UNE EGLISE DANS LA MANGEOIRE
Extraits de la lettre pastorale de Monseigneur Paul Desfarges
Evêque de Constantine et Hippone
« Cette lettre voudrait nous aider à réfléchir ensemble au mystère de notre Eglise qui
est en Algérie. Le mot mystère n’évoque pas une réalisation incompréhensible, mais
une réalité que l’on n’a jamais fini de mieux comprendre…
1 - Et le Verbe s’est fait fait Frère…(1)
Notre petite Eglise est dans la mangeoire. Nous sommes l’Eglise de la mangeoire.
L’Esprit et Marie nous déposent et nous disposent, faisant de nos vies des vies livrées
par amour. Certes l’Eglise est toujours aussi l’Eglise de la Cène. D’ailleurs la
mangeoire évoque déjà la patène. Mais notre Eglise, malgré sa longue histoire qui
remonte aux premiers siècles, est, en ce moment encore, dans une période
d’enfantement. Aussi la Crèche et la spiritualité de Bethléem éclairent d’une douce
lumière le chemin de notre Eglise.
La Crèche gardera notre Eglise de tout esprit de conquête et la maintiendra dans la
juste attitude de discrétion, pour la grande histoire d’amour dans laquelle elle est
embarquée.
Que se passe-t-il à la Crèche ? Il ne s’agit pas d’abord d’un évènement à caractère
religieux… Tout nous est présenté comme un fait de l’histoire, un recensement, la
naissance d’un enfant dans des conditions modestes et la visite, d’abord de petits
gens vivant à proximité, puis de gens du monde entier venus de loin. Telle est la
condition de notre Eglise, une petite famille à qui un enfant a été confié, qui crée des
liens amicaux, fraternels, avec ses voisins, ses proches, tout son peuple et qui
s’enrichit aussi de gens qui viennent de loin…
Dans ces rencontres d’humanité, au niveau de l’humain tout simple, loin de tout
langage confessionnel, nous sommes déjà dans l’annonce réciproque d’une bonne
nouvelle. Seul compte la rencontre de l’autre pour lui-même. « Je suis heureux de te
connaître, toi… Je suis heureux que tu sois, j’ai bonheur de ta vie, j’ai bonheur à te
rencontrer, te connaître ». Les appartenances nationales, religieuses et les séquelles
de l’histoire ne son pas du tout niées ; elles deviennent des éléments de la
personnalité de cet autre que je suis heureux de rencontrer bien au-delà des
représentations que je peux me faire de lui, à travers sa nationalité, sa religion et son
histoire.
______
1 Expression de Frère Christian de Chergé « Le dialogue islamo-chrétien » Christian Salenson
C’est cette rencontre d’humanité qui permet de refaire le lien, quand l’appartenance
d’un enfant du pays au groupe des disciples de Jésus a pu créer une distance avec ses
proches. Elle s’énonce parfois ainsi : « Tu es toujours mon fils, mon frère, ma sœur,
mon ami »
…Aller à la rencontre de quelqu’un sera d’ouvrir au mystère qu’il porte, à la manière
unique qu’il a de l’incarner dan sa vie, par-delà ce qui peut parfois le voiler et même
l’étouffer. C’est pourquoi toute vraie rencontre est une heureuse surprise. Elle est
une lumière sur la présence du Tout-Autre, en chaque autre. Les vies d’épouses
chrétiennes de maris musulmans sont un témoignage souvent émouvant de la
fécondité de ces rencontres.
L’hospitalité réciproque
Pour tout disciple de Jésus dans notre pays, avant tout agir, avant toute activité
pastorale, humanitaire, caritative, culturelle ou autre, il y a à vivre une attitude de
fond que l’on peut nomme l’hospitalité réciproque, une ouverture mutuelle, où nous
accueillons celui qui nous accueille, où nous apprenons à nous traiter en frères
bienveillants (1)….
Demander un cœur qui écoute
…Prions pour que notre Eglise reçoive toujours plus un cœur qui écoute. Le peuple
qui nous est donné à aimer et servir, nous n’aurons jamais fini de le connaître, même
si nous sommes enfants de ce peuple. En outre, dans notre peuple, chacun est
différent, unique et même le mystère de sa foi est propre à chacun. Chaque
musulman, comme chaque chrétien, incarne, de manière unique, la foi qu’il professe.
Chacun demeure mystère…
un cœur qui aime, un cœur qui croit et qui espère, qui croit en l’autre et espère en
l’autre…
Pensons au regard de Jésus sur Zachée, l’homme riche, la femme adultère, la
Samaritaine, le Bon Larron et tant d’autres… Racontant sa conversion, Paul Claudel
disait : « Et voici que vous êtes quelqu’un ».
_________
1 -Ad Gentes, chapitre II, article 1 : « Pour que les chrétiens puissent donner avec fruit ce témoignage du
Christ, ils doivent se joindre à ces hommes par l’estime et la charité, se reconnaître comme des membres du
groupement humain dans lequel ils vivent, avoir une part dans la vie culturelle et sociale…§11
« La présence des chrétiens dans les groupements humains doit être animée de cette charité dont nous a
aimés Dieu, qui veut que nous aussi nous nous aimions mutuellement de la même charité… La charité
chrétienne s’étend vraiment à tous les hommes… Elle n’attend aucun profit ou reconnaissance… De même,
que les fidèles soient préoccupés dans leur charité de l’homme lui-même, en l’aimant du même mouvement
dont Dieu nous a cherchés…. »§12
2
Avec Jésus je sais que pour Dieu, je suis quelqu’un d’important et d’unique. « Il m’a
aimé dira St Paul alors que j’étais encore pécheur ». Recevant par ce regard, sauvé
par ce regard, il nous est donné de devenir médiation du regard du Christ
… Nous pouvons faire nôtre cette courte prière : Jésus, fait de nous, fais de chacun et
chacun d’entre nous, un regard de ta bonté sur tous ceux qui partagent notre vie et
croisent notre route….
Ta foi est grande
Dans un moment du monde tenté par la violence interreligieuse, au sein d’une
tension entre l’islam et l’Occident, notre Eglise d’ Algérie est porteuse d’un
témoignage non pas de tolérance ou de simple coexistence entre chrétiens et
musulmans, mais du témoignage d’une rencontre spirituelle qui va parfois jusqu’à
l’admiration de la foi de l’autre, à l’exemple de Jésus dans l’Evangile s’émerveillant de
la foi du Centurion ou de la Cananéenne, des non-juifs. Il nous est donné de
rencontrer des musulmans, des musulmanes dans leur quête spirituelle et croyante…
… Il nous arrive de rencontrer des musulmans, des musulmanes appartenant à l’une
ou l’autre tarîqa, confrérie religieuse, qui pratique un islam soufi. Eux-mêmes aiment
nous rencontrer. Nous expérimentons qu’un dialogue spirituel est possible, chacun
pouvant faire part à l’autre du mystère de foi qui l’habite. Ce dialogue spirituel n’est
pas un dialogue sur les dogmes de la foi, mais beaucoup plus simplement sur le
mouvement du cœur que la foi irrigue. Nos frères et sœurs du Ribât es-salam, avec
bien d’autres, ont beaucoup de témoignages à nous apporter sur les fruits de ces
rencontres spirituelles, pour les chrétiens comme pour les musulmans.
II L’histoire sainte
Pour un dialogue dans la vérité
Il nous fait reconnaître d’emblée que pour les musulmans, la doctrine chrétienne de
l’Incarnation du Verbe de Dieu en Jésus Christ a un aspect provoquant et même
scandaleux. Que le Tout-puissant, le Dieu de gloire, le Dieu éternel, se fasse aussi
petit qu’n nouveau-né et mène une vie qui le conduit au supplice de la Croix peut
apparaître comme une sorte de contradiction dans les termes et peut être mal
compris. Nous-mêmes, chrétiens, n’aurons jamais fini de chercher à comprendre. Les
mots pour dire ce mystère seront toujours en-deçà de la réalité qu’ils veulent
indiquer…
Les religions
…Jésus apportait une nouveauté radicale, à savoir que l’accès à Dieu n’est pas
conditionné par une observance et une pratique. Jésus, le Christ, fait passer de la
condition de serviteur à celle d’ami (Jean 15, 15)….
3
Trop souvent la religion nous fait croire que l’on a accès à Dieu par la fidélité aux
observances de la loi religieuse ou des pratiques rituelles. On risque alors de tomber
dans une relation à Dieu du type donnant-donnant. Certes la loi est bonne, la
pratique est bonne et nous en avons besoin. Jésus dira « Je ne suis pas venu abolir la
loi, mais l’accomplir. » (Mt 5, 17). Or l’accomplissement, c’est l’Amour…
L’islam approché dans une lecture chrétienne de l’histoire
La question que nous nous posons souvent est la suivante : comment rendre compte
de notre regard bienveillant sur les musulmans dont beaucoup nous donnent un
témoignage de foi et en même temps l’impossibilité radicale pour un chrétien de
reconnaître l’islam pour ce qu’il se veut être, la dernière et plénière révélation de
Dieu ? Au nom même de sa foi et de sa théologie de la transcendance de Dieu, l’islam
contient le refus des mystères centraux de la foi chrétienne : le mystère de
l’incarnation et de la Trinité, c’est-à-dire le refus du mystère d’un Dieu qui se donne
en communion d’amour avec sa créature…
…Le Salut est le don de la Vie même de Dieu et Dieu se donne en son Fils. Il est inutile
de rappeler encore que Jésus n’est pas venu apporter une morale plus exigeante, ni
une sagesse plus haute. « Je ne suis pas venu abolir la Loi et les Prophètes… mais
accomplir » (Mt 5, 17) Jésus et venu apporter Dieu Lui-même, donner la Vie même de
Dieu pour qu’elle devienne la Vie de notre vie, l’Amour de notre amour, car « Dieu
est Amour (1 Jean 4, 8 et 16). Le Christ est l’unique voie de Salut car il est l’unique
Médiateur entre Dieu et l’homme (1 Tim 2,5) En Lui, Dieu s’est humanisé et l’humain
est divinisé
… Dans cette longue histoire de Dieu avec ses créatures, nous trouvons l’islam qui
nous paraît participer à la fois de l’abandon (islam signifie soumission) à Dieu, au
Dieu transcendant, mais aussi d’une forme de « résistance » au Dieu humble et doux
de l’évangile révélé dans la Personne même de Dieu.
L’islam à cause de sa conception du monothéisme, attestation intransigeante de la
transcendance de Dieu, ferme et rend difficile l’accueil d’un Dieu humble qui vient
demeurer chez sa créature, le Dieu humble qui se révèle à la Crèche et sur la Croix. Il
ne peut accueillir Dieu dans un homme, Jésus de Nazareth, en qui « réside la
plénitude de la divinité »(Col 2, 9)…
… Dans le Coran, Jésus est certes considéré comme un grand prophète, mais
précisément, cette connaissance semble fermer l’accès à son mystère. Pour la foi
chrétienne, Jésus n’est pas seulement un prophète, ou un grand prophète. Il est Dieu
lui-même venant inviter sa créature à une relation d’intimité avec lui. A cet inouï de
Dieu, l’islam dans l’attestation de sa foi constitue une fermeture…
Au nom de l’intransigeante unicité de Dieu, l’islam refuse l’Incarnation et donc le
mystère trinitaire. Par quel secrets des libertés, le prophète de l’islam, qui a
4
fréquenté juifs et chrétiens, en est-il venu à reprendre, à sa manière, le flambeau juif
de la transcendance divine, d’une manière qui ne laisse pas place à son Incarnation ?
Des personnages bibliques sont cités dans le Coran, souvent comme des justes. Mais
comment expliquer qu’aucun de ceux que nous nommons prophètes dans l’Ancien
Testament, les Isaïe… Jérémie, Amos ou Osée ne paraissent dans le Coran ? Or ces
prophètes annonçaient un Dieu aux entrailles de miséricorde. Les musulmans
invoquent le Dieu de miséricorde, mais seuls les mystiques vont jusqu’au bout de
l’expérience d’un Amour qui ouvre à une communion de vie où l’un demeure en
l’autre. Pour l’islam, le croyant demeure face à Dieu, devant Dieu.
Pour le chrétien, le croyant reçoit de demeurer en Dieu…
… Comme le Coran y invite nos frères musulmans, rivalisons dans la piété et les
bonnes œuvres (9)
Notre regard permet aussi de comprendre la distance, voire le fossé entre l’islam et
la foi chrétienne. A cause de sa dimension politique, sociopolitique, parfois
idéologique, à cause de la centralité de la loi religieuse, l’appartenance à l’islam
sépare de ceux qui n’en sont pas. Ceux qui, venant de l’islam, deviennent disciples du
Christ, vivent parfois douloureusement le fait de quitter cette appartenance quasi
biologique, très sécurisante. En revanche, l’appartenance à Jésus ouvre à l’universel
humain. La sécurité n’est plus celle d’un englobant, de la matrice communautaire de
l’Oumma, elle est celle de l’appui intérieur que donne une foi, jamais possédée,
toujours renouvelée par un oui, un « fiat » de confiance à redire chaque jour.
Ce détour plus théologique était nécessaire pour comprendre et fonder le
témoignage des chrétiens. Il permet aussi, je crois, de situer à sa vraie place le
dialogue islamo-chrétien. Le respect, l’accueil parfois émerveillé de la foi de l’autre
n’empêche pas l’urgence du témoignage….
Le dialogue interreligieux
Le dialogue qui cherche la rencontre de l’autre, au meilleur de lui, peut se vivre de
bien des manières, selon les grâces du moment, depuis l’émerveillement devant la foi
de l’autre, la confiance dans l’amitié partagée, jusqu’à l’épreuve douloureuse devant
le refus de ce qui nous brûle le cœur. Il peut aussi prendre la forme du dialogue
théologique toujours nécessaire où nous apprenons à connaître l’autre comme il se
connaît lui-même, comme il se dit lui-même. Il nous faut dans notre Eglise continuer
à étudier l’islam pour bien le connaître…
… Ce dialogue de la vie qui peut devenir dialogue spirituel ou dialogue théologique ne
cherche pas à conquérir, il cherche à mieux connaître l’autre pour mieux l’aimer et le
servir.
______
9 Le Coran, sourate V, 2 « Ô vous qui croyez… encouragez-vous mutuellement à la piété et à la crainte
révérencielle de Dieu ».
5
1 / 5 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !