RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 84 - MARS 2006
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Lorsque nous demandons aux infirmières de
décrire leur activité, très souvent elles énumèrent
une liste de tâches. Mais, lorsque nous demandons
à ces mêmes infirmières d’expliquer pourquoi elles
ont choisi de réaliser ces soins à ce malade et de
cette manière là, elles verbalisent le sens qui a sou-
tenu ce choix, c’est ce qu’on appelle le raisonne-
ment en terme d’opération mentale.
Ce raisonnement est trop souvent implicite, per-
sonnel à chaque infirmière. Il doit évoluer vers un
mode de raisonnement collectif, fondement d’un
consensus professionnel.
Le jugement clinique est une faculté indispensable
dans la pratique infirmière; il s’acquiert et se déve-
loppe avec l’expérience professionnelle. Le déve-
loppement des connaissances par l’expérience est
un élément important pour l’évolution de la per-
tinence du jugement clinique. La qualité de la
conclusion clinique posée par un professionnel de
santé est dépendante du haut raisonnement cli-
nique qui peut s’acquérir pendant les temps de for-
mation mais qui, sans aucun doute, se développe
avec l’expérience professionnelle.
Le raisonnement clinique nous centre obligatoire-
ment sur le malade et sur la personne du malade
et certaines connaissances en sciences humaines
sont devenues incontournables et ne se limitent
pas à la simple définition de mots tels que santé et
maladie. L’étude des concepts centraux sur l’être
humain nous apportent un éclairage essentiel pour
comprendre le sens de la démarche clinique et
pour guider le processus du raisonnement clinique.
Notre choix a donc été de poser les fondements
de la conception humaniste des soins avant de
développer la méthodologie du raisonnement cli-
nique.
L’ÊTRE HUMAIN EN SITUA-
TION DE MALADIE, LE SENS
DE LA DÉMARCHE CLINIQUE
« L’homme » est un être humain très complexe
qui, vu de l’extérieur, est représenté par un corps
trop souvent considéré comme « objet de soins »
mais si on le regarde à l’intérieur nous pouvons
découvrir une dimension qui lui permettra de deve-
nir sujet: les pensées, les désirs, les émotions. Ce
n’est qu’à partir du moment où le soignant lui
donne la parole, l’écoute, le comprend que cette
personne peut devenir acteur de sa santé et par-
ticiper aux choix des interventions de soins.
L’homme est un donc un être humain qui pense
et agit sa pensée. Il la transforme en acte en fonc-
tion des ressources personnelles issues de ses
expériences passées, l’évaluation de la situation
et la décision d’une réponse. Si Le professionnel
de santé respecte cette liberté d’action et de
détermination face à une situation, le patient
pourra assumer les conséquences de ses actes,
en avoir la responsabilité. Cette notion est fon-
damentale dans le processus thérapeutique et
l’objectif, en relation d’aide, va consister, pour
une bonne part, à redonner une certaine res-
ponsabilité au patient.
Il existe une véritable dynamique de maturation
chez l’être humain. Il s’agit d’un être de désirs, qui
apprend et est amené à construire ses désirs. En
faisant ses choix, le patient se détermine par rap-
port à un contexte, une situation et sa réponse est
fonction de ses apprentissages, de son évaluation,
et de son intention à agir de telle ou telle manière.
L’attitude et le comportement du soignant devien-
nent alors essentiels dans la démarche clinique et
ÉVOLUTION DE LA SINGULARITÉ
VERS L’INTERDISCIPLINARITÉ
Thérèse PSIUK,
Directrice pédagogique ;
Césiform (Conseil en sciences infirmières et Formation)
A DÉMARCHE CLINIQUE
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L
Mots clés: démarche clinique, démarche de soins, raisonnement clinique, jugement clinique, counseling,
relation d’aide, interdisciplinarité, soins coordonnés.
le raisonnement clinique qu’il va développer dans son inter-
action avec les malades sera un raisonnement basé sur des
hypothèses et non des certitudes, un raisonnement qui
sera conséquent aux observations d’indices objectifs et
non d’interprétations subjectives. Le sens des soins, quel
que soit le professionnel de santé, sera le même : identi-
fier la véritable problématique de santé en centrant le rai-
sonnement clinique sur l’être humain en situation de mala-
die, en intégrant les ressources, les capacités, les
compétences exprimées par chaque patient.
Pourra-t-on encore longtemps rester dans une démarche
singulière ? Les médecins centrés sur les pathologies, les
infirmiers centrés sur un rôle propre qui n’en finit pas d’être
redéfini et les autres professionnels de santé centrés sur un
élargissement de leurs actes ? Si nous respectons tous le
même sens de la démarche clinique en partant du patient,
nous allons obligatoirement évoluer vers une démarche
interdisciplinaire qui sera une valeur ajoutée à la qualité des
soins.
La crainte souvent exprimée par les représentants des asso-
ciations infirmières est de perdre son « autonomie » pro-
fessionnelle si on ne défend pas son rôle propre; nous ne
devons pas oublier que l’autonomie se construit à partir
de ce qui se vit dans la vie quotidienne. Les notions de par-
tage, d’interaction, de travail en groupe, de coopération
sont très présentes dans la construction de l’autonomie.
Dans le même temps le développement de l’autonomie
favorise l’individualisation et le sentiment de liberté mais
c’est une capacité qui ne peut se développer que dans l’in-
terdépendance des membres d’une équipe.
Nous verrons dans un chapitre ultérieur que l’interdisci-
plinarité sera plus présente dans la coordination des rai-
sonnements cliniques et les soins coordonnés et que le
rôle propre de chaque professionnel de santé prendra alors
toute sa dimension à la fois dans les niveaux de jugement
clinique autorisés par la législation professionnelle et l’ex-
périence et la démarche de soins pour adapter les soins
aux contextes spécifiques de chaque patient.
Mais revenons à l’être humain pour essayer de le com-
prendre un peu plus, car vivre une maladie est sans doute
un évènement de vie marquant pour chaque personne.
En effet, les expériences de la vie constituent une somme
de savoirs et la façon personnelle que chacun a de traver-
ser tel ou tel évènement. Lorsqu’un patient parle d’un évè-
nement de vie, il parle de lui, de ce qui l’a amené à s’inté-
resser à cet évènement, et pourquoi ce dernier a fait
résonance en lui. L’expérience va être la façon dont il appré-
hende son évènement de vie. Walter Hesbeen définit la
maladie comme une expérience singulière dans l’histoire
de vie d’une personne:
«La maladie, quelle qu’elle soit, ne sera pas vécue de la même
façon par chacun car elle s’inscrit dans une situation de vie
unique animée par un désir de vivre, lui aussi unique. C’est que
la maladie a beau être objectivée dans le corps que l’on a, elle
ne touche en fin de compte, que le corps que l’on est »1
A chaque situation nouvelle, à chaque événement l’être
humain change et s’adapte. L’adaptation prend des formes
multiples, elle est intra organique avec la régénération des
tissus, la guérison des maladies, mais elle existe également
dans l’ajustement psychologique, cognitif et social de la per-
sonne aux évènements qu’elle rencontre.
Ce mouvement perpétuel augmente encore la difficulté
pour le développement de la connaissance de l’homme;
Les recherches médicales associées aux recherches en
sciences humaines nous en dévoilent aujourd’hui toute la
complexité mais il est encore très difficile d’en saisir tous
les aspects.
Quel est donc le vécu et les réactions de Monsieur D 42
ans qui fait un infarctus ?, ou de Mme H 38 ans atteinte
d’une sclérose en plaque ? ou de Mme F. 50 ans qui souffre
d’une maladie maniaco - dépressive ?
Pour ces trois personnes la maladie va s’exprimer par des
signes, des symptômes identifiables par le médecin et les
professionnels de santé comme étant les caractéristiques
de la pathologie. Au delà des manifestations décrites dans
les manuels scientifiques de médecine, la symptomatolo-
gie va s’exprimer avec une intensité différente en fonction
de la personne; Chaque malade va réagir au traitement
avec sa propre sensibilité; la survenue des complications
liées aux pathologies et aux effets secondaires des traite-
ments est également spécifique à chaque personne.
Les connaissances scientifiques développées autour des
maladies listent des signes cliniques standardisés et les com-
plications potentielles prévalantes. Cependant, la com-
plexité de l’être humain inhérent à sa singularité sur les
plans anatomiques, physiologiques, psychologiques, envi-
ronnementaux est à l’origine de zones d’incertitudes. Les
recherches actuelles font appel aux sciences humaines pour
essayer de comprendre l’origine des maladies, les diffé-
rences dans leur évolution en fonction des capacités adap-
tatives des personnes. Le courant de la psychologie de la
santé prend de plus en plus d’ampleur dans les recherches
médicales. Cette nouvelle science nous oriente vers la per-
sonne en état de maladie, en clarifiant les facteurs qui vont
influencer sa stratégie d’ajustement à sa situation.
Nous devons donc prendre conscience que la maladie est
un dysfonctionnement non seulement somatique mais éga-
lement avec une dimension vécue essentielle pour en com-
prendre toutes les conséquences sur l’être humain; le « res-
senti » du malade est conséquent aux croyances et aux
LA DÉMARCHE CLINIQUE INFIRMIÈRE
Évolution de la singularité vers l’interdisciplinarité
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 84 - MARS 2006 17
1W. Hesbeen, prendre soin à l’hôpital, interéditions masson, 1997, p 24
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 84 - MARS 2006
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conceptions individuelles qu’il a de sa maladie. Chaque
personne se construit une image de son mal et de l’ex-
périence qu’il vit. Les théories subjectives de la maladie
ont ainsi été décrites par de nombreux auteurs. Le
concept « perception de la maladie »2décrit : « la façon
dont les individus pensent à la maladie ou la perçoivent. Ce
processus peut se référer soit à la manière dont un individu
en bonne santé pense à des maladies particulières (proto-
types de maladie) soit à la manière dont un individu atteint
d’une maladie lui donne sens ».
Les dimensions comprises dans cette représentation de
la maladie sont:
- La nature des symptômes et l’étiquette employée,
- Ce que la personne soignée croit être la ou les causes
probables,
- Ce que le patient croit être la durée probable de la
maladie,
- Ce que la personne soignée croit quant à la possibilité
de guérison et de contrôle,
- Les effets probables de la maladie.
Ce concept de représentations subjectives de la mala-
die, amènent les professionnels de santé à prendre
conscience de « l’écart entre la théorie de la maladie du
médecin (ou de l’infirmière) et celle du malade ». Les com-
portements en rapport avec la maladie que nous obser-
vons sont donc conséquents à la perception qu’a le
malade de sa maladie; il peut s’agir de comportements
négatifs tels que retard dans la demande d’aide, non-
observance au traitement, non-participation aux pro-
grammes de réadaptation.
Une étude montre « qu’il est non seulement possible de
modifier les perceptions qu’ont les patients de la durée, des
conséquences et de la possibilité de guérison de leur mala-
die cardiaque, mais également que ces modifications débou-
chent sur une amélioration du comportement, comme, par
exemple, un retour plus rapide au travail »3.
La considération de l’être humain dans sa maladie nous
donne une dimension complémentaire très importante
car cette maladie s’inscrit dans l’histoire personnelle de
la personne en prenant un sens particulier pour chaque
patient. Ces nouveaux paramètres permettent d’abor-
der l’analyse globale d’une situation clinique de façon
plus pertinente et renforce la place de la relation pour
tous les professionnels de la santé.
La relation est bien le fondement de la pratique car l’in-
firmière doit créer un climat de confiance lors de chaque
interaction avec le malade qui favorisera un échange
authentique de qualité. Le patient ne peut confier son
histoire de vie et ses représentations mentales que dans
une relation positive où il ne sent ni le jugement de
valeur, ni l’ironie mais une acceptation inconditionnelle
de ce qu’il est et de ce qu’il vit. Cette attitude positive
sur l’observation des comportements du malade et sur
l’écoute de ses explications est l’expression d’une
conception humaniste de la personne soignée.
Nous allons nous arrêter dans le chapitre suivant sur
cette relation en développant les principales caractéris-
tiques que nous avons empruntées aux fondateurs de
la relation d’aide tels que Carl Rogers et Abraham
Maslow.
LA RELATION D’AIDE COUN-
SELING, FONDEMENT DE LA DÉ-
MARCHE CLINIQUE
Carl Rogers et Abraham Maslow, sont en effet les deux
grands noms du courant humaniste. C’est en 1939 que
Carl Rogers publie son premier livre, the clinical treat-
ment of the problem child, ouvrage qui contient les bases
de sa démarche.
« la relation d’aide est une relation permissive, structurée de
manière précise, qui permet au client d’acquérir une com-
préhension de lui-même à un degré qui le rende capable de
progresser à la lumière de sa nouvelle orientation. Cette hypo-
thèse a un corollaire naturel : toutes les techniques utilisées
doivent avoir pour but de développer cette relation libre et
permissive, cette compréhension de soi dans l’entretien d’aide,
et cette orientation vers la libre initiative de l’action. »
Quant à Abraham Maslow, Il ne peut concevoir que
l’homme soit étudié à partir de ses comportements
anormaux tels que la névrose, la psychose et l’ensemble
des états pathologiques; cela revient pour lui à la théo-
rie de l’anormalité. Maslow va donc partir de l’obser-
vation de l’être humain et développe en 1954 une théo-
rie relative à l’existence d’une hiérarchie dans les besoins
qui prend en compte la conscience, l’éthique, l’indivi-
dualité et les valeurs spirituelles. Pour lui, c’est l’insatis-
faction du besoin qui entraîne la souffrance et l’émotion
est un indicateur précieux de satisfaction ou de non
satisfaction du besoin.
Le mot « counseling » a d’abord été utilisé par Rogers
qui le définit comme une relation dans laquelle une per-
sonne tente d’aider une autre à comprendre et à
résoudre des problèmes auxquels elle doit faire face.
Les professionnels de santé qui utilise ce courant de pen-
sée croient en la dignité et en la valeur de l’individu, dans
la reconnaissance de sa liberté à déterminer ses propres
valeurs et objectifs et dans son droit à poursuivre son
2UWE FLICK,La perception quotidienne de la santé et de la maladie, ed. Lharmattan p 21.
3Traité de Psychologie de la santé sous la direction de Gustave-Nicolas FISCHER, éditions Dunod p 131.
LA DÉMARCHE CLINIQUE INFIRMIÈRE
Évolution de la singularité vers l’interdisciplinarité
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 84 - MARS 2006 19
style de vie. Souvent il n’en a pas conscience et ignore
son potentiel de développement, aussi le counseling
vise-t-il à l’aider à développer sa singularité et à accen-
tuer son individualité. Plusieurs articles sur le coun-
seling font référence à la responsabilité de la per-
sonne vis-à-vis d’elle-même, d’autrui et de son
environnement.
Nous retrouvons là les caractéristiques développées au
premier chapitre sur l’être humain et notre conviction
sur une relation d’aide counseling se confirme : la rela-
tion soignant/soigné, fondement du raisonnement cli-
nique, est un médiateur qui va faciliter la clarification de
la « demande » du patient et l’émergence du potentiel
d’évolution et de changement. Les techniques utilisées
par le professionnel de santé dans son interaction res-
pectent la personne du patient qui n’est pas jugé et qui
pourra établir ses propres choix.
En France, le counseling a été introduit en 1928 sous la
forme du Conseil d’orientation professionnelle. En 1961,
l’Association Française des Centres de Consultation
Conjugale va le développer auprès des couples (conseil
conjugal). L’histoire mondiale du counseling sera traversée
par de multiples approches : cognitivo-comportementale,
existentielle, psychanalytique, émotionnelle, systémique, à
tel point que le counseling donnera lieu à l’émergence de
plusieurs courants théoriques, cliniques et pratiques. Dans
les années 1987, l’Organisation Mondiale de la Santé va
choisir et recommander le counseling comme la métho-
dologie d’aide, de soutien et de prévention la plus appro-
priée au niveau mondial pour faire face aux innombrables
menaces individuelles, communautaires et collectives
engendrées par l’épidémie de l’infection par le VIH.
Ce courant de pensée sur la relation d’aide n’est pas
encore suffisamment introduit dans les études médicales
et paramédicales. La confusion avec la psychothérapie est
encore présente et est souvent à l’origine d’une difficulté
d’application dans les unités de soins de nombreuses for-
mations sur la relation d’aide. Le counseling s’exerce dans
l’ici et le maintenant de la réalité sociale, et ce dans tous
les domaines de la vie personnelle, professionnelle et col-
lective. La psychothérapie tend à s’exercer à l’abri des envi-
ronnements sociaux, en des lieux protégés, et privilégie
souvent la consultation individuelle. Le counseling s’ap-
plique à toutes les dimensions bio-psycho-sociologiques de
la personne ; la psychothérapie tend à s’appliquer exclu-
sivement au psychisme ou à l’être de la personne.
La démarche clinique infirmière prend donc toute sa
dimension si elle est fondée sur une relation d’aide coun-
seling. L’écoute va être primordiale car cette relation
implique pour le soignant une sensibilité et une atten-
tion à autrui. Le malade est alors surpris d’être entendu
dans des expériences de vie souvent vectrices de juge-
ments ou d’opinions hâtives. Les chercheurs dévelop-
pent 3 niveaux d’écoute:
Le premier niveau concerne ce qui est dit dans la rela-
tion. Cependant, si on reste à ce niveau, la relation ne
se développera pas beaucoup et le soignant reste en
position « d’écouter une histoire ».
Le second niveau, défini par certains auteurs comme
une « attention flottante », concerne non seulement ce
qui est dit mais aussi ce qu’il y a « au-delà des mots ».
Le professionnel est bien sûr attentif aux mots mais aussi
aux aspects non-verbaux (expression du visage, gestes,
mouvement des yeux...) et para-linguistiques (volume,
ton, rapidité...) utilisés par le patient.
Au-delà de ces deux niveaux d’écoute, le counselor
doit aussi être attentif à ses pensées, ses émotions,
ses sensations corporelles. En effet, elles peuvent lui
servir d’indicateurs sur ce qui se passe dans la rela-
tion et le soignant peut les utiliser en quelque sorte
comme « une caisse de résonance » du développe-
ment de la relation.
L’écoute est la compétence de base dans la démarche
clinique, mais écouter n’est pas un processus de soins
et ne suffit pas pour accompagner l’adaptation et le
changement; le professionnel de santé va également
développer la capacité à reformuler les contenus d’un
entretien, les sentiments et les émotions exprimées.
Pour acquérir cette compétence, les attitudes fonda-
mentales à développer sont : l’acceptation, le non juge-
ment, la compréhension empathique, la congruence.
Certaines techniques peuvent également être utilisées
à condition d’être introduites au moment adéquat car
leur effet peut être négatif si le soignant ne perçoit pas
la fragilité psychologique du patient; nous pouvons citer
les techniques les plus utilisées: les questions ouvertes,
la reformulation, la clarification, la focalisation, les
silences, le reflet, l’accompagnement dans la prise de
décisions.
Cette première approche de la relation d’aide counse-
ling nous confirme dans la nécessité, pour l’infirmière
et les autres professionnels de santé, de connaître les
caractéristiques de l’être humain avant d’être dans un
contexte de relation aidante, car on touche alors à un
monde intérieur complexe et riche. Dans une démarche
clinique, l’interaction est inévitable et comment pré-
tendre aider l’autre si un certain savoir n’est pas pré-
sent pour soutenir les actions.Les connaissances en
sciences médicales sont indispensables pour tous les
professionnels de santé et demandent à être actualisées
mais les connaissances en sciences humaines sont deve-
nues incontournables pour ces mêmes professionnels
de santé afin d’agir avec compétence lors des interac-
tions avec le patient. Les recherches nous concernent
tous, comme par exemple la résilience qui est un
concept récent en France mais très séduisant car un
des attributs est l’identification et le développement des
compétences.
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 84 - MARS 2006
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Dans un article récent4, nous avons présenté la résilience
comme un atout supplémentaire pour la qualité des soins
car ce concept nous éclaire sur les deux phases princi-
pales quand une personne vit un évènement avec un cer-
tain traumatisme: la confrontation et le rebondissement.
L’accompagnement du soignant est alors adapté en fonc-
tion du vécu du patient dans ces deux phases.
Cet exemple nous montre que le développement des
connaissances scientifiques sur l’être humain est primor-
dial pour affiner l’harmonisation des attitudes et des
techniques utilisées dans la relation d’aide counseling.
Cependant, le patient a une place primordiale dans le savoir
et le soignant va l’aider à construire « sa » solution. En expo-
sant sa situation, la façon dont il voit le monde et le poids
des évènements qui le concernent, le patient nous livre son
savoir intime sur son monde intérieur : le soignant doit être
à l’écoute de ce savoir. C’est en conjuguant toutes ses com-
pétences cognitives au savoir du patient que le profession-
nel de santé en général et les infirmières en particulier vont
développer leur compétence dans l’action ; l’expérience
devient un facteur essentiel dans la compétence à agir avec
compétence. C’est une des raisons pour lesquelles la conju-
gaison des raisonnements cliniques multiprofessionnels (par
exemple toutes les infirmières prenant en charge un patient)
et multidisciplinaires (plusieurs personnes de disciplines dif-
férentes autour du même patient) sera un atout important
pour la pertinence des jugements cliniques.
Ces deux premiers chapitres sur l’être humain malade
et sur la relation soignant soigné renforcent notre opinion
sur la pratique infirmière : elle ne peut pas se limiter à la
simple exécution d’actes car il y a obligatoirement une
réflexion pour adapter le soin au malade, pour anticiper
les problèmes prévalents prioritaires, pour identifier les
compétences du malade et pour décider les soins à réa-
liser. L’exercice professionnel entre bien dans le champ
du raisonnement clinique explicite pour que les inter-
ventions de soins aient un sens pour le malade et pour
le soignant. Cependant il ne faut pas limiter le raisonne-
ment clinique de l’infirmière aux diagnostics infirmiers
car c’est à ce moment là ignorer les multiples décisions
prises par les infirmières dans leur activité quotidienne et
qui se situent dans le domaine des problèmes traités en
collaboration : la pathologie et les complications liées à
la pathologie et aux traitements.
LA DÉMARCHE CLINIQUE ET LA
DÉMARCHE DE SOINS
Dans une prise en charge globale des problèmes de
santé, le soignant prend en charge aussi bien la patho-
logie que les réactions à la pathologie.
Quel est le ressenti du malade dans la situation qu’il est
en train de vivre? Comment vit-il sa maladie?, son hos-
pitalisation? La séparation avec sa famille? Au-delà de la
pathologie, ce vécu est essentiel et peut d’ailleurs influen-
cer très fortement l’évolution, l’apparition de compli-
cations. La qualité de prise en charge globale des pro-
blèmes de santé d’une personne est conditionnée par la
pertinence d’une démarche clinique suivie d’une
démarche de soins.
Proposition des définitions
Depuis plusieurs années, nous conduisons une
recherche action à l’occasion des formations supervi-
sions dans les unités de soins dans les différents établis-
sements de santé. La démarche clinique est le concept
central de nos formations et nous sommes donc aujour-
d’hui en mesure de clarifier la démarche clinique et la
démarche de soins. Nous proposons une définition de
la démarche clinique et de la démarche de soins en les
intégrant dans une complémentarité et une circularité.
La démarche clinique est le processus d’identifica-
tion de l’ensemble des problèmes de santé réels et
potentiels d’une personne mais également des capaci-
tés, en considérant que pour la personne âgée il convient
de relativiser les problèmes avec le vieillissement phy-
siologique.
La philosophie des soins qui sous tend cette démarche
clinique est une conception humaniste des soins qui
prend en considération l’expression personnalisée des
maladies et les réactions comportementales de la per-
sonne à sa maladie, à son placement, à son hospitalisa-
tion…
La démarche de soins est un processus d’adaptation
du soin à la personne. Elle est à la fois l’adaptation d’un
soin aussi bien prescrit par le médecin que prescrit par
l’infirmière et la stratégie globale des soins pour une per-
sonne.
L’approche complexe de la situation clinique d’une per-
sonne nous amène à étudier l’interaction entre maladie,
complications et réactions humaines physiologiques et
psychologiques. La démarche de soins est la résultante
d’une démarche clinique pertinente comme dans
l’exemple de madame G:
« Mme G est présente à la résidence depuis 1 mois; elle est
venue du CHD après 3 semaines d’hospitalisation suite à un
AVC ischémique occipital droit avec séquelles au niveau du
champ de vision (hémianopsie gauche). Madame G présente
une HTA et une démence vasculaire; présente également
une cataracte bilatérale. Actuellement, pas de déficit moteur
4Th. Psiuk, la résilience un atout pour la qualité des soins in Recherche en soins infirmiers N° 82, septembre 2005, pp 12 à 21
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