votre patiente va avoir une peridurale pour son

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SESSION POUR LES GENERALISTES
VOTRE PATIENTE VA AVOIR UNE PERIDURALE
POUR SON ACCOUCHEMENT
F-J. Mercier, Département d’Anesthésie-Réanimation de Bicêtre, Hôpital Antoine
Béclère, 157 rue de la Porte de Trivaux , 92141 Clamart.
INTRODUCTION
L’objectif premier des parturientes qui demandent à bénéficier d’une analgésie péridurale est bien sûr le soulagement de la douleur due au travail et à l’accouchement. En
revanche, rares sont les parturientes qui envisagent d’autres bénéfices pour ellesmêmes ou pour leur futur enfant. C’est à l’inverse la crainte d’effets adverses maternofœtals qui les fait parfois renoncer à cette méthode d’analgésie. Une information adéquate
nécessite donc de préciser aussi ces autres avantages de la péridurale qui peuvent
parfois être déterminants.
1 . DOULEUR LORS DUTRAVAIL ET DE L’ACCOUCHEMENT
Malgré l’existence d’une augmentation physiologique des seuils douloureux en fin
de grossesse, le travail et l’accouchement provoquent une douleur aiguë intense pour
2/3 des parturientes. Melzack [1] dans son échelle d’intensité de la douleur situe
l’accouchement certes au-dessous de la douleur d’une amputation digitale mais en
moyenne bien au-dessus de celle d’une fracture. Ces données qui pourraient paraître
excessives ont été globalement confirmées récemment auprès de 1 091 parturientes [2].
Une analgésie puissante au cours du travail est donc souvent nécessaire et constitue une
exigence maternelle légitime. L’intensité douloureuse reste en effet principalement
influencée par la primiparité, l’utilisation d’oxytocine, et surtout par le stade du travail,
même s’il ne faut pas nier l’existence de facteurs psychogènes ou socioculturels. Les
scores douloureux augmentent significativement lors de la rupture de la poche des eaux
et après 5 cm de dilatation cervicale pour atteindre un maximum au moment de l’expulsion. Au cours de la première phase du travail, c’est la dilatation du col et la distension
du segment inférieur utérin pendant les contractions qui génèrent les sensations
douloureuses. Cette douleur irradie dans les dermatomes thoraciques T11 et T12, puis
s’étend progressivement aux territoires sous-jacents T10 et L1. A dilatation complète,
s’ajoutent les douleurs permanentes dues à la distension des structures du petit bassin
par la présentation. Enfin, lors de l’expulsion, l’acmé douloureuse est provoquée par la
distension de la filière génitale et du périnée, via les racines sacrées myélinisées moins
sensibles aux agents anesthésiques. On voit donc que la prise en charge analgésique
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doit s’adapter à l’évolution quantitative et qualitative des stimuli douloureux pendant
le travail et l’accouchement. Mais, il faut avant tout prendre en compte des variations
interindividuelles considérables : ainsi 10 % des parturientes ont un accouchement quasi
indolore (multipares en travail spontané) ; à l’inverse, 30 % des primipares et 10 % des
multipares ressentent des douleurs atroces et intolérables. Le jeune âge, le surpoids
maternel, la macrosomie fœtale et les présentations postérieures favorisent aussi la
survenue de douleurs intenses.
Outre son retentissement psychologique, la douleur obstétricale peut être
directement délétère pour la mère et pour le fœtus. Ainsi, le débit cardiaque maternel
déjà élevé en fin de grossesse (+ 40 %) continue d’augmenter tout au long du travail
jusqu’à l’expulsion où il atteint le double de celui observé en fin de grossesse. Ceci est
notamment la conséquence d’une stimulation sympathique majeure et explique la
mauvaise tolérance maternelle du travail en cas de cardiopathie préexistante ou
d’hypertension gravidique. Seule, l’analgésie péridurale permet de prévenir efficacement cette stimulation sympathique ; elle réduit ainsi de moitié l’accroissement du débit cardiaque maternel au cours du travail. La douleur induit également
une hyperventilation. Celle-ci est responsable d’une alcalose respiratoire parfois
profonde qui peut entraîner une hypoxémie maternelle par hypoventilation au décours
des contractions, une modification de la courbe de dissociation de l’hémoglobine
diminuant la délivrance d’oxygène au fœtus, et une vasoconstriction utéro-placentaire.
Ainsi, l’hyperventilation maternelle peut favoriser le développement d’une hypoxie
fœtale. Ces phénomènes liés à la douleur, habituellement sans conséquence, peuvent avoir
un retentissement important en cas de pathologie maternelle ou fœtale pré-existante.
2 . ANALGESIE PERIDURALE POUR
ACCOUCHEMENTNORMAL
Une enquête nationale réalisée en 1996 [3] a permis de chiffrer à 48 % la
proportion de femmes (toutes parités confondues) bénéficiant d’une analgésie péridurale au cours du travail. Ce chiffre place désormais la péridurale en tête de liste des
méthodes analgésiques utilisées en France pour l’accouchement. Il traduit l’efficacité
très supérieure de la péridurale par rapport aux autres techniques analgésiques
(Dolosal® ou autres morphiniques IV, protoxyde d’azote inhalé, bloc des nerfs
honteux). Cette supériorité est maintenant parfaitement démontrée [2, 4]. Les méthodes de préparation psychoprophylactiques à l’accouchement ne doivent pas pour autant
être négligées : si elles ne réduisent au mieux que de 30 % l’intensité douloureuse, elles
favorisent en revanche un bien meilleur contrôle vis-à-vis de la douleur. De plus, une
bonne préparation permet d’attendre dans de bien meilleures conditions psychologiques la réalisation de l’analgésie péridurale lorsqu’elle n’est pas immédiatement
disponible et elle s’avère fondamentale dans les rares cas où la péridurale ne peut être
réalisée du fait d’une contre-indication de dernière minute.
2.1. CONSULTATION D’ANESTHESIE.
La connaissance du dossier médical et obstétrical et l’information éclairée de la
parturiente sont indispensables. Elle passe donc par un interrogatoire, un examen
clinique et la lecture des résultats biologiques. L’ensemble doit s’inscrire dans le cadre
d’une consultation d’anesthésie rendue obligatoire par le décret du 9 octobre 1998 sur
la périnatalité. Elle est effectuée au mieux à distance de l’accouchement (8e mois). La
consultation d’anesthésie doit concerner toutes les futures accouchées, y compris celles
qui ne souhaitent pas d’analgésie péridurale pour le travail. En effet, ces dernières
peuvent présenter une indication spécifique d’analgésie péridurale qu’elles ignorent.
SESSION POUR LES GENERALISTES
Elles peuvent aussi nécessiter une anesthésie urgente pour un forceps, une césarienne
ou une révision utérine inopinées. Un questionnaire d’anesthésie rempli par la future
parturiente et d’une séance collective d’information préalable facilitent l’organisation
de cette consultation individuelle (qui demeure néanmoins indispensable).
2.2. CONTRE-INDICATIONS
La liste est longue, mais l’incidence globale est assez faible. Les contreindications majeures sont :
• Les troubles de la coagulation non corrigés : déficits congénitaux ou acquis durant la
grossesse (thrombopénie < 80 ou 100 000, CIVD/fibrinolyse notamment lors d’un
hématome rétroplacentaire ou d’une mort fœtale in utero), héparinothérapie efficace.
• L’infection systémique ou au point de ponction, non contrôlée par le traitement.
• Le refus de la patiente malgré une information éclairée ; il faut cependant se montrer
convaincant si un bénéfice spécifique est attendu.
• L’hypovolémie non compensée ou évolutive (hémorragie active).
Les autres «contre-indications» sont plus discutables et dépendent du rapport
bénéfice/risque attendu :
• L’anticoagulation préventive (HBPM < 12-24 h notamment) est une contreindication le plus souvent respectée.
• A un moindre degré la prise (même unique) d’aspirine datant de moins d’une semaine ;
l’agrégation plaquettaire est néanmoins en grande partie restaurée au-delà de 48 à 72 h.
• Certaines pathologies neurologiques et interventions sur le rachis dorso-lombaire
(analyser préalablement le dossier en incluant volontiers les spécialistes concernés).
• Le placenta praevia ; le désir d’éviter une anesthésie générale conduit souvent à
pro poser une péridurale pour la césarienne, sauf lorsque le placenta risque d’être
incisé du fait de sa localisation antérieure. Cependant, il n’y a pas d’attitude
consensuelle et l’éventualité redoutable d’un placenta accreta peut faire préférer l’anesthésie générale.
• La chorioamniotite était classiquement une contre-indication mais de vastes études
l’on remise en question ; sous couvert d’une antibiothérapie préalable (et pour certains
d’une température contrôlée < 38°C) la réalisation d’une péridurale peut souvent être
acceptée s’il n’y a pas de signes avant-coureurs de défaillance circulatoire.
• Certaines pathologies cardiaques peuvent contre-indiquer la grossesse elle-même ;
dans le cas contraire, la plupart des experts s’accordent maintenant pour considérer
que la voie basse doit être la règle (en dehors des indications obstétricales habituelles
de césarienne). Une analgésie péridurale «légère» (i.e., limitée à T10 et associant un
morphinique avec un anesthésique local très dilué) n’entraînera quasiment pas
d’effet hémodynamique propre et limitera au contraire l’augmentation délétère du
débit cardiaque induit par la douleur. L’analgésie péridurale pour le travail sera donc
une indication majeure pour la prise en charge de la plupart des cardiopathes (si leur
traitement anticoagulant peut être brièvement interrompu). En revanche, l’anesthésie
péridurale dense et étendue nécessaire pour la césarienne s’avèrera beaucoup plus
délicate (car le retentissement hémodynamique est bien plus marqué), et elle sera de
ce fait assez souvent écartée au profit d’une anesthésie générale.
2.3. RAPPELS ANATOMIQUES ET TECHNIQUE DE PONCTION PERIDURALE
Les structures traversées durant la ponction comprennent d’arrière en avant
(Figure 1 et 2) :
• La peau puis l’espace sous-cutané.
• Le ligament interépineux.
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• Le ligament jaune.
• L’espace péridural.
• Les enveloppes méningées entourant le liquide céphalorachidien et les racines
nerveuses.
L’œdème et/ou l’infiltration de l’espace sous-cutané ainsi que le ramollissement
ligamentaire sont fréquents au cours de la grossesse. Il existe de plus une hyperlordose
lombaire. Enfin, la compression cave inférieure par l’utérus gravide provoque une
élévation de la pression dans l’espace péridural. Toutes ces modifications rendent le
repérage de l’espace péridural plus difficile chez la femme enceinte.
Figure 1 : Anatomie de l’espace péridural lombaire
1. Peau et espace sous-cutané
2. Ligament interépineux
3. Ligament jaune
4. Espace péridural
5. Liquide céphalorachidien
6. Disque intervertébral
7. Corps vertébral
Figure 2 : Technique de ponction péridurale par perte de résistance au sérum
physiologique
A- Seringue remplie de sérum physiologique (en grisé) ; sensation de résistance sur le trajet
de ponction durant la poussée sur le piston.
B- Perte de résistance brusque sur le piston lors de l’entrée de l’aiguille de Tuohy dans l’espace péridural.
C- Introduction du cathéter dans l’espace péridural à travers l’aiguille de Tuohy (après
désadaptation de la seringue) ; l’aiguille est ensuite retirée et le cathéter est laissé en place.
SESSION POUR LES GENERALISTES
La ponction péridurale est effectuée avec une aiguille de Tuohy entre deux
vertèbres lombaires au-dessous de L2, après un double badigeonnage antiseptique et
une anesthésie locale de la peau. Le choix de la position de la patiente dépend des
habitudes de l’anesthésiste. Certains préfèrent le décubitus latéral qui est parfois plus
confortable pour les parturientes (notamment lorsque la dilatation est très avancée). La
majorité des anesthésistes préfèrent cependant la position assise en obstétrique car elle
rend la ponction plus aisée et facilite ainsi un abord bien médian de l’espace péridural.
L’espace péridural est identifié entre deux contractions grâce à la technique de la perte
de résistance (Figure 1). Un cathéter est inséré de 4 à 5 cm dans l’espace péridural puis
fixé par un pansement stérile. L’injection initiale (12 à 20 mL selon la parturiente et la
solution utilisée) est effectuée de façon fractionnée pour permettre le dépistage d’une
injection intrathécale ou intravasculaire.
2.4. PRODUITS UTILISES, OBJECTIF, ET MODALITES DE SURVEILLANCE
Les principaux anesthésiques locaux actuellement à notre disposition sont la lidocaïne (Xylocaïne®), la bupivacaïne (Marcaïne®), et la ropivacaïne (Naropéine®). La
Xylocaïne® est responsable d’un bloc moteur plus important que la Marcaïne® qui de
ce fait est devenu l’anesthésique local de référence en matière d’analgésie péridurale
pour le travail. La ropivacaïne (Naropéine®), introduite sur le marché français en 1997,
est une alternative intéressante à la Marcaïne® (voir détails au § 5).
L’objectif au cours du travail sous péridurale est d’obtenir une analgésie qui remonte au moins à l’ombilic (T10) et un bloc moteur minimal. La recherche de ce niveau
sensitif supérieur se fait avec un tampon alcoolisé. On peut ainsi déterminer la zone
métamérique transitionnelle en dessous de laquelle le froid n’est plus perçu et qui
correspond au niveau sensitif supérieur. L’évolution des pratiques, centrée sur la réduction du bloc moteur, conduit à l’emploi de solutions très diluées (Marcaïne® 0,12 % à
0,06 % ou Naropeine® 0,15 à 0,10 %) associé à un morphinique puissant (fentanyl ou
sufentanil).
L’efficacité de l’analgésie doit être évaluée à l’aide d’un score de douleur régulièrement répété au cours du travail. L’EVA (= Echelle Visuelle Analogique, nécessitant une
réglette) ou l’ENS ( = Echelle Numérique simple, de 0 à 10) sont les deux scores les
mieux adaptés. Une mesure automatique intermittente de la pression artérielle
maternelle et un enregistrement continu du rythme cardiaque fœtal doivent être
institués avant la ponction péridurale et poursuivis durant tout le travail. Un monitorage plus compliqué n’est indiqué qu’en relation avec une pathologie maternelle ou
fœtale. Les éventuelles réinjections et les éléments de la surveillance peuvent être
confiés à un(e) infirmier(e) anesthésiste ou à une sage-femme à condition que cette
dernière ait été formée et qu’elle accepte cette participation.
3 . INCIDENTS ETCOMPLICATIONS
3.1. INSUFFISANCE D’EFFICACITE AU COURS DU TRAVAIL
Si la qualité analgésique procurée par la péridurale est bien meilleure qu’avec les
autres techniques [2, 4], l’insuffisance initiale d’analgésie est pourtant assez
fréquente (20 à 30 %). On peut schématiquement distinguer plusieurs situations :
• Le niveau sensitif supérieur d’analgésie peut être insuffisant (< T10).
• Il peut persister un ou plusieurs point(s) douloureux bas situé(s) malgré un niveau
suffisant (≥ T10).
• L’analgésie peut être asymétrique.
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Dans tous les cas, la cause favorisante commune est liée à l’emploi délibéré d’un
anesthésique local très dilué (pour prévenir l’apparition d’un bloc moteur). L’injection
d’un bolus supplémentaire d’anesthésique local éventuellement plus concentré,
l’adjonction de clonidine (voir § 5), le retrait de quelques centimètres du cathéter et le
positionnement maternel (dont l’efficacité reste débattue) permettent souvent de
corriger l’insuffisance initiale. Dans le cas contraire, il ne faut pas hésiter à refaire sans
tarder une nouvelle péridurale.
3.2. HYPOTENSION ARTERIELLE
Cet effet secondaire de la péridurale, favorisé par la compression cave
inférieure, est devenu rare au cours du travail depuis le développement des analgésies
«légères» (par opposition à l’anesthésie péridurale pour césarienne, voir § 6). Sa durée,
plus que son intensité, est le facteur essentiel de la morbidité fœtale (prévenue par la
surveillance continue du rythme cardiaque fœtal). L’injection IV d’un vasopresseur
(éphédrine) restaure facilement la pression artérielle maternelle et le débit sanguin
utérin.
3.3. BRECHE DURE-MERIENNE
Elle entraîne une issue du liquide céphalorachidien dans l’espace péridural.
Cette fuite est souvent importante, du fait du grand diamètre (18 gauge) de l’aiguille de
Tuohy nécessaire pour introduire le cathéter péridural. La brèche est un incident rare
(0,5 à 1 %) mais qui entraîne des céphalées chez la plupart (80 %) des parturientes
concernées par cet incident. Ces céphalées post-brèche sont posturales (aggravées par
la verticalisation) et souvent résistantes aux antalgiques classiques. Elles doivent être
ainsi bien distinguées des céphalées «de tension» liées simplement à l’accouchement et
qui sont beaucoup plus fréquentes (10 % des accouchées). L’adjonction de caféine
(300 mg x 2 per os par 24 h) permet parfois de contrôler les céphalées post-brèche
d’intensité moyenne. Le décubitus dorsal prolongé doit être abandonné car il ne fait
que retarder la symptomatologie, gêner la relation mère-enfant, et surtout favoriser les
complications thrombo-emboliques. L’injection de sang autologue dans l’espace
péridural («blood-patch») est le traitement de référence. Il peut être effectué de façon
prophylactique et simple au travers du cathéter péridural laissé en place après l’accouchement. Cette dernière attitude est celle adoptée par notre équipe, mais elle reste pour
l’instant controversée. Si elle n’est pas retenue, le blood-patch doit être proposé au plus
tard 48 h après l’échec du traitement classique. Les complications graves du bloodpatch sont rarissimes. Son efficacité est en revanche inconstante (environ 1/3 d’échec) ;
il peut alors être répété dans le même délai. Si la brèche dure-mérienne est un incident
en règle sans gravité, sa gestion parfois difficile fait qu’elle représente en pratique
l’inconvénient potentiel le plus important de l’analgésie péridurale obstétricale.
3.4. RACHIANESTHESIE TOTALE ET L’INJECTION VASCULAIRE ACCIDENTELLE
La rachianesthésie totale est la conséquence de l’injection accidentelle dans
l’espace intrathécal d’une dose prévue pour la voie péridurale. Elle survient en cas de
brèche dure-mérienne méconnue associée à une injection non fractionnée. Elle entraîne
un collapsus, une apnée, et une perte de conscience parfois associée à des convulsions.
Une symptomatologie proche peut également survenir en cas d’injection IV accidentelle lors d’une brèche vasculaire méconnue. Une réanimation immédiate est en règle
efficace avec une récupération maternelle sans séquelle. L’usage d’un anesthésique
local très dilué associé à un morphinique lors de l’analgésie péridurale au cours du
travail minore considérablement la gravité de ces accidents rarissimes.
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3.5. COMPLICATIONS NEUROLOGIQUES
Elles sont souvent la hantise des parturientes mal informées. Les complications
neurologiques liées à la péridurale sont actuellement exceptionnelles (1/11 000 à 20 000)
et le plus souvent transitoires [5]. Cependant le traumatisme radiculaire direct sévère,
l’hématorachis ou l’abcès restent toujours possibles et justifient le strict respect des
impératifs de sécurité. Les complications neurologiques les plus fréquemment rencontrées ont une topographie tronculaire et ne sont donc pas dues à la péridurale ellemême [5]. Un bilan neurologique rigoureux (avec électromyogramme) met le plus
souvent en évidence une cause obstétricale, chirurgicale, ou posturale [6]. Cette notion
est très importante à connaître car c’est souvent à tort que la péridurale est suspectée
lorsque survient une complication neurologique au décours de l’accouchement.
D’ailleurs, dans l’étude épidémiologique de Ong et coll. [7], l’incidence des déficits
neurologiques post-partum après anesthésie péridurale n’était pas significativement
supérieure à celle observée après anesthésie générale. Ces deux incidences similaires
(environ 1/280) étaient en revanche bien plus élevées que celles constatées à l’issue
d’un accouchement sans anesthésie (1/4 000). Ceci suggère que c’est l’accouchement
compliqué (dont le recours à une anesthésie n’est que le témoin) qui est le facteur
essentiel des déficits neurologiques post-partum. L’implication directe de la péridurale
est au moins 5 fois moins fréquente.
3.6. LOMBALGIES
Les lombalgies après l’accouchement sont fréquentes. L’étude rétrospective de
MacArthur [8] avait rapporté une incidence accrue de lombalgies durables (> 6 mois :
18,9 % versus 10,5 %) chez les patientes ayant eu une analgésie péridurale pour le
travail. Le mécanisme suggéré était postural, lié au travail, car ce phénomène n’avait
pas été observé après péridurale pour césarienne programmée. L’allègement considérable du bloc moteur actuellement obtenu est probablement à l’origine du taux identique
de lombalgies durables rapporté avec ou sans péridurale dans les deux études prospectives les plus récemment publiées [9, 10]. Les douleurs liées à un contact sur le périoste
lors de ponctions péridurales difficiles disparaissent spontanément en moins de 2 à
3 semaines et sont le plus souvent immédiatement soulagées par un traitement antiinflammatoire banal.
3.7. AUTRES INCIDENTS
Des frissons sont parfois observés spontanément au cours du travail. La péridurale
en accroît la fréquence et l’intensité (surtout en cas d’anesthésie dense pour césarienne). Parfois gênants, ils régressent habituellement une fois l’anesthésie installée. Ils
sont prévenus ou atténués actuellement avec l’adjonction péridurale d’un morphinique
qui peut entraîner un prurit (rarement gênant en pratique).
L’association prolongée (> 3 à 5 h) du travail et de l’analgésie péridurale
entraîne une élévation thermique lente et progressive. Cette hyperthermie non
infectieuse reste habituellement inférieure à 38 ou 38,5°C et sans conséquence fœtale.
La douleur lors de la ponction péridurale est une des premières craintes des
parturientes ; elles doivent être complètement rassurées sur ce sujet. En effet, la zone
ligamentaire est classiquement peu innervée et donc normalement peu sensible. Par
3ailleurs, il est aisé d’effectuer une anesthésie locale de la peau de bonne qualité en y
consacrant le temps nécessaire. Pour finir, il faut dire à la parturiente que la ponction
péridurale peut être interrompue à tout moment en cas de douleur pour renforcer si
besoin l’anesthésie locale de la zone de ponction.
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4 . PROGRESSION DUTRAVAIL ET ANALGESIE PERIDURALE
L’analgésie péridurale a eu longtemps la réputation d’être délétère sur la
mécanique obstétricale. L’incertitude a été entretenue pendant de nombreuses années
par l’absence de rigueur méthodologique des études.
L’allongement du premier stade (= dilatation cervicale) est en fait rarement
retrouvé et les dernières études utilisant une faible concentration d’anesthésique local
associé à un morphinique démontrent que la péridurale effectuée précocement (< 3 cm
versus > 5 cm) ne rallonge pas le travail [11, 12]. Ainsi, dès lors que le travail est
engagé, le facteur déterminant la réalisation d’une analgésie péridurale doit être
l’intensité douloureuse et non le stade de dilatation. Pour l’essentiel, les anomalies
induites par la péridurale et susceptibles de retentir sur les modalités d’accouchement
concernent le second stade du travail (de la dilatation complète à la naissance). Jusque
dans les années 80-85, en raison des fortes concentrations d’anesthésiques locaux utilisés (Marcaïne® 0,5 %, Xylocaïne® 2 %), le bloc moteur induit était souvent important.
Le bloc moteur intense des muscles du plancher pelvien aboutit à une hypotonie
périnéale susceptible d’entraver la descente et la rotation de la présentation. Les autres
inconvénients d’un bloc moteur consistent en une perte de l’envie de pousser et
l’absence de possibilité de marcher au cours du travail. Le rôle du bloc moteur ayant été
identifié, deux essais cliniques randomisés et en double aveugle ont été effectués pour
chercher à le réduire [13, 14]. Ces deux études d’une méthodologie exemplaire démontrent que la poursuite de la perfusion péridurale continue durant le second stade du
travail n’en prolonge pas la durée, à condition d’utiliser un anesthésique local dilué
associé à un morphinique. De même, le taux des accouchements spontanés, des
forceps, des absences de rotations spontanées et des césariennes n’est pas majoré. Cette
adjonction d’un morphinique permet de réduire la concentration d’anesthésique local
en préservant la qualité de l’analgésie.
Si l’influence directe de la péridurale sur le travail spontané apparaît désormais
nulle ou très faible, l’emploi des ocytociques pour déclencher ou accélérer le travail
peut dans certaines conditions obstétricales défavorables conduire à une augmentation
importante (x 2) du taux de césarienne. L’âge avancé (> 35 ans versus < 20 ans) est un
autre exemple de facteur de risque important et indépendant de césarienne (x 6). Ces
situations défavorables sont associées à un recours beaucoup plus fréquent à la péridurale. La péridurale se retrouve ainsi indirectement associée à un taux majoré de
césariennes sans en être la cause [15].
5 . NOUVEAUTESTECHNIQUES ETPHARMACOLOGIQUES
De toutes les nouveautés, la «péridurale ambulatoire» est incontestablement celle
qui a été le plus médiatisée. Pourtant, la littérature la concernant reste jusqu’à présent
étonnamment pauvre en données quantifiées précises. La première étude faite par Breen
et coll. [16] date seulement de 1993 et demeure une des meilleures sur le sujet. Étaient
retenues comme contre-indications à la déambulation :
• Un bloc moteur des membres inférieurs.
• Une hypotension orthostatique.
• Une anomalie obstétricale (présentation ou rythme cardiaque fœtal anormaux).
• Une analgésie devenant insuffisante au cours du travail et nécessitant le passage à
une solution d’anesthésique local plus concentrée (≥ 0,125 %).
L’insatisfaction des parturientes (rare : 4 %) a été principalement reliée à 2 causes :
1-Un délai trop long et/ou une puissance trop faible de l’analgésie.
2-Une réponse trop lente lors de la recrudescence de la douleur.
SESSION POUR LES GENERALISTES
Malgré l’usage d’une très basse concentration de Marcaïne® (0,04 %) associée au
fentanyl, 17 % des parturientes ont présenté un bloc moteur faible mais détectable en
position allongée et interdisant le lever. La chute (sans gravité) d’une parturiente, malgré deux heures de déambulation préalable sans difficulté apparente, a conduit les auteurs
à adjoindre une épreuve de flexion partielle des genoux pour la suite de l’étude. Ce test
réalisé après avoir vérifié l’absence de bloc moteur en position couchée a révélé que
12 % des parturientes ne pouvaient le pratiquer correctement ; ces parturientes n’ont
donc pas non plus été autorisées à déambuler alors qu’elles pouvaient néanmoins tenir
debout. Une hypotension orthostatique empêchant le lever était présente dans 9 % des
cas. La solution trop diluée d’anesthésique local (Marcaïne® 0,04 % + fentanyl) n’a
suffi que dans la moitié des cas. Ceci a fréquemment conduit à une interruption prématurée de la déambulation par nécessité d’injecter un bolus d’anesthésique local concentré.
Au total, 68 % des parturientes ont choisi de déambuler mais le plus souvent une seule
fois pour aller dans la salle de bains ou aux toilettes (32 % de miction spontanée). Il est
probable également que l’usage (inutile) d’une dose-test à la xylocaïne® adrénalinée
ait favorisé ce taux relativement important d’échec de déambulation. Ceci a été clairement documenté récemment : le meilleur taux de succès de déambulation (93 %) et
d’efficacité analgésique a été obtenu avec un anesthésique local dilué mais pas trop
(bupivacaïne 0,125 %), associé à un morphinique (sufentanil 10 µg), et sans dosetest [17]. Par ailleurs, la déambulation a favorisé les mictions spontanées (80 versus
22 %) ce qui devrait permettre d’éviter plus souvent le sondage vésical [17].
Hormis l’expérience des différentes équipes, le taux de succès de l’analgésie péridurale ambulatoire paraît à l’évidence dépendant de la psychologie de la popu-lation
prise en charge et notamment :
1-De la motivation des parturientes pour la déambulation et,
2-De l’intensité de l’analgésie réclamée et obtenue.
À côté du principe fondamental «anesthésique local dilué + morphinique»
indispensable au succès de la péridurale ambulatoire, certaines équipes utilisent une ou
deux méthodes supplémentaires d’ailleurs développées bien avant l’avènement de la
péridurale ambulatoire. La première méthode consiste à utiliser la technique de rachianalgésie-péridurale combinée [18]. Brièvement, l’aiguille de Tuohy est placée dans
l’espace péridural selon la technique habituelle de perte de résistance et sert d’introducteur à une aiguille longue et très fine de rachianesthésie à embout conique qui permet
de franchir la dure-mère avec un risque de céphalées post-brèche très faible (0,1 à 0,2 %).
Puis un morphinique puissant (sufentanil ou fentanyl, éventuellement associé à une
minidose de Marcaïne®) est injecté dans l’espace intrathécal contenant le liquide
céphalo-rachidien. L’aiguille de rachianesthésie est ensuite retirée et le cathéter est
introduit comme d’habitude à travers l’aiguille de Tuohy dans l’espace péridural. Cette
injection intrathécale initiale fournit une analgésie spectaculaire car très rapide (≤ 5 min),
fiable et très puissante y compris au niveau des racines sacrées responsables de l’innervation périnéale ; de plus, elle donne très peu de bloc moteur et la déambulation est
donc souvent possible durant cette période [18]. Sa durée est malheureusement limitée
(deux heures en moyenne). Dès que cette analgésie intrathécale commence à s’estomper, le relais est pris par le cathéter péridural selon les modalités habituelles décrites
plus haut pour la péridurale classique. La place de cette technique combinée par rapport
à l’analgésie péridurale utilisée seule est un sujet de discussion, voire de polémique
entre les équipes : certains l’utilisent systématiquement et d’autres jamais. Si son
intérêt est discutable chez une parturiente ayant une douleur modérée notamment en
début de travail, il apparaît en revanche très net chez celle ayant une dilatation rapide,
avancée, ou une douleur très intense ; dans cette dernière situation, la déambulation
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814 MAPAR 2000
n’est bien sûr pas associée. La limite d’utilisation de la rachianalgésie-péridurale
combinée concerne essentiellement les situations à haut risque obstétrical et/ou
anesthésique, du fait de l’impossibilité d’utiliser rapidement le cathéter péridural tant
que sa fonctionnalité n’a pas été vérifiée.
La deuxième méthode consiste à utiliser la technique de «PCEA» (Patient
Controlled Epidural Analgesia) [19]. Cette technique fait appel à une pompe programmable qui permet à la parturiente de s’auto-administrer des bolus par voie péridurale
avec un bouton-poussoir selon ses besoins propres. Les volumes des bolus, la solution
administrée et les périodes «d’interdiction» (temps minimal de sécurité séparant deux
bolus acceptés par la machine) sont déterminés par le médecin anesthésiste. Par rapport
à une perfusion péridurale classique à la seringue électrique, la PCEA permet de réduire
en moyenne d’un tiers la dose reçue et/ou de diminuer le nombre d’interventions pour
défaut d’analgésie [19]. Ce dernier point présente le double avantage de réduire la charge
de travail de l’équipe médicale et l’insatisfaction qui résulte régulièrement du délai
d’attente d’un supplément d’analgésie. Comparée aux injections intermittentes administrées par la sage-femme, la dose reçue est similaire [19], mais la PCEA conserve
l’avantage pour la parturiente de pouvoir ajuster plus précisément son analgésie au
niveau souhaité ; ceci peut être une source de satisfaction importante en particulier
lorsque la parturiente souhaite une analgésie modérée ne «gommant» pas la sensation
du travail. La PCEA peut être proposée à toutes les femmes (sauf niveau de compréhension insuffisant et travail très rapide et/ou avancé) et mérite un dévelop-pement très
large. Cette diffusion se heurte essentiellement à un défaut d’information et à des
considérations financières et plus accessoirement à des difficultés techniques
potentielles notamment en cas de déambulation. Son succès nécessite de bien expliquer
le maniement du bouton-poussoir à la patiente pour qu’elle ne prenne pas de retard
dans l’entretien de son analgésie. La rachianalgésie-péridurale combinée et la PCEA
peuvent être utilisées conjointement.
La ropivacaïne et la clonidine pourraient parfaire le développement d’analgésies
efficaces et sans bloc moteur. La ropivacaïne (Naropéine®) a été introduite sur le
marché français en 1997. Les avantages théoriques de la ropivacaïne sont une moindre
cardiotoxicité et un bloc moteur encore plus réduit par rapport à la bupivacaïne
(Marcaïne®). Néanmoins, la ropivacaïne possède une efficacité analgésique plus faible
que la bupivacaïne. Ainsi, il n’est pas évident que les avantages de la ropivacaïne,
documentés à dose identique avec la bupivacaïne, persiste pour une dose équianalgésique (c’est-à-dire majorée de 20 à 40 %). Des études récentes suggèrent
cependant un bénéfice réel avec la ropivacaïne, pour favoriser la déambulation [20] et
peut être aussi la miction spontanée. La clonidine (Catapressan®) a des effets analgésiques via les récepteurs alpha-2 situés dans la moelle épinière. Elle paraît particulièrement
intéressante pour maintenir ou restaurer une bonne efficacité de l’analgésie péridurale
en fin de travail (75 µg en un seul bolus péridural) [21]. Elle peut permettre d’éviter
l’usage d’anesthésiques locaux plus concentrés, mais le bénéfice en termes de bloc
moteur reste à prouver.
Aujourd’hui, il est trop tôt pour savoir si la péridurale ambulatoire favorise réellement la mécanique obstétricale. Mais ceci ne doit pas étonner puisque l’effet propre de
la déambulation (sans péridurale) était déjà controversé [16]. Il apparaît en tout cas
clairement qu’elle n’entraîne pas d’effets délétères ni d’effets bénéfiques sur l’état néonatal [18, 22]. Par ailleurs, aucune réduction du nombre de forceps ou de césariennes
n’était retrouvée dans la première étude comparative randomisée publiée [18]. Cette
étude bénéficiait pourtant d’un collectif important (98 rachianalgésies-péridurales
combinées ambulatoires versus 99 péridurales non ambulatoires). Il y a cependant des
SESSION POUR LES GENERALISTES
raisons d’être optimiste. Ainsi récemment, un travail très comparable a mis en évidence
a contrario une dilatation cervicale plus rapide après rachianalgésie-péridurale
combinée «légère» qu’après péridurale classique «lourde» (Marcaïne® 0,25 %). Ceci
était observé toutefois malgré l’absence de déambulation dans les deux groupes [23].
Par ailleurs, des équipes disposant d’une expérience considérable de la péridurale
ambulatoire font état d’une impression obstétricale très favorable : la dilatation paraît
être en moyenne plus rapide, la stimulation par l’oxytocine moins souvent nécessaire et
la douleur souvent plus modérée (mais un biais d’observation est bien sûr possible).
Une deuxième grande étude randomisée va en partie dans le même sens. En effet,
l’absence de déambulation y constitue un léger facteur de risque indépendant de césarienne pour dystocie (risque relatif = 1,6). En revanche, la réduction du taux d’extraction
instrumentale et la plus grande vitesse de dilatation cervicale semblent surtout liées à
l’emploi d’une technique d’analgésie locorégionale allégée, et non à la déambulation
elle-même [22]. En bref, il faut retenir que la disparition du bloc moteur obligatoirement recherchée pour la déambulation a des effets favorables sur la mécanique
obstétricale, mais que le rôle propre de la déambulation est moins clair.
La principale réserve à la déambulation est actuellement de nature structurelle : il
faut disposer de moyens de télésurveillance obstétricale équivalents à ceux employés
pour le travail non ambulatoire (rythme cardiaque fœtal et tocodynamométrie) et d’un
dispositif bilatéral d’appel «parturiente/sage-femme». Le retentissement hémodynamique des péridurales permettant la déambulation est très faible et une étude a bien montré
qu’il est détecté constamment dans 30 premières minutes ou au plus tard lors du
lever [24]. L’espacement du monitorage régulier de la pression artérielle, après cette
période d’observation, est donc légitime durant la déambulation (en maintenant une
télésurveillance fœtale). La PCEA peut être utilisée durant la déambulation en limitant
la dose unitaire et en faisant actionner le bouton-poussoir en position assise. L’administration d’oxytocine reste en théorie envisageable à l’aide d’une pompe portable fiable.
En fait, elle n’est pas très pratique à réaliser. Elle n’est peut-être pas non plus souhaitable du fait des risques d’hypertonie utérine et elle pourrait être moins utile chez ces
parturientes ambulatoires et eutociques. La parturiente doit être accompagnée durant la
déambulation. Le conjoint est généralement le plus à même de jouer ce rôle.
6 . SITUATIONS PARTICULIERES
6.1. PATHOLOGIES OBSTETRICALES
Certaines situations obstétricales qui étaient classiquement des contreindications à la péridurale apparaissent désormais comme des indications privilégiées.
Les grossesses gémellaires : l’intervalle de temps entre les naissances des
jumeaux et l’incidence des manœuvres obstétricales ne sont pas modifiés par la
présence d’une analgésie péridurale. Au contraire, celle-ci facilite les manœuvres
obstétricales fréquentes pour le deuxième jumeau et semble de plus associée à une
réduction de l’acidose néonatale [25]. L’injection de 10 à 12 mL de Xylocaïne® à 2 %
immédiatement après la naissance du premier jumeau permet d’obtenir un relâchement
périnéal complet avec abolition du réflexe de poussée propice aux manœuvres sur le
deuxième jumeau. En cas d’échec de ces manœuvres et/ou de souffrance fœtale aiguë
du deuxième jumeau, l’anesthésie profonde déjà installée permet habituellement de
faire face sans délai à une décision de césarienne parfois extrêmement urgente. L’analgésie péridurale est donc tout particulièrement indiquée pour l’accouchement des femmes
ayant une grossesse gémellaire.
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Pour les présentations du siège, la crainte d’une prolongation du travail et d’une
moindre efficacité des efforts expulsifs chez les femmes sous péridurale n’est plus
fondée. En effet, la fréquence des manœuvres obstétricales et notamment des grandes
extractions ainsi que la morbidité fœtale et maternelle ne sont pas augmentées en cas
d’analgésie péridurale [26]. Au contraire, à condition d’utiliser des concentrations
faibles d’anesthésiques locaux minimisant le bloc moteur, l’analgésie péridurale
permet d’obtenir une meilleure coopération maternelle à l’expulsion. En cas de besoin,
un relâchement périnéal complet peut être rapidement obtenu grâce au renforcement de
l’analgésie péridurale initiale (injection de Xylocaïne® 2 %). L’injection intraveineuse
de trinitrine est souvent efficace lorsqu’une relaxation utérine est de surcroît nécessaire
pour faciliter des manœuvres d’extraction. Ces deux méthodes couplées (péridurale +
trinitrine) permettent ainsi d’éviter le plus souvent une anesthésie générale en catastrophe en cas de difficulté inopinée à l’accouchement.
En cas d’utérus cicatriciel, la crainte de retarder le diagnostic de rupture utérine (en
masquant la douleur) et d’aggraver les conséquences hémodynamiques d’une
rupture hémorragique étaient deux arguments classiquement retenus contre la péridurale. En fait, dans les pays développés les ruptures utérines corporéales cataclysmiques
ont quasiment disparu. On assiste au contraire à des ruptures souvent partielles de la
cicatrice utérine circonscrite au segment inférieur. En outre, les irradiations douloureuses d’un hémopéritoine aigu atteignent T4 et ne sont donc pas abolies par une analgésie péridurale limitée à T8-T10. Johnson et Oriol [27] ont méta-analysé 14 études
d’épreuves du travail pour utérus cicatriciel, soit 10 967 parturientes dont 1 623 sous
péridurale. Le meilleur signe clinique de rupture était la souffrance fœtale aiguë (70 %
des cas) et non la douleur (22 % des cas). De plus, la présence d’une analgésie péridurale
n’a jamais entraîné de retard au diagnostic ni de conséquence sur la morbidité-mortalité
maternelle. La péridurale n’a pas non plus modifié le taux de succès de l’épreuve du
travail (74 % versus 74 %). Cependant, le taux de rupture utérine pourrait être influencé
par la péridurale (0,86 % versus 0,25 %) via l’usage majoré des ocytociques. Des
précautions sont donc nécessaires. Il faut limiter le niveau sensitif supérieur d’analgésie
à T8 voire T10 et utiliser impérativement des concentrations diluées d’anesthésique
local. Enfin, il faut souligner que la fréquence plus élevée de césariennes et la pratique
fréquente voire systématique d’une révision utérine sont des arguments supplémentaires
en faveur d’une péridurale préalable à l’épreuve du travail.
En cas de toxémie gravidique, la péridurale est considérée comme une indication
privilégiée tant pour le travail qu’en cas de césarienne. En effet, elle évite les accès
hypertensifs liés au travail douloureux ou à l’intubation dans le cas d’une anesthésie
générale. De plus, elle améliore le débit sanguin utéroplacentaire de façon plus
marquée que chez les parturientes non toxémiques [28]. Par ailleurs, la fréquence des
troubles de l’hémostase d’apparition brutale dans cette pathologie impose une vérification biologique préalable. Les contre-indications liées à une prise d’aspirine sont
désormais plus rares du fait de la réduction drastique des indications dans l’hypertension gravidique, bien établie ces dernières années.
6.2. PATHOLOGIES NON OBSTETRICALES
Certains antécédents allergiques entraînent un risque accru d’accidents graves
aux anesthésiques généraux administrés par voie intraveineuse. C’est le cas des curares
utilisés systématiquement pour faciliter l’intubation des parturientes et leur césarienne.
Les anesthésiques locaux utilisés pour la péridurale comportent par contre un risque
allergique quasi nul. L’analgésie péridurale, en réduisant considérablement le risque
SESSION POUR LES GENERALISTES
d’anesthésie générale, présente donc un intérêt prophylactique. Elle permet alors
souvent de se dispenser des tests allergologiques difficile à obtenir en temps utile.
Les patientes asthmatiques peuvent être aggravées (1/3), améliorées (1/3) ou
stables (1/3) pendant leur grossesse. Pendant l’accouchement, plusieurs facteurs
majorent le risque de bronchospasme : le stress, l’hyperventilation liée à la douleur et
l’intubation en cas d’anesthésie générale. Un épisode hypoxique maternel modéré peut
avoir un retentissement important pour le fœtus. Il est donc souhaitable de réaliser une
péridurale lors du travail (ou de la césarienne) même dans les formes mineures
d’asthme. Pour les formes plus sévères, il faut aussi s’assurer de l’optimisation du
traitement antiasthmatique plusieurs semaines avant l’accouchement [29].
L’analgésie péridurale peut également avoir une influence favorable dans un
certain nombre d’autres pathologies : l’épilepsie (via la prévention de l’hyperventilation), la paraplégie surtout lorsqu’elle est supérieure ou égale à T6 (prévention du
redoutable syndrome dysautonomique), la myasthénie, l’hyperthyroïdie, et la majorité
des types de cardiopathies (voir § 2.2)
7 . ANESTHESIE PERIDURALE POUR CESARIENNE
L’anesthésie générale pour césarienne présente des risques importants chez la
femme enceinte proche du terme (risque d’hypoxie par difficulté d’intubation et/ou par
syndrome de Mendelson) qui font qu’en l’absence de contre-indication ou d’extrême
urgence, l’anesthésie locorégionale est préférable. La réalisation d’une anesthésie
péridurale pour césarienne nécessite cependant des doses importantes d’anesthésique
local concentré afin d’obtenir une anesthésie puissante et étendue jusqu’à T4 (ligne
mamelonnaire). Ces doses sont très supérieures (5 voire 10 fois) à celles employées
pour les analgésies péridurales modernes au cours du travail. L’emploi de solutions
adrénalinées permet de diminuer la résorption sanguine.
Le principal effet secondaire de l’installation d’une anesthésie péridurale pour
césarienne est l’hypotension maternelle due au bloc sympathique dense et étendu. De
même, les nausées, l’anxiété et les sensations de dyspnée ne sont pas exceptionnelles
(contrairement à l’analgésie péridurale pour le travail). Ils sont néanmoins habituellement contrôlés sans difficulté grâce à un vasopresseur maniable comme l’éphédrine.
En cas de césarienne sans travail préalable sous péridurale, une rachianesthésie
(± péridurale) est souvent préférée car elle offre une anesthésie plus fiable et plus
rapide qu’une péridurale seule. Cependant, l’effet hypotensif est plus marqué et peut
donc justifier une prévention systématique par vasopresseur(s).
Malgré ces inconvénients, l’anesthésie péridurale (ou la rachianesthésie) pour césarienne offre de nombreux avantages par rapport à l’anesthésie générale. La mortalité et
la morbidité maternelles sont moindres [30] et les scores comportementaux et d’Apgar
du nouveau-né sont meilleurs surtout en cas de prématurité ; même la morbidité périnatale semble réduite. La participation des parents à la naissance est favorisée. La
diminution des complications thrombo-emboliques et du saignement peropératoire a
été également rapportée. Enfin, en postopératoire, l’analgésie est de meilleure qualité,
le lever et la reprise de transit sont plus précoces [31].
En cas de souffrance fœtale aiguë, l’anesthésie locorégionale (péridurale ou
rachianesthésie) demeure la technique à privilégier pour la césarienne sauf s’il existe
une urgence extrême à l’extraction (incision < 5 min) ou une contre-indication incontournable. En effet, c’est surtout dans ce contexte d’anesthésie générale en urgence que
survient la plupart des décès maternels ou séquelles lourdes d’origine anesthésique [30].
De plus, plusieurs grandes études ont montré clairement que la proportion de nouveau-
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818 MAPAR 2000
nés nécessitant une réanimation à la naissance est plus importante après une anesthésie
générale qu’après une anesthésie locorégionale et tout particulièrement dans ce
contexte de souffrance fœtale [32]. Si une analgésie péridurale satisfaisante pour le
travail est déjà en place, l’extension à une anesthésie péridurale permettant la césarienne peut être obtenue rapidement en rajoutant un large volume de Xylocaïne® concentré
(délai moyen avant incision = 10 min). Cette situation idéale justifie la mise en place
«préventive» d’une analgésie péridurale au cours du travail à chaque fois que le risque
d’un recours à la césarienne pour souffrance fœtale aiguë paraît élevé. En effet, si la
péridurale n’est pas déjà en place, sa pose puis l’établissement d’une anesthésie dense
ex nihilo n’est pas possible car le délai nécessaire serait alors trop long (30 à 45 min).
Dans cette situation non anticipée, la rachianesthésie reste la seule solution (délai moyen
avant incision = 10 à 15 min) pour tenter d’éviter l’anesthésie générale, mais sa réalisation peut s’avérer difficile voire impossible dans ce contexte d’urgence.
CONCLUSION
L’augmentation considérable de l’emploi de l’analgésie péridurale en 20 ans (1980 :
4 %, 1996 : 48 %) traduit l’intensité et la fréquence de la douleur au cours du travail et
la prise de conscience de la grande efficacité de cette technique. De plus, cette large
utilisation de la péridurale entraîne une réduction des anesthésies générales en urgence,
source principale des complications anesthésiques graves à l’accouchement. La présence accrue des médecins anesthésistes-réanimateurs concourt aussi à une prise en
charge optimale des urgences maternelles graves (hémorragies notamment). Cette forte
implication des anesthésistes est en train de se heurter malheureusement à des problèmes d’effectifs qui s’aggravent rapidement vue la courbe démographique catastrophique
de cette spécialité.
L’évolution de l’analgésie péridurale a été marquée durant cette dernière décennie
par une réduction des concentrations d’anesthésique local (grâce à l’adjonction d’un
morphinique) pour aboutir à une réduction considérable du bloc moteur tout en préservant la qualité de l’analgésie. Les conséquences sont la disparition de l’influence
négative de la péridurale sur la mécanique obstétricale, une réduction des effets indésirables maternels, une amélioration du confort de la parturiente et l’apparition d’un
nouveau concept : la péridurale ambulatoire pour le début du travail. Le développement récent de la rachianalgésie-péridurale combinée, de la PCEA et l’avènement de la
ropivacaïne sont venus compléter cet «arsenal» thérapeutique désormais sophistiqué.
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