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Egypte : Le choc des civilisations
(MFI / 27.01.13) Deux ans après la révolution qui a renversé celui qui était
surnommé le «Dernier Pharaon», l’Egypte est le théâtre d’un grand choc des
civilisations : la culture de la vallée fertile du Nil face aux us et coutumes des
dunes du désert arabique.
Le choc dépasse, en effet, la dimension politique islamistes et anti-islamistes pour
atteindre ce qui constitue l’essence même de la civilisation égyptienne : sa culture.
Ceux qui sont descendus dans la rue, ce 25 janvier, place Tahrir et ailleurs en Egypte,
ne cherchent pas tant à arracher le pouvoir aux Frères (Ikhwan) musulmans qu’à les
empêcher d« ikhwaniser » la vallée du Nil.
Et ce n’est pas le voile islamique ou la dévotion religieuse qui sont en jeu. La majorité
des opposantes aux Ikhwan sont voilées et la plupart des opposants sont musulmans
pratiquants. Mais il s’agit d’un autre islam. Un islam ouvert et tolérant, reflétant la
culture millénaire de l’Egypte face à l’islam wahhabite et taliban.
La « pensée unique » des Ikhwan et leurs alliés salafistes
La vraie bataille est donc d’ordre culturel : d’un côté, les modernistes et les « libres
penseurs », de l’autre les fondamentalistes et les adeptes de la « pensée unique ». Les
premiers ont déclenché la révolution mais les seconds en ont profité. Ils ont remporté
les élections législatives et la présidentielle sans oublier le référendum contesté sur la
Constitution. Avec leurs alliés salafistes, les Ikhwan estiment que leur heure est
arrivée.
Dans la grande manifestation qu’ils avaient organisée devant l’université du Caire,
n’ont-ils pas annoncé au reste des Egyptiens qu’en ce 17 moharrem 1434 (1er
décembre 2012) « l’Islam était enfin entré en Egypte ». Une manifestation qui a été
l’occasion de descendre en flammes tous les journalistes, intellectuels et surtout
artistes considérés comme des ennemis jurés de l’islam. C’est en effet les « artistes »
qui font le plus de résistance multiforme aux sentences uniformes.
Une liste noire d’artistes
En tête de la liste noire dressée par les islamistes, figure celui qu’ils qualifient de
« guignol » et d’« efféminé » : l’humoriste Bassem Youssef. Sur la chaîne satellitaire
privée égyptienne CBC, son programme satirique, Al Bernameg, pulvérise tous les
records d’audience en Egypte et dans le monde arabe. Ce chirurgien devenu humoriste
grâce à la révolution et à Internet aurait même allègrement dépassé les 20 millions de
téléspectateurs grâce à sa cible favorite : le président Mohamed Morsi ou
« SuperMorsi », comme il se plaît à le moquer.
Des poursuites judiciaires ont été engagées contre Bassem Youssef qui, en attendant,
poursuit plus férocement que jamais. Il est vrai que la chaîne Kharabeesh qui produit
des dessins animés sur Internet a déjà lancé un SuperMorsi il y a un an, qui a été vu
plus de 700 000 fois.
Le président égyptien est aussi devenu rappeur malgré lui, grâce à un montage audio
basé sur une chanson de Oka et Ortega, deux chanteurs très populaires en Egypte.
Faible par rapport à Bassem Youssef, dont un des épisodes a largement dépassé les 2
millions de vues sur YouTube.
Menaces et agressions envers les artistes
Pour les islamistes, dont certains viennent de décréter que le président était « Emir des
croyants », les attaques contre Mohamed Morsi sont tout simplement un
« blasphème » méritant la peine prévue par la charia : la flagellation. Mais les
islamistes n’ont pas attendu le sarcasme de Bassem Youssef pour s’en prendre à « l’art
dénué de morale » qui « véhicule des valeurs contraires à l’islam ». Beaucoup de
candidats Ikhwan ou salafistes en avaient fait un thème de campagne aux législatives
de 2011-2012.
Un exemple parmi tant d’autres, le Prix Nobel égyptien de littérature, Naguib
Mahfouz, a été taxé de « mécréant dont les livres font la promotion de l’homosexualité
et de l’athéisme ». Le groupe musical Eskendrella qui avait animé les longues nuits de
la Place Tahrir durant le soulèvement contre Moubarak a été agressé par des islamistes
pour avoir continué à chanter la révolution après l’arrivée des Ikhwan au pouvoir.
Le président Morsi a bien tenté l’approche « dialogue » qu’il affectionne en se
réunissant en septembre avec des artistes au risque de se faire critiquer par des cheikhs
salafistes. Comme avec les hommes politiques de l’opposition, le Rs les a entendus
mais n’a tenu aucun compte de leurs revendications.
Dès qu’ils en ont l’occasion, les islamistes et le gouvernement effacent les graffitis,
cette invention remontant aux Pharaons, pour parfois les remplacer par des versets du
Coran. Les cheikhs de nombreuses mosquées vouent les artistes aux gémonies dans
leur prêche du vendredi. Les artistes et les journalistes sont poursuivis en justice par
des avocats Ikhwan quand ce n’est pas par la présidence elle-même.
Pour l’instant, seuls des blogueurs relativement inconnus ont été condamnés à des
peines de prison. Mais l’épée de Damoclès reste suspendue sur la tête de tous les
partisans de la liberté d’expression et de création. Une épée qui pourrait commencer à
décapiter si les islamistes remportent les élections législatives prévues dans deux mois.
Rien n’empêchera alors un Parlement dominé par les islamistes et doté d’une
Constitution sur mesure, de forger un arsenal législatif répressif. Pour les artistes et
autres créateurs, c’était une raison de plus pour descendre dans la rue et manifester
contre les islamistes ce 25 janvier.
Alexandre Buccianti, correspondant de RFI au Caire
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