Photo montage d’Eric Johanson Triptyque magique Création contextuelle et participative imaginée par Guillaume Cayet et Julia Vidit La Grande Illusion| Java Vérité 2014-2015/ 1 Texte / Atelier d’écriture Guillaume Cayet Mise en scène / Atelier de jeu Julia Vidit Jeu Etienne Guillot, Véronique Mangenot Et un groupe d’auteurs, d’acteurs, villageois, curieux ou novices : habitants. Production Java vérité Coproduction ACB-Scène Nationale de Bar-Le-Duc Avec le soutien de la DRAC, dans le cadre de l’aide à la résidence territoriale et du Conseil Général des Vosges, dans le cadre de l’aide à la création. La compagnie Java Vérité est également subventionnée par la Ville de Metz au titre de l’aide au fonctionnement (en cours). La Grande Illusion| Java Vérité 2014-2015/ 2 projet de compagnie Depuis 2011, j’ai mené avec les acteurs de la compagnie, au sein de structures culturelles, différents projets d’actions artistiques avec divers établissements scolaires ou associations de pratique théâtrale amateur. Ces actions étaient toujours liées aux créations de la compagnie : que ce soit Fantasio de Musset, Rixe de Jean-Claude Grumberg ou Le Faiseur de Théâtre de Thomas Bernhard, nous avons toujours exploré avec les publics l’autour de l’œuvre ou l’audelà de l’oeuvre, mais jamais fait oeuvre avec ceux qui la reçoivent, ceux pour qui nous les produisons. Aujourd’hui, c’est d’une rencontre avec l’auteur Guillaume Cayet, aussi dramaturge d’Illusions de Viripaev que naît un désir. Créer un spectacle à géométrie variable pour les acteurs et les habitants, sans faire le deuil de nos exigences. Expérimenter la création à partir d’échanges avec les publics, initiés ou non, et imaginée en complicité avec une structure culturelle (théâtre, association, festival ou centre culturel). Il s’agit de se demander comment les rencontres et les lieux - les contextes – peuvent nous inspirer un objet théâtral à part entière, qui mêle avec exigence, sensibilisation et création. Comment ce processus peut-il réinventer de l’intérieur notre création, et aborder par autant d’angles différents que de rencontres, cet objet, qui notre Grande Illusion - celle de tous ceux qui l’ont fabriquée. Ce souhait de gommer frontière entre création et action d’éducation artistique est un des objectifs majeurs de ce projet, au-delà d’une thématique dense. Il n’existera qu’avec la complicité d’un binôme metteure en scène / auteur, et leur volonté conjointe à celle d’une structure et de son équipe. la grande illusion #1 - ecrire l’illusion et le deux En mars 2015, la compagnie crée Illusions d’Ivan Viripaev à l’ACB, scène nationale de Bar-leDuc. Nous nous demandons alors : comment guider ou tout du moins faciliter l’entrée dans ce texte, vertigineux et aporétique qu’est Illusions de Viripaev. Ça tourne, ça valse, ça chavire et c’est pourtant limpide, simple ; alors comment rentrer dans ce langage sans contretemps ? Illusions est un récit raconté par quatre narrateurs. Ils nous disent la vie de deux couples d’octogénaires. La pièce traite du couple, du « deux », de l’amour, de ce qu’il peut y avoir de constant dans un cosmos si changeant, dixit l’un des personnages de la pièce, mais aussi du regard que nous portons sur eux et sur nos propres égarements. Dans sa forme, différents niveaux de réalité (et donc de fiction) mettent en jeu l’illusion. Nous avons tourné notre regard vers les écrits du philosophe contemporain, Alain Badiou. Son texte Eloge de l’Amour nous a permis de mieux cerner les enjeux et la complexité de ce texte russe. C’est donc en pensant à Alain Badiou et Viripaev que cette Grande Illusion a vu le jour. Au fur et à mesure de son écriture et de sa création, elle s’est donnée également d’autres enjeux. En plus de questionner ce deux amoureux donnant une ouverture -un baiser de rideau à la pièce de Viripaev- elle est allée jusqu’à questionner la notion même d’illusion dans l’amour : l’illusion théâtrale comme le reflet de l’illusion amoureuse. C’est la magie qui nous est donc apparue, la magie et l’envie d’aller troubler, de doubler le réel. Nous voulons que la scène, et donc l’illusion fasse effraction dans le réel des spectateurs. La Grande Illusion| Java Vérité 2014-2015/ 3 Ce que tente notre Grande Illusion n’est pas d’apporter une réponse à la question viripaevienne, pas même d’émettre un jugement ou de prononcer un dogme. Elle tente d’ouvrir des voies, des pistes de réflexions, de donner des clés pour s’ouvrir, de peut-être s’émanciper: « l’amour et l’illusion », qu’est-ce à dire ? Comment fabriquer, rêver nos vies ? Comment questionner nos acceptations ? Notre Grande Illusion s’adresse à un large public, et davantage encore aux collégiens et lycéens, pour le familiariser avec les différentes notions abordées dans Illusions. Cette première pièce, écrite pour deux acteurs en novembre 2014, dure 20 minutes. Elle est présentée dans des collèges et les lycées, en immersion dans les lieux et est suivie d’un débat, à chaud, mené par les acteurs pendant qu’ils se démaquillent. synopsis de la grande illusion #1 Dans la salle, le spectacle « La Grande Illusion » du magicien Roger et de son assistante Caroline se fait attendre. Deux acteurs rentrent, Judith et Serge, visiblement tracassés. Ils nous apprennent que leur ami Roger le magicien est mourant, qu’il ne peut donc être présent et qu’ils le remplacent. Ils sont acteurs, ils vont donc nous interpréter leur Grande illusion autrement. Mais l’embarras de Serge, le pragmatisme de Judith, leur couple, prennent le pas sur le spectacle annoncé. Rien n’est prêt, et puis « ici » rien n’est « sûr ». Quant au final ils se griment en vieux et décident de donner leur Grande Illusion, c’est leur propre couple qui se voit représenter, quarante ans plus tard. Au sortir, l’illusion est totale. Y a-t-il eu véritablement un magicien Roger ? N’avait-il pas commencer La Grande Illusion en entrant dans la salle ? Rien n’est moins sûr... extrait de la grande illusion #1 SERGE- Magicien, magicien, mon oeil. N’empêche que depuis Nancy, ça fait une trotte. « Nous serons à l’heure, à l’heure dite » JUDITH- Tu parles ; on m’appelle, j’accepte, je dis ça, c’est pour eux. un peu de réconfort SERGE- Elle aurait pu y penser aussi, en prévenant deux heures à l’avance JUDITH- C’est pas tout le trajet qui faut maisJUDITH / SERGE- (Bonjour) SERGE- Sans être là-bas, comment être ici ? JUDITH- (Excusez-nous) SERGE- Et puis iciJUDITH- (On est un peu) SERGE- Mais oui mais JUDITH- (sur les nerfs) SERGE- Alors sans être ailleurs, comment être là-bas ? JUDITH- (c’est à cause de notre ami Roger, le magicien) SERGE- Et pis si t’es pas là-bas, bah t’es bien emmerdé pour être ici, parce que « ici »JUDITH- Oui bah ça, c’est sûr hein / (Roger, le magicien a fait une rechute là) SERGE- Bah non justement. « Ici » c’est pas sûr. « Ici » n’est pas une certitude. Tu dis « oui bah ça, c’est sûr», tu dis « Ici c’est sûr » JUDITH- (La rechute, c’était la semaine dernière) SERGE- Bah non / justement non JUDITH- (Mercredi. C’est quand même terrible / en milieu de semaine) SERGE- C’est pas sûr JUDITH- (Tu commences ta semaine, tu crois la finir, pis-) SERGE- « Ici » c’est pas sûr La Grande Illusion| Java Vérité 2014-2015/ 4 JUDITH- (Un troisième arrêt, à quarante-trois ans) SERGE- Regarde JUDITH- Quoi ? SERGE- « La grande Illusion » JUDITH- C’est le titre SERGE- « Ici » est « La Grande Illusion » JUDITH- C’est beau quand tu dis ça debat Suite à cette intrusion théâtrale, nous proposons aux spectateurs de participer à un débat autour des différents sujets que soulève cette pièce. Nous entendons cet échange comme un moment de partage en trois temps, et comme un préambule éventuel à la réception du texte de Viripaev. L’intérêt principal de ce débat sera d’amener les élèves à questionner ces problématiques : l’illusion comme construction de vérité de soi et du monde, l’expérience de la différence dans la relation amoureuse. Nous proposons donc de guider le débat suivant trois axes, tout en laissant une porte ouverte au moment d’échange qui sera contredire, enrichir, nourrir ce canevas de pensée : > L’ILLUSION : Qu’est ce qu’une l’illusion, où et quand l’avez-vous débusquée dans le spectacle ? Serge et Judith existent-ils ? Et Roger et Caroline ? Tout ce que vous avez vu était-il illusion, avezvous perçu du réel? Cette question de l’Illusion / réalité sera l’occasion d’aborder la nécessité de l’illusion dans nos vies réelles. Ne vit-on pas une succession d’illusions ? Et comment le temps agit-il sur ces illusions ? > LE RÔLE Puisque tout apparaît comme illusion dans le spectacle, pouvons-nous considérer notre vie, et le monde comme une succession d’illusions ? « Le monde est un théâtre » dit Hamlet : la vie est-elle une scène sur laquelle nous jouons un ou plusieurs rôles ? Quels rôles jouez-vous ? En ce moment-même, êtes-vous élève ? Spectateur ? Citoyen ? > L’AMOUR Cette réalité du monde dans lequel nous jouons des rôles sans cesse, peut nous faire considérer notre condition absurde. Comment pouvons-nous trouver une stabilité dans ce jeu quotidien, permanent ? Par une construction d’un « deux » amoureux ? Et dans cette construction à deux, jouons-nous un rôle ? Lequel ? L’amour, n’est-ce pas la construction d’une Grande Illusion ? Comme une construction de vérité ? deuxieme partie du triptyque : ecrire la rumeur version recoltee / en creation perpetuelle En travaillant sur cette Grande Illusion, nous nous sommes pris à notre propre jeu et espérons que le public sera pris, lui aussi dans ses propres illusions. D’ores et déjà, le plaisir que nous avons eu à rencontrer élèves et enseignants sur ces problématiques, le plaisir vertigineux que nous avons eu avec les acteurs à éprouver en répétition sentiments d’illusion et de réel, nous a poussé à imaginer, à croire en un projet évolutif, à géométrie variable. Nous souhaitons aller plus loin, jusqu’à faire écrire et jouer les publics avec nous. Car enfin, les spectateurs ont certainement leurs mots à dire, ils peuvent certainement inventer un chaînon manquant à cette Grande Illusion et par là, nous apprendre quelque chose sur notre propre travail, sur nous-même, sur le monde. La Grande Illusion| Java Vérité 2014-2015/ 5 Nous imaginons donc, après cette Grande Illusion, faire réagir, et imaginer à plusieurs un devenir à ce premier opus. Grâce à l’écriture et au jeu, nous créons in situ une deuxième partie à ce texte répondant à la première. Nous imaginons écrire la rumeur. Car, lorsque l’on parle ou que l’on juge d’un amour – celui des personnages Judith et Serge ou celui de Roger et Caroline - ne sommes-nous pas, même malgré nous, les auteurs d’une rumeur ? Ou d’une autre illusion ? Les rumeurs ne sont-elles pas des illusions qui s’inventent collectivement pour croire toucher une vérité ? Là encore, rien n’est moins sûr… D’ailleurs, l’annonce même du spectacle que nous jouons « La Grande Illusion » est le terreau possible d’une rumeur ; spectacle de magie ? Numéro de magicien ? Et si nous annonçons le spectacle par voie numérique, pouvons nous induire une fausse piste qui soulèvera davantage de « commentaires » ? Cette rumeur trouve davantage de sens encore avec la jeunesse, si elle s’aborde sous l’angle du virtuel. En effet, nous remarquons au fil de nos premières rencontres que l’espace numérique est le théâtre où cette jeunesse se joue, et parfois se brûle. Si nous parvenons à faire travailler cette question de la rumeur par les auteurs et les victimes de ces rumeurs incessantes, nous aurons au moins réussi à faire prendre conscience des représentations que convoquent l’espace numérique, non seulement ses dangers, mais aussi ses règles de représentations. version maturee La saison 2014 / 2015 nous permet de tenter l’expérience avec les élèves du collège Saint-Clément à Martigny-les-Bains (88). Guillaume Cayet initie le groupe à l’écriture puis Julia Vidit les met en jeu dans ce qu’ils auront produit. Lors des dernières répétitions, les deux acteurs professionnels les rejoignent pour présenter la troisième partie du triptyque pour vivre une première fois l’expérience. Par la suite, et nourris par l’expérience, l’auteur et la metteure en scène retravaille à partir des propositions éprouvées pour écrire la deuxième partie du triptyque. Elle sera jouée par de jeunes acteurs en voie de professionnalisation pour garder cette idée de la jeunesse. troisieme partie du triptyque : ecrire la duree Cette troisième et dernière Illusion n’a qu’un préambule : son point de départ est le point d’arrivée de la première. Nous retrouvons donc Serge et Judith, grimés en vieux, mais cette fois, il est entendu qu’ils sont « vraiment vieux », quarante années sont passées. Arrivés à la vieillesse, au seuil, toujours acteurs, Serge vit sa retraite de comédien à la campagne. Le sachant mourant, sa femme Judith convie les gens de son entourage à sa dernière représentation. Ce dimanche, il donnera une dernière fois le rôle de sa vie « Le Roi Lear ». Enfin cela, c’est bien ce que l’on voudrait nous faire croire, car rien n’est moins sûr… Cette troisième partie, conclusive et ouverte à la fois, est aussi la réponse à la création du trait d’union créé par les participants. La Grande Illusion| Java Vérité 2014-2015/ 6 extrait Les bruits de cigales s’arrêtent. Des bruits de girafes SERGE- Bon sang de bordel… JUDITH- C’est un petit dimanche Les bruits de girafes s’arrêtent. Des bruits d’ours SERGE- Putain, c’est pas vrai… JUDITH- Un petit dimanche de campagne, on peut bien prendre une part de gâteau au chocolat… SERGE- T’as changé la playlist ? JUDITH- Un petit dimanche de campagne, ça va pas vous faire grossir… SERGE- Je trouve plus la musique Les bruits d’ours s’arrêtent. SERGE- Voilà, c’est ça (des rumeurs tes trucs là) Des bruits de campagne. JUDITH-Tu t’étais trompé de boutons ? SERGE, de la cuisine- Tu vas vraiment raconté l’histoire du gamin… JUDITH- Faut bien que quelqu’un les occupe (des rumeurs, ça occupe son monde), le temps que tu te prépares SERGE, de la cuisine- Qui occupe qui ici ? L’homme occupe son temps, et le temps s’occupe bien tout seul JUDITH-SERGE… SERGE- Pas ce prénom là s’il te plait Apparaît SERGE, en caleçon. JUDITH, elle, continue d’installer le décor, sans regarder SERGE SERGE- Tu vas vraiment leur dire ça ? JUDITH- Je dis ça, et après tu commences SERGE- Ouais JUDITH- Quoi ? SERGE- C’est pas sûr ? JUDITH- Hein ? SERGE- Faut bien commencer quelque part, mais t’es sûre qu’ils vont y comprendre quelque chose si j’arrive après ton histoire de souffrance, là… Je t’ai parlé de faire une introduction, une belle introduction, je suis un acteur et célèbre qui plus est, il faut bien m’introduire, je ne t’ai pas demandé de raconter ta vie, je veux que tu prépares mon entrée, je veux que l’on m’écoute, pas qu’on me tende l’oreille, il me faut une introduction prodigieuse. Quand on jouait au théâtre, les gens se pressaient pour me voir, moi, le roi Lear, j’entraisJUDITH- Tu entrais sur une musique wagnérienne SERGE- Voilà, c’est ça que je veux, une entrée wagnérienne JUDITH- Tu auras du gâteau au chocolat, c’est fait maison, rien de wagnérien, et puis c’est du dessert, c’est sûr, rien à voir avec ton entrée, là SERGE- Judith La Grande Illusion| Java Vérité 2014-2015/ 7 JUDITH- Finalement, peut-être que le gâteau au chocolat répond bien à la nécessité que tu as d’en finir avec tout ça, peut-être que ce n’est pas d’une introduction que tu as besoin, mais d’une conclusion SERGE- Je veux une belle et prodigieuse introduction JUDITH-« Mesdames et Messieurs… » SERGE- Judith s’il te plait JUDITH-« ce soir devant vos yeux ébahis… » SERGE- Moque toi, va JUDITH-« la chute d’un roi » SERGE- C’est ça JUDITH- Ça ne te plait pas ? SERGE- Si tu fais çaJUDITH- Faudrait savoir SERGE- Dis au moins « la chute du roi » JUDITH- Bien sûr SERGE- Pas d’un roi quelconque JUDITH- Un roi grandiose SERGE- Lear, je suis le roi Lear. Ne me rapetisse pas s’il te plait differentes facon de proposer la grande illusion Nous souhaitons renouveler l’expérience ailleurs, avec d’autres publics, dans d’autres contextes et d’autres temporalités. Il est possible de réinventer les modalités de travail avec les structures organisatrices et partenaires. 1ere possibilite / intrusion sur une journee / soiree > 18h/22h30 > Arrivée de l’équipe et d’un groupe de participants volontaire auteurs et/ou acteurs > Débat et réaction > Séances d’écriture collective en direct avec l’auteur > Arrivée du public / Repas / Mise en lecture par les acteurs pros et / ou amateurs de l’écrit collectif / Présentation de l’intégrale 2eme possibilite / immersion sur plusieurs seances > Jeu de la Grande Illusion #1 > Débat et réactions > Imagination, séance(s) d’écriture avec l’auteur > Mise en voix des textes avec la metteure en scène > Restitution en public de la Grande Illusion, version intégrale. La Grande Illusion| Java Vérité 2014-2015/ 8 3eme possibilite /jouer les individus de la grande illusion #2 > Jeu de la Grande Illusion #1 > Débat et réactions > Séance(s) de mise en jeu de la Grande Illusion #2 avec la metteure en scène > Restitution en public de la Grande Illusion, version intégrale. 4eme possibilite / jouer la version integrale de la grande illusion Et concevoir le débat inclus dans le spectacle. note d’auteur, un cheminement C’est avec l’envie de dire Au début il y a eu Illusions de Viripaev. Et puis, en y travaillant (car on travaille une œuvre, à l’intérieur d’elle-même comme le forgeron taille ses pierres, on façonne une pièce, on se la façonne pour qu’elle brille à sa convenance; calleuse ou bien fragile...), il y a eu des espèces de brides, des notes éparses. Une sorte de mémorandum à la pièce. Et puis la nécessité d’écrire davantage, comme si des petites illusions théâtrales venaient s’additionner à celles de Viripaev. Il y a eu d’abord une première étape, elle est en train d’être jouée en ce moment, une Grande Illusion portée dans les collèges et lycées par deux acteurs, et puis l’envie de développer une fable, une véritable et puissante « Grande illusion ». J’ai pensé : quelle est cette envie de dire qui nous tient si puissamment au monde et aux mots ? Peut-être celle d’écrire, d’écrire une histoire, d’écrire son histoire, de s’écrire, d’être acteur de son histoire. Être le rôle que l’on joue et que l’on ne peut pas ne pas (se) jouer. J’ai pensé à l’amour et puis à l’illusion. Je me suis dit qu’il y avait forcément quelque chose à faire autour de ces deux notions, j’ai pensé au deux, à l’émancipation… Alors j’ai re-parcouru le texte d’Alain Badiou, au fait de vivre par la différence et non par l’identité, j’ai pensé à la durée, j’ai pensé « il faut éprouver son amour », j’ai pensé au « communisme primitif », je me suis dit qu’on vivait toujours sous le joug d’illusions, je me suis dit qu’il y a quelque chose à faire, à écrire, comme une réponse à tous ces biens pensants du « Mariage Pour Tous », entre autres. J’ai vu défilé côte à côte crâne rasé et marmot du bénitier, alors j’ai écrit, j’ai écrit : " ICI C’EST PAS SUR. ICI N’EST PAS UNE CERTITUDE " Je me suis dit que demain ne pouvait peut- être pas se lever, que les valses brunes allaient reprendre, alors j’ai perdu un peu espoir, puisque tout n’est qu’illusion, alors il n’y a qu’un réel contraint, je me suis pendu à un arbre pendant que je le sciais. Une fois tombé, j’ai repris espoir. Parce que le processus de l’écriture c’est peut-être cela, le savoir ou l’expérience de la peur et de la chute. Alors je me suis remis à écrire. J’ai écrit, j’ai écrit : " ICI C’EST PAS SUR. MAIS C’EST QUAND MEME PLUS SUR QU’AILLEURS " La Grande Illusion| Java Vérité 2014-2015/ 9 J’en suis arrivé à me dire que j’avais une grande illusion dans notre monde contemporain, c’était à la fois celle de me croire supérieur ou salvateur parce que je fais de l’art (l’art n’est pas épargné des charognes qui bouffent leur bonne conscience en pâté) et celle de me dire, reprenant les mots de Raoul Vaneigem dans son traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, « il n’y a pas d’amour heureux dans un monde malheureux». J’ai voulu alors écrire quelque chose qui s’apparenterait à un mythe, un mythe de théâtre - j’ai repensé aux fanatiques, aux idéologues. Je me suis dit : il faut lutter contre. J’ai pensé à un homme et sa femme, j’ai pensé à l’illusion, j’ai pensé éprouver la durée, j’ai pensé à Tankred Dorst, je me suis dit : illusion d’un amour, ou amour de l’illusion : « au final, n’est ce pas cela que nous appelons théâtre, et n’est ce pas pour cela que nous nous y rendons ? Pour l’amour d’une illusion, ou pour l’illusion d’un amour ? » Alors, j’ai pensé à un triptyque (nous en avions parlé avec Julia, la metteure en scène, souvent, souvent, souvent). Parce qu’une première partie s’imposait autour de Viripaev et de Badiou, et qu’une suite se laissait/plaisait à écrire. Nous avons pensé à un travail en trois temps, d’abord une première forme, puis un chœur de collégiens puis une troisième forme. Nous avons cherché à donner une existence pluridimensionnelle à notre pensée. Nous avons pensé « Ici c’est pas sûr », nous nous sommes dit : notre théâtre est une scène et non un plateau. Nous avons besoin de fabriquer, de transformer, de transposer. Nous avions « Ici c’est pas sûr », pour finir, nous aurons « Ici c’est pas sûr, mais c’est déjà plus certain qu’ailleurs ». Nous avons pensé que les mots étaient les seuls remèdes pour soigner des maux endigués par d’autres mots. J’ai écrit un premier texte. La Grande Illusion. L’histoire d’un magicien attendu dans une salle de classe, qui finalement se retrouve remplacé par son meilleur ami. J’ai pensé à ce meilleur ami, comédien de profession, j’ai pensé à sa femme. Je me suis dit : ils pourraient avoir quarante ans dans la première forme et quatre-vingt dix dans la dernière, j’ai pensé à l’écart. J’ai écrit un deuxième texte : Dimanche. Je me suis dit : le théâtre c’est cet art de l’écart, de la chute et de la durée. Je me suis dit : comment raconter la durée dans l’écart. Et si nous racontions une illusion parfaite et grandiloquente, une grande illusion. Et si nous racontions l’illusion d’une vie, la vie d’une illusion, de sa naissance a sa consecration ... C’est avec l’envie de dire. De dire l’incommensurable. Parce que le théâtre est cet art de la démesure et de la chute. De l’écart et de la durée. Guillaume Cayet. La Grande Illusion| Java Vérité 2014-2015/ 10 metteure en scene julia vidit Comédienne et metteure en scène, elle se forme à l’Ecole-Théâtre du Passage et au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de 2000 à 2003. Jusqu’en 2010, elle joue sous la direction de Ludovic Lagarde, Victor Gaultier- Martin, Marie Rémond, JeanBaptiste Sastre, Jérôme Hankins, Alain Ollivier et Jacques Vincey. Elle fait l’expérience de Shakespeare, Marivaux, Corneille mais aussi d’auteurs contemporains comme Jean Genet, Yukio Mishima, Edward Bond, Noëlle Renaude ou Michel Vinaver. En 2006, elle créé la compagnie Java Vérité et met en scène Mon cadavre sera piégé de Pierre Desproges. En 2009, elle met en scène Fantasio de Musset au CDN de ThionvilleLorraine et en tournée. Ce spectacle est repris au CDN de Montreuil en 2010. A l’automne 2010, elle monte et tourne un spectacle musical autour des Vanités: Bon gré Mal gré d’Emanuel Bémer. De 2011 à 2013, elle est artiste associée pour trois ans à Scènes Vosges à Epinal. Elle réunit habitants, amateurs et professionnels autour de deux projets : Bêtes et Méchants et Le Grand A. En 2014, elle créé Le Faiseur de Théâtre de Thomas Bernhard au CDN de Thionville-Lorraine, spectacle repris à l’Athénée et en tournée jusque 2016. A partir de cette saison 14/15, la compagnie Java Vérité est en résidence à l’ACB Scène Nationale de Bar-le-Duc. C’est le début d’une association avec l’auteur et dramaturge Guillaume Cayet. dramaturge guillaume cayet Guillaume Cayet, né en 1990, à Nancy, intègre en 2012 le département. Écrivains dramaturges de l’ENSATT sous la direction d’Enzo Cormann et Mathieu Bertholet. Il participe à différents projets dont l’écriture d’une performance pour le centenaire de la Comédie de Genève, celle d’un texte pour le festival A.T.C de Nancy, ainsi que différents écrits pour les comédiens de l’École de la Comédie de Saint-Etienne. En 2014, il publie Couarail chez Lanzmann dans le cadre d’une commande d’écriture pour le Week-End des auteurs du Théâtre Du Peuple. Il a assisté Hubert Colas dans la mise en scène de Gratte-Ciel de Sonia Chiambretto, et Eric Lehembre dans la mise en lecture de Roumanie ! Va te faire foutre de Bogdan Georgescu pour la Mousson d’été 2014. Très récemment, il a dirigé la gazette du Festival Regards Croisés en 2014. Fin 2014, il commence une collaboration avec la metteur en scène Julia Vidit, en tant qu’auteur et dramaturge. Son texte Les Immobiles a été lauréat des Journées des Auteurs de Lyon (en 2014) et sera publié en janvier 2015 aux Editions Théâtrales, ainsi qu’un autre de ses textes Proposition de rachat. contacts Julia Vidit, metteure en scène [email protected] Gwendoline Langlois, administratrice de production [email protected] La Grande Illusion| Java Vérité 2014-2015/ 11