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Les mesures d’activité occupationnelle
et le niveau des relations sociales sont
associés à une perform a n c e inférieure
dans les tâches d’apprentissage verbal
ainsi qu’au plan du fonctionnement exé-
cutif. Les patients bipolaires de type I
normothymiques présentent un déficit
cognitif au cours des phases asympto-
matiques de la maladie. Un cert a i n
nombre de déficits observés chez ces
patients seraient associés à un pronostic
plus sévère de la maladie et à un fonc-
tionnement occupationnel et social plus
pauvre. Le rôle des fonctions cognitives
pourrait donc servir de témoin de la
sévérité et de la gravité de certaines
formes du trouble bipolaire, mais égale-
ment de valeur pronostique, voire de
mise en évidence, de formes infracli-
niques de la maladie ou d’un lien entre
fonctions cog n i t ives et vulnérabilité
biologique ou génétique dans certains
types de troubles bipolaires.
Les conceptions anciennes de Kraepelin,
développée dans un ouvrage paru en
1913, qui distinguait la dementia prae-
cox de la maladie maniacodépressive,
ont probablement été à l’origine d’une
c e r taine désaffection de l’étude des
fonctions cog n i t ives dans la maladie
bipolaire. En effet, Kraepelin avançait
l’existence d’un déclin cognitif marqué
dans la schizophrénie, auquel il opposait
une évolution non déficitaire dans la
maladie maniacodépressive (17).
Malheureusement, la réalité actuelle du
niveau des performances cognitives des
patients souffrant de trouble bipolaire
est tout autre : on estime que 30 à 50 %
des patients bipolaires en rémission res-
tent incapables d’atteindre le niveau pré-
morbide de fonctionnement psychoso-
cial, en raison principalement d’un défi-
cit cognitif (18).
La comparaison du niveau de fonction-
nement cognitif des patients souffrant de
trouble bipolaire à celui de patients souf-
frant d’autres pathologies mentales per-
met de dessiner l’existence d’un profil
c o gnitif relativement spécifique du troubl e
bipolaire. Ce type de profil cognitif per-
siste en dehors des phases symptoma-
tiques de la maladie, ce qui conduit à
envisager l’existence d’un ensemble de
caractéristiques de type “trait”, disposi-
tionnelles de cette pathologie.
Introduction
Pour les cliniciens que nous sommes,
l’étude du fonctionnement cognitif des
patients souffrant de trouble bipolaire
est intéressante au plan évolutif, qui ren-
voie à des états cliniques diff é r e n t s .
Cette mise au point aura donc comme
premier objectif de dresser un inventaire
aussi complet et précis que possible de
l’état cognitif des patients bipolaires en
fonction du profil clinique. Le deuxième
objectif de cet état des lieux sera de ten-
ter un diagnostic cognitif différentiel
comparé au profil cognitif existant chez
les patients schizophrènes ou déprimés.
Ce travail se fonde sur les études
publiées récemment, gage d’une métho-
dologie des sciences cognitives suffi-
samment élaborée et homogène, garan-
tissant un minimum de comparaisons
entre résultats et discussions d’auteurs.
Les mots-clés utilisés pour cette
recherche sont principalement : mémoire,
attention, fonction cognitive, fonctions
ex é c u t ives, fonctionnement neuropsycho-
l og i q u e , croisés avec maladie maniaco-
dépressive, état maniaque ou dépressif,
trouble bipolaire. La plupart des articles
publiés concernent des adultes d’âge
variable (de 16 à 65 ans) comparés à des
témoins appariés ou normés en fonction
des tests utilisés, le diagnostic étant
fondé sur l’utilisation des critères de la
CIM IX ou X, ou du DSM III ou III révi-
sé ou IV, ou bien encore des critères
R e s e a rch diagnostic criteria (RDC) défi-
n i s spécifiquement pour la recherche.
Nous avons délibérément éliminé les
p u blications qui ne permettaient pas
d’établir avec précision le diagnostic de
l’état clinique des patients étudiés.
Différents types de tâches ont été utilisés
dans la littérature pour évaluer le fonc-
tionnement cognitif des patients, les pre-
miers sont ceux qui sont censés mesurer
des processus cognitifs. On en trouve un
catalogue dans l’ouvrage de référence
écrit par Mme la docteure Lezak, publié
en 1995 (19). La difficulté rencontrée
dans ce type d’approche est liée à la
relative méconnaissance du type de pro-
cessus sous-tendant la performance dans
certains tests cognitifs.
Une méthode alternative qui a été pro-
posée dans la littérature consiste en
l’utilisation de l’analyse en cluster telle
que Goldstein l’a effectuée en 1984 ;
elle présente l’inconvénient de laisser de
côté un certain nombre de tâches. La
troisième technique de compilation pro-
pose de laisser de côté la méthode systé-
matique et d’accumuler les perfor-
mances des patients dans des épreuves,
au risque d’aboutir à une certaine confu-
sion. Aucune méthode n’est parfaite ni
c a p a b l e d’éviter le fait que la perform a n c e
des patients, dans la grande majorité
des tâches auxquelles ils sont soumis,
dépende d’un nombre de processus
c ognitifs supérieur à un. Certains auteurs
ont contourné l’obstacle d’une étude très
systématique et trop cloisonnée de la
cognition appliquée aux malades souf-
frant de trouble bipolaire en fournissant
des commentaires et des notes explica-
tives en marge de leur recueil d’infor-
mation dans la littérature, remarq u e s
ayant trait aux tests individuels qu’ils
ont recensé dans différentes études (20).
Les descriptions cliniques retrouvées dans
les études publiées dans la littérature
c o m p o r tent les termes “d’euthy m i e ” ,
lorsque les auteurs considèrent que les
patients sont asymptomatiques, et le term e
de patients “en rémission”, lorsque les
patients qui sont étudiés présentent un
certain nombre de symptômes résiduels.
Une autre catégorie de patients décrits sous
le terme de “cliniquement stables” évo q u e
des patients sympto-matiques, mais ne
souffrant pas d’un épisode d’inconfort
aigu.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 6, juin 2004
Mise au point