Actualité | Déflation FAUT-IL VRAIMENT CRAINDRE LA DÉFLATION ? Après avoir longtemps craint une hausse spectaculaire de l’inflation suite aux injections de liquidités de la Banque centrale européenne, certains analystes redoutent désormais le scénario inverse : une spirale déflationniste. Ces craintes sont-elles fondées ? L’inflation a sérieusement ralenti dans la zone euro et n’atteignait plus que 0,7% en variation annuelle en janvier 2014. Une chute générale des prix serait une véritable catastrophe. Pourtant, les marchés restent confiants. Personne ne peut imaginer que la BCE laisse la zone euro s’engouffrer dans une spirale déflationniste. Deux experts nous livrent leur analyse : Bruno Colmant et Ulrich Stephan. Quelles sont les caractéristiques d’un scénario déflationniste ? Bruno Colmant : « Dans une spirale déflationniste, comme les prix baissent, les ménages reportent leurs achats. Pourquoi acheter aujourd’hui ce qui coûtera moins cher dans quelques mois ? Cet En quelques mois, les craintes d’inflation dans la zone euro ont laissé place à des craintes de déflation. Comment en sommes-nous arrivés là ? Bruno Colmant, professeur de finance à l’Université Catholique de Louvain et à la Vlerick Management School et membre de l’Académie royale de Belgique : « C’est le résultat d’une politique monétaire et budgétaire trop restrictive. Alors qu’un peu d’inflation aurait pu aider à sortir la zone euro de la calcification économique, la BCE a préféré suivre la logique allemande basée sur la rigueur et l’austérité. Aujourd’hui, la plupart des indicateurs montrent que l’inflation dans la zone euro ne dépassera plus un niveau de 1,4% au cours des trois ou quatre prochaines années. Je rappelle que la déflation n’est pas forcément une inflation négative. Un scénario de très faible inflation est également considéré comme déflationniste. C’est celui auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Ceux qui craignent d’ailleurs la déflation reconnaissent qu’il eut fallu plus d’inflation, comme la plupart des économistes anglo-saxons l’avaient préconisé. J’ai cette conviction de nécessité ­d’inflation depuis plusieurs années. » 14 Bruno Colmant de désendettement de l’économie. Les banques ont vendu de nombreux actifs, ce qui a eu comme effet de creuser la spirale déflationniste encore plus profondément. Le gouvernement a tout essayé pour relancer la machine, notamment de nombreuses baisses d’impôts qui n’ont pas eu l’effet escompté. Le Japon s’est finalement décidé à créer de l’inflation pour inverser la tendance : la banque centrale rachète massivement des obligations d’Etat et des obligations privées. Le Japon devrait renouer avec une inflation de l’ordre de 2% cette année et espère ainsi se remettre sur les rails. » En cas de hausse de l’inflation, ce sont les rentiers qui passent à la caisse puisque leurs revenus augmentent moins vite que le coût de la vie. Ces mêmes rentiers pourraientils donc profiter d’une d ­ éflation ? Bruno Colmant : « Oui, par un effet mécanique. Mais cet avantage ne vaut « Dans une déflation, tout le monde est perdant » attentisme fait chuter la consommation et la ­production, ce qui provoque une hausse du chômage. C’est dès lors toute l’économie qui tourne au ralenti. La seule méthode pour sortir de cette spirale, c’est de faire tourner la planche à billets. » On cite souvent l’exemple du Japon, en situation de déflation depuis plus de 20 ans… Bruno Colmant : « En 1990, le Japon a été confronté à une chute brutale des prix de l’immobilier et des cours du Nikkei, l’indice de la Bourse de Tokyo. Le pays s’est alors lancé dans une vaste campagne que dans un premier temps. En réalité, dès que les effets de la déflation se font sentir au niveau de l’activité économique, le mouvement de ralentissement affecte tout le monde, même les investisseurs. Ainsi, en 1990, l’indice Nikkei flirtait avec les 40.000 points ; alors qu’il tourne aujourd’hui autour des 15.000 points… D’un autre côté, les emprunteurs s’appauvrissent également en cas de déflation, puisqu’en termes réels, le poids de leur dette augmente en comparaison au coût de la vie. Autrement dit, dans une déflation, tout le monde est perdant. » Prévoyez-vous un scénario déflationniste pour la zone euro ? Ulrich Stephan, Global Chief Investment Officer - Private & Business Clients Division, Deutsche Bank: « A court terme, le risque de déflation nous semble plus élevé que le risque d’inflation. Les prix du pétrole et de l’alimentation, qui sont les principaux responsables de la chute récente de l’inflation, risquent de continuer à baisser au cours de l’été et de l’automne. Néanmoins, nous ne prévoyons pas de scénario à la japonaise pour la zone euro. La BCE garde en effet un œil très attentif sur l’évolution des prix et interviendra dès que ce sera nécessaire. De plus, les anticipations d’inflation sont toujours positives. » Ulrich Stephan « Pas de scénario à la japonaise pour la zone euro » Quelles sont les armes dont dispose la BCE pour contrer la déflation ? Ulrich Stephan : « Elles sont nombreuses. On peut d’abord penser à un programme d’assouplissement quantitatif (QE pour Quantitative Easing) semblable à celui mis en œuvre par la Fed aux Etats-Unis. Il s’agirait d’acheter des obligations d’Etat suivant la contribution des pays membres au capital de la BCE. Elle pourrait même également acquérir des titres adossés à des actifs. Ensuite, la BCE peut toujours baisser ses taux, voire appliquer des taux négatifs sur les dépôts, bien que cette dernière mesure semble difficile à faire passer en Allemagne. Enfin, même si cela me paraît peu probable, un nouveau ­programme de type LTRO (long-term refinancing ­operation) peut également s’envisager : il s’agit de prêts à long terme et à très faible taux d’intérêt accordés par la BCE aux banques de la zone euro. » Indice Nikkei de la Bourse de Tokyo (1987-2013) 45000 40000 Pensez-vous que l’Europe risque de plonger dans une spirale déflationniste ? Bruno Colmant : « Je n’y crois pas beaucoup, à moins que nous ne soyons dirigés par des aveugles. Une spirale déflationniste est une situation tellement grave que la BCE fera tout ce qui est nécessaire pour l’éviter. Sortir d’une déflation est presque aussi difficile que vouloir réveiller un mort. Je pense donc que nous verrons assez rapidement des interventions de la BCE sous la forme de mesures non-conventionnelles. Je pense par exemple à des taux négatifs sur les dépôts des banques ou à l’octroi de crédits pour stimuler la création de masse monétaire. En tout cas, ce débat montre que l’inflation est nécessaire pour assurer la bonne santé de l’économie, car elle pousse à la consommation. Or, sans consommation, c’est toute la machine qui s’arrête. » 35000 30000 25000 20000 15000 10000 5000 0 11/1987 11/1989 11/1991 11/1993 11/1995 11/1997 11/1999 11/2001 11/2003 11/2005 11/2007 11/2009 11/2011 11/2013 Indice des prix à la consommation au Japon (1989-2012) 5 4 3 2 1 0 -1 -2 -3 02/1989 09/1990 04/1992 11/1993 06/1995 01/1997 08/1998 03/2000 10/2001 05/2003 12/2004 07/2006 02/2008 09/2009 04/2011 11/2012 15