LA DÉMARCHE CLINIQUE INFIRMIÈRE
Évolution de la singularité vers l’interdisciplinarité
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 84 - MARS 2006 19
style de vie. Souvent il n’en a pas conscience et ignore
son potentiel de développement, aussi le counseling
vise-t-il à l’aider à développer sa singularité et à accen-
tuer son individualité. Plusieurs articles sur le coun-
seling font référence à la responsabilité de la per-
sonne vis-à-vis d’elle-même, d’autrui et de son
environnement.
Nous retrouvons là les caractéristiques développées au
premier chapitre sur l’être humain et notre conviction
sur une relation d’aide counseling se confirme : la rela-
tion soignant/soigné, fondement du raisonnement cli-
nique, est un médiateur qui va faciliter la clarification de
la « demande » du patient et l’émergence du potentiel
d’évolution et de changement. Les techniques utilisées
par le professionnel de santé dans son interaction res-
pectent la personne du patient qui n’est pas jugé et qui
pourra établir ses propres choix.
En France, le counseling a été introduit en 1928 sous la
forme du Conseil d’orientation professionnelle. En 1961,
l’Association Française des Centres de Consultation
Conjugale va le développer auprès des couples (conseil
conjugal). L’histoire mondiale du counseling sera traversée
par de multiples approches : cognitivo-comportementale,
existentielle, psychanalytique, émotionnelle, systémique, à
tel point que le counseling donnera lieu à l’émergence de
plusieurs courants théoriques, cliniques et pratiques. Dans
les années 1987, l’Organisation Mondiale de la Santé va
choisir et recommander le counseling comme la métho-
dologie d’aide, de soutien et de prévention la plus appro-
priée au niveau mondial pour faire face aux innombrables
menaces individuelles, communautaires et collectives
engendrées par l’épidémie de l’infection par le VIH.
Ce courant de pensée sur la relation d’aide n’est pas
encore suffisamment introduit dans les études médicales
et paramédicales. La confusion avec la psychothérapie est
encore présente et est souvent à l’origine d’une difficulté
d’application dans les unités de soins de nombreuses for-
mations sur la relation d’aide. Le counseling s’exerce dans
l’ici et le maintenant de la réalité sociale, et ce dans tous
les domaines de la vie personnelle, professionnelle et col-
lective. La psychothérapie tend à s’exercer à l’abri des envi-
ronnements sociaux, en des lieux protégés, et privilégie
souvent la consultation individuelle. Le counseling s’ap-
plique à toutes les dimensions bio-psycho-sociologiques de
la personne ; la psychothérapie tend à s’appliquer exclu-
sivement au psychisme ou à l’être de la personne.
La démarche clinique infirmière prend donc toute sa
dimension si elle est fondée sur une relation d’aide coun-
seling. L’écoute va être primordiale car cette relation
implique pour le soignant une sensibilité et une atten-
tion à autrui. Le malade est alors surpris d’être entendu
dans des expériences de vie souvent vectrices de juge-
ments ou d’opinions hâtives. Les chercheurs dévelop-
pent 3 niveaux d’écoute:
Le premier niveau concerne ce qui est dit dans la rela-
tion. Cependant, si on reste à ce niveau, la relation ne
se développera pas beaucoup et le soignant reste en
position « d’écouter une histoire ».
Le second niveau, défini par certains auteurs comme
une « attention flottante », concerne non seulement ce
qui est dit mais aussi ce qu’il y a « au-delà des mots ».
Le professionnel est bien sûr attentif aux mots mais aussi
aux aspects non-verbaux (expression du visage, gestes,
mouvement des yeux...) et para-linguistiques (volume,
ton, rapidité...) utilisés par le patient.
Au-delà de ces deux niveaux d’écoute, le counselor
doit aussi être attentif à ses pensées, ses émotions,
ses sensations corporelles. En effet, elles peuvent lui
servir d’indicateurs sur ce qui se passe dans la rela-
tion et le soignant peut les utiliser en quelque sorte
comme « une caisse de résonance » du développe-
ment de la relation.
L’écoute est la compétence de base dans la démarche
clinique, mais écouter n’est pas un processus de soins
et ne suffit pas pour accompagner l’adaptation et le
changement; le professionnel de santé va également
développer la capacité à reformuler les contenus d’un
entretien, les sentiments et les émotions exprimées.
Pour acquérir cette compétence, les attitudes fonda-
mentales à développer sont : l’acceptation, le non juge-
ment, la compréhension empathique, la congruence.
Certaines techniques peuvent également être utilisées
à condition d’être introduites au moment adéquat car
leur effet peut être négatif si le soignant ne perçoit pas
la fragilité psychologique du patient; nous pouvons citer
les techniques les plus utilisées: les questions ouvertes,
la reformulation, la clarification, la focalisation, les
silences, le reflet, l’accompagnement dans la prise de
décisions.
Cette première approche de la relation d’aide counse-
ling nous confirme dans la nécessité, pour l’infirmière
et les autres professionnels de santé, de connaître les
caractéristiques de l’être humain avant d’être dans un
contexte de relation aidante, car on touche alors à un
monde intérieur complexe et riche. Dans une démarche
clinique, l’interaction est inévitable et comment pré-
tendre aider l’autre si un certain savoir n’est pas pré-
sent pour soutenir les actions.Les connaissances en
sciences médicales sont indispensables pour tous les
professionnels de santé et demandent à être actualisées
mais les connaissances en sciences humaines sont deve-
nues incontournables pour ces mêmes professionnels
de santé afin d’agir avec compétence lors des interac-
tions avec le patient. Les recherches nous concernent
tous, comme par exemple la résilience qui est un
concept récent en France mais très séduisant car un
des attributs est l’identification et le développement des
compétences.