L’Encéphale (2011) 37, 314—321 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP THÉRAPEUTIQUE Programme de remédiation cognitive pour patients présentant une schizophrénie ou un trouble associé (Recos) : résultats préliminaires Cognitive remediation program for individuals living with schizophrenia (Recos): Preliminary results P. Deppen ∗, P. Sarrasin Bruchez , R. Dukes , V. Pellanda , P. Vianin Département de psychiatrie-CHUV (DP-CHUV), section « E. Minkowski », consultation de Chauderon, 9, avenue d’Echallens, 1004 Lausanne, Suisse Reçu le 8 septembre 2009 ; accepté le 6 septembre 2010 Disponible sur Internet le 9 avril 2011 MOTS CLÉS Schizophrénie ; Remédiation cognitive ; Tests neuropsychologiques ; Répercussions fonctionnelles ∗ Résumé Aujourd’hui, la remédiation cognitive s’affirme de plus en plus comme un outil thérapeutique important dans l’arsenal des soins proposés aux patients souffrant de schizophrénie. L’originalité du programme de remédiation cognitive pour patients présentant une schizophrénie ou un trouble associé (Recos—Vianin, 2007) consiste à adapter la prise en charge au profil cognitif et clinique du patient, de manière à proposer un programme de remédiation qui puisse cibler les déficits rencontrés. Dans le cadre de cette étude de faisabilité, notre objectif était d’évaluer les bénéfices d’un entraînement cognitif spécifiquement adapté aux déficits cognitifs du patient, tels qu’évalués à travers une batterie de tests neuropsychologiques. Vingt-huit patients appartenant au spectre de la schizophrénie (schizophrénie [n = 18], trouble schizoaffectif [n = 5], trouble schizotypique [n = 4], trouble schizophréniforme [n = 1], DSM-IV-TR) ont effectué une évaluation cognitive permettant de les orienter vers un ou plusieurs modules d’entraînement (mémoire verbale, mémoire et attention visuospatiales, mémoire de travail, attention sélective, raisonnement) en fonction de leurs déficits cognitifs et des répercussions dans le fonctionnement quotidien. La phase de remédiation s’est déroulée sur 20 séances hebdomadaires par module d’entraînement (participation possible maximum à trois modules) et a privilégié les techniques généralement utilisées pour la rééducation des fonctions exécutives. Au terme de la phase de remédiation, une réévaluation cognitive a été effectuée afin d’évaluer les progrès obtenus. On observe une amélioration supérieure pour les fonctions entraînées par Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Deppen). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2011. doi:10.1016/j.encep.2011.02.002 Programme Recos : résultats préliminaires 315 rapport aux fonctions non entraînées, montrant la pertinence d’un entraînement adapté aux déficits cognitifs du patient. On constate aussi une amélioration pour les fonctions non entraînées, suggérant un bénéfice cognitif indirect. Ces résultats confirment l’impact thérapeutique d’un programme de remédiation cognitive spécifiquement adapté au profil cognitif du patient. © L’Encéphale, Paris, 2011. KEYWORDS Schizophrenia; Cognitive remediation; Neuropsychological tests; Functional outcome Summary Background. — Nowadays, cognitive remediation is widely accepted as an effective treatment for patients with schizophrenia. In French-speaking countries, techniques used in cognitive remediation for patients with schizophrenia have been applied from those used for patients with cerebral injury. As cognitive impairment is a core feature of schizophrenia, the Département de psychiatrie du CHUV in Lausanne (DP-CHUV) intended to develop a cognitive remediation program for patients with a schizophrenia spectrum disease (Recos—Vianin, 2007). Numerous studies show that the specific cognitive deficits greatly differ from one patient to another. Consequently, Recos aims at providing individualized cognitive remediation therapy. In this feasibility trial, we measured the benefits of this individualized therapy for patients with schizophrenia. Before treatment, the patients were evaluated with a large battery of cognitive tests in order to determine which of the five specific training modules — Verbal memory, visuospatial memory and attention, working memory, selective attention, reasoning — could provide the best benefit depending on their deficit. Objectives. — The study was designed to evaluate the benefits of the Recos program by comparing cognitive functioning before and after treatment. Method. — Twenty-eight patients with schizophrenia spectrum disorders (schizophrenia [n = 18], schizoaffective disorder [n = 5], schizotypal disorder [n = 4], schizophreniform disorder [n = 1], DSM-IV-TR) participated in between one and three of the cognitive modules. The choice of the training module was based on the results of the cognitive tests obtained during the first evaluation. The patients participated in 20 training sessions per module (one session per week). At the end of the training period, the cognitive functioning of each patient was reevaluated by using the same neuropsychological battery. Results. — The results showed a greater improvement in the cognitive functions, which were specifically trained, compared to the cognitive functions, which were not trained. However, an improvement was also observed in both types of cognitive functions, suggesting an indirect cognitive gain. Conclusion. — In our view, the great heterogeneity of the observed cognitive deficits in schizophrenia necessitates a detailed neuropsychological investigation as well as an individualized cognitive remediation therapy. These preliminary results need to be confirmed with a more extended sample of patients. © L’Encéphale, Paris, 2011. Introduction De manière assez surprenante, les pistes suggérées dans la littérature scientifique pour améliorer l’efficacité des programmes de remédiation cognitive n’évoquent que rarement la prise en charge différenciée des troubles observés lors d’une évaluation cognitive [22]. Ce constat a conditionné dans une grande mesure le développement du programme de remédiation cognitive pour patients présentant une schizophrénie ou un trouble associé (Recos) [23,24]. Au vu de la très grande hétérogénéité du profil cognitif des patients souffrant de schizophrénie, il nous a, en effet, paru essentiel qu’un programme de remédiation soit adapté à la nature des déficits de chaque patient, comme c’est d’ailleurs le cas pour toute démarche rééducative en neuropsychologie. La majorité des fonctions cognitives souvent déficitaires dans cette population concernent l’attention, la mémoire et les fonctions exécutives [25]. Plusieurs programmes de remédiation cognitive se donnent pour objectif de cibler exclusivement la rééducation des fonctions exécutives. C’est le cas notamment du programme Cognitive remediation therapy (CRT) [5] qui a été largement diffusé et qui a été l’objet de nombreuses publications [30]. Plusieurs études suggèrent, cependant, que la mémoire épisodique est également souvent déficitaire chez les patients souffrant de schizophrénie. Les troubles observés impliqueraient des anomalies de traitement lors de l’encodage et des tâches de rappel avec possiblement un dysfonctionnement de structures cérébrales impliquant la mémoire épisodique, telles que les structures hippocampiques (pour une revue de la question, voir [31]). Comme cela avait déjà été avancé par Andreasen [2], ces résultats suggèrent que les troubles cognitifs observés reflètent un défaut de la connectivité entre les aires frontales/préfontales et d’autres structures cérébrales, comme cela a pu être évoqué pour la structure hippocampique [31] ou encore les aires visuelles [26]. En ce qui concerne la remédiation cognitive, cela pourrait suggérer la nécessité d’enrichir les modules de rééducation à d’autres domaines cognitifs, pour éviter de se focaliser uniquement sur les fonctions exécutives. Nous avons ainsi adopté une démarche visant à traiter les déficits rencontrés 316 en favorisant une rééducation plus complète et enrichie, étendue à plusieurs domaines cognitifs habituellement altérés dans la schizophrénie. Ces domaines sont les suivants. Mémoire verbale La mémoire verbale est une des fonctions cognitives dont les déficits sont susceptibles d’avoir des répercussions fonctionnelles importantes. Green [9] souligne, à ce propos, que des déficits de mémoire verbale rendent plus aléatoires les bénéfices espérés par l’entraînement aux habiletés sociales. Mémoire et attention visuospatiales Un trouble de la mémoire et/ou de l’attention visuospatiale peut altérer la perception de notre propre corps dans l’espace, rendre problématique le choix d’un itinéraire, empêcher que l’on se souvienne de l’emplacement d’un objet ou encore mettre en péril nos déplacements dans notre environnement. Alors que certaines études montrent des performances préservées à la tâche des blocs de Corsi [11], d’autres montrent un empan spatial réduit chez les patients souffrant de schizophrénie [17]. Mémoire de travail La mémoire de travail intervient dans le traitement et le maintien temporaire des informations nécessaires à la réalisation d’activités cognitives aussi diverses que la compréhension, l’apprentissage et le raisonnement. Fréquemment observés dans la schizophrénie [7,19], les troubles de la mémoire de travail traduisent probablement un dysfonctionnement du cortex préfrontal [8]. Les déficits de mémoire de travail ont des répercussions importantes sur la vie quotidienne du patient, notamment dans ses interactions sociales. Attention sélective Les troubles d’attention sélective font partie des déficits cognitifs majeurs de la schizophrénie. Chez ces patients, les difficultés à rester focalisés sur une tâche ou une source d’information sont importantes et entravent souvent le fonctionnement social et professionnel. Raisonnement Dans le contexte de ce programme, le « raisonnement » fait référence aux fonctions exécutives et comprend les capacités d’organisation, de planification, de flexibilité cognitive et de logique1 . Dans la vie quotidienne, les déficits rencontrés se traduisent par des difficultés à s’adapter à une situation nouvelle, à modifier son comportement lorsque P. Deppen et al. celui-ci n’est plus adapté, à planifier le déroulement d’une action. Les fonctions exécutives, dont le déficit est central dans la schizophrénie, jouent précisément un rôle essentiel dans la coordination des processus cognitifs dans leur ensemble et sont probablement nécessaires pour favoriser une meilleure connexion entre les structures neurocognitives impliquées dans les différentes activités de la vie quotidienne. Par conséquent, notre démarche vise à cibler les déficits rencontrés lors de l’évaluation tout en privilégiant les techniques généralement utilisées pour l’entraînement des fonctions exécutives. Nous avons ainsi privilégié les techniques de résolution de problèmes [6] et de verbalisation ou de médiation verbale, connues pour la rééducation des syndromes dysexécutifs. Notre étude vise à évaluer les progrès cognitifs rencontrés chez 28 patients souffrant d’un trouble du spectre de la schizophrénie, après participation au programme Recos. Nous avons inclus dans notre programme des patients souffrant d’un trouble schizotypique en raison de la présence dans cette population de déficits cognitifs de moindre ampleur mais qualitativement similaires à ceux de patients souffrant de schizophrénie. Ces déficits concernent, en effet, aussi bien les tâches exécutives [13], les tâches de mémoire verbale [27] et les épreuves attentionnelles [20]. Notre objectif principal vise ainsi à mesurer l’efficacité d’un programme qui tient compte de manière spécifique des troubles cognitifs observés chez chacun des participants (participation à différents modules d’entraînement en fonction des déficits observés). Ce travail préliminaire est une étude de faisabilité basée sur la comparaison des résultats aux tests neuropsychologiques effectués avant et après la participation au programme Recos. Une étude de validation multicentrique, impliquant des centres psychiatriques en Suisse Romande et en France, est actuellement en cours et permettra de comparer les effets du programme Recos à ceux d’un programme largement pratiqué dans les pays anglosaxons, le programme CRT [5,30]. Ce programme constituera la technique de contrôle. Dans notre étude, nous faisons les hypothèses suivantes : • après participation à un module d’entraînement tenant compte du profil cognitif du patient, les progrès mesurés pour le domaine concerné sont plus importants que ceux mesurés pour les domaines non entraînés ; • nous attendons aussi une amélioration des fonctions non entraînées. Nous pensons, en effet, que les techniques souvent appliquées dans la rééducation des syndromes dysexécutifs permettront non seulement d’améliorer sensiblement les performances cognitives en lien avec les modules proposés, mais favoriseront également indirectement de meilleures performances pour les fonctions non entraînées. Méthode Sujets 1 Comme l’attention sélective et la mémoire de travail font partie des fonctions exécutives et que ces deux fonctions sont évaluées séparément et font l’objet d’un module spécifique, nous avons préféré le terme de raisonnement à celui de fonctions exécutives. Les 28 sujets de l’étude répondent aux critères diagnostiques (DSM-IV-TR [1]) de schizophrénie, de trouble schizoaffectif, de personnalité schizotypique, ou encore Programme Recos : résultats préliminaires Tableau 1 317 Données sociodémographiques et cliniques. Sexe (H/F) Âge Niveau d’éducation Durée de la maladie 18/10 30,2 (8,9) 11,4 (1,57) 4,9 (4,73) Diagnostic (DSM IV-TR) PANSS-P PANSS-N PANSS-PG Trouble schizotypique (n = 4) Trouble schizoaffectif (n = 5) Trouble schizophréniforme (n = 1) Schizophrénie (n = 18) 10,8 (2,4) 11 (2,7) 7 15 (4,7) 17,5 (7,6) 17,4 (6,5) 7 22 (5,9) 30,8 (1,9) 31,8 (8,7) 20 38,7 (6,6) Médication antipsychotique n Dosage journalier (mg) Aripiprazole Olanzapine Rispéridone Clozapine Quétiapine Sans médication antipsychotique 7 7 4 3 2 5 13,57 (2,43) 13,35 (5,96) 1,75 (1,5) 233,33 (57,73) 350 (70,71) Les valeurs sont données en moyenne. Les écarts-types figurent entre parenthèses. L’âge, le niveau d’éducation et la durée de la maladie sont donnés en nombre d’années. L’échelle clinique PANSS mesure le score à trois sous-échelles : échelle positive (PANSS-P) ; échelle négative (PANSS-N) ; échelle de psychopathologie générale (PANSS-PG). de trouble schizophréniforme (Tableau 1). La symptomatologie a été évaluée au moyen de l’échelle Positive and Negative Syndrome Scale (PANSS) [10]. Il s’agit pour la plupart de patients stabilisés, présentant une symptomatologie positive peu élevée. À l’exception de cinq patients non traités par antipsychotiques, tous les patients de l’étude reçoivent un traitement antipsychotique de nouvelle génération sans modification durant la durée de l’étude. Parmi eux, 12 patients bénéficient également d’une médication anxiolytique (benzodiazépines) et huit patients d’un traitement antidépresseur. Évaluation cognitive Outre le fait de proposer une batterie de tests neuropsychologiques recouvrant la majorité des troubles cognitifs observés chez les patients souffrant de schizophrénie, nous avons choisi de mesurer les fonctions cognitives qui nous ont paru importantes en termes de répercussions fonctionnelles [23]. Les tests sélectionnés permettent d’évaluer les cinq fonctions cognitives proposées pour l’entraînement (modules mémoire verbale, mémoire et attention visuospatiales, mémoire de travail, attention sélective, raisonnement). L’ensemble de ces tests a été standardisé auprès de larges échantillons et dispose, par conséquent, de normes bien établies. L’indication de participation aux modules d’entraînement est évaluée en mesurant la moyenne des notes standards obtenues aux tests qui les composent. Lorsque cette valeur moyenne est inférieure à sept, nous proposons au patient de participer au module concerné. Les répercussions fonctionnelles des déficits rencontrés contribuent aussi au choix du ou des module(s) à entraîner. La plupart des patients de l’étude ont participé à un seul module (21 patients), six patients ont participé à deux modules et un seul patient à trois modules du programme Recos. La fiabilité test-retest a également guidé la sélection de la batterie neuropsychologique, dans la mesure où elle assure la détection d’éventuels changements attribuables au programme de remédiation cognitive. Afin de minimiser la présence éventuelle d’un effet test-retest, nous avons intégré dans la mesure du possible des épreuves comprenant plusieurs versions. En outre, l’intervalle de six mois minimum entre les deux évaluations semble suffisant pour atténuer cet effet [28,29]. Actuellement, la batterie est composée des 11 tests présentés ci-dessous2 (Tableau 2). Techniques et stratégies Nous utilisons un certain nombre de techniques de remédiation cognitive, dont l’efficacité a été démontrée et qui ont été adaptées à des patients présentant une schizophrénie [30]. Parmi ces techniques, les stratégies dites de résolution de problèmes se sont révélées efficaces pour plusieurs troubles psychiatriques et ce, dans une perspective de traitement psychothérapeutique de courte durée [16]. Dans un cadre de remédiation cognitive, cette technique a pour objectif d’explorer un large éventail de stratégies possibles et de sélectionner celles qui se révèlent les plus pertinentes pour faire face à un problème donné. Une autre technique utilisée en priorité avec des patients souffrant de troubles exécutifs consiste à verbaliser les stratégies utilisées par le 2 Deux des tests — Scènes de famille (issus de la MEM-III [28] et évaluant la mémoire visuospatiale) et le D2 [3] (évaluant l’attention sélective) — ont été introduits plus récemment. 318 P. Deppen et al. Tableau 2 Batterie de tests neuropsychologiques du programme de remédiation cognitive pour patients présentant une schizophrénie ou un trouble associé. Tests neuropsychologiques Note considérée Memoire verbale 15 mots de Rey—rappel immédiat [18] 15 mots de Rey—rappel différé [18] Mémoire logique I : rappel [28] Mémoire logique I : thème [28] Nombre total de mots retenus en mémoire immédiate Nombre total de mots retenus en mémoire différée Note totale rappel Note totale thème Visuospatial Mémoire spatiale [28] Scènes de famille I [28] Scènes de famille II [28] Indice de vitesse de traitement [29] Note totale Note totale rappel Note totale rappel Notes standard des tests code et symbole Mémoire de travail Mémoire des chiffres [29] Mémoire spatiale [28] Note totale Note totale Attention selective Stroop [21] D2 [3] Symboles [29] Note en condition d’interférence Note globale (nombre d’items—erreurs) Note totale Raisonnement Tour de Hanoï [4] Matrices [29] Wisconsin Card Sorting Test [4,14] Nombre de mouvements supplémentaires Note totale Nombre de réponses persévératives participant. Cette stratégie a été proposée par Luria [15] qui soutient que la formulation d’un plan pour résoudre un problème complexe repose sur un langage interne. Des stratégies de réduction de l’information et d’apprentissage sans erreur sont également utilisées. Déroulement des séances Le programme se déroule généralement au rythme d’une séance hebdomadaire de 60 minutes. Durant la première séance, le thérapeute présente les buts poursuivis par le programme Recos. Après cette première séance de présentation se déroulent deux séances d’évaluation clinique. Puis, les deux séances suivantes (séances 4 et 5) concernent l’évaluation cognitive. La sixième séance est constituée par la restitution des résultats et l’évaluation des répercussions fonctionnelles. La septième séance est consacrée à la psychoéducation centrée sur les troubles cognitifs de la schizophrénie, leur lien avec la symptomatologie, leur importance en termes fonctionnels et sur l’importance d’y remédier. Un travail métacognitif est ainsi réalisé avec le patient lors de cette séance et tout au long de la phase de remédiation lorsque les fonctions cognitives et leur rôle dans la vie quotidienne sont évoqués. Dès la huitième séance, la phase de remédiation proprement dite débute. Chaque module d’entraînement propose des exercices papier-crayon et des exercices informatisés. Ces exercices ont été initialement conçus par la société scientific brain training (SBT)3 , avec laquelle nous avons collaboré pour les rendre compatibles avec les objectifs du programme Recos. Les séances papier-crayon permettent au patient — avec l’aide de son thérapeute — de développer les stratégies les plus efficaces pour faire face au problème posé. Ces stratégies sont ensuite appliquées par le patient au cours des exercices sur ordinateur. Il s’agit de séances individuelles qui ont lieu en présence du thérapeute. Des feedback réguliers sont fournis par le thérapeute sur les progrès réalisés. Le patient effectue également un travail à domicile une fois par semaine. Ces tâches à domicile sont importantes, car elles favorisent le transfert des compétences acquises en séance. Afin d’évaluer les progrès des patients inclus dans l’étude, nous avons comparé leurs résultats aux subtests de l’évaluation cognitive réalisée avant la phase de remédiation aux résultats obtenus lors de la réévaluation. Chaque patient a suivi au moins un module d’entraînement. On observe une participation des patients à la quasi totalité des séances (20 séances par module). Résultats Une première analyse (test de Student, échantillons appariés) a été effectuée en ne considérant que les tests des 15 patients ayant participé au module Raisonnement (Tableau 3), car le nombre trop peu élevé de patients ayant 3 Logiciel SBT : Happyneuron® — Recos, société Scientific Brain Training (SBT) établie à Villeurbane (F). Programme Recos : résultats préliminaires 319 Figure 1 Taille d’effet (d de Cohen) de la différence entre les scores obtenus avant et après participation au programme de remédiation cognitive pour patients présentant une schizophrénie ou un trouble associé pour les modules entraînés et pour les modules non entraînés. La valeur de N correspond au nombre de personnes ayant participé au module d’entraînement. participé aux autres modules ne nous permet pas de faire cette analyse. On constate que deux des trois tests évaluant ce module — le WCST et le test Matrices — s’améliorent significativement lors de la réévaluation. Ce n’est pas le cas pour les résultats à la Tour de Hanoï. Concernant les autres tests, on constate des progrès significatifs pour les tests impliquant les capacités d’inhibition (Stroop) et d’attention sélective visuelle (symboles). En outre, les patients ayant participé au module Raisonnement montrent également une amélioration significative de la mémoire épisodique verbale (mémoire logique) et de la rapidité de traitement (indice de vitesse de traitement) qui ne font pas partie des fonctions exécutives spécifiquement entraînées dans ce module. En ce qui concerne les autres modules, nous avons mesuré des tailles d’effet, de manière à évaluer l’efficacité d’un traitement spécifique des domaines déficitaires (Fig. 1). Les tailles d’effet sont généralement considérées comme petites (0,2), moyennes (0,5) ou grandes (0,8). Pour chacun des cinq domaines cognitifs de Recos, nous avons mesuré une taille d’effet pour les modules entraînés et les modules non entraînés, en considérant la différence entre la moyenne des scores obtenus avant et après la participation au programme, cette différence étant divisée par la moyenne des écarts-types (taille d’effet d de Cohen). Les scores obtenus aux modules non entraînés se trouvent dans des tailles d’effet petites à moyennes pour les modules Raisonnement, mémoire de travail, mémoire et attention visuospatiales et mémoire verbale et dans une zone comprise entre des tailles d’effets moyennes et grandes pour le module Attention sélective. Des tailles d’effet nettement plus importantes sont mises en évidence pour chacun des modules entraînés spécifiquement. Afin d’évaluer l’efficacité du programme Recos de manière globale, nous avons également mesuré la taille d’effet sur l’ensemble des résultats enregistrés (comparaison avant/après remédiation). Les résultats indiquent un Tableau 3 Comparaison des résultats aux tests neuropsychologiques pré-/post-traitement — module Raisonnement. T-Test — Paired Samples Test. Paire 1 Paire 2 Paire 3 Paire 4 Paire 5 Paire 6 Paire 7 Paire 8 Paire 9 Paire 10 Paire 11 Paire 12 15 mots, rappel immédiat 15 mots, rappel différé Mémoire logique, rappel Mémoire logique, thème Mémoire spatiale (Corsi) Indice de vitesse de traitement Mémoire des chiffres (Hebb) Stroop Symboles Wisconsin Card Sorting Test Tour de Hanoï Matrices * : significatif à p < 0,05 ; ** : significatif à p < 0,01. 0,211 1,921 −2,190 −1,538 −1,319 −2,256 −1,254 −4,183 −2,246 −3,101 −1,177 −3,552 14 14 13 11 14 14 14 14 14 13 14 14 0,836 0,075 0,047* 0,152 0,208 0,041* 0,230 0,001** 0,041* 0,008** 0,259 0,003** 320 score de 0,38 correspondant à une taille d’effet moyenne et indiquant un progrès important en termes de performances globales. Discussion Au terme de cette analyse et conformément à notre hypothèse initiale, nous obtenons des résultats significatifs en termes d’amélioration pour les modules entraînés mais aussi pour les modules non entraînés. L’analyse des résultats des patients ayant participé au module Raisonnement montre que deux des trois tests évaluant ce module s’améliorent significativement lors de la réévaluation, suggérant ainsi une amélioration de la flexibilité cognitive et du raisonnement logique. Ce n’est pas le cas pour les capacités de planification évaluées à travers la Tour de Hanoï, ce qui peut être mis en lien avec la grande variabilité des résultats pour ce test. On constate également que l’entraînement de ce module, constitué en grande partie d’exercices relatifs aux fonctions exécutives, donne lieu à des progrès significatifs pour les tests impliquant les capacités d’inhibition et d’attention sélective visuelle (module Attention sélective), soit des fonctions cognitives faisant justement partie des fonctions exécutives. En outre, les patients ayant participé au module Raisonnement montrent également une amélioration significative de la mémoire épisodique verbale et de la rapidité de traitement qui ne font pourtant pas partie des fonctions exécutives spécifiquement entraînées dans ce module. La comparaison des tailles d’effet de chacun des modules montre une amélioration de petite à moyenne importance pour les modules non-entraînés. Cela indique un bénéfice cognitif indirect, permettant à travers l’entraînement d’un module, d’améliorer l’ensemble des fonctions cognitives considérées dans Recos. Nous pouvons comprendre cette généralisation de l’amélioration comme étant due à l’utilisation de techniques de remédiation en lien avec les fonctions exécutives (par exemple, la résolution de problèmes) et ce, quel que soit le module entraîné. Ainsi, les fonctions exécutives apparaissent comme ayant un rôle de coordination de l’ensemble des processus cognitifs, leur entraînement permettant une amélioration cognitive globale. De plus, tout en observant une amélioration des fonctions non entraînées, on constate des tailles d’effet nettement plus importantes pour les fonctions entraînées spécifiquement, montrant ainsi le bénéfice amené par un entraînement adapté au profil cognitif de chaque participant. Ce travail exploratoire présente, cependant, certaines limitations : • cette étude préliminaire consiste en une comparaison au sein du même groupe ; la comparaison avec un groupe témoin est actuellement en cours dans le cadre de l’étude de validation multicentrique en cours ; • comme nous l’avons mentionné, les patients considérés dans cette étude présentent un trouble du spectre de la schizophrénie sans que l’on prenne en compte les diagnostics spécifiques. P. Deppen et al. En résumé, du fait qu’il prend en charge de manière différenciée les troubles observés lors de l’évaluation cognitive, le programme Recos diffère de la grande majorité des programmes de remédiation cognitive pour patients souffrant de schizophrénie. Tant du point de vue de la symptomatologie que de celui du profil cognitif, les différences inter-individuelles importantes rendent nécessaire un entraînement spécifique, adapté au profil de chacun. Chaque patient présente non seulement des altérations spécifiques, mais l’impact de ces déficits s’inscrit dans une histoire de vie qu’il s’agit de comprendre de manière personnalisée. Cette approche individualisée a nécessité la mise en place d’une batterie d’évaluation cognitive qui prend soin d’évaluer les domaines souvent déficitaires chez les patients souffrant de schizophrénie [25]. En ce qui concerne le programme Recos, nous avons sélectionné les tests qui permettent de faire des hypothèses sur les difficultés que rencontre le patient dans sa vie quotidienne. L’évaluation des répercussions fonctionnelles complémentaire [23] doit, dès lors, être comprise comme une tentative d’établir ce lien et de définir des objectifs de traitement pertinents pour le patient. Un aspect important concerne le transfert d’apprentissage et la généralisation des techniques acquises en séance à des tâches de la vie quotidienne, afin de favoriser le processus de réhabilitation dans son ensemble. Certains outils originaux ont été développés pour évaluer ces éléments de métacognition et des pistes ont été suggérées pour améliorer les programmes de remédiation cognitive dans ce sens [12]. Conclusion et perspectives En conclusion, Recos apporte une innovation incontestable pour enrichir les techniques de remédiation cognitive dans les pays francophones. C’est une technique efficace et prometteuse pour remédier aux difficultés cognitives de patients appartenant au spectre de la schizophrénie. Il faut également souligner l’importance d’une prise en charge des aspects cognitifs dans une démarche thérapeutique globale et intégrée dans le champ des différentes thérapies psychosociales disponibles actuellement pour les patients souffrant de schizophrénie. En outre, l’évaluation cognitive permet parfois d’éclairer certains des comportements des patients et peut enrichir par voie de conséquence certains aspects cliniques. Par ailleurs, les ressources du patient étant réévaluées à la fin du programme, de nouvelles perspectives en termes d’insertion sociale, d’activité occupationnelle, de formation, voire d’activité professionnelle peuvent être alors discutées dans le cadre du travail en réseau. Déclaration d’intérêt Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts. Remerciements Nous aimerions remercier tout particulièrement le Professeur Pierre Bovet pour son soutien et sa collaboration au développement du programme Recos. Programme Recos : résultats préliminaires Références [1] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder, 4th edition Revised Washington DC: American Psychiatric Association; 2000. [2] Andreasen NC. A unitary model of schizophrenia. Arch Gen Psychiatry 1999;56:781—7. [3] Brickencamp R. Test D2: concentration-endurance test: Manual, 5th ed. Gottingen: Verlag für Psychologie; 1981. [4] Bustini M, Stratta P, Daneluzzo E, et al. Tower of Hanoi and WCST performance in schizophrenia: problem solving capacity and clinical correlates. J Psychiatr Res 1999;33:285—90. [5] Delahunty A, Morice R. A training programme for the remediation of cognitive deficits in schizophrenia. Albury, NSW: Department of Health; 1993. [6] D’Zurilla TJ, Godfried MR. Problem solving and behaviour modification. 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