon plus intense que la sanction extérieure. Une
jeune fille déshonorée sent qu’elle n’a plus de face devant les autres. A
l’extrême, cela peut la pousser au suicide. Dans les disputes, une des
armes couramment usitées est d’imposer à son adversaire cette sorte
de sanction psychologique : « Tu as encore la face de te montrer aux
autres, toi ? » (Ni hai you lian jian ren ma, ni ? 你还有脸见人吗,
?). Un père peut dire à son fils qui a commis des fautes hors de la
maison : « Comment, tu as encore la face de venir me voir ? » (Zen me,
ni hai you lian lai jian wo ? 怎么, 你还有脸来见我 ?).
5) Bu yao lian (不要脸) : ne pas vouloir la face.
Si « diu lian » (丢脸 : perdre la face) peut être le résultat de
l’ignorance, de la négligence ou encore d’un manque d’expérience,
« ne pas vouloir la face » provient tout à fait de la volonté de
l’individu. Celui qui ne veut pas la face n’a pas peur de la perdre. Il
est prêt à affronter l’opinion publique. Sur lui, la sanction sociale de la
face perd tout son effet. Comme dit le proverbe : « A qui ne veut pas la
face, la loi ne peut rien faire » (Ren bu yao lian, wang fa nan zhi. 人不
要脸, 王法难治). Cette personne est considérée comme dangereuse
pour la société, car elle ne respecte plus les règles du jeu social et les
autres ne peuvent plus prévoir ses actes.
« Ne pas vouloir la face » est donc beaucoup plus grave que
« perdre la face ». C’est souvent une véritable injure pour l’autre. Si
cette personne va encore plus loin, elle « n’aura ni peau ni face » (mei
pi mei lian : 没皮没脸). C’est la pire des condamnations : elle a perdu
jusqu’au sentiment de face et n’a donc plus conscience des
conventions sociales.
6) Lian pi hou (脸皮厚) : avoir une peau épaisse sur la face.
L’expression a un peu la même signification que « ne pas vouloir
la face » (bu yao lian), mais sa gravité est moindre : la personne a une
face et veut la face. Seulement, cette face est recouverte d’une peau
épaisse que l’opinion des autres a du mal à pénétrer. Dans le cas
contraire, c’est « lian pi bao » (脸皮薄) : avoir une peau mince sur la
face, c’est-à-dire que le sujet en question est particulièrement sensible
à sa réputation.
La société préfère « les peaux minces » aux « peaux épaisses »,
car sur ces dernières, le contrôle social perd de son efficacité. Pourtant,
1 / 15 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !