Mise au point La cognition dans le trouble bipolaire C.S.Peretti*, C.L. Charrel**, F. Ferreri** Résumé L’existence de dysfonctionnements cognitifs pendant les phases symptomatiques du trouble bipolaire a été reconnue très précocement par Kraepelin en 1921 (1). Des déficits des capacités attentionnelles, une atteinte de la flexibilité mentale, une baisse de l’apprentissage verbal et non verbal et une altération de la mémoire ont été rapportés à la fois chez des patients déprimés et chez des patients maniaques souffrant de troubles bipolaires (2-6). Cependant, il semble que les déficits cognitifs soient retrouvés, alors que les patients sont en phase asymptomatique de la maladie. Des déficits cognitifs importants et diffus ont été rapportés chez les patients ambulatoires souffrant de troubles bipolaires et rapprochés d’une diminution de volume des structures mésencéphaliques à l’IRM (7). Un grand nombre d’épisodes psychopathologiques et l’existence d’hospitalisations chez les patients souffrant de troubles bipolaires, ou à l’occasion de dépressions, seraient à l’origine de déficits cognitifs plus sévères alors que les états normothymiques le seraient moins (8, 9). Cependant, la présence de manifestations infra-cliniques est susceptible de modifier les performances cognitive s , notamment chez les patients présentant des niveaux de symptomatologie dépressive ou anxieuse comparés à des patients totalement asymptomatiques (8). Les * Chef du service psychiatrie, CHU Robert-Debré, Reims. ** Service psychiatrie, CHU Robert-Debré, Reims. fonctions ex é c u t ives sont déficitaires chez les patients présentant un trouble bipolaire en phase normothymique (10). De même, les patients bipolaires présentant des dyskinésies tardives manifestent une performance inférieure dans des tâches de vitesse psychomotrice (4, 11). Très peu d’études ont examiné le profil cognitif des patients bipolaires en phase de stabilité de l’humeur. En revanche, Sapin, en 1987, n’a pas mis en évidence de déficit des fonctions visuo-spatiales chez vingt patients bipolaires non traités, comparés à des témoins sains. Plus récemment, les patients bipolaires diagnostiqués euthymiques, avec ou sans antécédent de dépendance à l’alcool, ont été soumis à une batterie neuropsychologique. Des déficits en mémoire verbale ont été mis en évidence, ces déficits étaient plus marqués chez des sujets présentant des antécédents de dépendance à l’alcool. Chez ces patients, les fonctions préfrontales, les fonctions exécutives se sont révélées déficitaires, ainsi que la mémoire verbale. Les performances en mémoire verbale et le fonctionnement exécutif de ces patients sont corrélés négativement au nombre d’épisodes maniaques et au nombre total de mois passés en dépression ou en manie (12). Dans une seconde étude, datant de 1999, les mêmes auteurs ont montré que les déficits de mémoire initialement décrits chez les patients bipolaires étaient limités à ceux repérés par des mesures de mémoire déclarative et qu’ils n’affectaient pas la mémoire procédurale. On peut interpréter ces données comme témoignant d’un dysfonctionnement des régions corticales temporales expliquant e trouble bipolaire reste le mal-aimé des pathologies psychiatriques du point de vue des études évaluant la cognition. Comparativement à la d é p ression et à la schizophrénie, le trouble bipolaire n’a fait l’objet que d’un nombre limité d’études. Une des raisons a vraisemblablement trait aux difficultés du diagnostic de cette pathologie et à sa variabilité clinique dans le temps. ■ L le déficit cognitif observé chez les bipolaires. Il semblerait, chez les bipolaires, qu’il existe des déficits cognitifs de type “trait” chez les normothymiques, particulièrement chez ceux qui consomment de l’alcool. En revanche, en présence d’une pathologie sévère ou chez des patients aux antécédents d’alcoolisme, il paraît difficile de faire la différence entre les effets de l’alcool et les effets délétères de la pathologie bipolaire. En outre, les patients évalués étaient traités par le lithium, facteur confondant dans l’interprétation des performances neuropsychologiques. Aucune relation de cause à effet n’a pu être établie entre les niveaux plasmatiques de lithium et les scores neuropsychologiques. Les effets du lithium au plan cognitif sont controversés (13-15). L’arrêt du lithium a été associé à une augmentation des performances dans les tests de mémoire en vitesse motrice et dans les fonctions associatives (16). L’existence d’un déficit des fonctions préfrontales chez les patients bipolaires a été suggérée par Ferrier en 1999, qui a étudié 41 patients normothymiques et retrouvé une performance déficitaire en fonction exécutive. Les bipolaires de type I présentent des performances déficitaires en apprentissage verbal, fonctionnement exécutif et coordination motrice, comparés à des témoins sains appariés en fonction de l’âge, du sexe et du niveau d’études. 138 Mise au point Les mesures d’activité occupationnelle et le niveau des relations sociales sont associés à une performance inférieure dans les tâches d’apprentissage verbal ainsi qu’au plan du fonctionnement exécutif. Les patients bipolaires de type I normothymiques présentent un déficit cognitif au cours des phases asymptomatiques de la maladie. Un certain nombre de déficits observés chez ces patients seraient associés à un pronostic plus sévère de la maladie et à un fonctionnement occupationnel et social plus pauvre. Le rôle des fonctions cognitives pourrait donc servir de témoin de la sévérité et de la gravité de certaines formes du trouble bipolaire, mais également de valeur pronostique, voire de mise en évidence, de formes infracliniques de la maladie ou d’un lien entre fonctions cog n i t ives et vulnérabilité biologique ou génétique dans certains types de troubles bipolaires. Les conceptions anciennes de Kraepelin, développée dans un ouvrage paru en 1913, qui distinguait la dementia praecox de la maladie maniacodépressive, ont probablement été à l’origine d’une certaine désaffection de l’étude des fonctions cognitives dans la maladie bipolaire. En effet, Kraepelin avançait l’existence d’un déclin cognitif marqué dans la schizophrénie, auquel il opposait une évolution non déficitaire dans la maladie maniacodépressive (17). Malheureusement, la réalité actuelle du niveau des performances cognitives des patients souffrant de trouble bipolaire est tout autre : on estime que 30 à 50 % des patients bipolaires en rémission restent incapables d’atteindre le niveau prémorbide de fonctionnement psychosocial, en raison principalement d’un déficit cognitif (18). La comparaison du niveau de fonctionnement cognitif des patients souffrant de trouble bipolaire à celui de patients souffrant d’autres pathologies mentales permet de dessiner l’existence d’un profil cognitif relativement spécifique du trouble bipolaire. Ce type de profil cognitif persiste en dehors des phases symptomatiques de la maladie, ce qui conduit à envisager l’existence d’un ensemble de caractéristiques de type “trait”, dispositionnelles de cette pathologie. Introduction Pour les cliniciens que nous sommes, l’étude du fonctionnement cognitif des patients souffrant de trouble bipolaire est intéressante au plan évolutif, qui renvoie à des états cliniques différents. Cette mise au point aura donc comme premier objectif de dresser un inventaire aussi complet et précis que possible de l’état cognitif des patients bipolaires en fonction du profil clinique. Le deuxième objectif de cet état des lieux sera de tenter un diagnostic cognitif différentiel comparé au profil cognitif existant chez les patients schizophrènes ou déprimés. Ce travail se fonde sur les études publiées récemment, gage d’une méthodologie des sciences cognitives suffisamment élaborée et homogène, garantissant un minimum de comparaisons entre résultats et discussions d’auteurs. Les mots-clés utilisés pour cette recherche sont principalement : mémoire, attention, fonction cognitive, fonctions exécutives, fonctionnement neuropsychologique, croisés avec maladie maniacodépressive, état maniaque ou dépressif, trouble bipolaire. La plupart des articles publiés concernent des adultes d’âge variable (de 16 à 65 ans) comparés à des témoins appariés ou normés en fonction des tests utilisés, le diagnostic étant fondé sur l’utilisation des critères de la CIM IX ou X, ou du DSM III ou III révisé ou IV, ou bien encore des critères Research diagnostic criteria (RDC) définis spécifiquement pour la recherche. Nous avons délibérément éliminé les publications qui ne permettaient pas d’établir avec précision le diagnostic de l’état clinique des patients étudiés. Différents types de tâches ont été utilisés Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 6, juin 2004 dans la littérature pour évaluer le fonctionnement cognitif des patients, les premiers sont ceux qui sont censés mesurer des processus cognitifs. On en trouve un catalogue dans l’ouvrage de référence écrit par Mme la docteure Lezak, publié en 1995 (19). La difficulté rencontrée dans ce type d’approche est liée à la relative méconnaissance du type de processus sous-tendant la performance dans certains tests cognitifs. Une méthode alternative qui a été proposée dans la littérature consiste en l’utilisation de l’analyse en cluster telle que Goldstein l’a effectuée en 1984 ; elle présente l’inconvénient de laisser de côté un certain nombre de tâches. La troisième technique de compilation propose de laisser de côté la méthode systématique et d’accumuler les performances des patients dans des épreuves, au risque d’aboutir à une certaine confusion. Aucune méthode n’est parfaite ni capable d’éviter le fait que la performance des patients, dans la grande majorité des tâches auxquelles ils sont soumis, dépende d’un nombre de processus cognitifs supérieur à un. Certains auteurs ont contourné l’obstacle d’une étude très systématique et trop cloisonnée de la cognition appliquée aux malades souffrant de trouble bipolaire en fournissant des commentaires et des notes explicatives en marge de leur recueil d’information dans la littérature, remarques ayant trait aux tests individuels qu’ils ont recensé dans différentes études (20). Les descriptions cliniques retrouvées dans les études publiées dans la littérature comportent les termes “d’euthymie”, lorsque les auteurs considèrent que les patients sont asymptomatiques, et le terme de patients “en rémission”, lorsque les patients qui sont étudiés présentent un certain nombre de symptômes résiduels. Une autre catégorie de patients décrits sous le terme de “cliniquement stables” évoque des patients sympto-matiques, mais ne souffrant pas d’un épisode d’inconfort aigu. 139 Mise au point Une quarantaine d’études publiées dans les vingt dernières années satisfont aux critères que nous avons listés, sur un total d’environ 1 800 études publiées. Mesures du fonctionnement intellectuel global Les études recensées utilisent, pour la plupart, l’échelle d’intelligence pour adultes élaborée par Wechsler ainsi que sa version révisée (WAIS et WAIS-R publiées respectivement en 1955 et en 1981 par Wechsler) (21, 22). Le test national de lecture pour adulte (23) est assez largement répandu, permettant d ’ avoir une idée du fonctionnement intellectuel prémorbide. Les quatre études utilisant l’échelle WAIS-R procèdent à des comparaisons entre des patients souffrant de trouble bipolaire et des témoins ; l’étude de Coffman publiée en 1990 inclut des patients en rémission en se fondant sur les critères subjectifs de l’auteur, concluant à une absence de différences au plan du quotient intellectuel (QI) chez des patients ayant présenté des symptômes psychotiques pendant les épisodes psychopathologiques (7). Les autres études ont inclus des patients symptomatiques de manière aiguë ou cliniquement considérés comme stabilisés, aussi bien hospitalisés qu’ambulatoires. Dalby et Williams (24) concluaient que les patients bipolaires présentaient un déficit significatif général, excepté dans les épreuves verbales du QI. Morice, en 1990, a comparé 20 patients ayant retrouvé une humeur normale, à la suite d’un accès maniaque, à des témoins, sans mettre en évidence un écart de performances significatif (5). D’autres études ont comparé des patients souffrant de trouble bipolaire à d’autres patients psychiatriques. Les patients inclus présentaient un degré va r i a ble de symptômes, la plupart étaient en rémission. Les patients étudiés par Morice (5), des patients bipo- laires en rémission et des patients symptomatiques issus d’autres études (25-28) se sont révélés significativement meilleurs que les patients schizophrènes dans toutes les mesures composites de l’intelligence. Hoff et son équipe, avaient rapporté, en 1990 (29), une absence de différence entre des patients en phase maniaque et des patients souffrant de décompensation d’une schizophrénie, tandis que Dalby et Williams (24) retrouvaient, dans une étude réalisée chez des patients hospitalisés stabilisés cliniquement, un niveau de performance supérieure chez les patients bipolaires par rapport à celui de patients schizophrènes, dans l’échelle générale et dans la seule sous-échelle verbale. Dans les études comparant des patients souffrant de trouble bipolaire à des patients souffrant de dépression unipolaire, et utilisant la WAIS ou la WAISR, les auteurs ont évalué des patients en phase de décompensation (récidive) aiguë. Ces études n’ont pas mis en évidence de différence du niveau des perf o rmances des patients bipolaires maniaques ou déprimés comparés aux unipolaires déprimés (25, 26, 28, 30). L’utilisation des évaluations du niveau intellectuel prémorbide chez les patients bipolaires n’a pas permis de mettre en évidence de différence signifi c a t ive entre le groupe des patients bipolaires euthymiques et leurs témoins (10, 31). L’étude réalisée par Gilvarry en 2000 (32) a montré que les patients bipolaires déprimés et maniaques se révélaient supérieurs en termes de niveau intellectuel prémorbide à des patients schizophrènes. Sapin, en 1987, a effectué une étude dans laquelle les patients qui souffraient de trouble bipolaire étaient vraiment euthymiques, ils étaient comparés à des témoins (33). Aucune différence n’a été mise en évidence. Malheureusement, cette étude n’a pas utilisé la WAIS ou la WAIS-R mais l’Altus Brief Intelligence Test, qui ne mesure que l’intelligence verbale. Les capacités attentionnelles Il s’agit là d’études ayant eu comme objectif principal de mettre en évidence de manière spécifique le niveau des performances attentionnelles. Les tests tels que le Continuous Performance Test ou CPT (34) ou le Span of Apprehension task (SPAN), (35) ont été utilisés pour évaluer l’attention soutenue. Les tâches d’écoute dichotique ont été employées pour évaluer l’attention auditive sélective tandis que le Stroop et les Word Tests sont des évaluations du phénomène d’interférence (36, 37). Les Trails Making Tests (TMT, Reitan, 38) font intervenir des composantes attentionnelles assez larges, même si l’on peut les considérer aussi comme des mesures de composantes exécutives des habiletés. Le Digit Span (inclus dans la WAIS ou la WAIS-R) et le Digit Symbol Test sont des mesures des performances attentionnelles. Attention soutenue Trois études ont comparé les performances au CPT ou au SPAN de patients souffrant de trouble bipolaire considérés comme cliniquement stables et suivis en ambulatoire à celles de patients schizophrènes ainsi qu’à celles de témoins. Les patients souffrant de trouble bipolaire se sont révélés de niveau interm é d i a i r e entre les patients schizophrènes et les témoins. Les patients schizophrènes ont paru être significativement déficitaires par rapport aux témoins. La différence entre les patients souffrant de trouble bipolaire et les témoins n’était pas suffisante pour atteindre le degré de significativité statistique. Cependant, le nombre de bonnes réponses fourn i e s après des stimuli non pertinents tendait à être inférieur. Les patients souffrant de trouble bipolaire symptomatiques en phase aiguë ont eu des performances altérées, témoignant d’un déficit en attention soutenue. Les travaux évaluant des patients souffrant 140 Mise au point de trouble bipolaire symptomatique ont conclu à l’existence de déficits significatifs touchant l’attention soutenue. Les patients en phase mania-que présentent des performances similaires à celles des patients souffrant de schizophrénie (39). Chez les patients présentant un premier épisode psychopathologique, qu’ils soient unipolaires ou bipolaires, seuls ceux qui avaient des symptômes psychotiques ont fait preuve de performances déficitaires au CPT et au SPAN. Les patients maniaques seraient capables de témoigner de capacités d’attention soutenue de manière prolongée dans le temps, mais ils réalisent néanmoins un nombre d’erreurs impulsives supérieur. À l’inverse, les patients déprimés, comparés à des sujets témoins, présentent un nombre d’erreurs par omission plus élevé (40). Il est intéressant de constater que les performances des patients déprimés souffrant de dépression bipolaire sont supérieures à celles des patients souffrant de dépression unipolaire. Plusieurs études ont étudié les performances de patients souffrant de trouble bipolaire en rémission à l’aide du TMT (10, 28, 41, 44). Généralement, les performances des patients souffrant de trouble bipolaire se révélaient inférieures dans toutes les études réalisées, sans toutefois atteindre le degré de significativité statistique. Il semble que l’intensité de la pathologie soit en mesure d’expliquer le déficit de performances au TMT. Le nombre d’épisodes psychopathologiques a été proposé par certains auteurs comme corrélé inversement aux performances, cependant certains auteurs ont mis en avant l’absence de différence de performances au TMT entre les patients souffrant de trouble bipolaire à pronostic supérieur en fin de traitement comparativement à celles des patients présentant un résultat fonctionnel moins bon. Il est regrettable de constater que la seule étude évaluant des patients souffrant de trouble bipolaire au premier épisode n’ait pas comparé les performances de ces patients à celles de témoins sains (28). Les patients souffrant de trouble bipolaire en rémission ont été comparés à des patients souffrant de trouble unipolaire et à des patients souffrant de schizophrénie. Les performances au TMT ont été évaluées et les patients souffrant de trouble bipolaire en rémission se sont révélés moins performants que les patients souffrant de trouble unipolaire ( 4 2 ). Paradiso en 1997 montrait le contraire (44) tandis que deux autres études étaient dans l’incapacité de mettre en évidence une différence (26, 28). Les comparaisons réalisées avec des patients schizophrènes ont révélé qu’en phase aiguë, les patients souffrant de trouble bipolaire étaient plus performants que les patients souffrant de schizophrénie ; après quatre semaines de traitement et en dépit d’une amélioration symptomatique, les patients souffrant de trouble bipolaire voyaient leurs performances revenir au niveau de celles des patients schizophrènes. En revanche, les patients souffrant d’un premier épisode de trouble bipolaire manifestent un déficit au TMT qui paraît réversible avec la rémission clinique. Attention sélective Dans l’épreuve du Digit Span Test, les patients maniaques en phase aiguë se révèlent comparables à des sujets témoins, de même qu’à la tâche d’écoute dichotique (45) ; ces résultats sont corroborés par ceux obtenus chez des patients souffrant de trouble bipolaire en r é m i s s i o n comparés à des témoins (10, 33). Les patients souffrant de trouble bipolaire en rémission semblent moins performants qu’une population témoin normée dans des mesures d’attention sélective (46) ou comparés à des témoins (41) au test d’annulation de lettres de Talland (47). La comparaison de patients atteints d’un trouble bipolaire à des patients unipolaires et à des schizophrènes à l’aide du Digit Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 6, juin 2004 Span Test a permis de conclure que les patients des trois groupes en phase de rechute présentaient un niveau de performance comparable (28, 48). La performance des patients souffrant de trouble bipolaire chronique s’est révélée comparable à celle des schizophrènes au Digit Span Test lorsque les patients étaient symptomatiques (25) tandis qu’elle était meilleure lorsque les patients étaient en rémission. P e rf o rmances dans des tâches mesurant le phénomène d’interférence Les patients souffrant de trouble bipolaire considérés comme stabilisés cliniquement ont été comparés à des témoins ou à des échantillons de population normée. Les patients bipolaires se sont révélés déficitaires dans leurs performances au SCWT (41, 46). Cependant, ces résultats sont controversés, deux études ne mettant aucune différence en évidence (44, 47). Une étude menée par Mc Grath, en 1997, concluait à l’existence d’un déficit aussi bien pendant l’épisode aigu que lors de la phase de rémission (6). Un certain nombre d’études ont comparé la performance des patients atteints d’un trouble bipolaire dans la tâche du SCWT à celle de patients schizophrènes et à des patients souffrant de trouble unipolaire dépressif. Deux études menées chez des patients présentant un premier épisode ont mis en évidence que les patients bipolaires en phase aiguë et les patients bipolaires en rémission étaient aussi performants que les patients unipolaires et meilleurs que les schizophrènes (28, 48). Les études réalisées chez des patients chroniques sont controversées. En 1997, Paradiso concluait que les patients bipolaires stabilisés cliniquement et suivis en ambulatoire avaient de meilleures performances que les patients unipolaires. Les patients bipolaires avaient également de meilleurs scores que les 141 Mise au point schizophrènes d’après les observations de Krabbendam lors d’une étude publiée en l’an 2000 (49). Dans son étude, cet auteur avait inclus des patients en rémission. En revanche, Mc Grath, en 1997 ( 6 ), t r o u vait que les patients bipolaires présentaient des performances similaires à celles de patients schizophrènes à la fois en phase aiguë et en phase de rémission. Études évaluant la mémoire Les tests utilisés dans les principales études évaluant la mémoire des patients souffrant de trouble bipolaire sont le California Verbal Learning Test (CVLT) (50), l’Auditory Verbal Learning Test (AVLT) (51), le Rey Auditory Verbal Learning Test (RAVLT) (52) ainsi que les sous-tests de l’échelle de mémoire de Wechsler dans sa forme originale ou révisée (WMS) (53), WMS-R ; (54). Des mesures de mémoire non verbales ont également été employées, notamment la Cambridge Neuropsychological Test Battery (CANTAB) (55) ainsi que la figure de Rey (56, 57), le test de rétention visuelle de Benton (58) ainsi que différentes tâches de reconnaissance faciale. Mémoire et apprentissage verbal Van Gorp en 1998 (12) a inclus des patients euthymiques dans une étude prospective de trois mois. Le groupe témoin était apparié selon le niveau d’éducation et le niveau d’intelligence générale. L’ensemble des patients présentait des performances déficitaires dans la tâche du CVLT, le déficit étant corrélé à la durée et au nombre des épisodes psychopathologiques précédents. Les patients qui avaient un troubl e addictif à type d’abus d’alcool étaient particulièrement déficitaires. En 1999, Ferrier observait un déficit dans le RAVLT chez des bipolaires en rémission (10). Cet auteur signalait que le déficit en mémoire verbale était plus sévère chez les patients qui avaient eu un nombre réduit d’épisodes et une phase de rémission interépisodes de bonne qualité. Les bipolaires en rémission se révélaient significativement déficitaires en mémoire verbale, dans le RAVLT, comparés à des témoins. Plusieurs études ont évalué des patients souffrant de trouble bipolaire cliniquement stabilisés en les comparant à des témoins : Coffman en 1990 (7), Jones en 1994 (41) et Paradiso en 1997 (44) n’ont pu mettre en évidence de différence significative dans le WMS, la tâche de rappel de Babcock et le test de mémoire de liste de mots issu de la batterie CERAD. Le score moyen au CVLT d’un échantillon de patients bipolaires tirés au sort dans une clinique de trouble de l’humeur était inférieur de un à deux écarts-types après correction liée à l’âge (59). Le degré d’anhédonie des patients permettait de prédire le déficit en mémoire. En revanche, le fait qu’un é p isode psychopathologique soit psych o tique entraînait peu de conséquences. Certains auteurs ont comparé les performances mnésiques des patients bipolaires symptomatiques en phase aiguë à celles des témoins ou bien à des échantillons comportant des patients à différentes phases de leur maladie. Les patients bipolaires déprimés présentaient des performances en rappel significativement altérées par comparaison avec celles des témoins (2). Ali (46) a comparé un échantillon de patients bipolaires euthymiques, hypomanes ou déprimés à des témoins et il a mis en évidence des performances significativement déficitaires chez les patients bipolaires. Une étude de jumeaux monozygotes discordants pour la bipolarité et comparés à des jumeaux sains a permis de montrer que les jumeaux malades de cette étude étaient déficitaires dans leurs performances au CVLT et à la WMS tandis que les jumeaux sains ne l’étaient pas. Les performances respectives des jumeaux malades et des jumeaux sains étaient inférieures à celle des témoins, à la WMS et à certains sous-tests du CVLT. Wolfe (2) a évalué des bipolaires déprimés comme plus déficitaires que les unipolaires, à l’aide du RAVLT. Goldberg (26) a retrouvé des performances équivalentes au WMS chez les bipolaires maniaques et déprimés et chez les unipolaires déprimés. Ces patients avaient des scores meilleurs que les schizophrènes, sauf à un sous-test d’apprentissage par paires. En 1996, Albus (48) examina un groupe de patients schizophrènes et les compara à des patients souffrant de trouble de l’humeur, l’ensemble des patients présentant un premier épisode psychopathologique. Seuls les patients ayant présenté un épisode psychotique uni- ou bipolaire se révélèrent particulièrement déficitaires comparés à des patients n’ayant jamais eu d’épisode psychotique. Les performances de ces patients furent altérées en apprentissage et en mémoire verbale. Les patients schizophrènes présentèrent un niveau de performance équivalent à celui des patients atteints d’un trouble de l’humeur. Une étude plus importante réalisée chez des patients psychotiques unipolaires, bipolaires et schizophrènes n’a pas mis en évidence de différence entre les patients s o u ffrant de trouble affectif, en r evanche, les patients unipolaires et bipolaires se révélaient supérieurs aux patients schizophrènes dans les soustests de mémoire verbale du WMS-R (28). Apprentissage et mémoire non verbale Nous avons recensé cinq études comparant des patients bipolaires euthymiques ou en rémission à des témoins. En 1987, Sapin (33) évaluait des patients non traités suivis prospectivement pendant un mois avant l’évaluation neuropsychologique. Les habiletés visuo-spatiales mesurées à l’aide du test de rétention visuelle 142 Mise au point de Benton ainsi que par des tâches de reconnaissance de visages ont témoigné d’un niveau de performance équivalent chez les bipolaires et les témoins. En 1998, Van Gorp (12) n’avait trouvé aucune différence de performance entre les bipolaires euthymiques et les témoins à l’aide de la figure de Rey. En 1999, Ferrier (10) utilisait la même figure pour comparer des patients bipolaires en rémission avec symptômes dépressifs résiduels à des témoins. La pondération tenant compte des symptômes dépressifs permettait d’aboutir à des performances équivalentes. Rubinsztein, en 2000 (31), a comparé des patients bipolaires en rémission depuis quatre mois à des témoins, cela à l’aide du test de mémoire de reconnaissance spatiale et des tests d’appariement issus de la CANTAB. Les patients présentaient un nombre de réponses correctes inférieur à celui des témoins, alors que leur temps de réponse était équivalent. Lorsque les patients devaient reconnaître une cible parmi quatre profils simultanés, leur performance était normale. Dans la tâche d’appariement, ils se révélaient déficitaires dans leur performance d’identification de profil cible, lorsque les profils n’étaient pas présentés simultanément. Deux études ont évalué des patients en rémission et des témoins en recourant à l’aide des sous-échelles visuelles de la WMS et à la figure de Rey. Aucune différence n’a été mise en évidence entre les patients bipolaires et leurs témoins (7, 41). Des patients souffrant de trouble bipolaire en rémission partielle ou en rechute ont été comparés à des témoins à l’aide du WMS. Dalby et William (24) ont étudié les mémoires non verbales de patients schizophrènes et de patients, maniaques, souffrant de personnalité antisociale et ils les ont comparées à celle des témoins. Les schizophrènes, les maniaques et les témoins ont manifesté des performa n c e s comparables. Albus (48) a mis en évidence un déficit en mémoire visuelle à l’aide du WMS chez les bipolaires psychotiques dont les performances étaient équivalentes à celles de patients schizophrènes, celles-là non différentes de celles des témoins. En 1999, Murphy (60) a comparé des patients maniaques en phase aiguë à des témoins lors d’un test de mémoire de reconnaissance spatiale et d’un test d’association simultanée ou différée, utilisé également par Rubinsztein ( 3 1 ).Les patients maniaques fournissaient moins de réponses correctes et leur temps de réponse était pathologique. Ils ne présentaient aucune difficulté dans la tâche d’association simultanée mais se révélaient déficitaires dans la tâche d’association différée. Gourovitch (27), a examiné des jumeaux monozygotes bipolaires qui se sont montrés moins performants que leur alter ego sain et que des jumeaux témoins dans une tâche de reconnaissance de visage. Ces résultats n’étaient pas retrouvés avec la figure de Rey ou les sous-tests du WMS. En 2000, Sweeney (61) s’était servi de la CANTAB pour évaluer la mémoire visuo-spatiale de patients bipolaires en phase de manie aiguë ou lors d’un état dépressif et la comparer à celle de patients unipolaires déprimés et à celle de témoins. Les patients maniaques bipolaires se révélaient moins performants que les déprimés unipolaires ou les témoins en mémoire de travail spatiale ainsi que dans les tâches de mémoire de reconnaissance spatiale. Tous les patients étaient déficitaires comparés aux témoins dans la tâche d’appariement différée, même si le déficit était plus sévère dans le groupe des patients maniaques. Goldberg (26), retrouvait chez un groupe de patients maniaques et déprimés bipolaires des performances inférieures à celles de patients schizophrènes dans une tâche de reproduction visuelle du WMS. Aucune différence de performance dans la tâche de reconnaissance des visages n’était retrouvée. Mojtabai (28) a comparé des bipolaires psychotiques en Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 6, juin 2004 premier épisode à des schizophrènes et il a retrouvé une performance supérieure dans tous les sous-tests du WMS chez les premiers, particulièrement dans le sous-test de mémoire visuelle différée à court terme. Verdoux et Liruad, en 2000 (62), n’ont observé aucune différence de performance en utilisant le test de reproduction visuelle du WMS-R chez des patients bipolaires chroniques, hospitalisés en début d’évolution, chez des unipolaires déprimés et chez des schizophrènes et d’autres psychotiques. Le Rivermead Behavioural Memory Test de Wilson (1985) a été utilisé pour examiner la mémoire de patients souffrant de trouble affectif en phase de rémission ; les patients bipolaires présentant une pathologie chronique sévère étaient particulièrement déficitaires, plus gravement atteints que les unipolaires ou les bipolaires plus jeunes (63). Les fonctions exécutives Les fonctions exécutives comprennent une grande série de processus cognitifs incluant les capacités de planification, de motivation et d’autorégulation. Le plus connu des tests explorant ces fonctions est le Wisconsin Card Sorting Test (WCST) (64) et le Controlled Word Association Test (CWAT) ainsi que des tests de fluence verbale (65). Shallice, en 1982, avait utilisé la tour de Londres pour évaluer les habiletés de planification ainsi que la batterie du HalsteadReitan Category Test (38) pour mesurer le traitement de l’information au niveau du lobe frontal. Van Gorp (12) a utilisé le CWAT et le WCST chez un groupe de bipolaires normothymiques. La moitié des patients présentaient des antécédents d’abus d’alcool. L’ensemble des patients témoignait de performances équivalentes à celles des témoins, au CWAT. En revanche, les patients aux antécédents d’abus d’alcool se révélaient déficitaires au WCST, particulièrement dans le nombre de catégories générées, alors que les autres patients étaient comparables 143 Mise au point aux témoins. En 1999, Fe rrier (10) mettait en évidence une diminution des capacités de fluence verbale chez des bipolaires en rémission avec symptômes dépressifs résiduels, par comparaison avec des témoins. Ces résultats restaient inchangés après un ajustement tenant compte des symptômes dépressifs. Docherty, en 1996 (66), a évalué des patients bipolaires stables en les comparant à d’autres patients psychiatriques et à des témoins, cela à l’aide d’une mesure de fluence verbale composite comprenant une tâche de génération de mots associée au Boston Naming Test. La comparaison des performances des patients bipolaires à celles de schizophrènes et de témoins a révélé que les premiers étaient moins performants que les schizophrènes et que les deux groupes de patients étaient moins performants que les témoins. La sévérité des symptômes est apparue comme corrélée négativement aux performances de fluence verbale chez tous les patients. Hawkins (43) a comparé les capacités de fluence verbale de patients bipolaires suivis en ambulatoire à celles de schizophrènes et de témoins. Les patients bipolaires ont témoigné d’une absence de déficit de performance dans ce test et se sont révélés meilleurs que les patients schizophrènes. En revanche, Atre-Vaidya et son équipe (59) ou, en 1998, avait mis en évidence que les scores de fluence verbale de leur cohorte de patients bipolaires étaient inférieurs à la moyenne normée du groupe d’âge correspondant. Les patients souffrant de trouble bipolaire en phase aiguë, symptomatiques, ont été comparés à des témoins et à d’autres patients psychiatriques à l’aide du Halstead-Reitan Category Test. Savard, en 1980 (67), avait montré que des bipolaires déprimés faisaient davantage d’erreurs que les déprimés unipolaires et les témoins. Les bipolaires plus âgés (plus de 40 ans) témoignaient de performances inférieures à celles de témoins appariés, y compris lorsque l’évaluation avait lieu après la sortie de l’hôpital. En 1988, Gruzelier a comparé la fluence verbale de patients déprimés en phase aiguë et celle de patients maniaques en phase aiguë à celle de patients schizophrènes en décompensation ainsi qu’à celle de témoins, mettant en évidence un déficit chez les seuls schizophrènes (3). En 1989, Calev a comparé les scores de fluence verbale de patients déprimés et de patients maniaques à ceux de patients bipolaires stabilisés et à ceux de témoins (68). Aucune différence n’était retrouvée dans les fluences par lettres. En revanche, dans la tâche catégorielle, les patients maniaques et les patients bipolaires stabilisés se révélaient aussi performants que les témoins et meilleurs que les déprimés. En 1990, Coffman (7) montrait que des patients bipolaires psychotiques réalisaient davantage d’erreurs persévératives que les témoins au WCST. Morice, en 1990 (5), a mis en évidence des performances comparables au WCST chez des patients maniaques et des schizophrènes hospitalisés, l’ensemble des patients se révélant moins performant que des témoins, aussi bien en nombre de catégories générées, qu’en nombre d’erreurs persévératives. Albus, en 1996 (48), a comparé des patients hospitalisés souffrant de premier épisode de trouble affectif à des patients schizophrènes en début d’évolution et à des témoins, cela avec le WCST. Les patients bipolaires sans symptômes psychotiques n’ont manifesté aucun déficit. Les patients avec symptômes psychotiques se sont révélés comparables aux patients schizophrènes et inférieurs aux témoins. Mc Grath, en 1997 (6), a évalué de manière compar a t ive les performances de patients maniaques et de patients schizophrènes ainsi que celles de témoins au moment de leur arrivée à l’hôpital et quatre semaines après le traitement à l’aide du WCST et d’un test de fluence verbale. Les patients bipolaires n’ont pas témoigné d’un déficit comparativement aux témoins, dans le test de fluence verbale, et leurs perfo rmances au WCST se sont normalisées avec l’amélioration symptomatique quant au nombre de catégories générées. Le nombre d’erreurs persévératives restait inchangé, à un niveau d’un écart-type inférieur à celui des témoins sur toutes les évaluations. En 2000, Ali (46) retrouva une performance déficitaire chez des patients bipolaires en rémission, maniaques et déprimés dans une tâche de raisonnement conceptuel abstrait, les performances des patients étant comparées à des données normatives. Les patients bipolaires étudiés par G o l d b e rg en 1993 (26) à l’aide du WCST, maniaques en phase aiguë et déprimés, comparés à des patients unipolaires et à des schizophrènes, ne présentèrent pas de différence avec les unipolaires, tandis que les patients souffrant de trouble affectif se révélèrent plus performants que les schizophrènes. Cent huit schizophrènes et 21 bipolaires, recrutés dans trois centres différents, en Grande-Bretagne, Allemagne et Canada, ont été évalués à l’aide du WCST. Cette étude, réalisée par Young en 1998 (69) a mis en évidence des déficits comparables dans les deux groupes. Mojtabai (28), a retrouvé chez un groupe de patients souffrant de trouble bipolaire, avec caractéristiques psychotiques lors du premier épisode des performances en fluence verbale supérieures à celles des patients schizophrènes. Il n’existait pas de différence entre les bipolaires et les unipolaires. Verdoux et Liruad (62) n’ont pas retrouvé de différence dans les performances au Wisconsin Card Sorting Test chez un groupe de patients bipolaires chroniques et de patients en début d’évolution, comparés à des patients déprimés unipolaires et à des schizophrènes, ainsi qu’à des psychotiques non schizophrènes. Capacités de planification L’équipe de Ferrier, en 1999 (10), a mis en évidence, chez des patients bipolaires 144 Mise au point en rémission qui manifestaient des symptômes résiduels de dépression, des performances altérées de manière significative comparativement à des témoins, en utilisant la tour de Londres, dispositif évaluant les capacités de planification. Cette différence disparaissait lorsque les symptômes dépressifs étaient contrôlés. Rubinsztein, en 2000 (31) a utilisé la batterie CANTAB pour comparer des bipolaires normothymiques à des témoins. Cette étude a révélé l’incapacité des patients à résoudre le problème correctement et que ces derniers passaient plus de temps que les témoins à prendre les décisions pendant la tâche. Murphy et Sweeney (60, 61) ont évalué avec la tour de Londres des patients bipolaires maniaques qu’ils ont retrouvés déficitaires de manière significative par rappo rt aux témoins, les patients étant capables de résoudre correctement un nombre de problèmes plus faible que les témoins. L’étude de la littérature publiée ces dernières années sur les troubles bipolaires et les troubles cognitifs observés dans cette pathologie se complique du fait que les critères diagnostiques des troubles bipolaires ont évolué avec l’apparition des types I et II dans le DSM IV en 1994. Le profil cognitif des patients de type I semble le plus fréquemment rencontré dans les études, les patients étant hospitalisés pour des accès maniaques francs. Cependant, une hétérogénéité clinique introduit des facteurs confondants, rendant probl é m a t i q u e l’attribution des troubles cognitifs au seul groupe des troubles bipolaires, facteurs tels que l’existence d’une chronicité, la consommation de substances psychoactives, l’existence de troubles psychotiques associés et l’intensité ou la sévérité du trouble de l’humeur ou de l’épisode au cours duquel le patient est évalué, sa nature en termes de polarité. Peu d’études se sont donné la peine de préciser ces variables confondantes. Ces difficultés peuvent rendre compte des différences entre des études comportant des groupes de patients a priori similaires. Les traitements ont des effets cognitifs et, dans la plupart des études, les patients sont traités par psychotropes. Le lithium a été rendu responsable d’un déficit de mémoire, de vigilance et d’attention (16, 70). D’autres auteurs ont contesté ces résultats et rapporté une absence de modification c ognitive sous l’effet du lithium chez les patients en prenant, ainsi Engelsmann en 1988 (71). D’autres encore ont retrouvé une amélioration cognitive des patients traités par lithium, tel Zerbi en 1981 (72). Les antiépileptiques utilisés chez certains patients souffrant de troubles psychiatriques provoquent des troubles cognitifs, si l’on en croit les résultats des études de Ve rmeulen et Aldenkamp en 1995 (73) et Goldberg et Burdick en 2001 (74). Cependant, les modifications cog n itives induites par les antiépileptiques semblent relativement faibles. Les antidépresseurs ont peu d’impact sur la cognition, comme le montre l’étude d’AmadoBoccara en 1995 (75). Les effets des antipsychotiques sur la cognition des patients bipolaires n’ont pas été évalués à ce jour. La plupart des travaux étudiant le lien entre le déficit cognitif et le traitement antipsychotique ont porté essentiellement sur la schizophrénie (76). Les patients bipolaires présentent des différences quantitatives et qualitatives quant à leur profil cognitif, par rapport aux patients souffrant de schizophrénie. Ceuxci reçoivent plusieurs catégories de psychotropes, la polymédication compliquant l’évaluation cognitive. Les difficultés méthodologiques sont également dues à des problèmes de taille d’effectif, souvent faibles ou relativement faibles dans les études. Un grand nombre de comparaisons statistiques sont réalisées, ce qui augmente la probabilité d’erreurs de type I, mais aussi les erreurs de type II, c’est-à-dire le fait que des anomalies peu importantes puissent être sousévaluées, voire même ignorées. Les liens entre les variables cognitives entre elles Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 6, juin 2004 ou entre les variables cliniques et certaines variables cognitives sont parfois impossibles à mesurer du fait de la petite taille des échantillons étudiés. Les déficits cognitifs des patients symptomatiques sont caractérisés par des difficultés de passation des tests, notamment chez les patients maniaques soumis à des mesures du quotient intellectuel. Les patients bipolaires dépressifs sont difficiles à étudier du point de vue du QI et très peu d’études se sont intéressées à ces aspects. Les déficits intellectuels semblent relativement faibles et prédominent dans des sous-tests de la WAIS, tels que l’ont montré, en 1990, Morice (5) et Hoff et son équipe ( 2 9 ). L’attention soutenue et les processus de contrôle inhibiteur semblent être défi c itaires chez les patients bipolaires symptomatiques. Les déficits sont plus marqués chez les patients ayant présenté de nombreux épisodes psychopathologiques ou chez ceux ayant une histoire de psychose, selon les résultats de McGrath en 1997 (6) et A l bus et son équipe, en 1996 (48). La mémoire verbale est déficitaire chez les patients maniaques ou dépressifs au moment des épisodes (2, 27). L’existence de symptômes psychotiques semble altérer davantage le profil cognitif des patients, comme l’a montré Albus (48). Le déficit en mémoire visuelle dépend de la tâche demandée pour mesurer la mémoire. Les fonctions exécutives, et notamment les capacités de formation de concept abstrait, les capacités de shifting et de planification, sont systématiquement retrouvées déficitaires chez les patients souffrant d’accès maniaque en phase aiguë (5, 6, 46, 48, 60, 61). Ces patients sont peu déficitaires en fluence verbale (3, 68). Que se passe-t-il chez les patients bipolaires en rémission du point de vue cognitif ? Peu d’études ont été consacrées aux patients bipolaires en rémission sur le plan cognitif. Il semble que les patients 145 Mise au point bipolaires ne présentent pas de déficit des fonctions intellectuelles en phase de rémission, y compris les patients présentant une histoire ou des antécédents psychotiques (7, 33). L’attention sélective et l’attention soutenue ne semblent pas être déficitaires chez les patients en rémission (10, 33, 43, 66, 77, 78). Les fonctions exécutives et les capacités attentionnelles évaluées par le TNT seraient altérées, si l’on en croit les résultats de Jones ( 4 1 ), Tham (42), Hawkins ( 4 3 ), Paradiso (44) et Ferrier (10). Le déficit en mémoire ve rbale existerait chez les patients bipolaires asymptomatiques si l’on en croit Atre-Vaidya (59) ou Van Gorp et son équipe en 1988 (12) ou encore Ferrier en 1999 (10) ainsi que Krabbenddam en 2000 ( 4 9 ). Le déficit en rappel libre s e m ble exister chez les jumeaux monozygotes de patients bipolaires lorsque ces jumeaux sont indemnes, ce qui suggère une association avec le risque génétique pour la bipolarité, comme l’évoque Gourovitch en 1999 ( 2 7 ). L’histoire d’une comorbidité avec un a bus de substance, la durée et le nombre d’épisodes ou l’existence de symptômes cliniques spécifiques tels que l’anhédonie pourraient augmenter le degré de déficit en mémoire verbale chez les patients en rémission. La mesure des fonctions exécutives et le degré de déficit de ce type de fonction cognitive sembleraient liés à l’existence de symptômes résiduels. Les symptômes résiduels maniaques ou dépressifs seraient responsables de déficits et d’erreurs persévératives (7, 9) mais éga l e m e n t d’un déficit en fluence verbale (10) et en capacité de planification (10, 31). Les patients bipolaires, y compris en phase symptomatique, ont un QI plus é l evé que les schizophrènes (25-28, 32). Les patients bipolaires et unipolaires ont des performances intellectuelles proches (26, 30). L’attention sélective et soutenue chez les patients bipolaires mesurée par le CPT, le SPAN et le TNT est altérée d’une manière comparable au profil observé chez les schizophrènes lorsque les patients bipolaires sont en phase maniaque et que les schizophrènes sont en phase de décompensation (6, 48). Les bipolaires, au contraire des schizophrènes, semblent améliorer leurs performances déficitaires parallèlement à l’amélioration clinique (28, 43, 44, 48, 49). Le degré de déficit dans les performances d’attention sélective est compar a ble chez les unipolaires déprimés et les bipolaires (25, 28, 43, 48). Les études ayant mesuré l’attention soutenue chez les patients bi- ou unipolaires ont donné des résultats contradictoires (9, 26, 28, 40). La comparaison de patients maniaques en phase aiguë à des patients schizophrènes les retrouve également défi c itaires dans le domaine de la mémoire verbale et non verbale (48). Cependant, les patients bipolaires déprimés ou en rémission, y compris ceux présentant des antécédents psychotiques, sont meilleurs que les schizophrènes dans tous les domaines de la mémoire (26, 28, 62). Les études comparant les bipolaires et les unipolaires déprimés ont rapporté un déficit plus important en mémoire verbale et en apprentissage chez les bipolaires et parfois une absence de différence entre les deux gr o u p e s (2, 26). Le déficit dans le Wisconsin Card Sorting Test chez les patients symptomatiques est comparable à celui observé dans la schizophrénie (5, 6, 62, 69). Les patients bipolaires en rémission sont meilleurs que les schizophrènes dans cette tâche, selon Mojtabai (28). Tandis que la performance des patients unipolaires symptomatiques ou unipolaires en rémission, comparée à celle des patients bipolaires, semble très proche et quasiment similaire (26, 28). Les patients déprimés bipolaires ou maniaques sont meilleurs en fluence verbale que les schizophrènes ( 3 ). Conclusion On ne peut considérer que les patients souffrant de troubles bipolaires présentent un déficit cognitif généralisé, en dehors des patients symptomatiques. Cette observation est surtout vraie pour les patients maniaques, plutôt que pour les patients bipolaires déprimés. L’impact de la symptomatologie sur la cognition chez les patients bipolaires est significatif dans certains domaines, qui semblent plus sensibles que d’autres, et qui devraient être examinés avec plus de précision à l’avenir. Les niveaux de cette symptomatologie devraient être quantifiés à l’aide de mesures de psychopathologie et les patients présentant des degrés d’intensité symptomatique différents ne devraient pas être rassemblés au sein d’un même groupe, sous peine de voir la variance exploser. Très peu d’études examinent les patients en rémission mais les résultats de celles qui s’y sont employées sont intéressants puisqu’ils mettent en évidence des déficits d’attention soutenue et de mémoire verbale. D’autres domaines cognitifs, tels que les fonctions exécutives et la mémoire visuelle, sont retrouvés déficitaires chez les patients en rémission, mais ces résultats méritent d’être confirmés par des études ultérieures. Les dimensions cliniques des patients souffrant de troubles bipolaires, telles que les symptômes psychotiques ou les abus de substances comorbides, sont susceptibles d’influencer leur profil cognitif, notamment en mémoire verbale et dans les fonctions exécutives. Là encore, des études doivent être menées. Les liens entre les anomalies cognitives et la sévérité du trouble bipolaire ou sa chronicité sont difficiles à élucider. La plupart des études ont inclus des patients chroniques présentant de multiples épisodes, et un certain nombre d’arguments plaident en faveur du fait que la sévérité des accès et leur durée sont susceptibles ... /... 146 Mise au point ... /... d’affecter les capacités attentionnelles et la performance en mémoire verbale. L’évolution et la chronologie des modifications cognitives chez les patients bipolaires sont peu connues et les relations des premiers épisodes psychopathologiques chez ces patients seraient particulièrement utiles pour préciser leur profil cognitif. Le choix des évaluations cognitives, des tâches ou des batteries pour étudier les patients souffrant de troubles bipolaires est très important à considérer puisque certaines tâches sont plus adaptées en fonction des populations ou des sous-populations de patients à étudier. Le CPT ou le SPAN sont moins sensibles dans la détection de déficits attentionnels chez les bipolaires que les mesures comme le TMT et le Rapid Visual Information Processing Test de Clark en 2001, qui sont plus appropriés. La mise en évidence des anomalies cognitives liées à l’utilisation des psychotropes chez les patients bipolaires et de la part de ce qui revient à la maladie et au traitement est un défi important à relever dans les années à venir. Les études des fonctions cognitives chez les patients non traités seraient particulièrement utiles, mais leur réalisation semble plus délicate. ■ Références 1. Kraepelin E. Manic-Depressive Insanity and Paranoia: Edinburgh E & S. Livingstone, 1921. 2. 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