Article original L’ARACHNOIDITE PERIMEDULLAIRE, UNE COMPLICATION SEVERE ET TARDIVE DE L’ANALGESIE PERIDURALE SPINAL ARACHNOIDITIS, A LATE AND SEVERE COMPLICATION OF EPIDURAL ANESTHESIA Combes C, Redondo A, Berthelot JL, Rey A Service de Neurochirurgie, Hôpital Beaujon, 92210 Clichy. Résumé Summary arachnoïdite est une complication rare de la péridurale, sûrement sous-estimée car survenant après un délai par rapport à l’anesthésie. Nous rapportons deux cas survenus après une analgésie péridurale et nous faisons une revue des cas rapportés dans la littérature. La présentation clinique n’est pas spécifique, elle associe des troubles sensitifs, moteurs et sphinctériens d’apparition progressive. L’imagerie par résonance magnétique permet en général de faire le diagnostic. Le pronostic fonctionnel est mauvais avec souvent un handicap séquellaire important. La chirurgie ne semble pas apporter de bénéfice. Le mécanisme de l’arachnoïdite post-péridurale est controversé : il semble s’agir d’une réaction immunologique déclenchée par les anesthésiques qui peut s’étendre de façon chronique. L’ rachnoiditis is a rare complication following epidural anaesthesia, surely underestimated because occurring after a time compared to the anaesthesia.We report two cases which have occurred after an epidural anaesthesia and we make a review of the various cases reported in litterature. The clinical presentation is not specific, it associates sensitive, motor and urinary disorders of progressive appearance. Precontrast and postcontrast magnetic resonance imaging in general is sufficient to diagnose arachnoiditis. The outcome in patients is poor with persistent deficit. The surgery does not seem to bring of benefit. The mechanism of the arachnoiditis induced by epidural anaesthesia is discussed : it seems to be a diffuse and hyperergic reaction to drug injected during anaesthesia. Mots-clefs : Arachnoïdite périmédullaire - Anesthésie péridurale Complications neurologiques. Key-words : Spinal arachnoiditis - Epidural anesthesia - Neurologic complications. RACHIS - Vol. 15, n°2, Juin 2003. A 87 Combes C, Redondo A, Berthelot JL, Rey A anesthésie péridurale est une technique d’analgésie opératoire très couramment utilisée, efficace et sûre. Néanmoins comme toute procédure médicale, elle peut entrainer des complications. L’incidence de ses complications neurologiques est estimée globalement à 1/10000 (1). Mais, ces chiffres peuvent varier d’un auteur à l’autre en raison de l’imprécision du terme « complications neurologiques ». Les déficits neurologiques sévères sont rares environ 0.4-0.6/10000 (2). Ces accidents peuvent être dus à un traumatisme direct de la moëlle ou des racines nerveuses, à une complication vasculaire (hématome rachidien, ischémie médullaire), à une complication infectieuse (abcès ou méningite), ou à la neurotoxicité des agents injectés déclenchant des arachnoïdites dites « chimiques ». Nous rapportons ici deux cas d’arachnoïdite survenue à distance d’une péridurale et nous discutons du mécanisme, de la clinique, de l’aspect radiologique et du pronostic de cette affection plutôt rare et méconnue parmi les complications neurologiques post-péridurale. de l’état général, et de l’absence d’évolutivité des troubles. Une ponction lombaire est néanmoins effectuée le 05/06/01 ; elle est normale en dehors d’une hyperprotéinorachie à 38.25 g/l traduisant le cloisonnement. L’hypothèse d’une complication tardive de la péridurale type arachnoïdite est retenue. La patiente est opérée le 12/06/01, le diagnostic est confirmé et les kystes arachnoïdiens sont effondrés et évacués. L’examen anatomo-pathologique de la pièce opératoire montre une arachnoïdite subaigüe et chronique modérée. La patiente s’est améliorée de façon partielle en post-opératoire avec récupération d’un périmètre de marche à 30 mètres avec 2 cannes anglaises 1 mois après. Mais, en septembre 2001 en raison d’une aggravation neurologique, la patiente a bénéficié d’une deuxième chirurgie avec évacuation d’un nouveau kyste à la partie supérieure du foyer opératoire. Il n’y a quasiment pas eu d’amélioration neurologique ensuite et la patiente reste très handicapée (elle marche quelques mètres avec un déambulateur). L’ Cas n°2 Cas cliniques Mme F., âgée de 41 ans, sans antécédents en dehors de 3 accouchements par voie basse, le dernier remontant à 8 ans, souffre depuis décembre 2001 de radiculalgie droite d’horaire inflammatoire, d’intensité croissante, de trajet mal systématisé. En juillet 2002, suite au port d’une charge lourde, des lombalgies nocturnes, impulsives à la toux et à l’effort sont apparues. Un scanner pelvien demandé par le médecin généraliste montre une fissure anale. La patiente est alors opérée le 08/08/02 sous péridurale. Le lendemain, un globe vésical est constaté nécessitant la pose d’un cathéter sus-pubien et s’accompagnant d’une recrudescence des radiculalgies. L’examen neurologique est normal en dehors d’un réflexe achilléen gauche aboli et des troubles sphinctériens. Une imagerie par résonance est demandée à la recherche d’une complication précoce de la péridurale comme un hématome épidural, ou une ischémie médullaire. Elle montre alors une lésion intra-durale en L1-L3, avec un aspect inflammatoire de l’articulaire gauche de L1 (figures 1). L’hypothèse d’un neurinome lombaire est évoquée. La patiente est opérée le 4/09/02, l’aspect per-opératoire montre un épaississement de l’articulaire gauche de L1, de l’arachnoïde localisée en L1-L2, avec certaines racines de la queue de cheval prise dans une arachnoïdite. Le diagnostic d’arachnoïdite est ensuite confirmé par Cas n°1 Mme L., 57 ans, sans antécédents particuliers hormis une hystérectomie pour fibrome il y a 15 ans, est opérée le 30/01/01 d’une amputation abdomino-périnéale pour carcinome du rectum ; l’analgésie post-opératoire est assurée par un cathéter épidural posé en pré-opératoire. Celui-ci est retiré 24 heures après la chirurgie. Fin avril 2001, elle se plaint de douleurs dorsales basses, avec décharges électriques descendant dans les jambes accompagnées d’une fatigabilité anormale à la marche. L’examen neurologique montre alors un tableau de compression médullaire avec une paraparésie spastique prédominant à droite, une hypoesthésie superficielle des membres inférieurs remontant jusqu’en D10 et une hypopallesthésie sans troubles sphinctériens. Une imagerie par résonance magnétique du rachis dorsal effectuée à ce moment-là retrouve un processus extra-médullaire et intra-dural de signal liquidien s’étendant de T5 à T9 refoulant le cordon médullaire, prenant le contraste en périphérie, évoquant une lésion kystique avec arachnoïdite. L’hypothèse d’une méningite carcinomateuse est évoquée, puis éliminée en raison de l’absence d’altération RACHIS - Vol. 15, n°2, Juin 2003. 88 L’arachnoïdite périmédullaire, une complication sévère et tardive de l’analgésie péridurale mentalement chez l’animal où l’on a pu déclencher des arachnoïdites chimiques après injection épidurale de détergents (3). Les solutions anesthésiques vasoconstrictrices ont été également incriminées. Elles peuvent contenir des conservateurs comme le métabisulfite ou le méthylparaben (1), ces produits dont on ne connaît pas la toxicité neurologique entraînent des dermatoses sévères lorsqu’on les utilise dans les préparations à usage Discussion cutané (3). Il ne semble pas nécessaire d’injecter le produit dans Les arachnoïdites périmél’espace sous-arachnoïdien dullaires peuvent survenir pour obtenir une arachnoïdans les suites de procédudite. Le produit peut diffures diagnostiques ou théraser à travers la dure-mère et peutiques qui nécessitent le long des gaines radiculail’introduction de substanres (4). L’expérimentation ces étrangères dans les animale a montré que les espaces sous-arachnoïdrogues anesthésiques sont diens. Différents agents retrouvées dans le liquide ont été incriminés comme céphalo-rachidien après le produit de contraste utipéridurale sans qu’il n’y ait lisé dans les myélograde brèche méningée (3). phies, les médicaments Figure 1 : IRM médullaire en coupe sagittale en séquence pondérée T1 avec injection de gadolinium montrant une prise de contraste méningée le Quelque soit leur étiolocomme les corticoïdes ou long de la moëlle et des racines de la queue de cheval , et une image arrongie, le tableau clinique de la pénicilline, le sérum die, aux contours réguliers, intra-durale, prenant le contraste de façon ces arachnoïdites est idenantitétanique ou des prohomogène en L1-L2. tique et très polymorphe. duits anesthésiants (3). Les premiers signes sont Elles peuvent aussi s’obdes troubles sensitifs avec des dysesthésies, des brûluserver au décours d’une méningite ou d’une chirurgie res, des sensations de striction. Dans des délais variamédullaire. Enfin dans certains cas, on ne retrouve pas bles, apparaissent des difficultés à la marche et des de cause (4). troubles sphinctériens. Cette aggravation est lentement Les arachnoïdites surviennent en général dans un délai progressive et va aboutir à une paraplégie plus ou de quelques mois à quelques années (jusqu’à 12 ans) moins complète ou un syndrome de la queue de cheval après la péridurale (4). Dans nos deux cas, ce délai (1). Notre premier cas est assez conforme aux données était respectivement de 3 mois à 8 ans. de la littérature avec une paraplégie s’installant rapiLe mécanisme le plus souvent retenu dans l’origine de dement en 3 mois alors que dans le second cas, la cette arachnoïdite est une réaction allergique aux prosymptomatologie est plus frustre, et se résume à une duits introduits (6). Il pourrait s’agir d’une réaction radiculalgie et des troubles urinaires. aux détergents utilisés pour la désinfection des instruL’imagerie par résonance magnétique est l’examen le ments d’anesthésie comme cela a été reproduit expéril’examen anatomo-pathologique. En post-opératoire, les troubles sphinctériens ont disparu, ainsi que les radiculalgies. La patiente va bien actuellement. A la reprise de l’interrogatoire, on apprend qu’après le dernier accouchement sous péridurale il y a 8 ans, la patiente avait présenté une paraparésie régressive en quelques mois. RACHIS - Vol. 15, n°2, Juin 2003. 89 Combes C, Redondo A, Berthelot JL, Rey A te une réaggravation neurologique (9, 10), comme si la réaction inflammatoire continuait à évoluer pour son propre compte. C’est ce qui s’est produit pour notre première patiente avec à l’imagerie apparition d’un nouveau kyste arachnoïdien compressif témoignant de l’évolutivité du processus. Enfin, dans certains cas, la chirurgie n’apporte aucune amélioration neurologique (8, 9). Dans la littérature, peu d’alternatives thérapeutiques à la chirurgie sont proposées : dans la majorité des cas, il y a eu abstention thérapeutique (3, 4, 6). Néanmoins, on peut rapporter un cas intéressant de chirurgie suivie d’une aggravation neurologique en post-opératoire ayant régressé sous médication anti-inflammatoire (10). plus performant pour faire le diagnostic d’arachnoïde périmédullaire. Dans certains cas, la myélographie et le scanner peuvent être nécessaires en complément diagnostic (7). Il n’existe pas de signes radiologiques spécifiques dans les formes post-péridurales. Cependant les lésions sont volontiers plus étendues le long de la moelle que dans les autres étiologies (4). L’examen montre une moelle fine de contours irréguliers en raison des adhérences arachnoïdiennes (4). On peut observer des kystes arachnoïdiens qui compriment la moelle ainsi qu’une prise de contraste méningée et les racines peuvent apparaître irrégulières, épaissies, mal individualisées (7). Il faut rapporter des cas fréquents de syringomyélie secondaire à l’inflammation des méninges qui entraîne une cicatrice au niveau de l’arachnoïde avec une vasoconstriction locale, puis une ischémie médullaire, et une nécrose aboutissant à un kyste qui va s’étendre réalisant une forme syringomyélique (8). S’il existe quelques cas d’amélioration spontanée (8, 9), le pronostic de l’arachnoïdite post-péridurale est en général mauvais avec des séquelles fonctionnelles importantes (3, 4, 6). Il semble que la réaction inflammatoire ne reste pas toujours confinée à un étage médullaire, mais qu’elle puisse se propager à toute la moëlle entretenue par une réponse immunitaire persistante subaigüe voire chronique (4). Elle peut même atteindre le cerveau et des nerfs crâniens (6). Dans la littérature, les cas d’arachnoidite post-péridurale opérés sont rares (7 ,8 ,9 ,10), probablement en raison de l’extension fréquente des lésions le long de la moëlle rendant la chirurgie difficile (4). Il peut y avoir des améliorations post-opératoires (8, 9), comme c’est le cas pour notre deuxième patiente. Mais souvent, il y a ensui- Conclusion L’arachnoïdite post-péridurale est souvent responsable de troubles neurologiques importants avec un tableau de compression médullaire ou de syndrome de la queue de cheval. Le délai d’apparition des signes est variable allant de quelques mois à quelques années rendant parfois le diagnostic difficile. L’imagerie médullaire par résonance magnétique permet de visualiser l’arachnoïdite. Le pronostic est en général mauvais avec des séquelles neurologiques importantes. Dans la majorité des cas, chirurgie ne permet pas d’améliorer l’état clinique. Il y a peu d’alternatives thérapeutiques rapportées dans la littérature, où l’abstention thérapeutique est souvent de règle. On peut néanmoins relater un cas intéressant d’amélioration sous médication anti-inflammatoire. ■ Bibliographie 1- Pujol S, Torrielli R. (1996). Accidents neurologiques après anesthésie péridurale en milieu obstétrical. Cahiers d’anesthésiologie 44 (4) : 341-345. RACHIS - Vol. 15, n°2, Juin 2003. 2- Aromaa U, Ladhensuu M, Cozanitis DA. (1997) Severe complications associated with epidural and spinal anaesthesias in inland 1987-1993. A study 90 L’arachnoïdite périmédullaire, une complication sévère et tardive de l’analgésie péridurale based on patient insurance claims. Acta anaesthesiol Scand 41 (4) : 445-452. arachnoiditis following epidural analgesia. J Neurol 230 : 253-257. 3- Sghirlanzoni A, Marazzi R, Pareyson D, Olivieri A, Bracchi M. (1989). Epidural anaesthesia and spinal arachnoiditis. 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