LES LANGUES CRÉOLES : Regard sur une trajectoire de 25 ans

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LES LANGUES CRÉOLES : Regard sur une trajectoire de 25 ans
Par Pierre Vernet
Doyen de la Faculté de Linguistique Appliquée
Université d’Etat d’Haïti
Janvier 2002
SOMMAIRE
A- Bases politiques et scientifiques de la trajectoire
B- Contours de la Trajectoire : Principaux repères
C- Cadre d’observation de la trajectoire : Données quantitatives (taux de pratiques) et
qualitatives (statut social et décréolisation)
D- Les données
DI- Pratique orale
DI1- Radios :
1a) Données : Liste, pourcentage
1b) Commentaires
DI2- Télévision :
2a) Données : Liste, pourcentage
2b) Commentaires
DI3- Enoncées créoles :
3a) Données
3b) Commentaires
2
DI4- Influence des médias sur la pratique de la population
DI5- Appréciation des données dans leur évolution
DII- Pratique écrite
DII1 - Données
DII2 - Commentaires
E- Conclusion
F- Notes
3
Les langues créoles
Regard sur une trajectoire de 25 ans
-----------------------------------------------A- Bases politiques et scientifiques de la trajectoire
Les années 70 ont vu l’arrivée d’un nouveau tournant dans le combat pour
l’avancement des langues créoles.
Du nombre de facteurs sous-jacents à ce phénomène l’on peut retenir une plus
grande prise de conscience -- au plan international, mais également dans l’espace
spécifique à chacune -- de l’importance de ces langues. Ce fait, loin de se produire
isolément, s’est plutôt révélé comme un élément intégré dans une mouvance plus globale.
Tout d’abord, l’effervescence contestataire de 68 a été le point culminant au plan
international d’une vaste remise en question socio-politique1. Sur le plan scientifique on a
enregistré des avancées considérables des Sciences Humaines dont principalement la
Linguistique (avec la systématisation du courant structuraliste), l’anthropologie, la
psychologie etc2…
Dans le domaine des Sciences du Langage l’un des axes méthodologiques
introduits dans le cadre des nouvelles avancées scientifiques à travers le structuralisme a
consisté à aborder l’analyse de la langue de manière spécifique «en elle-même, par elle
même et pour elle-même». Il s’est agi d’une rupture d’avec le courant précédent, la
philologie, la grammaire comparée, dont la charpente méthodologique reposait sur la
filiation des langues et la démarche comparative3.
Ainsi engoncée dans le carcan millénaire de l’idéologie de la verticalité et de la
hiérarchisation (langue sacrée versus langue non sacrée, langue de civilisation versus
langue de non civilisation, langue noble versus langue vulgaire etc…), une langue créole
ne pouvait-elle être appréhendée qu’à travers le prisme d’une autre langue dite de “grande
culture” ayant participé à son élaboration: le français, l’anglais, le hollandais etc… On
parlait de créoles français, anglais, hollandais etc4…
S’est dégagée, dans cette vaste dynamique de renouveau socio-politique et
scientifique, une nouvelle compréhension du développement selon une dimension moins
mécaniste et orientée davantage vers l’apport incontournable des ressources humaines
(avec une autre approche de la formation), le rôle de l’individu dans sa propre
participation à son développement et une nouvelle conception du bien-être de ce dernier
qui ne devait plus dès lors se mesurer à la seule aune de la production de biens.
4
Et le corollaire obligé de cette vaste remise en question socio-politique et de ces
nouvelles orientations a été, au plan idéologique, super structurel, la valorisation des
langues et des cultures dont certaines, spécifiquement du Tiers-Monde, ont été jusqu’alors
minorées ou tout simplement ignorées.
L’on peut retenir dans le cadre de cette dynamique l’intérêt pour les langues
considérées dès lors comme nationales des pays d’Afrique et la mise en place notamment
au CNRS, et dans d’autres universités d’Europe et d’Amérique, d’un véritable chantier
pour les travaux de description de ces langues5.
B- Contours de la Trajectoire : Principaux repères
Dans le champ qui nous concerne spécifiquement ici, celui des langues créoles,
l’on a assisté dans sa dynamique à un foisonnement d’activités sans précédent.
Un premier fait à retenir inédit dans la trajectoire de la mouvance des langues
créoles: l’émergence d’un groupe important de linguistes natifs6. Fait qu’il faut
évidemment saisir comme corollaire à la fois de la remise en question socio-politique au
plan international, et des avancées au plan scientifique de disciplines comme
l’anthropologie et la linguistique. Ces deux facteurs ayant entraîné une reconnaissance des
langues et des cultures des pays du Tiers-Monde, donc des peuples créolophones…
Cette dynamique allait être renforcée à la même époque par l’émergence
concomitante de jeunes linguistes non originaires de pays créolophones, dont le créole
n’était pas la langue maternelle7. Formés techniquement dans le cadre des dernières
avancées scientifiques notamment en linguistique, en anthropologie, leurs démarches et
leurs travaux se sont trouvés naturellement convergents par rapport à ceux des linguistes
natifs.
Il faut signaler à cet égard qu’il y a eu, bien sûr, précédemment à cette période, des
travaux réalisés sur les langues créoles par des linguistes dont le créole était la langue
maternelle (Elodie Jourdain, Suzanne Comhaire-Sylvain, Pradel Pompilus etc…). Mais le
contexte des années 70 et le nombre de linguistes natifs de différents pays créolophones
(Dominique, Guadeloupe, Guyane, Jamaïque, Haïti, Martinique, Maurice, Réunion,
Seychelles, Ste-Lucie, Surinam etc…) doublé de linguistes créoles non natifs ont assuré
au mouvement une nouvelle dynamique plus forte et plus cohérente.
Le Colloque de Nice suivi de celui des Seychelles engagea le mouvement,
également nouveau quant à sa systématicité et à sa régularité, de l’organisation de
rencontres scientifiques8.
5
Phénomène qui s’accompagna de son double: la production foisonnante de travaux
de description scientifique des langues créoles et de documents d’illustration: charte,
textes littéraires (roman, poésie, conte), textes didactiques etc9…
Plus spécifiquement, l’un des outils fondamentaux à l’avancement de ces langues,
l’orthographe, allait être systématisé et standardisé. A partir de travaux convergents, dans
leurs soubassements théoriques, du laboratoire de créole de l’Université René Descartes
(Paris V), du GEREC, de la Faculté de Linguistique Appliquée de l’Université d’Etat
d’Haïti, l’on aboutit à un système orthographique cohérent. Système avec des faits
d’application différents en fonction des particularités de chacune des langues créoles mais
unique et standard dans les principes qui lui sont sous-jacents10.
Un autre produit de la vaste remise en question internationale a été la prise en
compte de la nécessité d’instaurer une nouvelle école. Une nouvelle approche, plus
humaine, du développement impliquait un système éducatif dans ses rapports avec les
langues et les cultures des pays concernés11.
Des classes expérimentales utilisant le créole ont été mises en place dans plusieurs
pays créolophones dont la Martinique, la Guadeloupe. Dans le cas d’Haïti et des
Seychelles cette expérience s’est réalisée dans un cadre plus élargi, celui d’une réforme
éducative nationale assurée par l’Etat12.
Toutes ces démarches assurées dans le cadre de l’école entraînèrent la diffusion, la
standardisation et la fixation de l’orthographe. Dans le cas d’Haïti et des Seychelles
l’orthographe a été officialisée13.
D’autres démarches à un plan politique ont contribué par ailleurs à conférer un
statut aux langues créoles. L’on peut retenir, entre autres, la constitution d’Haïti qui en
1987 a fait du créole une langue officielle au même titre que le français. Plus récemment
en 2001 il y a eu les décisions du gouvernement français concernant le CAPES créole14.
Ces acquis (officialisation de l’orthographe puis de la langue, introduction formelle
à l’école, CAPES etc…) correspondant à des décisions administratives donc politiques
doivent être appréciés à leur juste valeur, c’est-à-dire comme des conquêtes. En effet il ne
faut pas perdre de vue que ces décisions ont émané du pouvoir, de l’Etat. Or, on le sait, et
la situation sociolinguistique le dit, le pouvoir est en symbiose avec les couches
scolarisées francisante ou anglicisantes, puisque contrôlées par elles. Force donc est de
reconnaître le travail collectif redynamisé avec plus de vigueur et plus de cohérence dans
une synergie internationale à partir de l’émergence dans les années 70 des jeunes
linguistes natifs et non natifs qui ont engagé le combat pour l’avancement des langues
créoles. Combat mené sur tous les plans.:
6
Création d’institutions universitaires: GEREC au sein de la Faculté des Sciences
Humaines de l’Université des Antilles et de la Guyane en Martinique, Faculté de
Linguistique Appliquée de l’Université d’Etat d’Haïti, Centre de Recherches dans
différents pays créolophones etc…
Impulsion de pistes et réalisation de recherches ayant contribué à définir et asseoir la
linguistique native, la créolistique. En ce sens il faut rendre un hommage plus que
mérité à Jean Bernabé pour la fondation du GEREC et le volume de travaux réalisés
par ce groupe de recherches.
Démarches administratives et politiques
Articulation entre les travaux de recherches et leurs applications dans d’autres secteurs
de la vie nationale: système éducatif, culture, médias, santé, agriculture etc…
Création d’Associations : l’on peut retenir, entre autres exemples, la mise sur pied de
BANNZIL Kreyòl et constater la survivance au plan international de la célébration, le
28 Octobre, de la “Journée Créole”.
C- Cadre d’observation de la trajectoire : Données quantitatives (taux de pratiques)
et qualitatives (statut social et décréolisation)
Il n’est pas inopportun de tenter de jauger cette trajectoire de 25 ans dans un pays
créolophone comme Haïti en la regardant du point de vue de la pratique effective des
langues en présence dans ce pays (créole, français, anglais, espagnol). Quel rapport peuton établir entre le nouveau tournant des années 70, l’émergence de jeunes linguistes natifs
et non-natifs engagés dans une nouvelle dynamique par rapport aux langues créoles et la
pratique effective aujourd’hui, 25 ans après, de ces langues.
Il s’agirait plus précisément de répondre à deux questions : Quel est le pourcentage
de créole utilisé par rapport au français ou à l’anglais et à l’espagnol? Comment le créole
se situe-t-il, en Haïti, dans sa pratique, sur l’axe de la décréolisation, soit de la
francisation et / ou de l’anglicisation. Ce phénomène de décréolisation constituant, dans la
société haïtienne, pour les locuteurs, un instrument de valorisation.
Les données qui suivent, portant sur la pratique des langues en présence en Haïti
dans le domaine de la presse orale et écrite, tentent d’apporter quelques éléments de
réponse.
Ces données sont présentées selon deux approches :
7
Dans la première les chiffres indiqués informent sur le taux de pratique effective
dans la presse de chacune des langues en présence : créole, français, anglais, espagnol.
Dans la deuxième approche il s’agit d’apporter un autre angle d’éclairage, celui du
statut social du créole, à ces données chiffrées en prenant en compte l’aune de la
décréolisation (essentiellement par la francisation et / ou l’anglicisation), signe-témoin de
la valeur accordée au créole par ceux qui la parlent.
Dans le cadre de cette 2ème approche nous présenterons un échantillon d’énoncés
créoles ou considérés comme tels par ceux qui les ont émis. Il s’agit de locuteurs
scolarisés pratiquant, fait caractéristique de cette partie de la population, une forme très
francisée du créole qui leur permet de se démarquer des couches analphabètes unilingues
s’exprimant dans un créole basilectal. Et nous mettrons en regard les équivalents
basilectaux15.
Il s’agit aussi de montrer que les locuteurs haïtiens créolophones et scolarisés qui
ont produit ces énoncés ne se sont pas trouvés dans une situation d’absence de choix. Les
énoncés basilectaux mis en regard constituent des exemples qui témoignent de la
possibilité qu’ont les scolarisés de recourir au créole de base, majoritaire, en usage dans le
pays, doté de structures syntaxiques et d’un stock lexical disponibles à tous les Haïtiens,
tous créolophones.
L’on notera au passage le caractère irrésistible, anarchique, débridé des
mécanismes psycholinguistiques et sociolinguistiques sous-jacents à ce processus de
décréolisation puisque les termes les plus usuels dans la population sont remplacés par
leur équivalent français ou anglais : «kay», «moun», «machin», «doktè» etc… sont
remplacés par : «mezon», «endividu», «vwatur», «medsen» etc…
Les mécanismes psycholinguistiques et sociolinguistiques sous-jacents aux faits
langagiers de décréolisation permettent du même coup de comprendre son double: la
créolisation du français par le locuteur haïtien. Nous sommes donc en plein dans la
situation analysée et formulée par Robert Damoiseau en termes de “proximité périlleuse”;
périlleuse justement à cause d’une proximité qui rend plus difficile le recul du locuteur
par rapport aux deux langues16.
Toutefois dans la perspective du questionnement en jeu dans cet article: Quelle
valeur le locuteur haïtien accorde-t-il au créole?, force est de constater que nous ne
pouvons confondre la décréolisation du créole et la créolisation du français. Le premier
est plus motivé et correspond davantage au choix, choix délibéré conduit par la recherche
de valorisation chez un locuteur maîtrisant parfaitement tous les registres de sa langue
maternelle, le créole, ainsi que le positionnement de chacun des registres sur l’échelle des
valeurs de la société. Alors que la créolisation du Français ne conférant aucun bénéfice
social s’explique davantage par une maîtrise non suffisante du Français et témoigne d’un
8
caractère plus automatique. Ici l’absence de choix est plus évidente. Et le locuteur,
conscient de ce qu’on peut appeler dans ce cas les interférences, tendu vers un modèle
idéal “le bon français de France”, cherche en permanence à réduire cette présence créole
indésirable dans son Français. C’est ce qui explique en général les hypercorrections
(“pupu”, “duru”) au lieu de (“pipi”), (“duri”). C’est ce qui explique également la
neutralisation des niveaux et la recherche du niveau soutenu même dans les situations les
plus familières; et ceci même en utilisant le créole. Ainsi un terme comme “appréhender”
remplacera “arrêter”en français comme en créole même dans les situations familières.
Est donc ainsi posé le problème du choix de la Francisation
en tant qu’indice de valorisation sociale.
et de l’anglicisation
Toujours dans le cadre de la deuxième approche, sous l’angle du statut social du
créole, nous présentons quelques réflexions sur un phénomène ayant des conséquences
énormes sur la pratique du créole et du français: l’influence de la pratique des animateurs
de radio sur celle de la population non scolarisée et scolarisée. Le poids social de la
décréolisation et de ses corollaires (maniérisme, affectation comme signes du beau parler)
s’avère d’une telle puissance que des faits langagiers (phonétiques, morpho-syntaxiques
et sémantiques) totalement saugrenus et hors-norme par rapport au français standard de
France, pourtant valorisé comme modèle unique, sont repris de manière aveugle, à la suite
d’animateurs très peu formés, par des scolarisés qui eux ont par ailleurs fait la preuve
d’une bonne maîtrise du français.
L’on peut donc saisir l’impact de la pratique francisante et / ou anglicisante des
médias sur les couches défavorisées en orbite d’urbanisation.
9
D- Les Données
DI – Pratique Orale
DI1- Radios
Liste des stations de Radio basées à Port-au-Prince
1- Energie FM
2- Magik Stéréo
3- Mégastar
45678-
Radio Caraïbes
Radio Espérance
Radio Galaxie
Radio Ginen
Radio Haïti Inter
9- Radio Ibo
10- Radio Kadans FM
11- Radio Kiskeya
12- Radio Lumière
13- Radio Métropole
14- Radio Nationale
15- Radio Phare
16171819-
Radio plus
Radio Signal FM
Radio Solidarité
Radio Timoun
20- Radio Vision 2000
21- Stéréo 92 (Radio Lumière)
N.B. : Dix de ces stations sont relayées à travers les principales villes de la province
10
Pourcentage
Nombre d’heures d’antenne : 445186heures
Période : mars 1998 à mars 2001
Nombre
d’heures d’antenne
Pourcentage par
Langue
Emission en créole
125977h54mn
28,29%
Emission en français
98984h37mn
22,23%
Emission en anglais
8405h37mn
1,88%
Emission en espagnol
5837h20
1,31%
Emission en créole et en français (à parts égales)
8100h10mn
1,82%
Emission en créole et en français (à dominante française)
32132h13mn
7,21%
Emission en créole et en français (à dominante créole)
14281h53mn
3,20%
Emission parfois en français parfois en créole
7632h44mn
1,71%
Emission en français, en créole et en anglais
794hres
0,17%
Emission sans animation
138319h42mn
31,07%
Emission en français et en anglais (à parts égales)
3251hres
0,73%
Emission en français et en anglais (à dominante anglaise)
143hres
0,03
Emission parfois en français parfois en anglais
1716hres
0,38%
Emission en français, en anglais et en créole
1421hres
0,31%
11
1b- Commentaires
Les enquêtes ont été réalisées dans le cadre des travaux de l’Observatoire de
Politique Linguistique de la Faculté de Linguistique Appliquée (UEH) par une équipe
constituée de Roger Bernavil, Wendy Richard, Kerlyne St-Cyr, encadrée par Pierre
Malvoisin et Serge Sylvestre. La finalisation des données a été assurée par Serge
Sylvestre.
Ces enquêtes ont porté sur 21 stations de radios et 6 stations de télévision. Ces
stations sont toutes privées sauf la Radio Nationale (RNH) et la Télévision Nationale
(TNH) qui relèvent de l’Etat.
Les données d’émission par la radio indiquent que le créole vient en tête par
rapport au français, à l’anglais et à l’espagnol avec une nette avance de 6,06 du créole sur
le français, soit respectivement 28,29% pour le créole et 22,23% pour le français. Les
pourcentages respectifs de l’anglais et de l’espagnol sont très faibles (1,88 % et 1,31%)
avec une légère avance de l’anglais sur l’espagnol.. Une très grande marge existe entre le
créole et le français d’une part et l’anglais et l’espagnol d’autre part : 28,29% et 22,23%
par rapport 1,88% et 1,31%. En prenant ainsi les langues deux à deux cette marge oscille
selon une fourchette de 20,35% à 26,98%.
12
DI2- Télévision
2a : Données
Liste des Stations de télévision
NO.
NOM
INDICATIONS
No. 2
Télé Haïti
Locale + prog. étrangères
No. 3
Télé Haïti
Locale + prog. étrangères
No. 4
Télé Eclair
Locale + prog. étrangères
No. 5
Télémax
Locale + prog. étrangères
No. 6
RFO Tempo
Franco-Canadienne
No. 7
Télé Nationale
Locale + prog. étrangères
No. 8
Télé Nationale
Locale + prog. étrangères
No. 9
ESPN
Américaine
No. 11
Canal 11
Locale + prog. étrangères
No. 12
TVA
Franco-Canadienne
No. 13
Télé Timoun
Locale + prog. étrangères
No. 14
CNN
Américaine
No. 15
HBO
Américaine
No. 16
TV 5
Française
No. 17
CARTOON NETWORK
Américaine
No. 18
RFO
Française
No. 19
CBS
Américaine
No. 20
UNIVISION
Porto-Ricaine
13
No. 21
ABC
Américaine
No. 22
NBC
Américaine
No. 23
DISCOVERY
Américaine
No. 24
CANAL J
Française
No. 25
EWTN
Américain
No. 26
TNT
Américain
No. 27
RADIO CANADA
Canadienne
No. 28
TQS
Canadienne
No. 29
FOX
Américaine
No. 30
TF1
Française
No. 31
Télé Québec
Canadienne
No. 32
MCM
Américaine
No. 33
CBS
Américaine
No. 34
TCM
Américaine
No. 35
EUROSPORT
Française
No. 36
FASHION
Américaine
No. 37
RDI
Canadienne
No. 38
CNN
Américaine
No. 39
RFO
Française
14
Pourcentage
Nombre d’heures d’antenne
: 507 166 heures
Période : janvier 1999 à mars 2001
Nombre
d’heures
d’antenne
Pourcentage par
langue
Emission en créole
13323h20s
2,62%
Emission en français
185955h
36,66%
Emission en anglais
238138h
46,95%
Emission en espagnol
18816h
3,71%
Emission en créole et en français (à parts égales)
276h
0,05%
Emission en créole et en français (à dominante française)
5152h
1,01%
Emission en créole et en français (à dominante créole)
2118h
0,41%
Emission parfois en français parfois en créole
1776h
0,35%
Emission en français, en créole et en anglais
0
0
Emission sans animation
38364h
7,56%
Emission en français et en anglais (à parts égales)
3248h
0,64%
Emission en français et en anglais (à dominante anglaise)
0
0
Emission parfois en français parfois en anglais
0
0
Emission en français, en anglais et en créole
0
0
15
17
2b- Commentaires
Les données d’émission par la télévision indiquent clairement par rapport à la radio
un renversement de la situation pour le créole qui est réduit à 2,62 % par rapport à un très
fort pourcentage de l’anglais qui vient en tête avec 46,95 % et du français en 2ème position
avec 36,66%. L’espagnol reste toujours très faible : 3,71%
A noter que pour le français et l’anglais les pourcentages sont nettement plus forts
à la télévision qu’à la radio : français - radio
Anglais - radio
: 22,23%
: 1,88%
français - télévision
: 36,66%
anglais - télévision
: 46,95%
Par rapport au fort taux de l’anglais (46,95%) à la télévision il faut comprendre ce
fait à sa juste valeur, qui n’est pas dû au pourcentage d’anglais des stations de télévision
d’Haïti mais uniquement aux émissions de chaînes étrangères captées et diffusées par les
stations locales.
18
DI3 : Enoncés créoles
3a- Données
1a) Twa endividu arme te arete pa lapolis nan katye Matisan
1b) Lapolis te arete twa zenglendo nan katye Matisan
2a) Yo di li keu fòk tout moun vini
2b) Yo di li fòk tout moun vini
3a) Manifestan yo di ak Prezidan an pou li demisyone
3b) Manifestan yo di Prezidan an pou li demisyone
4a) Nombre de morts yo rete enchanje
4b) Kantite moun ki mouri yo rete menm
5a) A date nesesite a po ko determine
5b) Jis kounyeya po ko gen nesesite
6a) Gen des maisons ki atteintes par violence cyclone
6b) Gen kay fòs siklòn nan touche
7a) Peuple Ayisyen se yon peuple ki fondamentalement privé de tous les droits, du droit
de se nourrir, du droit de se vêtir
7b) Pèp Ayisyen se yon pèp ki pa gen pyès mwayen pou li jwi okenn dwa : dwa pou li
manje, dwa pou li mete rad
8a) Lè mwen fè suivi mwen gade mwen wè ki moun ki pati deu meuzure lan
8b) Lè mwen mennen ankèt mwen wè ki moun mezi mwen pran an bloke .
9a) Endividu a poko angaje.
9b) Yo poko bay moun nan travay la.
10a) Se yon pwojè keu mwen jwenn au niveau des tiroirs de l’institution.
10b) Se yon pwojè mwen vin jwenn nan entitisyon an.
19
3b- Commentaires
Les énoncés présentés ci-dessus ont été consignés à partir d’interventions orales de
locuteurs dans différentes stations de radio de Port-au-Prince. Nous avons surtout retenu
celles dans lesquelles le locuteur concerné, en fonction des circonstances nécessitant sa
prise de parole, est obligé de s’adresser, en tant que responsable, du moins dans les
intentions, à tous les Haïtiens et en priorité aux couches analphabètes défavorisées. De
toutes les circonstances possibles nous pouvons citer, par exemple, les catastrophes
naturelles (cyclones), les manifestations populaires etc…
Sans entrer dans une démarche de description et d’analyse linguistiques de ces
énoncés nous pouvons rapidement, dans l’objectif d’illustrer le phénomène de
décréolisation, relever les faits suivants:
- Faits phonétiques: tous les faits phonétiques francisants, c’est-à-dire émanant du français
et non présents dans la pratique basilectale des couches défavorisées non scolarisées, se
trouvent dans ces énoncés:
son “u”à la place du son “i”
son “e” à la place du son “é”
son “eù”(dans beurre) à la place du son “è”
présence de “r”en syllabe médiane fermée ex: “arme”au lieu de “ame”
présence de “r”en finale : “meuzur”au lieu de “mezi”
absence de consonnes initiales provenant de l’article en français et gardées
dans certains mots du créole: “arme” au lieu de “lame”, “eta”au lieu de “leta”
présence de double consonne en finale de mots: “peùpl”au lieu de “pèp”
- Faits morphologiques :
L’article français “la”, qui a perdu sa fonction en créole, s’est figé et a disparu
en devenant partie intégrante de termes créoles, est éliminé dans certains cas
(selon la fonction) sous l’effet de l’automatisme francisant: Ex “polis”, “dwàn”,
“rivyè” etc… au lieu de la forme basilectale: “lapolis”, “ladwàn”, “larivyè”.
L’article “des”
Par contre sous l’effet de l’automatisme francisant, l’élément “des”quoique
totalement inutile (au plan de la syntaxe et/ou de la sémantique) en créole a été
introduit et tend à se généraliser.
Ex: Mwen wè dè liv mwen pa genyen.
Yo ban nou de dlo ki pa bon pou bwè.
Gen deu kay pou vann.
20
Cet article “des”est utilisé sous plusieurs formes phonétiques: “dè”, “de”, “deu” (e
long).
L’utilisation de l’article “des”en créole sous la forme “deu”, en plus de son
inutilité, crée de la confusion par rapport au chiffre “deux”. Par exemple, dans le dernier
énoncé, il faut se demander s’il s’agit de “des maisons”ou de “deux maisons”
- Faits syntaxiques : des structures syntaxiques du français totalement absentes dans la
pratique du créole de la grande majorité de la population et scolarisée et non scolarisée
(absolument ignorées de cette dernière) font surface dans les interventions de certains
locuteurs.
forme passive suivie de “par”
Ex: “Twa endividu arme te arete par la polis”
“Gen des maison ki atteintes par violence cyclone”
forme passive non suivie de “par”
ex: “a date nesesite a po ko determine”
“Endividu a po ko angaje”
Le système syntaxique du créole, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, ne peut
intégrer la structure passive du français que lui imposent certains scolarisés sans poser de
sérieux problèmes pour l’équilibre organisationnel de l’énoncé et entraîner sinon des
contre-sens du moins des difficultés de compréhension.
. La conjonction “keu”
Ex: «yo di li keu fòk tout moun vini»
. L’élément “ak”comme forme créole de la préposition du français “à”
ex: «Manifestan yo di ak prezidan an pou li demisyone».
«Yo di ak moun yo pou yo ale»
Cette forme “ak”qui s’est aujourd’hui généralisée à presque tous les scolarisés et à
une partie des non scolarisés a été introduite à la suite de l’utilisation de la préposition
française “à” comme une tentative de créolisation de cette dernière comme si l’utilisation
de cette préposition était indispensable au fonctionnement du créole.
L’observation émise plus haut concernant la forme passive peut-être reprise ici.
Certaines structures du français introduites en créole en plus du fait qu’elles ne sont pas
nécessaires posent problème pour la construction du sens.
21
Dans le 1er exemple présenté plus haut, le «président», d’après le sens créole
de l’énoncé se retrouve dire lui aussi conjointement avec les manifestants qu’il doit
démissionner. Dans le 2ème exemple on ne peut vraiment pas savoir des deux groupes en
conflit lequel demande ou lequel est demandé de partir.
- Faits lexicaux
Le phénomène de décréolisation par la francisation (ou l’anglicisation) peut-être
abordé sous plusieurs angles dont celui du choix. Le phénomène langagier de l’emprunt
relève des mécanismes généraux de fonctionnement de toute langue. Au point qu’un
terme qu’une langue A croit emprunter d’une autre langue B peut n’en être qu’un qui
revient au point de départ après que B l’ait auparavant emprunté à A. Ce fait est
largement corroboré si l’on se réfère, entre autres exemples, aux rapports entre le français
et l’anglais à partir notamment du latin17.
Prenons par exemple le mot «toast»; ce mot français emprunté à la langue anglaise
est un terme que cette dernière a pris de l’ancien français : «toster» qui signifie «rôtir».
De même le mot français «fuel» emprunté de l’anglais (combustible) vient de l’ancien
français «fouaille» (ce qui alimente le foyer).
Et dans le cas des langues créoles l’emprunt paraît d’autant plus nécessaire que ces
langues ont été écartées de la pratique d’un certain nombre de domaines techniques. A ce
sujet l’on peur remarquer que le français vit dans état permanent d’emprunt par rapport à
l’anglais.
Par contre la francisation du lexique du créole haïtien par l’emprunt réalisée
massivement aujourd’hui par les scolarisés haïtiens ne se justifie pas par l’absence de
choix. Point n’est besoin de recourir à des travaux de Terminologie comme le font
beaucoup de pays comme la France et le Québec pour proposer face à des termes anglais
relevant de domaines technologiques (aérospatial, algorythmique, cybernétique etc) un
substitut du français adapté.
Cette francisation du lexique du créole haïtien est absolument injustifiée et inutile.
Mais elle se réalise également dans l’anarchie la plus totale au bon gré des locuteurs qui
d’un côté font l’impasse sur les capacités créatrices du créole et de l’autre intègrent une
langue (le français) dont ils ne maîtrisent pas les paramètres du fonctionnement lexicosémantique (réseaux de sens d’un terme, connotations, etc…). Alors que ce processus
doit pouvoir se réaliser de manière efficace dans le cadre d’un projet de Politique
Linguistique selon des objectifs clairement définis et sur la base de démarches techniques
cohérentes telles que proposées dans les travaux de Jean Bernabé et Pierre Vernet18 et qui
reposent sur l’exploitation des mécanismes de créativité de la langue.
22
En effet tel que se réalise ce processus de francisation du lexique du créole dans la
bouche des scolarisés haïtiens, ce sont les termes créoles les plus courants de la vie
quotidienne qui sont systématiquement remplacés par les français : «kay» (maison),
«moun» (personne), «machin» (voiture), «doktè» (médecin), «manje» (nourriture) etc…
Or ce processus repose dans sa dynamique sur des pulsions strictement et
exclusivement sociales et correspond pour le locuteur uniquement à une recherche de
valorisation sociale. Et cette recherche se fait dans une quête permanente du «beau
français «, «du français châtié» , «du français idéal» par le recours au mot français perçu
comme «le plus rare «, «le moins entendu» qui puisse être trouvé pour remplacer le mot
créole.
Ainsi du syntagme créole «mete nan prizon» l’on ne passera pas en créole à «mete
nan prizon» mais à «enkarsere». Pour «machin» ce ne sera pas «vwatur» mais «vehikul».
Pour «kay» ce ne sera pas «mezon» mais «imeùbl» les termes choisis étant perçus, par
rapport à leur correspondant respectif, comme se trouvant au pôle maximal de l’échelle
langagière des valeurs.
Ainsi il n’est pas rare que dans les conversations les plus courantes sur des faits de
la vie quotidienne des termes créoles se trouvent remplacés par des termes français qui
relèvent d’un jargon technique (droit, médecine…), du français littéraire, ou qui, très
rares, sont en passe de tomber en désuétude.
On se trouve face à une pratique basée sur la confusion, l’amalgame en un seul et
même concept, «le français idéal», des références différentes comme «beau, châtié, rare,
pur». Cette pratique correspond à une conception du fonctionnement de la langue qui fait
abstraction des situations de communication, neutralise les différents niveaux de langue.
L’usage, la norme sont ignorés au profit d’une règle unique, idéale et fictive : «le beau
parler» et qui elle , à son tour, ne respecte que deux règles absolues : l’observance stricte
des règles grammaticales écrites plutôt de type morphologique (essentiellement les règles
d’accord) et l’utilisation de «beaux mots».
Il est donc clair que ce n’est pas par absence de choix que le locuteur scolarisé a
recours aux termes français. Il s’agit plutôt d’un automatisme intégré dans le système
idéologique, superstructurel, entre le créole et le français; système constituant la face
apparente de mécanismes socio-économiques.
23
DI4 – Influence des médias sur la pratique de la population
Le phénomène “ Pierre-Lui...? ”
«Dis-moi comment tu parles, je te dirai qui a tué Dessalines.» (P.V.)
Questions de Sociolinguistique.
A réagir automatiquement à ce titre, certains risquent par association d’idées
d’évoquer : Pierre-Elle, Pierre-Je, Pierre-Nous etc... Ce faisant, ils n’y seraient pas du
tout.
Car il est question d’un tout autre problème.
Il s’agit en réalité d’un fait, certes langagier, mais dont les éléments se meuvent
non pas sur le paradigme des pronoms mais sur celui de l’articulation.
De quel fait parlons-nous?
Les derniers événements politiques dont, entre autres, la convocation de Monsieur
Sauveur Pierre Etienne, ont projeté sous les feux de la rampe le nom du commissaire
Josué Pierre-Louis. Nom qui a été cité à longueur de journée par des journalistes dans de
nombreux bulletins de nouvelles de plusieurs stations de radio de la Capitale et des villes
de provinces. Et les oreilles attentives ont dû remarquer l’apparition chez certains des
journalistes d’un nouveau phénomène : une nouvelle manière de prononcer Pierre-Louis
modifié en “ Pierre-Lui ”. Prononciation qui connaît déjà une certaine tendance à se
propager et qui pourrait devenir le modèle pour beaucoup quand on voit comment
d’autres faits de prononciation se sont imposés. Il suffit par exemple de voir comment
certaines personnes, dont on ne peut dire qu’elles ne sont pas formées, se sont mises à
dire :
“ Conn- Senn- Sous ”
Alors que la prononciation généralement admise et usitée est plutôt :
“ Con- Sen- Sus ”
C’est-à-dire : “ con ” comme dans “ concert ”, “ sen ” comme dans “ ceinture ”, “ sus ”
comme dans “ suce ”.
Et ceci tout simplement parce que certains jeunes, non formés, eux, ou à tout le
moins pas suffisamment, ont pensé mieux se faire valoir en prononçant soi-disant comme
le ferait un Américain. Ou tout simplement d’une manière considérée par eux comme non
ordinaire.
24
Cette semaine l’on a pu entendre un étudiant, présentant un congrès, expliquer que
l’une des revendications des étudiants est d’obtenir un «canmpòs ». Alors que pour le
mot «Campus » la prononciation usitée est «Campus » c’est-à-dire «can » comme dans
«quantité » et «pus » comme dans «puce ». Et à n’y prendre garde cette prononciation de
l’étudiant «canmpòs » peut-être reprise par d’autres théoriquement plus formés et ainsi se
généraliser.
Quelle est donc la signification profonde de ce phénomène “ Pierre-Lui ”?
Quels en sont les mécanismes sous-jacents?
La langue est tout à la fois l’expression et la synthèse des réalités de l’être humain.
Mieux encore, elle donne à voir la réflexion de l’individu sur ses actes et l’explication
qu’il en donne. Analyser donc la langue d’une société c’est comprendre en profondeur les
mécanismes de fonctionnement de cette société.
Comme aimait souvent à le dire --- sous le régime de Monsieur Jean Claude
Duvalier dans les années 80 --- le P.D.G. de Radio Haïti Inter, Monsieur Jean L.
Dominique, à qui l’on reprochait ses analyses dérangeantes : « La Presse n’est que le
thermomètre, pas la cause des problèmes de la société ».
Mais analyser la langue d’une société c’est l’étudier à la fois en tant que fait global
et général et en tant que pratiques spécifiques de couches sociales ou de corps
socioprofessionnels. Analyser les pratiques langagières de la Presse apporte un éclairage
sur les problèmes de la société à travers les éléments manifestés par ces pratiques.
C’est donc l’analyse de la langue comme thermomètre du thermomètre. Et à ce
niveau de l’étude, le thermomètre, sans en rien toucher à la valeur de la proposition de
Monsieur Jean Dominique, cesse d’être thermomètre pour devenir un phénomène sousjacent aux problèmes de la société, explicatif de ces derniers. De manifeste, le fait est
devenu manifesté.
Pourquoi “ Luis ”?
Au lieu de “ Louis ” !
La réponse est à chercher dans les valeurs qu’ont élaborées les scolarisés dans leurs
représentations du créole et du français.
Tout ce qui est perçu comme créole est automatiquement considéré par le scolarisé
comme dévalorisé et dégradant. Avec, évidemment, le corollaire obligé : tout ce qui est
perçu comme français est considéré comme signe de grande valeur et source de prestige
social.
25
Dans le cas précis qui nous concerne, sur le plan de la prononciation, les deux sons
“wi”, associés, sont perçus par les scolarisés comme créoles et laids, par opposition à leur
contraire, le groupe “ui”, perçu par eux comme français et beau.
Ainsi les scolarisés en parlant créole prononceront-ils généralement, selon les
habitudes acquises de manière inconsciente à l’école, les mots : «luil», «nuit», «zuit»,
«suif ». Ils ne prononcent pas : «lwil», «nwit», «zwit», «swif ». La première manière de
prononcer est considérée par les scolarisés comme relevant du français donc «belle et
valorisante». La deuxième comme relevant du créole donc comme «laide et dégradante ».
Il est important de retenir que ce ne sont pas les sons en soi qui sont concernés. Un
son ne saurait être beau ou laid ni valorisant ou dégradant par rapport à un autre son. Le
problème réel et fondamental réside dans la représentation sociale que l’on se fait du son
en question. Le même son pouvant être perçu comme laid aujourd’hui et devenir beau
demain chez les mêmes individus; à la faveur de modifications de certains paramètres des
canons socio-culturels, des signes sociaux de mise en valeur. Ces modifications relevant
toujours de la stratégie permanente des scolarisés pour se démarquer des non-scolarisés.
Et, justement, dans le cas des sons perçus comme relevant du créole et
dévalorisant, et plus précisément en ce qui concerne le groupe de sons «wi» par
opposition à «ui» le refus du premier «wi » renvoie au bout du compte à une tentative de
distanciation, voire de fuite, par rapport aux couches de la population associées à cette
manière de parler, les couches non scolarisées et défavorisées. Car, de fait, quand le
scolarisé haïtien doit répondre positivement à une question, il dit «wi » (oui) sans le
moindre mal et ne pense même pas une seconde à dire «ui». Ce n’est donc pas le groupe
de sons «wi » qui est laid. Il prendra une valeur négative si et seulement si il est en
situation d’opposition par rapport à un élément perçu comme français, par rapport à «ui»,
valeur francisante donc valorisante. C’est donc en tant que signe d’appartenance aux
couches scolarisées favorisées que le «ui » est recherché et pratiqué. Et corollairement
c’est pour ne pas être perçu comme étant un paysan, un non scolarisé, que le «wi » est à
fuir.
Cette dévalorisation inconsidérée et anarchique du groupe de sons «wi » perçu
comme «laid » par rapport au groupe «ui » est à la base d’une autre mode, elle aussi assez
récente. Il s’agit du mot «fruit » dont la prononciation est depuis quelque temps
remplacée chez certains locuteurs par «fui ».
Le scolarisé a pris depuis 1804 ses distances par rapport à l’esclave devenu
paysan. Il le fuit. Il l’enfouit….Dessalines en sait long...
26
Cette fuite en avant ne se manifeste pas seulement par la langue mais également
par toutes les formes de culture : codes vestimentaires, codes alimentaires, traits
physiques, postures, pratiques religieuses etc....
Dans le cas du recours à la langue pour le sauve-qui-peut, les tentatives sont
multiples et variées en fonction de la compétence de l’individu en français. Tout le monde
a déjà entendu un analphabète, tentant de se faire valoir par une prononciation francisante,
dire « duru, pupu, putumu » au lieu de « diri, pipi, pitimi »; « laj » pour dire « l’ail »;
« bonne voyage » au lieu de « bon voyage ».
C’est la recherche de la valorisation par la francisation chez quelqu’un qui ignore
tout du français. Et cette recherche est plus ou moins heureuse selon la compétence en
français de l’individu.
« Se kif-kif, mezi lajan w’, mezi wanga w’».
Aussi le cas de ces journalistes qui, pris dans le piège du faire-valoir et du paraître
par le maniérisme et l’affectation via la francisation, prononcent Josué «Pierre-Lui»,
n’est-il pas fondamentalement différent du cas de ceux totalement non scolarisés qui
disent : «bonne voyage, putumu, laj ».
Il s’agit, dans les deux cas, de recherche de prestige par le rejet du créole et par la
francisation . La différence n’est que superficielle et se mesure au degré de maîtrise de
la langue valorisante et recherchée, le français. Le degré de maîtrise du français peut-être
peu élevé et pas suffisant pour cacher les lacunes de certains scolarisés dans leur
recherche de prestige par la francisation. «Kouri pou lapli, tonbe nan larivyè ».
Et le problème peut se manifester à des niveaux de la langue autres que la
prononciation.
Car cette volonté de jeter la poudre aux yeux des autres, dans l’indifférence totale
pour l’objectif même de la communication de masse qui est de se faire comprendre de
tous les Haïtiens, entraîne d’autres travers.
C’est le cas, entre autres exemples, de l’utilisation en parlant créole de mots ou de
groupes de mots français, mais de manière tout à fait inappropriée, ne correspondant pas à
l’usage dans la pratique du français et qui mettent en évidence toutes les lacunes de ces
locuteurs en français à partir même de l’utilisation qu’ils font en parlant créole de ces
termes : «quelque part », «à savoir », «au niveau », «c’est pourquoi que», etc... Ici,
précisément, le “que ” est de trop. Car on ne dit pas : «c’est pourquoi que » mais «c’est
pourquoi » sans le «que ». Ces locutions sont utilisées à tort et à travers dans des
contextes où elles ne sont pas à leur place.
27
L’on peut signaler le cas de ceux (non journalistes) qui interviennent en public en
créole et qui s’imaginent également que leur prestige et leur degré de compétence
dépendent du degré de francisation de leur créole. Et dans cette quête ils recourent à
plusieurs procédés. L’un d’entre eux concerne la pratique purement répétitive sous forme
figée de pans de phrases. Ce qui traduit chez ces locuteurs la reproduction pure et simple
de phrases d’ouvrages et l’incapacité à utiliser le français de manière originale et naturelle
en construisant leurs propres phrases adaptées au sens réel de ce qu’ils veulent dire.
Ces pratiques répétitives, signe d’une faible connaissance du français, se
manifestent également par le non respect des niveaux de langue en français.
En effet, alors qu’ils parlent créole dans des situations de communication de masse
pour la compréhension de tous les Haïtiens indistinctement, ils recourent à la francisation
. Et ce recours à la francisation en parlant créole ne se fait pas (pour comble de malheur)
en utilisant les mots français standards, de la vie de tous les jours, que tous les
francophones de tous les pays utilisent dans les mêmes situations pour dire les mêmes
choses. Ils vont chercher plutôt des mots considérés par eux comme de «gros mots». C’est
du créole truffé de mots du français littéraire, en situation de communication de masse,
destiné à tous les Haïtiens indistinctement. L’essentiel n’est pas de se faire comprendre,
mais d’épater la galerie.
Certains se dépêchent toujours de créer une occasion même dans un contexte non
approprié pour utiliser un terme qu’ils viennent d’entendre. Parce que dans leur esprit si
ce mot vient juste d’arriver à leurs oreilles c’est qu’il est «tout neuf » et pas uniquement
pour eux mais pour tous les autres. Ce que ces locuteurs considèrent dans leur tête comme
des «gros mots » peut correspondre à de multiples cas. Il peut s’agir d’un terme qu’ils
ignoraient et qu’ils viennent juste d’entendre. Cela peut être un terme ayant un niveau
autre que le standard : soutenu, familier, populaire, vulgaire; langage technique, domaine
littéraire etc…
Enfin il peut s’agir d’un terme qui, pour des raisons diverses, commence à tomber en
désuétude. Cette locution «tomber en désuétude» relève du niveau littéraire et est donc
forcément un «gros mot» pour les locuteurs concernés.
Mais à utiliser un terme dont on n’a pas maîtrisé tous les sens possibles, son
niveau d’utilisation (vulgaire, populaire, familier, standard etc…), les différents contextes
situationnels où l’on peut l’utiliser (entre amis, face à un chef hiérarchique …), ses
latitudes et contraintes d’usage ( rapports avec les autres termes de l’énoncé), ses
connotations profondes, etc… on ne peut dire que des «gros mots » ou des «bêtises ».
(Il s’agit ici des sens à la fois créoles et français de ces deux termes).
Un journaliste, pas assez compétent, a entendu de la bouche d’un journaliste
français le mot «boîte » et s’est avisé de l’utiliser sur les ondes, croyant avoir trouvé une
perle pour éblouir le monde. Et, de ce jour, ce terme est devenu à la mode et s’est trouvé
28
utilisé par beaucoup de locuteurs y compris ceux qui théoriquement sont censés connaître
mieux le français que ce journaliste qui l’a initialement utilisé. Est-ce à ce dire que la
mode annihile la compétence ou tout simplement le bon sens?
Est-ce donc leur raisonnement qui boîte à ce point qu’ils ne peuvent qu’emboîter le
pas à tout individu dans sa manière de parler? Sans se poser de questions sur la
compétence de cet individu et la valeur de sa pratique?
Faut-il que n’importe qui fasse école?
Et quelle école!
La formation se réalisant dans une langue non ou mal connue (le français), les
élèves se voient obligés, dans beaucoup de cas, d’ânonner des phrases françaises. Aussi,
sommes-nous en pleine culture de la récitation, du mimétisme. Mais d’un mimétisme
exclusif, à sens unique, bloqué sur la fuite permanente par rapport à toute pratique perçue
comme celle des couches défavorisées.
La dynamique de l’école est double : à la fois éliminer toute capacité de réflexion
par la mise en place de la récitation, du mimétisme comme moyen obligé
«d’apprentissage» ou plutôt de dressage et imposer l’admiration béate, euphorique devant
les formes de culture perçues comme «bourgeoises…? » ou «étrangères…? »
Car le mot «boîte » est utilisé en français populaire (son seul niveau d’utilisation)
pour désigner de manière péjorative (uniquement) une institution qui marche très mal.
Mais à la faveur de cette mode saugrenue de ce terme nous avons entendu certains
Responsables dans des situations tout à fait formelles l’utiliser en parlant de leur propre
institution, celle que justement ils dirigent. «Sòt pa touye w’,… men li fè w’ swe ».
Il est évident que des énoncés prétendument créoles mais faits, en réalité, à partir
du français, de répétitions livresques, de pans de phrases figés, de mots utilisés hors
contexte, à un niveau qui ne cadre pas, ne peuvent que produire un charabia
incompréhensible par ceux-là mêmes qui les émettent.
Se faire valoir, c’est bien. Mais à le faire dans le maniérisme, l’affectation et
l’exagération par la pratique d’un prétendu créole qui n’a plus aucun sens (dans les
multiples sens du terme ...) tout en exhibant de profondes lacunes dans la maîtrise du
français, on obtient l’effet inverse.
Le pire est que tout le monde s’y perd et la personne qui parle, la première; car
étant la première à ne pas se comprendre. Mais qu’à cela ne tienne. L’essentiel étant de se
démarquer de l’analphabète, de ressembler même de loin au «bourgeois » (Eh… quel
29
bourgeois!…), dans un mimétisme grotesque, et de continuer la fuite en avant. Vers où,
s’il vous plait? Vers l’abîme.
Car à entendre parler ces locuteurs scolarisés, et, par influence de ces derniers,
certains locuteurs non scolarisés en orbite d’assimilation, cette fuite en avant
s’accompagne d’une autre fuite exprimée dans leur communication : celle des idées. Mais
elle est symptomatique d’autres fuites : des paysans, des ouvriers, des cadres, des devises
et de la terre vers la mer.
Et le malheur est que, dans tout cela, malgré tout cela, l’on veut que le pays
change. Dans le bon sens, s’entend! C’est-à-dire dans la bonne direction et en utilisant sa
capacité à raisonner, son bon sens. Alors que l’on continue à tuer Dessalines.
Dis-moi comment tu parles, je te dirai qui a tué Dessalines.
30
DI5 – Appréciation des données dans leur évolution
Il nous est difficile dans le cas d’Haïti d’apporter une grande systématicité dans
notre regard sur l’évolution de la pratique du créole et de son statut dans un espace de 25
ans, soit sur la période s’étendant de 1975-76 à 2000-2001. Les données dont nous
disposons étant assez parcellaires.
En effet il ne nous a pas été possible de réaliser de vastes enquêtes permettant de
suivre d’année en année l’évolution de pratiques langagières dans les différents secteurs
de la vie nationale.
L’on peut retenir que le créole, à travers l’évolution d’Haïti, de l’indépendance de
ce pays à nos jours, s’est écarté progressivement du pôle maximal d’indifférence ou de
mépris des couches scolarisées à son égard.
Les mouvements de résistance des années 60 et 70 contre le régime des Duvalier,
de par leurs orientations politiques et idéologiques, manifestant une adhésion au créole,
ont apporté une nouvelle perception de ce dernier devenu langue du militantisme. Il en est
résulté au niveau de la grande majorité des couches scolarisées d’alors la confusion
négative, dans leur esprit, du créole avec le militantisme déviant, dérangeant. Créant ainsi
par rapport à tout défenseur du créole une attitude de vigilance de la part des autorités
policières et de méfiance d’une bonne partie des couches scolarisées. Résultat d’une
convergence objective au niveau des valeurs et des intérêts.
Les démarches engagées officiellement en 1979 dans le cadre d’une réforme
éducative initiée par l’Etat Haïtien auprès de la Chambre Législative n’ont pu obtenir de
cette dernière que “Le créole est permis à l’école”.
Les quelques éléments mentionnés ci-dessus nous permettent de comprendre le
fait, faute de données chiffrées obtenues à partir d’enquêtes, que le créole était peu
présent dans les médias dans les années 80. L’expulsion d’un certain nombre de
journalistes par le régime de Jn. Claude Duvalier en Novembre 80, fait marquant dans la
lutte contre ce gouvernement, éclaire sur la question. Ces journalistes, dans l’ensemble,
dans leur combat, utilisaient le créole à la radio. La pratique de cette langue dans les
médias était loin d’être étendue.
Le départ de Jn. Claude Duvalier le 7 Février 1986 a été vécu dans la liesse
générale comme le point de départ de la libération d’Haïti donc de la parole. Le créole,
dans cette euphorie collective, est devenu, conséquence inévitable dans cette période, la
langue obligée, dans l’espace politique, de tout politicien en herbe ou confirmé même
jusqu’alors réticent voire hostile à l’utilisation de cette langue.
31
Ce phénomène politique a entraîné un essor considérable dans la pratique du créole
et, au niveau de l’espace qui nous concerne spécifiquement ici, celui des médias, une
utilisation très importante de cette langue dans les stations de radios.
La vie sociopolitique haïtienne de 1986 à nos jours a connu de multiples
soubresauts. De l’euphorie collective béate de 1986 à la situation d’aujourd’hui, euphorie
exprimée alors par le slogan “Ayiti Libere”, nous sommes passés à un sentiment global
d’échec collectif et même, pour certains, de désespoir.
Toutefois, au niveau de la pratique du créole dans les médias, l’impulsion du fait
politique de 1986 a eu des effets durables. Puisque nous sommes passés d’un état
d’utilisation nulle (0%) du créole à la radio, du fait que cette langue a été au départ et
pendant près de 150 ans d’histoire pas seulement minorée mais ignorée, à sa présence
dans cet espace correspondant à 28, 29 %. Quant on met ce pourcentage en regard de
celui du français (22, 23 %) pour constater que le créole à la radio a même sur ce dernier
une avance de 6,06 %, l’on ne peut s’empêcher, au regard de la situation de départ, de
qualifier ce fait d’historique.
L’on est cependant tenté, à cette phase de considérations sur la problématique, de
se souvenir d’un fait. L’euphorie provoquée par le départ de J. C. Duvalier avait entraîné
en Février 1986 toutes sortes de réactions cathartiques qu’on a désignées dans sa forme
matérielle et destructrice du vocable “déchoucage”. Et l’on se souvient qu’il y a eu, de la
part de certains (directeurs d’écoles ou enseignants ou élèves…?), destruction d’ouvrages
en créoles élaborés et utilisés dans le cadre de la réforme éducative initiée en 1979.
Cet aspect des évènements intervient comme interface politique de l’autre angle
d’éclairage présenté plus haut dans son aspect langagier: celui de comprendre l’essor du
créole à la radio non pas seulement du point de vue de son fort pourcentage mais
également sous l’éclairage du degré de décréolisation.
En effet il ne faut pas oublier que la réforme éducative initiée en 1979 s’est vu
occulter tous ses aspects positifs face à un système traditionnel obsolète, improductif et
sous-développementiste sur la seule base de son utilisation du créole dans les écoles. Et il
en est résulté le rejet de ce projet par la quasi-totalité des scolarisés.
Il s’agit donc de constater, dans la compréhension de l’évolution des pratiques
langagières en Haïti, que, par rapport au fort taux de présence du créole à la radio, il ne
s’agit pas d’un mouvement rectiligne mais onduleux.
Le phénomène de décréolisation, tel que présenté par les énoncés, connaît lui aussi
un essor sans précédent. Il pénètre de plus en plus les structures du créole basilectal tout
en le diluant. Les énoncés deviennent de moins en moins basilectaux. Et dans le même
32
temps il opère une expansion de plus en plus large au sein des couches non scolarisées
unilingues.
Le fait de l’écrit s’impose aussi comme un élément majeur dans la compréhension
de la problématique.
33
DII – Pratique Ecrite
DII1 - Données
LE Nouvelliste (3 mois..)
Articles Annonces / Avis Publicités
96.33%
97.7%
Français 98.64%
0.22%
0.062%
1.47%
Créole
1.12%
3.54%
0.82%
Anglais
0%
0.062%
0%
Espagnol
34
LE Matin (3 mois..)
Articles
Français 98.95%
0%
Créole
1.04%
Anglais
0%
Espagnol
Annonces/ Avis
100%
0%
0%
0%
Publicités
99.67%
0%
0.003%
0%
35
Haïti-Progrès (3 mois..)
Articles
Français 75.62%
21.06%
Créole
3.31%
Anglais
0%
Espagnol
Annonces / Avis Publicités
94.73%
64.8%
4.21%
4.93%
1.05%
30.25%
0%
0%
36
Haïti-Observateur (3 mois..)
Articles
72.9%
Français
3.9%
Créole
23.2%
Anglais
0%
Espagnol
Annonces / Avis Publicités
57.5%
57.88%
1.25%
0.5%
41.25%
41.62%
0%
0%
37
Haïti en marche (3 mois..)
Articles
Français
Créole
Anglais
Espagnol
87.24%
11.72%
1.034%
0%
Annonces/ Avis
63.63%
23.96%
12.4%
0%
Publicités
85.97%
2.98%
11.04%
0%
38
Bilan des 5 périodiques
Le Nouvelliste, Le Matin, Haïti en Marche, Haïti-Progrès, Haïti Observateur
Période : Trois mois
Articles
Français 91.18%
5.18%
Créole
3.63%
Anglais
Espagnol 0 %
Annonces / Avis
92.43%
1.44%
6.08%
0.035%
Publicités
86.54%
1.90%
11.55%
0%
39
DII2
Commentaires :
Les enquêtes ont été menées sur deux quotidiens édités en Haïti: Le Nouvelliste
tiré à x exemplaires et le Matin tiré à x , et sur 3 hebdomadaires édités aux U.S.A. Il s’agit
de: Haïti-Progrès, Haïti-Observateur et Haïti en Marche. Le premier est tiré à x
exemplaires, le 2ème à x et le 3ème à x.
L’on peut constater, par les pourcentages, que l’espagnol est quasiment absent.
L’anglais est présent à un taux très faible dans les quotidiens édités en Haïti (de 0,03 % à
3,54 %). Par contre cette langue atteint des pourcentages plus élevés dans les
Hebdomadaires édités aux USA et distribués en Haïti, le maximum étant 41,62% pour les
publicités. A retenir que le pourcentage est globalement moins élevé pour les articles et
plus élevé pour les annonces et la publicité.
En considérant les 5 journaux dans leur ensemble l’on peut poser les constats
suivants:
.
Le pourcentage de créole est un peu plus élevé que celui de l’anglais dans les
articles avec une différence de 1,55 % (5,18 - 3,63) alors que c’est le contraire pour les
annonces et publicités avec une différence en faveur de l’anglais qui oscille entre 4,64%
et 9,65% ( annonces et publicités confondues).
. Enfin le poids du français à l’écrit est écrasant. La différence entre le français et
le créole étant de 86 % pour les articles, 90,99% pour les annonces et de 84,64 % pour les
publicités. Celle du français par rapport à l’anglais étant respectivement de 87,55 %,
86,35 % et 74,99 %.
A considérer, concernant le pourcentage d’anglais, que les 3 hebdomadaires sont
édités aux USA et s’adressent à un public vivant dans ce pays.
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E- Conclusion
Les dernières 25 années ont été témoin d’une dynamique inédite dans le combat
pour l’avancement des langues créoles. Il est important de saluer, à travers cette
conjugaison d’efforts à l’échelle internationale, le travail considérable réalisé par Jean
Bernabé et ses collaborateurs au sein du GEREC.
Aujourd’hui, au regard de la situation haïtienne, s’il faut reconnaître la progression
appréciable de l’Indépendance à nos jours du créole au niveau de l’oral, l’on ne peut
s’empêcher de constater que le problème de l’exclusion de cette langue au niveau de
l’écrit, ou de l’omniprésence du français (quelque peu entamée par l’anglais) dans cet
espace, demeure quasiment intact. A part quelques tentatives mineures le seul mensuel
écrit uniquement en créole demeure “BON NOUVÈL” et qui a préexisté aux années 70.
L’étude de l’évolution des langues dans le monde nous apprend que celles qui se
sont imposées l’ont fait à travers l’écrit. La récupération de ce code, par les forces
dominantes en a toujours fait, au détriment de l’oral, l’instrument exclusif du “sacré” et
du “noble”.
Et le créole n’a pas encore accès à ce temple.
Les données obtenues, quoique très partielles, indiquent que malgré tous les efforts
engagés pour insérer le créole dans le monde de l’écrit: (réforme éducative,
officialisation, recherches, formation académique, production littéraire etc…) les résultats
sont non concluants. Davantage que sur le terrain de l’oral, dont on a vu les avancées, et
sans détourner son attention du phénomène de décréolisation galopante, c’est sur celui de
l’écrit que l’on doit porter le combat. Qui doit s’engager principalement au niveau du
système éducatif, formel, lieu privilégié de la reproduction des valeurs. Sans préjuger de
la nécessaire articulation entre le niveau de la superstructure ou de l’idéologie (statut du
créole et autres faits culturels à valoriser dans une mise en regard des approches endogène
et exogène) et celui de l’infrastructure, c’est-à-dire celui d’une bataille économique dans
ses rapports avec les orientations sociales et politiques et stratégiquement menée à partir
des nouvelles exigences de la mondialisation. Il s’agit, en termes de démarches pratiques
ou d’applications des orientations, d’envisager l’intégration du créole, à l’instar du
français et, de plus en plus, de l’anglais, comme support langagier dans tous les
mécanismes et circuits de production: technologique, littéraire, artistique, financier etc…
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F- NOTES
1 – De toute la littérature existant sur ce sujet un nombre important de travaux a été publié
aux éditions Maspéro. L’on peut retenir à titre d’exemples :
P. Nizan : Les chiens de garde
W. Abendroth : Histoire du mouvement ouvrier en Europe
P. Jalée : Le pillage du Tiers-Monde
P. Jalée : L’Impérialisme en 1970
D. Guerin : Le mouvement ouvrier aux Etats-Unis
F. Fanon : Sociologie d’une révolution
R. Debray : Révolution dans la révolution
N. Poulantzas : Pouvoir politique et classes sociales
C. Freinet : Pour l’école du peuple
M. Lowy : La pensée de Cheguevara
Voir également les travaux de Herbert. MARCUSE
2 – L’on peut citer à titre d’exemples les ouvrages suivants :
O. DUCROT : Le structuralisme en linguistique, Seuil, 1968
J-L HOUDEBINE: Langage et Marxisme, Klincksieck, 1977
C. LEVY-STRAUSS : Anthropologie structurale, Plon, 1958 et 1974
G. LEPSCHY : La linguistique structurale, Paris, 1967
B.L. WHORP : Linguistique et Anthropologie, Denoël, 1969
Voir en Linguistique les travaux de : Saussure, Troubetzkoy, Martinet, Bloomfield,
Chomsky, Benveniste, Barthes, Jakobson, Harris, Tesnières, Culioli etc…
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Voir en Anthropologie, Sociologie et Ethnologie les travaux de : Auzias, Balandier,
bastide, Benedict, Durheim Calame-Griaule, Devreux, Kardiner, Linton, Malinowsky,
Mauss, Mead, Parsons, Sapir etc…
3- Sur la Philologie, la Grammaire comparée voir les travaux de: BOPP, GRIMM,
HJEMSLEV, BENVENISTE, GREENBERG, MARTINET, MEILLET, SAUSSURE,
SWADESH etc…
4- Voir sur cet aspect
J. Du Bellay: Défense et illustration de la langue française
Condillac: traité des sensations, paris 1754
Court de Gébelin: Histoire Naturelle de la Parole, Paris 1776
J.P. Faye: Langages totalitaires, Paris 1972
L. Fèvre: Civilisation, le mot et l’idée, Paris 1930
de Gobineau: Essai sur l’inégalité des races humaines
C.-G. Dubois: Mythe et langage au 16è siècle
Arnaud et Lancelot: Grammaire Générale et Raisonnée de Port Royal
H. Gabard : L’aliénation linguistique Flammarion, 1976, Paris
Y. Turin: Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale, Paris, 1971
E. Nasson: les Bretons et le Socialisme
R. Laffont: Clefs pour l’Occitanie, Paris 1971
Kashamura: Culture et aliénation en Afrique, Paris 1971
M. Houis: Anthropologie linguistique de l’Afrique Noire, Paris 1971
D. Bébel-Gisler: La langue créole, force jugulée, l’Harmattan, 1976
M. Condé: La civilisation du Bossale, l’Harmattan, 1978
L. J. Calvert : Linguistique et Colonialisme Payot, Paris 1974
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5- Voir notamment les travaux réalisés au CNRS sur les langues d’Afrique Noire par
l’équipe de Jacqueline Thomas et Luc Bouquiaux
6- L’on peut citer les noms suivants:
J. Bernabé, G. Hazaël-Massieux , H. Pouillet, V. Hookoomsing, J-R. Cadely, A,
Whittaker, D. C. Paig, M. Alleyne, L. Carrington, P. Vernet, D. Colat-Joliviere, Denis
Salomon etc…
7- Voir: R. Damoiseau, A. Bentolila, H. Tourneux, Gilles Lefèvre, Robert Fournier, etc…
8- Etudes créoles, Comité International des Etudes Créoles, 13 volumes, 26 numéros
publiés de 1978 à 1990
9- Voir les 9 numéros d’Espace Créole publiés entre 1976 et 1999
• Voir les travaux “Etudes Créoles” indiqués en 9
• Voir les travaux (ouvrages et articles) publié par tous les linguistes créolistes dans
d’autres cadres
• Voir le texte de Confiant et Chamoiseau; Eloge de la créolité
• Voir le texte de Bernabé et Confiant: Charte Culturelle créole
• Voir la production en créole d’auteurs comme Frankétienne, Confiant, Pauris Jn.
Baptiste, J. Mapou etc…
10- J. Bernabé: Propositions pour un code orthographique intégré des créoles à base
lexicale française, Espace créole no. 1, Ed. GEREC, 1976
• Bentolila, Ch. Alexandre, P. Nougayrol, H. Tourneux, P. Vernet: Dictionnaire
élémentaire créole Haïtien-Français, Hatier, Paris, 1976
• P. Vernet: Alphabétisation en Haïti: Aspect linguistique, Espace Créole no. 4, éd.
GEREC, 1979-1980
• P. Vernet: Techniques d’écriture du créole Haïtien, Le Natal, 1980
11- Voir; Bourdieu et Passeron: les héritiers, Editions Minuit, Paris
• Meister: Alphabétisation et développement, Paris 1973
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• Les travaux de l’Unesco sur les systèmes éducatifs
• Les travaux de Piaget: le langage et la pensée chez l’enfant, Délachaux et Niestlé 1945
• Les travaux de Bouvier, Bresson, Fraisse, Ineldher, Luria, Miller, Osgood etc...
12- R. Chaudenson et P. Vernet : Etude comparée des systèmes éducatifs en Haïti et aux
Seychelles, ERA 583 du CNRS, ACCT, Paris 1983
13- Communiqué du Ministère de l’Education Nationale officialisant l’orthographe du
créole haïtien, MENJS, 1979
14- Constitution de la République d’Haïti, 29 Mars 1987, Imprimerie Deschamps, Portau-Prince, 1996
Voir le texte du CAPES créole
15- Cette démarche rejoint l’approche de Jean Bernabé formulée en termes de Déviance
maximale.
16- Voir les travaux de R. Damoiseau sur la contrastive à partir du créole haïtien et du
Français, notamment :
R. Damoiseau : Recherche sur les notions de temps d’aspect en créole haïtien et en
Français : Application à l’enseignement du français. Faculté de Linguistique Appliquée,
Université d’Etat d’Haïti, 1989.
17- H. Walter : L’aventure des langues en occident, Laffont, Paris, 1994
18- J. Bernabé : Recherche sur le créole spécifique. La désignation du corps humain,
Espace Créole, No2, 1977 édition GEREC, Centre Universitaire Antilles-Guyane
P. Vernet : Problématique de la recherche terminologique en Haïti. Terminologies
Nouvelles, No 3. Actes du Colloque : Harmonisation des méthodes en Terminologies,
Réseau International de Néologie et de Terminologie, Juin 1990
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