Le no-faulten santé est-il souhaitable pour les médecins?

No-fault
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était pourtant l’objectif du colloque de
Fredericton. « On en ressort donc avec
plus de questions que de réponses »,
admet la présidente du Conseil canadien
de la santé, qui ajoute que le mandat du
Conseil n’est pas de se pencher sur le
volet justice du
no-fault
, même si elle
admet que les deux questions sont liées.
Le Québec et le Canada
Même son de cloche du côté de la
Fédération des médecins spécialistes du
Québec (FMSQ). « La Fédération n’a
jamais pris position sur l’implantation
d’un système de compensation sans
égard à la responsabilité parce qu’il y a
encore trop d’inconnu », dit le Dr Louis
Morazain, son vice-président. Il cite
notamment le coût d’un tel programme,
le fait que les médecins risquent quand
même d’être pointés du doigt sans pou-
voir se défendre, le plus faible montant
des indemnisations ainsi que la question
de la gestion d’un tel programme. Plus
que la question des réparations, le vice-
président de la FMSQ indique vouloir
privilégier une gestion des risques en
amont. On peut penser au programme
de prévention des infections nosoco-
miales, à une meilleure stérilisation du
matériel ainsi qu’à la question du C. dif-
ficile, indique-t-il.
Du côté de l’Association canadienne de
protection médicale (ACPM), on est offi-
ciellement contre l’introduction du
no-
fault
en santé. La mutuelle, qui assure
95 % des médecins contre les risques
liés à leur profession, a commandé un
rapport sur la question de la responsabi-
lité sans égard à la faute. Le rapport, pro-
duit par la firme Secor Conseil, intitulé
Modèles alternatifs de compensation au
Canada, étudie ce qui se fait dans dif-
férents pays. La conclusion est claire :
« Chacun des modèles de rechange s’est
montré moins satisfaisant que le modèle
actuel dans le contexte canadien. » Pour
ce faire, quatre hypothèses ont été
étudiées. Le système néo-zélandais,
basé sur le
no-fault
, coûterait 2,6 G$ s’il
était implanté au Canada. Qui se char-
gera de payer la facture? Parmi les dif-
férentes options, on peut penser à la
diminution du montant des indemnisa-
tions aux patients (de 25 à 50 %), au fil-
trage des possibilités de compensation
(comme c’est le cas en Suède), à l’ad-
ministration du programme par le gou-
vernement et à l’augmentation des
primes d’assurances des médecins.
Pour la plupart de ces scénarios, les
médecins en sortiraient presque assuré-
ment perdants. Quand on pense que les
primes d’assurance des médecins pour-
raient être décuplées pour financer un
éventuel programme de
no-fault
, il
faudrait pouvoir compter sur des aug-
mentations d’honoraires toutes aussi
importantes, ce qui semble peu réaliste,
particulièrement dans le contexte québé-
cois. Par le fait même, refiler la facture
directement aux différents gouverne-
ments semble aussi peu probable. Pour
sa part, l’idée de filtrer les demandes
d’indemnisation entraînerait inévitable-
ment un contexte semblable à celui
actuellement en vigueur, où les avocats
des patients et les avocats des médecins
tentent de faire pencher la balance en
faveur de leurs clients. Le médecin
accusé serait alors encore une fois
pointé du doigt, mais ne pourrait pas se
défendre devant un tribunal.
2,6 milliards de dollars
Les experts de la firme Secor ont retenu
le chiffre de 410 000 indemnisations
possibles par an pour déterminer le coût
du
no-fault
au Canada. Pour ce faire, ils
ont retenu les données de l’Étude cana-
dienne sur les événements défavorables
(185 000 cas sur les 2,5 millions d’ad-
missions annuelles) auxquelles ont été
ajoutés les hospitalisations de moins de
24 heures, les événements indésirables
chez les mineurs ainsi que les accidents
thérapeutiques pouvant survenir en
obstétrique et en psychiatrie. « Il faut
faire attention aux extrapolations »,
prévient cependant Régis Blais, pro-
fesseur au Département d’administration
de la santé à l’Université de Montréal.
Selon lui, la firme Secor Conseil a pris
quelques raccourcis pour obtenir le
chiffre de 410 000 événements indési-
rables au Canada. Sa méthode d’extra-
polation est « peu crédible », pense-t-il,
et le montant de 2,6 milliards de dollars
pourrait être appelé à être revu.
Les trois autres modèles étudiés dans le
rapport de la firme (combinaison tort/
no-
fault
, gestion gouvernementale à la bri-
tannique et modèle d’indemnisation
pour bébés gravement handicapés)
apportent quelques pistes de réflexion,
mais ne sont pas exportables au Canada,
indique le rapport, « si l’on ne revoit pas
tout le système social, légal et culturel
qui gravite autour. » Le Dre Martine
Gagnon, directrice des Affaires
régionales à l’ACPM, ajoute qu’il existe
néanmoins des ajustements au système
actuel qui permettraient de réaliser Î
CCHHAAQQUUEE AANNNNÉÉEE,, EENNVVIIRROONN 2200 000000
patients subissent des événements
indésirables dans les hôpitaux québécois.
Autour de 6 500 d’entre eux seraient évita-
bles. C’est donc 5,6 % des hospitalisations
de plus de 24 heures qui tournent mal et
qui peuvent parfois aboutir au décès du
patient (environ 1 400 cas par an).
Pourtant, l’Association canadienne de pro-
tection médicale (ACPM) ne recense,
chaque année, qu’environ 1 000 pour-
suites judiciaires devant les tribunaux.
Au Canada, le système de responsabilité
professionnelle médicale repose sur la
responsabilité délictuelle. Un patient qui
s’estime victime d’une négligence ou
d’une erreur médicale devra intenter des
poursuites judiciaires contre son médecin
et faire la preuve qu’une faute a bel et bien
été commise. Environ 12 % de ces pour-
suites se rendront à terme et les procès
prendront en moyenne 44 mois, au grand
bonheur des avocats. Le médecin sortira
vainqueur du processus judiciaire 97,5 %
du temps. En 2005, l’ACPM a dépensé
presque autant en compensation aux
patients qu’en frais d’avocats (respective-
ment 102 M$ et 116 M$).
En Nouvelle-Zélande, où on applique le
système du
no-fault
, un patient victime
d’un accident thérapeutique recevra
rapidement une compensation moné-
taire sans avoir à passer devant les tri-
bunaux. On ne recherche généralement
pas à qui incombe la faute. L’idée est-elle
pour autant applicable au Canada ?
L’exemple néo-zélandais
Le Conseil canadien de la santé s’est
récemment penché sur la question lors
d’un colloque qui se tenait à Fredericton
le 27 septembre. « L’objectif était de s’in-
former pour voir si l’indemnisation hors
faute permettait d’augmenter la sécurité
du patient », explique Jeanne Desmer,
présidente par intérim du Conseil qui
accueillait pour l’occasion des représen-
tants des médecins et des infirmières,
ainsi que deux médecins spécialistes de
la Nouvelle-Zélande.
Là-bas, depuis 1974, l’Accident Com-
pensation Corporation (ACC) détient le
quasi-monopole en matière d’assurance.
Cet organisme public fonctionne sur le
principe du
no-fault
. En cas d’accident,
l’indemnisation se fait dans un délai de
20 à 70 jours en fonction du degré de
collaboration des parties impliquées au
dossier, indique le Dre Marie Bismarck,
dans sa conférence de Fredericton. En
Nouvelle-Zélande, les patients victimes
d’événements défavorables sont peu
motivés par la compensation financière
(22 %) ou par la recherche d’un blâme
des personnes impliquées (12 %). Par
contre, des explications et des excuses
(40 %), ainsi que la prise de mesures
pour éviter que le problème ne se repro-
duise (50 %) sont les principales motiva-
tions des patients lésés lorsqu’ils
déposent un dossier à l’ACC. Il est néan-
moins difficile de dire si le système du
no-fault
est efficace pour améliorer la
sécurité des patients, admet Dre
Bismarck, parce qu’aucune étude d’en-
vergure n’a jusqu’ici été entreprise en
Nouvelle-Zélande.
Mesurer l’impact de la compensation
hors faute sur la sécurité des patients
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Le
no-fault
en santé est-il
souhaitable pour les médecins?
Un débat qui n’en est pas un
Par Mathias Marchal
L’introduction dans le système de santé du
no-fault
, un régime d’assurance sans égard à la respon-
sabilité, est actuellement dans l’impasse au Québec. Sa mort clinique n’a pas encore été pronon-
cée, mais à juger le peu d’empressement des politiciens à se saisir du dossier, seule la résurrection
sauverait cette idée qui inspire néanmoins un certain nombre de pays dans le monde. Pourtant, en
1990, une révolution pointait le bout du nez : l’introduction partielle de la compensation sans égard
à la faute dans notre système de santé. Seize ans plus tard, la principale recommandation du rap-
port Prichard n’a pas été suivie d’effet et on tergiverse encore. Combien cela coûterait-il? Est-ce
vraiment efficace pour améliorer la sécurité des patients? Les médecins y retrouveraient-ils leur
compte? À défaut de révolution, on a toutefois assisté, en 16 ans, à une certaine évolution dont la
Loi 113 est l’un des piliers. Et si la question de l’amélioration des méthodes et des délais pour com-
penser les patients lésés n’a pas trouvé de réponse, le corps médical intervient désormais plus en
amont, afin d’éviter qu’un trop grand nombre d’événements indésirables ne se produisent.
Radiographie de la situation.
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des économies sans léser les patients.
Elle milite notamment pour un règlement
échelonné du paiement des compensa-
tions aux patients, comme en Ontario,
car « cela permet que les montants à
payer en impôts ne viennent pas se
rajouter au montant des compensations
que nous devons verser aux plaignants. »
L’ACPM indique, elle aussi, intervenir en
amont afin de minimiser les risques
d’événements indésirables. « En cinq
ans, on aura donné quelque 450 ses-
sions éducatives à 5 000 médecins »,
souligne Dre Gagnon. Comment tenir ses
dossiers pour faciliter l’échange avec les
intervenants, l’importance du consente-
ment, explication du système de respon-
sabilité, tels sont quelques-uns des
sujets abordés et, ce mois-ci,
l’Association inaugure son premier ate-
lier d’apprentissage en ligne.
Quelques arguments favorables
Au sein de l’équipe du Programme
d’aide aux médecins, le Dre Anne
Magnan, la directrice générale, se dit
ouverte à l’introduction du
no-fault
.
« L’erreur médicale, c’est encore un sujet
tabou, on continue de maintenir le
mythe du docteur parfait. Alors ça per-
mettrait d’éviter de faire comme si les
erreurs, ça n’existait pas », dit-elle. Sur
les 395 demandes d’aide reçues en
2005, très peu provenaient de médecins
en difficulté pour cause de poursuites
judiciaires. Toutefois, chez les rares cas
qui lui sont parvenus, elle note des effets
dévastateurs. « Les médecins sont en
général très professionnels et conscien-
cieux. Ils se posent aussi beaucoup de
questions. Alors, faire une erreur, ou se
faire reprocher quelque chose, c’est très
difficile pour eux. Le phénomène de l’im-
posteur ou de l’injustice va resurgir de
façon très forte. » Selon elle, dans ces
circonstances, le besoin de parler est
important. « Pourtant, la première
recommandation d’un avocat en cas de
plainte ou de poursuite, c’est : Ne dites
rien à personne! », regrette-t-elle. C’est
donc d’un point de vue thérapeutique
qu’elle voit le
no-fault
comme positif.
Régis Blais, professeur en administration
de la santé à l’Université de Montréal, se
déclare en faveur d’un tel système de
compensation afin d’éviter les méandres
du système judiciaire. « Quand
quelqu’un subit un dommage, il faut le
rembourser sans le ruiner. Actuellement,
le système profite surtout aux avocats »,
juge-t-il, en ajoutant qu’il ne croit pas
qu’un tel programme coûterait si cher à
administrer. « Ça fonctionne correcte-
ment pour l’assurance automobile. »
Me Jean-Pierre Ménard, avocat spécia-
liste en droit médical de l’étude Ménard,
Martin, n’est pas d’accord. « À la SAAQ,
il y a une définition très précise de ce
qu’est un accident, ainsi que des statis-
tiques connues pour déterminer à com-
bien se chiffre le programme. On peut
donc facilement déterminer le montant
des primes d’assurances et celui des
compensations. Ce n’est pas le cas dans
le domaine de la santé ». L’avocat se dit
pour un système
no-fault
en santé s’il est
« équitable pour les patients », c’est-à-
dire un programme qui rembourserait
toutes les complications médicales évita-
bles. Mais parce qu’on ne peut déter-
miner clairement ce qu’est un accident
médical évitable, et qu’il est difficile de
dire quel poucentage de patients
touchés se prévaudraient d’un tel pro-
gramme, on ne peut chiffrer l’instaura-
tion d’un système sans égard à la faute
au Canada. Le
no-fault
n’est donc pas
pour demain, d’après lui.
En Nouvelle-Zélande, qu’ils se
blessent à la maison, au travail, sur la
route ou ailleurs, tous les habitants
sont couverts par un système public
qui peut être complété par des assu-
rances privées. C’est l’ACC (Accident
Compensation Corporation) qui se
charge de la prévention des accidents,
ainsi que de la réhabilitation et de la
compensation des personnes
blessées, sur le principe du
no-fault
.
Lors d’un colloque organisé à
Fredericton par le Conseil canadien
de la santé, deux chercheurs néo-
zélandais sont venus présenter le
système qui existe depuis 1974.
Ron Paterson et Dre Marie Bismarck
ont souligné la rapidité d’exécution des
paiements de compensation : entre 3
et 10 semaines en fonction du degré
de collaboration des autorités médi-
cales. Le système coûte 36 M$ par an
pour une population de 4 millions
d’habitants. C’est 15 % de plus par
habitant que le système canadien. On
serait alors loin des 2,6 milliards de
dollars que prévoit le rapport de la
firme Secor Conseil en cas d’adoption
du système par le Canada. Les frais
d’administration du programme mon-
tent à 10 %. Aux États-Unis, ils
seraient de 54 %, d’après le Dre
Bismarck. Au Canada, plus de 100 mil-
lions des 250 millions de dollars
dépensés annuellement par l’ACPM
vont à l’indemnisation des patients.
Par contre, les deux chercheurs admet-
tent qu’aucune étude d’envergure n’a
été menée chez eux pour mesurer le
degré d’efficacité du système néo-
zélandais en matière d'amélioration de
la sécurité des patients. Les demandes
de compensation restent aussi relative-
ment peu nombreuses. Est-on pour
autant en face d’un système sans
égard à la responsabilité? Le rapport de
Secor Conseil note que le terme «
no-
fault
» est inapproprié pour caractériser
le système de compensation néo-
zélandais. En effet, même si la formule
a été revue depuis juillet 1995, il sub-
siste que « les médecins et les autres
professionnels de la santé sont toujours
assujettis au cadre de responsabilisa-
tion ». Le HDC (Health and Disability
Commisioner) ainsi que certains tri-
bunaux peuvent imposer des amendes
et des suspensions à certains médecins
fautifs. « On ne peut donc dire que le
nouveau système est véritablement
sans égard à la responsabilité », note le
rapport.
Modèle néo-zélandais : attention aux apparences
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