Sexologies (2011) 20, 188—192 ARTICLE ORIGINAL Qualité de vie sexuelle chez les personnes vivant avec le VIH夽 M. El Fane (MD) a,∗, R. Bensghir (MD) a, S. Sbai (MD) b, A. Chakib (MD) a, N. Kadiri (MD) b, A. Ayouch (PhD) a, H. Himmich (MD) a a b Service des maladies infectieuses, CHU Ibn Rochd, quartier des hôpitaux, Casablanca 20100, Maroc Centre psychiatrique universitaire, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc Disponible sur Internet le 10 mars 2011 MOTS CLÉS Sexualité ; Infection à VIH ; PVVIH ; Trouble sexuel ; Prévention Résumé L’infection à VIH touche les personnes dans leur intimité. Notamment transmis par voie sexuelle, le virus envahit brusquement la conscience et l’inconscience des personnes séropositives. Il marque de son empreinte toute leur vie. Depuis l’avènement des thérapies antirétrovirales et l’allongement de l’espérance de vie, la qualité de vie sexuelle et affective est une préoccupation pour les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) et pour les soignants. Le but de notre travail est d’identifier les troubles rencontrés chez les PVVIH et de déterminer les facteurs influençant leur sexualité. Un échantillon de 134 patients séropositifs vivant avec le VIH, suivis au service des maladies infectieuses du centre hospitalo-universitaire Ibn Rochd de Casablanca a été recruté. Un questionnaire préétabli par les auteurs a permis d’identifier les caractéristiques sociodémographiques, ainsi que des renseignements concernant l’infection à VIH, la sexualité et la prévention de la transmission du VIH. Le diagnostic des troubles sexuels a été fait selon les critères du DSM-IV. Soixante quatre pour cent des hommes inclus affirment ne pas avoir une activité sexuelle satisfaisante et 80 % rapportent des troubles sexuels, notamment un dysfonctionnement érectile ; 70 % des patientes affirment ne pas avoir une activité sexuelle satisfaisante, 69 % rapportent des troubles sexuels, notamment une baisse de la libido, une anorgasmie et une dyspareunie ; 63 % des personnes interviewées utilisent systématiquement le préservatif lors des rapports sexuels. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Introduction DOI de l’article original : 10.1016/j.sexol.2010.12.007. This issue also includes an English version: El Fane M, Bensghir R, Sbai S, Chakib A, Kadiri N, Ayouch A, Himmich H. Quality of sexual life for people living with HIV (PLWHA). ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M.E. Fane). 夽 La qualité de vie sexuelle des personnes séropositives n’a reçu aucune attention pendant une longue période de l’épidémie et ce en partie à cause de l’espérance de vie qui était courte. Il a fallu attendre l’arrivée des thérapies antirétrovirales hautement efficaces pour que la question 1158-1360/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.sexol.2010.12.006 Qualité de vie sexuelle chez les personnes vivant avec le VIH de la sexualité des personnes séropositives surgisse dans les thèmes de recherche en sciences sociales et comportementales (Troussier et Tourette-Turgis, 2006). Depuis le début des années 1980, les conceptions de la sexualité des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) ont beaucoup changé. Dans les premières publications sur ce thème, toute relation sexuelle, même protégée par un préservatif, était fortement déconseillée (Kaplan et al., 1985). Actuellement, la qualité de vie est nettement meilleure, l’espérance de vie est beaucoup plus longue, voire équivalente à celle d’une personne séronégative ; de plus en plus de chercheurs s’intéressent à la qualité de vie des PVVIH et soulignent l’intérêt d’offrir une prise en charge plus globale (Kaplan et al., 1985). Le but de notre travail est d’évaluer la prévalence des troubles sexuels, ainsi que l’impact de l’infection à VIH sur la qualité de vie sexuelle des PVVIH suivies au service des maladies infectieuses du centre hospitalo-universitaire Ibn Rochd de Casablanca. 189 patients étaient sans travail et 39 % analphabètes. Quatrevingt-huit patients (66 %) vivaient avec leurs parents ou en couple. Résultats liés à l’infection à VIH La durée moyenne de suivi était de soixante mois (1—12 ans). Soixante patients (48 %) étaient au stade C de l’infection à VIH. Cent sept patients (80 %) étaient sous thérapie antirétrovirale et 80 % avaient une charge virale indétectable. Résultats liés à l’addiction L’addiction au tabac est rapportée surtout par les hommes, dans 73 % des cas et celle à l’alcool dans 16 % des cas ; 41 % des femmes avaient un partenaire sexuel stable contre 47 % des hommes. Patients et méthodes La population Cent trente-quatre patients séropositifs pour le VIH suivis au service des maladies infectieuses du centre hospitalouniversitaire Ibn Rochd de Casablanca ont accepté de participer à notre étude. Les critères d’inclusion Patients ayant un âge compris entre 18 et 60 ans, infectés par le VIH, ayant consulté à l’hôpital de jour et qui ont accepté de répondre oralement à un questionnaire. Les patients suivis pour une maladie psychiatrique sévère (psychose) ou une déficience mentale ont été exclus de notre étude. Moyens d’évaluation Un questionnaire préétabli par les auteurs a permis d’identifier les caractéristiques sociodémographiques, ainsi que des renseignements concernant l’infection à VIH, la sexualité et la prévention du VIH. Le diagnostic des troubles sexuels est fait selon les critères du DSM-IV. Analyse statistique La saisie et l’analyse des données sont effectuées en utilisant le SPSS. Résultats Caractéristiques sociodémographiques La moyenne d’âge était de 38 ans (18—60 ans) avec une légère prédominance féminine (54 %). Soixante-huit (51 %) Résultats liés à la sexualité Quatre-vingt-quatre patients de notre étude (70 %) ont annoncé leur séropositivité à leurs partenaires. Toutes les femmes qui ont maintenu une activité sexuelle ont des rapports hétérosexuels et 14,51 % des hommes avaient des relations sexuelles avec d’autres hommes. La sérologie du partenaire était inconnue dans la majorité des cas (65 % des cas), alors qu’elle était connue dans 35 % des cas : positive dans 16 % des cas et négative dans 19 % des cas. Une activité sexuelle était maintenue par 56 % des femmes et 58 % des hommes. Quatre-vingt-quatorze patients soit 70 % affirment ne pas avoir une activité sexuelle satisfaisante (Tableau 1). Quarante-deux pour cent des hommes rapportent l’abstinence sexuelle, liée principalement aux croyances religieuses et à un sentiment de culpabilité. Les troubles sexuels ont été dominés par les troubles de l’éjaculation (18 %) et de l’érection (17 %) qui étaient rapportées à l’asthénie physique liée à l’infection à VIH et à la peur de contaminer le partenaire (Tableau 2). Cinquante femmes (68 %) rapportent des troubles sexuels notamment l’abstinence sexuelle, notée dans 44 % des cas qui était liée aux croyances religieuses dans 28 % des cas et au sentiment de culpabilité dans 17 % des cas. Les autres troubles étaient représentés par le trouble du désir (23 %), suivi par la dyspareunie (12 %). Ces troubles étaient rapportés essentiellement au fait que la sexualité leur rappelle la maladie et à la peur de contaminer leur partenaire (Tableau 3). Ces troubles existaient avant le diagnostic dans seulement 8 % des cas. Vingt femmes (30 %) affirment que leurs troubles se sont améliorés après le démarrage du traitement antirétroviral contre six patients (10 %) hommes. Soixante-dix-neuf patients (59 %) utilisent systématiquement le préservatif lors des rapports sexuels. Le sujet de la sexualité a été abordé par le médecin traitant dans 45 % des cas, par les éducateurs thérapeutiques dans 50 % des cas et par la psychologue et le psychiatre dans 30 % des cas. 190 Tableau 1 M.E. Fane et al. Résultats liés à la sexualité. Femme Nombre % Homme Nombre % Partenaire Unique Sans Multiple 29 29 14 40,27 40,27 19 29 22 10 47 36 17 Orientation sexuelle Hétérosexuel Homosexuel Bisexuel 72 0 0 100 0 0 53 4 5 85,48 6,45 8,06 Statut sérologique du partenaire Négative Positive 12 9 17 12 14 12 22 20 Maintien d’une activité sexuelle 40 56 36 58 Satisfaction sexuelle 22 30 22 36 Trouble sexuel actuel 50 69 50 80 Trouble sexuel avant le diagnostic 5 7 6 10 Amélioration des troubles sexuels après ARV 22 30 6 10 Prévention secondaire Systématique Discontinue 41 21 66 34 38 24 61,29 38,71 Tableau 2 Troubles sexuels chez les femmes. Troubles Nombre % Raisons % Abstinence sexuelle 32 44 16 8 6 6 22,22 11,11 8,33 8,33 Interdit religieux Sentiment de culpabilité Peur de contaminer le partenaire Difficulté à trouver un partenaire La sexualité rappelle la maladie Peur de contaminer le partenaire Utilisation du préservatif Précarité Hostilité envers le partenaire 28 17 10 8 21 18 16 10 10 Autres Trouble de désir Dyspareunie Absence de plaisir Absence d’orgasme Tableau 3 Troubles sexuels chez les hommes. Troubles Nombre % Raisons % Abstinence sexuelle 26 42 11 11 9 18 17 15 Interdit religieux Sentiment de culpabilité Peur de contaminer le partenaire Asthénie physique liée au VIH Peur de contaminer le partenaire La sexualité rappelle la maladie Utilisation du préservatif 25 10 5 20 18 10 5 Autres Trouble d’éjaculation Trouble érectile Trouble désir Discussion L’infection à VIH est une maladie chronique affectant tous les domaines de la vie individuelle et sociale, que ce soit par le retentissement physique et psychologique de la maladie, la vie affective et sexuelle, par les difficultés de l’insertion sociale et professionnelle (Préaua et Morina, 2005). La sexualité des PVVIH, confrontés aux contraintes d’une maladie grave, de son traitement et aux risques de transmission et d’exclusion est fortement perturbée Qualité de vie sexuelle chez les personnes vivant avec le VIH 191 Tableau 4 Prévalence des troubles sexuels selon les études (Lallemand et al., 2002 ; Lert et al., 2004 ; Troussier et TouretteTurgis, 2006). Activité sexuelle maintenue Trouble sexuel actuel Trouble sexuel avant le diagnostic Trouble sexuel avant la trithérapie Lallemand (%) Lert (%) Notre série (%) — 71 18 32 60 35- 44 — — 57— 75 9 — comme l’a montré l’enquête VESPA (Schiltz et al., 2006). Les premières études publiées sur la sexualité et la séropositivité montrent que la séropositivité affecte la vie sexuelle des personnes séropositives, avec des difficultés d’annoncer le statut sérologique au partenaire. Quatrevingt-quatre patients de notre étude (70 %) ont annoncé leur séropositivité à leurs partenaires. Dans notre étude, 64 % des hommes affirment ne pas avoir une activité sexuelle satisfaisante et 80 % rapportent des troubles sexuels notamment le dysfonctionnement érectile. Une étude conduite en France (Lallemand et al., 2002) auprès de 156 patients de sexe masculin sous traitement antirétroviral, montre que 71 % rapportent des troubles sexuels (perte de libido, troubles de l’érection, difficultés lors de l’orgasme) sachant que 18 % d’entre eux avaient déjà ce problème avant de connaître leur séropositivité et 32,4 % avant la prise d’un traitement antirétroviral. Ce qui concorde avec nos résultats (Tableau 4). Dans l’enquête Vespa (Lert et al., 2004) conduite en France, 35 à 44 % des personnes séropositives sous traitement déclarent avoir des troubles de la sexualité. Soixante pour cent déclarent avoir des relations sexuelles avec un partenaire ou une partenaire stable, parmi lesquelles 32 à 45 % disent avoir eu des ruptures de prévention. Dans la littérature, il y a très peu de données concernant la sexualité des femmes vivant avec le VIH (Luzi et Guaraldi, 2009). Les femmes consultent principalement autour du désir d’enfant, peu de consultations concernent la sexualité et le désir (Rochet, 2006). Une étude anglaise (Keegan et al., 2005) auprès de 21 femmes séropositives démontre l’impact négatif de la séropositivité sur la qualité de leur vie sexuelle (baisse de libido, réduction du plaisir sexuel, difficultés à trouver des partenaires, ainsi qu’en matière de prévention (difficultés à négocier l’usage du préservatif, peur du rejet si elles informent leurs partenaires de leur statut sérologique). D’autres études ont trouvé que 63,4 % des femmes vivant avec le VIH déclarent que leurs pratiques sexuelles ont changé, 74,6 % affirment que leur vie intime est globalement moins satisfaisante et la moitié des femmes séropositives ont une vie sexuelle peu ou pas active. Dans notre étude, 70,5 % des patientes affirment ne pas avoir une activité sexuelle satisfaisante et 69 % rapportent des troubles sexuels, notamment baisse de la libido, anorgasmie et dyspareunie. Les résultats de notre étude sont relativement élevés par rapport aux études menées dans les pays occidentaux, cette légère augmentation est probablement liée à des considérations religieuses et sociales qui interdisent toute relation sexuelle hors du mariage. Les troubles sexuels peuvent être engendrés par l’impact psychologique du caractère sexuellement transmissible du VIH (culpabilité, peur de contaminer), par la baisse du taux de certaines hormones, par une dépression, ou par les traitements. De possibles carences en vitamines et minéraux peuvent aggraver la situation (Guaraldi, 2007). Les troubles sont plus importants chez les personnes traitées quel que soit la combinaison (Lallemand, 2002). Les troubles érectiles sont plus fréquents chez les hommes traités par les inhibiteurs de protéase (Moreno-Perez, 2010). L’impact des traitements antirétroviraux dans ces dysfonctions serait plutôt lié aux effets indésirables globaux et au stress que peut représenter la prise de médicaments (Lallemand, 2002). D’autres études ont montré que les changements corporels sont les déterminants majeurs des dysfonctionnements sexuels chez les PVVIH (Luzi et Guaraldi, 2009). Dans notre étude, 73 % des patients hommes ont une addiction actuelle au tabac, et 16,3 % à l’alcool ce qui peut expliquer le taux élevés des troubles sexuels car les fumeurs ont quatre fois plus de risques de devenir « impuissants » que les non-fumeurs. En plus l’alcool provoque une carence en vitamines B et une chute du taux de testostérone qui est nécessaires à la sexualité (Kaplan et al., 1985). Les messages de prévention mettent l’accent sur les risques d’infection (ou de surinfection) associés à l’activité sexuelle et recommandent l’utilisation systématique de préservatifs. Parmi les femmes séropositives, 42 % déclarent des rapports non protégés avec le partenaire stable et 29 % des rapports non protégés avec des partenaires occasionnels. Parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, 40 % déclarent des rapports non protégés avec le partenaire stable et 23 % des rapports non protégés avec des partenaires occasionnels (Lert et al., 2004). Une étude conduite en Californie auprès de 145 couples hétérosexuels sérodiscordants montre que 45 % de ces couples déclarent avoir eu des relations sexuelles vaginales ou anales non protégées au cours des derniers six mois (Buchacz et al., 2001). Dans notre étude 59 % des inclus seulement utilisent systématiquement le préservatif lors des rapports sexuels : le recours systématique au préservatif est souvent vécu comme une limitation frustrante de la spontanéité et de la fantaisie dans les rapports sexuels, ce qui constitue un grand problème en terme de prévention. Conclusion Cette étude témoigne de l’importance des troubles sexuels chez les PVVIH. Dans le cadre de la prise en charge globale de ces patients, les cliniciens doivent explorer/interroger leurs patients quant à leur vie affective et sexuelle. L’existence 192 de troubles sexuels qu’ils soient ou non liés au VIH doit être prise en considération par les soignants afin de réduire leur impact négatif aussi bien sur la qualité de vie des patients que sur leurs conduites de prévention. Conflit d’intérêt Aucun. Références Buchacz K, Van der Straten A, Saul J, Shiboski SC. 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