M I S E A U P O I N T Prise en charge des troubles du comportement lors d’un syndrome démentiel ● F. Lebert* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ L’évaluation comportementale lors de syndrome démentiel nécessite la présence d’un proche. ■ L’évaluation comportementale peut contribuer au diagnostic du type de maladie neurodégénérative comme dans le cas des démences frontotemporales. ■ Un trouble aigu du comportement est du à une pathologie somatique surajoutée ou à une thérapeutique mal tolérée jusqu’à preuve du contraire. ■ Le traitement d’un trouble du comprtement (agitation, hallucination, trouble de l’humeur, etc.) dépend de sa cause. ■ Les neuroleptiques sont les psychotropes les plus mal tolérés lors de syndrome démentiel. a prise en charge des troubles du comportement lors d’un syndrome démentiel est essentielle dans le suivi des patients pour retarder, et même éviter, le plus grand nombre possible d’institutionnalisations, et pour soulager les proches, souvent épuisés avec l’avancée dans la maladie. L’origine d’un trouble du comportement comme des hallucinations ou un état d’agitation peut être très variée ; c’est pourquoi le même symptôme pourra être traité différemment suivant la cause. Cette diversité des étiologies rend nécessaire la pluridisciplinarité des compétences des consul- L * Centre de la Mémoire, Hôpital Roger-Salengro, Centre Hospitalier Universitaire, Lille. La Lettre du Neurologue - n° 2 - vol. II - avril 1998 tations mémoire, unités fonctionnelles dédiées à la prise en charge des démences. Pour suspecter qu’un trouble du comportement est lié à un syndrome démentiel il est nécessaire de s’assurer que cette conduite est considérée par les proches comme un changement dans les habitudes sociales ou affectives du sujet, ce qui rend obligatoire l’entretien avec un tiers. Celui-ci permettra aussi de préciser le début des troubles et leur chronologie de survenue, guidant la conduite à tenir (figure 1). LES TROUBLES DU COMPORTEMENT AIGUS OU SUBAIGUS Une décompensation comportementale brutale ou rapide doit faire rechercher en premier lieu une symptomatologie confusionnelle, en particulier une inversion nycthémérale, une modification de l’activité psychomotrice, des illusions perceptives et une dégradation rapide des fonctions cognitives inexplicable par la seule cause du syndrome démentiel. Le patient ne peut que rarement orienter le clinicien sur l’origine du syndrome confusionnel ; seul le proche aura noté une position de la main sur l’épigastre orientant vers l’estomac, sur le thorax orientant vers une cardiopathie, des déplacements plus fréquents aux toilettes, quand cela est encore possible ou une récente incontinence évoquant une pathologie urinaire. La fièvre pourra manquer lors d’une pathologie infectieuse, l’émission de selles pourra persister malgré un sévère fécalome... C’est pourquoi un bilan clinique soigneux et paraclinique minimal (biologie standard, examen des urines, abdomen sans préparation, radio de poumons, ECG, parfois EEG) est indispensable. Une alcoolémie peut être justifiée. En dehors des pathologies intercurrentes, plusieurs thérapeutiques peuvent être à l’origine d’un syndrome confusionnel. Dans notre pratique quotidienne, la classe des neuroleptiques est la première à l’origine de syndrome confusionnel. Le seul vrai diagnostic différentiel avec la confusion, par définition secondaire à une autre pathologie, est la fluctuation de la symptomatologie observée lors de démence à corps de Lewy. La répétition des épisodes inexpliqués et les caractéristiques de la démence permettront de l’identifier. Le traitement des troubles du comportement lors de confusion est celui de la cause, c’est-à-dire une antibiothérapie, une hydratation, des lavements... Un traitement symptomatique n’est justifié que 61 M I S E A pour pouvoir examiner le malade, réaliser les examens complémentaires et protéger le malade et son entourage des conséquences des troubles comportementaux. Les sédatifs de demi-vie courte sont à préférer. Les carbamates et les antihistaminiques sont habituellement bien tolérés, même lorsque les doses doivent être augmentées. La posologie dépend de la sévérité des troubles, de la dangerosité de la situation et de la sensibilité du patient. Le méprobamate peut être utilisé de 750 à 1600 mg/j, l’hydroxyzine de 75 à 300 mg/j. Toutefois, la non-réalisation de protocoles en double aveugle dans ce domaine ne permet pas de donner de recommandations définitives. LES TROUBLES DU COMPORTEMENT DE PLUS LONGUE DUREE En premier lieu, une identification qualitative des manifestations comportementales doit être réalisée afin de les rattacher à une pathologie. Elles peuvent être en rapport avec une maladie psychiatrique surajoutée, préexistant au syndrome démentiel comme une psychose maniaco-dépressive, ou de survenue récente comme un épisode dépressif. L’entretien psychiatrique permettra de faire la différence entre les modifications comportementales observables dans une maladie d’Alzheimer, par exemple, et les manifestations d’une maladie psychiatrique. L’entretien psychiatrique avec le patient et avec un proche orientera ensuite vers le type de syndrome démentiel, maladie d’Alzheimer, démence frontotemporale ou démence à corps de Lewy, confirmant le diagnostic précédemment fait ou le remettant en question. Cette différence est nécessaire pour le choix thérapeutique des molécules et la posologie nécessaire. L’évolution des connaissances en matière de syndrome démentiel, avec l’individualisation des démences non Alzheimer, a fait revoir la validité d’anciens outils et en a généré de nouveaux. Ainsi, les critères de Wells, créés pour différencier dépression et démence en faisant référence, sans l’exprimer, aux symptômes rencontrés dans la maladie d’Alzheimer, ont perdu de leur pertinence avec l’existence des démences frontotemporales, qui répondent fréquemment aux critères de dépression d’après Wells (1). Parmi les nouveaux outils d’évaluation des manifestations psychiatriques aidant à la différenciation des pathologies et au suivi des thérapeutiques, le psychiatre pourra utiliser des entretiens semi-structurés (Neuropsychiatric inventory, par exemple), des questionnaires destinés aux proches (Questionnaire de dyscontrôle comportemental...), des outils de diagnostic (Frontotemporal behavioural scale, Frontal Behavioural Inventory...). L’entretien avec les proches permettra aussi une analyse du contexte familial et social de survenue des troubles qui peut les influencer. L’année 1997 a vu la parution de “guidelines” pharmacologiques pour le traitement des démences, comprenant l’abord du traitement des troubles du comportement (2). Ces symptômes ont été appelés “Behavioral and psychological signs and symptoms of dementia (BPSSD) (3). 62 U P O I N T Lors de manifestations psychotiques ou d’agitation ◗ Les antipsychotiques sont rapportés comme étant de faible efficacité, équivalents entre eux, ayant de sévères effets indésirables comme la sédation et l’aggravation de l’altération cognitive, avec confusion, hypotension, effets anticholinergiques et effets extrapyramidaux nécessitant d’utiliser des posologies très faibles. Ils rappellent que la survenue des effets secondaires est beaucoup plus fréquente lors de syndromes démentiels. Les effets extrapyramidaux seraient moins fréquents avec la rispéridone et la clozapine mais pas les effets secondaires en général. ◗ Les benzodiazépines sont indiquées pour les manifestations d’anxiété, avec une préférence pour ceux n’ayant pas de métabolites actifs comme le lorazépam et l’oxazépam. ◗ La carbamazépine, le valproate, la trazodone, la buspirone et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine pourraient être indiqués dans les états d’agitation compte tenu des résultats de la littérature. ◗ En revanche, lithium et bêtabloquants ne sont pas recommandés. Les manifestations dépressives Elles peuvent d’abord être améliorées par le contexte de vie et par des méthodes de stimulation (sorties...) avant d’utiliser les thérapeutiques pharmacologiques. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont choisis préférentiellement en raison de leurs faibles effets secondaires, mais pas exclusivement ; la venlafaxine, inhibiteur de la sérotonine et de la noradrénaline, pourrait être intéressante chez certains patients. En revanche, ceux ayant des effets anticholinergiques sont exclus. En cas de non-réponse aux antidépresseurs, ils n’excluent pas l’utilisation de la sismothérapie, de préférence unilatérale. Les troubles du sommeil Ils persistent après les mesures d’hygiène de vie habituelles (suppression du café, alcool...) et peuvent être traités préférentiellement par du zolpidem ou de la trazodone. Ces consignes sont une avancée importante vers une approche spécifique des troubles du comportement lors d’un syndrome démentiel, c’est-à-dire différente de la prise en charge des mêmes symptômes lors de maladies psychiatriques, mais une analyse sémiologique plus fine permettrait sans doute encore de meilleurs résultats. Ainsi, dans l’agitation, l’instabilité psychomotrice semble particulièrement sensible à la trazodone (4), alors que parmi les manifestations psychotiques, les hallucinations seraient améliorées par des agents cholinergiques (5). La mise en évidence récente de l’effet délétère des neuroleptiques lors de la démence, et pas seulement de la démence à corps de Lewy (6), laisse espérer l’apparition de protocoles thérapeutiques sur les traitements des troubles du comportement. La Lettre du Neurologue - n° 2 - vol. II - avril 1998 M I S E A INFORMATIONS ET AIDES AUX PROCHES L’explication de la raison des modifications comportementales lors d’un syndrome démentiel est capitale pour éviter les fausses interprétations et les déductions hâtives comme : “il le fait exprès..., c’est pour me déplaire..., il ne s’est jamais remis de sa retraite...”. La compréhension du lien entre les changements de comportement et la maladie neurologique est indispensable pour éviter les conditions favorisant l’apparition des troubles comme la mise en échec, l’entraînement par la répétition permanente, l’interrogation de façon répétée du malade sur sa santé, l’absence d’aide pour des tâches devenues non réalisables par le patient ou à l’inverse, une aide permanente même lorsqu’il sait encore les effectuer seul. L’infantilisation avec un discours éducationnel est également mal tolérée et néfaste. Le proche doit arriver progressivement à une maîtrise de son propre comportement vis-à-vis du malade ; cela peut nécessiter plusieurs mois ou années et rend indispensables la répétition des informations de notre part ainsi qu’un accompagnement. Des adaptations de locaux doivent parfois être envisagées, comme le retrait de glaces, quand l’image du patient alimente un syndrome délirant, ou des clés sur les placards, lorsque des objets non alimentaires comme des produits d’entretien risquent d’être consommés. Le choix des vêtements doit être discuté ; l’utilisation de fermetures Eclair placées dans le dos peut permettre des déshabillages inadaptés moins fréquents. Des vêtements insuffisamment doux et trop serrés peuvent favoriser des illusions cénesthésiques. Si les proches gardent avant tout leur rôle de “famille”, ils 64 U P O I N T deviennent aussi les acteurs principaux des soins. Ils doivent connaître la possibilité d’une protection juridique d’urgence pour les actes de la vie civile, la sauvegarde de justice. Une information sur les signes permettant d’identifier un syndrome confusionnel et sur la conduite à tenir permet d’éviter des aggravations brutales nécessitant une hospitalisation. Si le maintien à domicile est de règle, il faut savoir hospitaliser brièvement les patients dans des unités adaptées pour rechercher un facteur surajouté ou équilibrer un traitement. Préparer les proches à ce type d’hospitalisation est souhaitable. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Lebert F., Pasquier F., Luauté J.P. De la pseudo-démence dépressive à la dépression pseudo-démentielle. In : Les démences fronto-temporales. Masson : Paris, 1995 : 145-52. 2. American Psychiatric Association. Practice guidelines for the treatment of patients with Alzheimer’s disease and other dementias of late life. Am J Psychiatry 1997; 154 (suppl) : 1-39. 3. Homma A., Brodaty H., Bruno G. et coll. Clinical trials of treatment for noncognitive symptoms of dementia. Alz Dis Associ Dis 1997 ; 11 (suppl 3) : 54-5. 4. Lebert F., Pasquier F., Petit H. Behavioral effects of trazodone in Alzheimer’s disease. J Clin Psychiatry 1994 ; 55 : 536-8. 5. Cummings J.L., Gorman D.G., Shapira J. Physostigmine ameliorates the delusions of Alzheimer’s disease. Biol Psychiatry 1993 ; 33 : 536-41. 6. McShane R., Keene, Gedling K. et coll. Do neuroleptic drugs hasten cognitive decline in dementia? Prospective study with necropsy follow up. BMJ 1997 ; 314 : 266-70. La Lettre du Neurologue - n° 2 - vol. II - avril 1998