Plus vite, plus haut, plus fort… Les astrocytes surprennent par leur capacité à libérer le glutamate de manière très rapide et très finement régulée suite à une stimulation. Dr Paola Bezzi et deux doctorants de son groupe, Julie Marchaland et Corrado Calì, du Département de biologie cellulaire et de morphologie (DBCM) de l’Université de Lausanne, ont découvert que la libération du glutamate par les astrocytes possédait des propriétés jusque-là insoupçonnées. Cette étude est publiée dans « Journal of Neuroscience », une revue scientifique internationale de très haut niveau. Durant ces 15 dernières années, le rôle relativement passif des astrocytes dans le fonctionnement cérébral a été infirmé et il est devenu de plus en plus évident que ces cellules étaient à même d’échanger avec les cellules avoisinantes (en particulier les neurones) une large gamme de signaux régulateurs. Cette nouvelle vision du rôle des astrocytes repose sur deux observations faites au début des années 1990 : 1. les astrocytes sont capables de répondre à une stimulation environnementale (comme l’activité synaptique) par une augmentation de la concentration intracellulaire de calcium 2. cette augmentation de calcium conduit à une libération de transmetteurs chimiques (ou gliotransmetteurs) comme le glutamate. Cette reconnaissance simultanée du fait que les astrocytes pouvaient réagir à l’activité synaptique et libérer en retour des agents neuro-actifs a conduit à une avancée conceptuelle majeure concernant la fonction astrocytaire. Il restait néanmoins énormément de travail à fournir pour comprendre la contribution exacte de cette signalisation astrocytaire dans les processus cérébraux. Un des obstacles majeurs à cette compréhension est l’absence, à ce jour, d’une description complète et détaillée des propriétés cellulaires basiques des astrocytes. Comprendre le fonctionnement de la sécrétion astrocytaire est un élément clef de notre compréhension du fonctionnement cérébral. De la dynamique de cette sécrétion et de la finesse de sa régulation dépendra la place que l’on accordera à ces cellules dans l’intégration des informations cérébrales. Si cette sécrétion est lente et stéréotypée, les astrocytes resteront de simples gardiens du temple, garants de l’homéostasie cérébrale et impliqués dans les grandes pathologies cérébrales (Alzheimer, Parkinson) ; si, au contraire, cette sécrétion est suffisamment rapide et régulée pour devenir informative, il faudra également les intégrer aux fonctions cérébrales les plus avancées (transmission de l’information, mémoire, etc). Les études qui montrent que les astrocytes sécrètent différents types de gliotransmetteurs par exocytose contrôlée sont de plus en plus nombreuses mais elles sont loin de former un tableau complet et cohérent des propriétés sécrétrices des astrocytes. Des informations critiques concernant les caractéristiques spatio-temporelles de l’exocytose, de l’endocytose et du recyclage des organelles et concernant également le mécanisme de couplage entre le stimulus et la sécrétion font cruellement défaut. L’incompréhension de ces mécanismes est encore accrue par l’hétérogénéité grandissante des voies de sécrétion des astrocytes. Différents types d’organelles : les « synaptic like microvesicles » ou SLMVs (vésicules de petite taille similaires aux vésicules synaptiques), les granules, les lysosomes et même des organelles extra-larges ont été proposés comme pouvant libérer des gliotransmetteurs par exocytose. Les études précédentes n’avaient pas ou peu pris en compte une telle hétérogénéité. Il en résulte donc que leur description de la sécrétion astrocytaire n’est pas complètement exacte et intègre les contributions de plusieurs populations d’organelles. Néanmoins, parmi les organelles pouvant sécréter des gliotransmetteurs, les SLMVs glutamatergiques sont les plus étudiées, les mieux caractérisées et les meilleures candidates concernant la libération régulée de glutamate. Elles ont été identifiées à la fois dans les tissus de cerveaux adultes et en cultures primaires et étudiées tant au niveau ultrastructurel que fonctionnel. Très similaires aux vésicules synaptiques en aspect, elles expriment également les protéines nécessaires au stockage du glutamate et à la fusion. Une stratégie à la pointe de la technologie : imagerie dynamique et nouveaux outils moléculaires. Afin de définir les caractéristiques de l’exocytose et de l’endocytose de ces vésicules, le groupe Bezzi a transposé et adapté aux astrocytes une stratégie récemment développée pour l’étude dynamique des vésicules synaptiques glutamatergiques au niveau des synapses. En collaboration avec le Professeur Robert Edwards de l’Université de San Francisco, le groupe Bezzi a pu faire exprimer dans les astrocytes en culture une protéine fusion entre le transporteur du glutamate (VGLUT1) et une protéine fluorescente la pHluorin. Cette dernière est sensible au pH et permet de cette façon de suivre les différentes étapes de l’exocytose, de l’endocytose et du recyclage. Par ailleurs, fusionnée au VGLUT1, elle permet de suivre exclusivement un type d’organelle bien défini. Cet outil moléculaire associé à des techniques d’imagerie dynamique (microscopie à fluorescence et microscopie à onde évanescente) a permis de caractériser les dynamiques de ces différents processus à l’échelle de la cellule mais également à l’échelle de la vésicule elle-même. Cette étude montre que les astrocytes sont capables de libérer le glutamate de façon bien plus rapide que n'aurait pu le laisser supposer les études précédentes. D’autre part, l’observation dynamique des événements calciques sous-membranaire associé à cette sécrétion, observation rendue possible par la microscopie à onde évanescente, a permis de mettre en lumière un couplage stimulus-sécrétion ayant des propriétés jusqu’alors insoupçonnées. Perspectives Ces découvertes confirment qu’il faudra, à l’avenir, considérer les astrocytes comme des acteurs à part entière dans le fonctionnement cérébral. La prochaine grande étape pour mieux comprendre l’implication des astrocytes dans le fonctionnement cérébral sera de définir la mise en place de cette spécialisation des astrocytes et de déterminer si elle est modulable en fonction des différents partenaires neuronaux et selon les régions cérébrales. Dr Paola Bezzi, Lausanne, 10 septembre 2008.