TOME 138
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N° 10
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DÉCEMBRE 2016
LE CONCOURS MÉDICAL
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Syndrome d’épuisement professionnel
relation à autrui et la perte du sentiment d’accom-
plissement personnel(4).
Une situation de surcharge mentale
spécifique au travail
Christophe Dejours, psychiatre, professeur au
Conservatoire national des arts et métiers, situe
le syndrome d’épuisement professionnel parmi
les pathologies de surcharge et précise : « Dans
le burn out, l’engagement personnel est iden-
tifié comme le facteur de risque principal : c’est
dans l’implication et la conscience profession-
nelle, qui sont aussi des conditions de la per-
formance et se révèlent particulièrement
appréciées par les collègues et les supérieurs
hiérarchiques, que réside la vulnérabilité »(5).
Cette précision est essentielle. La compréhen-
sion du syndrome d’épuisement professionnel
passe nécessairement par la clinique du travail,
par l’analyse du rapport subjectif au travail. C’est
en effet du côté du travail, de l’organisation du
travail, qu’il faut chercher les clefs de compré-
hension et les pistes de prévention de l’épuise-
ment professionnel, dans les dysfonctionnements
organisationnels, dans les écarts entre objectifs
fixés et moyens attribués, entre buts affichés et
buts réels, entre discours et pratiques, dans l’exis-
tence ou non de marges de manœuvres pour faire
face aux situations réelles de travail, dans les cri-
tères et méthodes d’évaluation…
Il est indispensable, pour pouvoir comprendre
et agir, de ne pas étendre le concept de burn out
à toutes les situations de surcharge mentale que
la vie personnelle, familiale ou sociale peut engen-
drer : le seul « burn out » qui, de notre point de
vue, puisse être retenu concernant le milieu fami-
lial renvoie au travail des aidants familiaux.
Un certain amalgame épidémiologique
On ne dispose pas actuellement de données sta-
tistiques permettant d’évaluer avec précision l’am-
pleur du problème car les études portant sur les
troubles psychiques imputés au travail amalgament
le plus souvent des tableaux cliniques et des concepts
différents : stress chronique, dépressions, troubles
anxieux, stress post-traumatique, épuisement... Les
études épidémiologiques utilisant un outil de mesure
spécifique, comme le MBI, suggèrent des prévalences
d’épuisement professionnel qui varient de 5 % à 20 %
en population au travail et de 25 à 60 % chez les
professionnels de santé, mais les comparaisons entre
études sont difficiles en raison de l’hétérogénéité du
traitement des réponses au questionnaire.
Après une banalisation, la reconnaissance
Après avoir été dénié, banalisé comme « fatigue »
intrinsèque au travail, comme « risque du métier »,
ou imputé à des facteurs de fragilité individuelle, la
reconnaissance du syndrome d’épuisement profes-
sionnel est aujourd’hui une question d’actualité, qui
a donné lieu en France en 2015 à de vifs échanges
à l’occasion des débats parlementaires portant sur
la loi de modernisation sociale : y a-t-il un consensus
scientifique sur l’existence même d’une entité cli-
nique spécifique, à distinguer d’une forme atypique
de dépression ? S’agit-il d’une problématique médi-
cale ou sociale ? Quels sont les facteurs de risque,
personnels et organisationnels ? Comment prendre
en charge une personne présentant des signes
d’épuisement professionnel, pour confirmer ce
« diagnostic », envisager les partenariats nécessaires
au suivi (médecins généralistes, psychiatres ou psy-
chologues, médecins du travail…) et décider de la
nécessité d’un arrêt de travail ou du moment et des
conditions de la reprise ? Quand est-il légitime
d’envisager la reconnaissance des troubles constatés
en tant que maladie professionnelle ? Et, dans ce
cas, comment construire la démarche d’imputabilité
et quels critères retenir pour envisager une répara-
tion ? Que dit le droit d’aujourd’hui sur cette ques-
tion ? De quelles pistes disposons-nous pour une
prévention individuelle ou collective ?
L’objectif premier de ce dossier est de clarifier,
sur le plan théorique, un certain nombre de notions
relatives au syndrome d’épuisement professionnel,
à ses caractéristiques symptomatiques, à sa dyna-
mique évolutive, à ses conditions de survenue, aux
actions de prévention possibles dans le milieu pro-
fessionnel. Il s’agit également de donner des repères
pragmatiques pour chaque étape de la prise en
charge d’une personne souffrant d’épuisement
professionnel.
Pour ce faire, nous aurons recours à l’expertise
et à l’expérience de praticiens formés en psychopa-
thologie et psychodynamique du travail (praticiens
attachés de consultation de pathologie profession-
nelle, médecin généraliste, médecin du travail, psy-
chiatres, psychologue) ainsi qu’à celle d’une avocate,
tous confrontés depuis longtemps dans leur pratique
à cette problématique. •
L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.
1. Le Galès-Camus C. Organisation
mondiale de la santé. Conférence
sur « la santé en milieu de travail »,
Montréal, 1er juin 2005.
2. Veil C. Les états d’épuisement
« Primum non nocere », Le
Concours médical, 1959
(Nov.);23:2675-81.
3. Freudenberger HJ, Richelson
G. Burn out: the high cost of high
achievement, Anchor Press, 1980.
4. Maslach C, Jackson SE. The
Maslach burnout inventory: research
edition. Palo Alto, CA: Consulting
Psychologists Press, 1981.
5. Dejours C, Gernet I.
Psychopathologie du travail,
Elsevier Masson, coll. « Les âges de
la vie », 2012, p. 95.