g é o p o l i t i q u e , g é o é c o n o m i e , g é o s t r at é g i e e t s o c i é t é s d u m o n d e arabo-m u s u l m a n
Octobre-Décembre 2015 • 10,95 €Magazine trimestriel • Numéro 28
WWW.MOYENORIENT-PRESSE.COM
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LES FRONTIÈRES DU MOYENORIENT À L’HEURE DE DAECH
république islamique d’iran
Quel avenir après l’accord sur le nucléaire ?
28
A : 12.50 €, BEL : 12 €, CDN : 16.50 $, CH : 20 FS, D : 12 €, DOM : 11.50 €, MAR : 130 MAD, TOM : 1500 CFP, PORT. Cont. : 12 €
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Actualités - Agenda
10
Regard de Mohammad-Reza Djalili et
ierryKellner sur l’Iran
DOSSIER ÉTATS-UNIS
15
16
Repères États-Unis: Cartographie
18
Obama au Moyen-Orient: une diplomatie de l’instant
Entretien avec Charles-Philippe David
23
Repères politique: Le lobbying aux États-Unis:
quand le Moyen-Orient joue le jeu de Washington
Julian Pecquet
26
Les États-Unis et la Syrie: une diplomatie
de l’incompréhension
Matthieu Rey
32
La révolution égyptienne selon Washington:
un soutien aveugle à l’autoritarisme?
Chaymaa Hassabo
38
Repères défense: Quel avenir stratégique
pour la Veoe américaine à Bahreïn?
Jean-Loup Samaan
42
Les États-Unis et le conit israélo-arabe:
une valse à quatre temps
Antoine Coppolani
48
Le Moyen-Orient: la nouvelle «mission»
des évangéliques américains
Fatiha Kaouès
54
Repères culture: La «diplomatie du hip-hop»:
un so power américain dans les pays musulmans
Hisham Aidi
56
Les Arabes et le Moyen-Orient
dans le cinéma américain
Entretien avec Laurence Michalak
GÉOPOLITIQUE
60
60
Létat des frontières au Moyen-Orient
 EntretienavecRichardSchoeld
66
Le Sud-Liban, un espace structuré par
les confrontations
Daniel Meier
72
Quelles frontières pour Ninive? Rapports de
force dans une région irakienne stratégique
Cyril Roussel
78
Le pont Allenby: la «porte de sortie» des Palestiniens
Véronique Bontemps
VILLES
84
84
tropole du Golfe confessionnalisée:
Manama, capitale de Bahreïn
Jean-Paul Burdy
BD•
LIVRES • WEB
92
Sommaire
Moyen-Orient no 28 • Octobre-Décembre 2015
60
92
15
84
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Moyen-Orient 28 • Octobre - Décembre 2015 5
© Futuropolis © AFP Photo/Mandel Ngan© AFP Photo/San Hamed© Shutterstock/Eugene Sergeev © UN Photo/Mark Garten
10 Moyen-Orient 28 • Octobre - Décembre 2015
Regard
de Mohammad-Reza
Djalili et Thierry
Kellner sur l’Iran
Respectivement
professeur émérite
à l’Institut de hautes études
internationales et du développement
de Genève et maître de conférences du
département de science politique de
l’université libre de Bruxelles (ULB).
Ils ont cosigné plusieurs ouvrages, le
dernier étant L’Iran (La Boétie, 2013)
© DR
© DR
Le 14 juillet 2015, un accord sur le nucléaire iranien été trouvé après
douze ans de négociations. Pouvez-vous analyser les principaux points
de ce texte ?
L’accord se compose d’un texte central et de cinq annexes : c’est un document de 159 pages très détaillé. En reconnaissant
à l’Iran le droit à l’enrichissement de l’uranium, il prévoit la mise en place d’une coopération dans le domaine du nucléaire
pacique et plafonne pendant dix ans le nombre de ses centrifugeuses à 5 060 (contre 19 000). Seuls les modèles les plus
anciens sont autorisés. Pendant quinze ans, le pays ne pourra pas conserver sur son territoire plus de 300 kilogrammes
d’uranium enrichi à moins de 3,67 % sous forme d’UF6 (hexauorure d’uranium). L’Agence internationale de l’énergie ato-
mique (AIEA) pourra vérier pendant vingt ans son parc de centrifugeuses et durant vingt-cinq ans sa production de concen-
tré d’uranium. L’Iran s’engage à mettre en œuvre et à ratier le Protocole additionnel, qui permet des inspections de l’AIEA.
Toutes les étapes du cycle du combustible et de la lière d’approvisionnement nucléaire seront monitorées. Et Téhéran
autorise une enquête sur son programme passé.
En contrepartie, les sanctions adoptées par l’Union européenne et les États-Unis visant les secteurs de la nance, de l’énergie
et du transport seront levées dès la mise en œuvre par l’Iran de ses engagements, attestée par un rapport de l’AIEA. Ce devrait
être fait début 2016. La même procédure sera suivie pour lever les six résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des
Nations unies contre l’Iran depuis 2006. Les mesures liées à la lutte contre la non-prolifération nucléaire contenues dans ces
résolutions sont cependant maintenues pendant dix ans ou jusqu’à ce que l’AIEA ait attesté le caractère pacique du pro-
gramme iranien. Si Téhéran ne respecte pas de manière signicative l’un ou l’autre de ses engagements, les sanctions seront
remises en place quasi automatiquement. Celles relatives aux missiles balistiques et aux importations d’armes offensives
sont maintenues.
Les sanctions ont eu un coût important sur la société. Quels ont
été leurs effets ? Comment les autorités du pays vont-elles gérer
l’ouverture économique ?
On l’oublie souvent, mais structurellement, l’économie iranienne souffre de décennies de mauvaise gestion. Celle-ci serait
responsable de 80 % des difcultés économiques de l’Iran (1). Et ses effets ont été renforcés par les conséquences combinées
des sanctions et de la chute importante des prix du pétrole. Les exportations iraniennes de brut ont été divisées par deux,
passant de 2,53 millions de barils par jour en 2011 à 1,10 million en 2014, selon l’OPEP, alors que les prix se contractaient,
accentuant d’autant les contraintes pesant sur une économie toujours dépendante du secteur pétrolier malgré des essais
de diversication. Le coût des sanctions au cours de ces dix dernières années a été évalué à 480 milliards d’euros, soit
une année de PIB de l’Iran. L’ination est montée jusqu’à 45 % en juin 2013, selon le Fonds monétaire international (FMI),
Moyen-Orient 28 • Octobre - Décembre 2015 11
la valeur de la monnaie nationale a été divisée
par trois par rapport au dollar et la récession
a été de 6,6 % en 2012. Tout cela a amené à
une prise de conscience du coût exorbitant du
programme nucléaire.
Avec la signature de l’accord du 14 juillet 2015, les perspectives économiques pourraient s’améliorer. Une partie des avoirs
iraniens gelés à l’étranger pourraient être libérés, un montant qui varie de 50 milliards à 150 milliards de dollars selon les
estimations. Ce serait une bouffée d’oxygène. Téhéran a laissé entendre qu’il se préparait à ouvrir une « nouvelle page » dans
ses relations économiques avec le monde. La compagnie nationale de pétrole (NIOC) prévoit de lancer des appels d’offres
pour 40 projets après la levée des sanctions. Les investisseurs internationaux, y compris occidentaux, sont intéressés par les
potentialités iraniennes, mais, prudents, il n’est pas sûr qu’ils se précipitent dans le pays (2). C’est pourtant ce que Hassan
Rohani espère an de consolider sa position face à ses critiques conservateurs, en montrant notamment à la population qui
l’a porté au pouvoir, mais aussi à ceux qui, au sein de l’élite politique iranienne, restent sceptiques, les dividendes écono-
miques que peut produire cet accord.
Finalement, étant données ses faiblesses structurelles, la relance réelle de l’économie prendra du temps. Avec la levée des
sanctions, elle pourrait croître de 3 à 7 %, ce qui est insufsant pour réduire le taux de chômage (ofciellement de 10,3 % en
2014, mais sans doute plus proche de 20 %). Il ne faut pas non plus oublier que les diverses sanctions pesant sur Téhéran ne
seront levées que progressivement et qu’elles pourraient être réimposées en cas de violation de l’accord par l’Iran.
Dans quelle mesure l’Iran représente-t-il un marché économique d’avenir
pour les investisseurs dans un Moyen-Orient en crise ?
L’Iran est l’un des derniers grands marchés pas totalement inclus dans l’économie globale et d’où les Occidentaux étaient
absents en raison des sanctions. Avec 80,84 millions d’habitants (2014), soit une population plus importante que celles
combinées de ses sept voisins du golfe Persique, et une classe moyenne avide de consommer, c’est un marché alléchant
dont personne ne souhaite manquer les opportunités. L’Iran jouit d’une position géographique privilégiée. Pays pivot, il relie
les zones du golfe Persique et du Moyen-Orient, du Caucase, de la Caspienne, de l’Asie centrale et de l’Asie du Sud. Il est
aussi riche en ressources (pétrole, gaz, minerais…). Ses nécessités d’investissement sont énormes. Rien que dans le secteur
des hydrocarbures, il aurait besoin de 230 milliards à 260 milliards de dollars dans les cinq ans à venir. Du côté iranien,
l’optimisme est de mise parmi les entrepreneurs. Téhéran a d’ailleurs appelé les compagnies européennes à se préparer à la
réouverture de son économie.
« Avec la signature de l’accord du 14 juillet 2015, les
perspectives économiques pourraient s’améliorer. […]
Téhéran a laissé entendre qu’il se préparait à ouvrir une
« nouvelle page » dans ses relations avec le monde ».
Pour les Iraniens, la fin des sanctions représente la promesse d’un avenir meilleur, chose qu’a
comprise le président Hassan Rohani, ainsi que des citoyens américains engagés pour la paix.
© AFP Photo/Atta Kenare
© UN Photo/Mark Garten
© Xinhua/Yin Bogu
12 Moyen-Orient 28 • Octobre - Décembre 2015
Malgré cet optimisme et l’intérêt du marché iranien, il ne faut pas négliger les obstacles majeurs à l’essor de la coopéra-
tion économique. Il faut aussi relever la corruption, les lourdeurs bureaucratiques, les difcultés liées au cadre juridique,
le protectionnisme et le nationalisme économique certains secteurs réservés ou fermés à l’investissement étranger –, les
risques politiques, etc. Dans son rapport Doing Business 2015, la Banque mondiale classe l’Iran au 130e rang mondial
(sur 189) en matière de facilité pour développer les affaires ! Un facteur à garder en mémoire. L’économie iranienne a aussi
été considérablement étatisée sous le régime islamique. Certains groupes liés au pouvoir – fondations religieuses, Pasdaran,
bassidjis – ont acquis des intérêts et contrôlent de larges parts de l’économie du pays qu’ils ne sont pas près d’abandonner.
Ce sont des concurrents redoutables pour tout acteur souhaitant pénétrer le marché iranien. Une transformation structurelle
prendra donc du temps.
L’élection du président Hassan Rohani en juin 2013 est-elle le début d’une
ouverture intérieure sociale, religieuse et économique ? Quelle est la
vision de la frange la plus conservatrice du régime aux accords et peut-elle
limiter l’ouverture ?
Contrairement aux espoirs d’amélioration suscités à l’étranger par l’élection du « modéré » Hassan Rohani en 2013 et aux
attentes de la population iranienne en matière d’ouverture et de Droits de l’homme, la situation a continué de se dégrader.
Un constat amer partagé par le rapporteur spécial de l’ONU qui relevait, en mars 2015, la recrudescence des exécutions
capitales (753 personnes en 2014, chiffre le plus élevé depuis douze ans), le renforcement de la censure, l’emprisonnement
de journalistes et de militants, les discriminations envers les femmes et les minorités. Difcile de parler dans ces conditions
d’« ouverture » du régime.
On notera par ailleurs que les conservateurs en Iran n’ont pas manqué de dénoncer l’accord du 14 juillet 2015, dont ils
craignent les répercussions à long terme pour l’évolution du régime. Ils se sont ingéniés à jeter le doute sur ses visées réelles,
le présentant comme une tentative destinée à accroître le poids des forces pro-occidentales an d’obtenir in ne un change-
ment de régime. Dans ce climat, certains craignent que ce courant ne cherche à répondre de manière radicale à l’ouverture
potentielle que l’accord offre à l’Iran en accroissant la pression sur les opposants, les critiques du régime, les démocrates et
les intellectuels.
Océan
Indien
Golfe
d’Oman
Golfe
Persique
Mer
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Mer
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Mer
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1
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2. TERRITOIRES
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C
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Mascate
Abou
Dhabi
La Mecque
Ankara Erevan
Hérat
Moyen-Orient no 28, 2015 © Areion/Capri
Voir aussi Moyen-Orient no 27, p. 38-39
250 km
Influence/ingérence de l’Iran
Influence/ingérence de l’Arabie saoudite
Pays disposant de l’arme nucléaire
Pays ayant des centrales nucléaires,
construites ou en projet
La menace chiite vue d’Arabie saoudite
La menace sunnite vue d’Iran
Site nucléaire majeur en Iran
Géopolitique régionale et course à l’atome
Sources : Rédaction de Moyen-Orient, 2015 ; CNRS, Mondes iranien et
indien, 2015 ; Manuel d’histoire critique, Le Monde diplomatique,
2014 ; Bruno Tertrais, Fondation pour la recherche stratégique, 2013
1. Pays considéré capable
d’acquérir l’arme nucléaire
Territoires de conflits
Une guerre froide saoudo-iranienne au Moyen-Orient ?
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