Thérèse PSIUK,
Directrice pédagogique, organisme de formation Lille
L’ESPACE INTIME DU SOIN
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 93 - JUIN 2008
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PRATIQUES ET RECHERCHES INFIRMIÈRES
EN FRANCE AUJOURD’HUI
Le patient, le malade, le client… est avant tout un être
humain qui est encore trop souvent considéré comme
« objet de soins ». Ce patient peut cependant deve-
nir acteur de sa santé et participer aux choix le
concernant si le soignant lui donne la parole, l’écoute,
le comprend en laissant ainsi la place aux pensées, aux
désirs, aux émotions.
Le fondement du soin, quel que soit le professionnel de
santé est alors la relation que nous qualifierons d’emblée
de « relation counseling »1qui se développe lors de
toute interaction avec un patient dans l’ici et mainte-
nant. La spécificité de l’infirmière dans l’intensité de la
relation d’aide prend son sens à la fois dans un espace
temporel important puisque la présence individuelle est
équivalente à un poste de travail, mais également dans
une dimension pluriprofessionnelle puisque les infir-
mières assurent vingt quatre heures de présence en
effectuant le plus souvent trois postes de travail.
Dans ce contexte, le lien de confiance entre l’infir-
mière et le patient, entre les infirmières et le patient
peut se construire si les infirmières développent des
compétences lors de l’interaction avec chaque patient
en combinant connaissances en sciences humaines,
connaissances en sciences médicales, les trois niveaux
d’écoute et les invariants de qualité du soin. L’objectif
est d’agir avec compétence lors de chaque rencontre
avec le patient en lui proposant un soin personnalisé
dans les différentes dimensions du soin infirmier.
COMMENT DÉFINIR
L’INTERACTION?
Nous avons commencé depuis plusieurs années un
travail de recherche2sur « l’interaction infirmière-
malade pendant le soin technique » considérant que
cette dimension du soin est réalisée régulièrement
par les infirmières dans les situations cliniques aiguës.
Ce travail nous a orienté vers un développement de
connaissances sur le concept de communication et le
concept d’interaction. Le modèle théorique enseigné
pendant nos études d’infirmières nous est alors
apparu comme étant très restrictif: « un émetteur
envoie un message à un récepteur qui devient à son
tour émetteur, etc. ». La communication doit être
considérée comme un système multicanal, auquel l’ac-
teur social participe à tout instant, à la fois par une
communication verbale et paraverbale, mais égale-
ment par une communication non verbale.
On ne peut pas ne pas communiquer et même le
silence est significatif. Une infirmière qui réalise un
soin technique est en interaction; elle peut effectuer
le soin sans prononcer une parole mais elle commu-
nique obligatoirement par le regard, le geste, les pos-
tures… et ceci en synergie avec la communication
non verbale du malade. Bien sûr, l’interaction verbale
est essentielle dans cette relation et son contenu va
s’enrichir avec l’acquisition de compétences par l’ap-
prentissage et par l’expérience. De plus, l’infirmière
qui maîtrise la technique sera d’autant plus disponible
au cours des échanges avec la personne soignée.
Lorsque deux personnes sont en relation, il n’y a pas
une série d’actions qui se succèdent mais il en résulte
une construction conjointe d’interventions, ce qui
nous autorise à parler d’interactions.
Que pensez vous de Valérie, infirmière débutante
dans une maison de retraite?
« Valérie, nouvelle infirmière à la Maison de retraite pour per-
sonnes âgées s’étonne du comportement « habituel » de
Mme G. lors des pansements: elle crie, elle frappe et ne se
laisse pas faire; chaque jour, son pansement est fait en der-
nier car « il est très difficile à faire » : Mme G. est très oppo-
sante et ceci depuis le début de la prise en charge de son
ulcère (1 mois). Valérie l’ayant entendu fredonner la chanson
« voulez vous valser grand-mère » s’est mise à la chanter en
préparant son matériel; aussitôt Mme G. s’est mise à chan-
ter et ce duo a duré pendant tout le soin qui s’est passé sans
difficulté = rapidité, efficacité, interaction très efficace »3
Mots clés : interactions des soins, raisonnement clinique, interdisciplinarité, recherche.
1Le counseling s’exerce dans l’ici et le maintenant de la réalité sociale, et ce dans tous les domaines de la vie personnelle, professionnelle
et collective
2Non publié actuellement
3Marchal A., Psiuk T., Le paradigme de la discipline infirmière en France, Ed. Séli Arslan, 2002
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Pourquoi Valérie a-t-elle fait ce choix? Parce qu’elle s’est
intéressée à Mme G et qu’elle a observé plusieurs fois un
sourire pendant qu’elle chantait dans les couloirs ou la salle
à manger. Elle en a conclu que ce souvenir lui donnait une
émotion positive et elle a décidé de mobiliser ce souvenir
dans les situations pénibles vécues par cette personne âgée.
Valérie, lors de la réfection du pansement de Mme G. a
agi en référence à ses connaissances, son savoir-faire, son
expérience et son jugement clinique. L’hypothèse de dou-
leur a été infirmée devant l’évolution du comportement
de Mme G. Valérie a fait évoluer un soin standard en soin
personnalisé, intégrant un « savoir être » orienté vers la
personne, respectant un objectif de bien être et de satis-
faction. C’est à ce moment là que l’observation, l’atten-
tion, l’écoute, la vigilance, la créativité avec « l’autre »
prennent toute leur dimension. L’infirmière s’engage dans
un soin global qui intègre technique et relation.
N’est ce pas là une intégration du soin et du prendre soin?
L’harmonisation entre les deux a permis d’atteindre la qua-
lité du soin avec la participation de la personne. Au cours
d’un soin qui est techniquement agressif, la personne a res-
senti un bien être car l’infirmière a créé une interaction effi-
cace qui a permis la réalisation d’un soin de qualité. Le sens
du soin va bien au-delà de la réalisation d’une technique car,
pour être efficace, la prise en compte de la singularité de la
personne passe par la validation de son ressenti qui est une
composante fondamentale du soin dit « technique ».
QUELLE EST LA PLACE DU
RAISONNEMENT CLINIQUE?
L’interaction est bien au cœur même de la relation de
soin et il est fondamental d’en observer concrètement
les diverses modalités afin de la faire reconnaître comme
composante essentielle du métier et comme compétence
mise en jeu en permanence par les différents acteurs.
Dans une relation de soin, de la qualité de l’interaction
entre le professionnel de santé et le patient découle une
meilleure perception de la problématique de santé, de la
souffrance présentée et de la charge émotionnelle adja-
cente. L’attitude et le comportement du soignant devien-
nent alors essentiels dans la démarche clinique et le rai-
sonnement clinique qu’il va développer dans son
interaction avec les malades sera un raisonnement basé
sur des hypothèses et non des certitudes, un raisonne-
ment qui sera conséquent aux observations d’indices
objectifs et non d’interprétations subjectives. Le sens des
soins, quel que soit le professionnel de santé sera le
même: identifier la véritable problématique de santé en
centrant le raisonnement clinique sur l’être humain en
situation de maladie, en intégrant les ressources, les capa-
cités, les compétences exprimées par chaque patient. Les
connaissances en sciences médicales sont indispensables
pour les infirmièr(e)s mais les connaissances en sciences
humaines sont devenues incontournables pour gérer cet
espace intime du soin.
QUELS SONT LES CONCEPTS
UTILES?
Au cours de ce travail de recherche sur l’interaction infir-
mièremalade pendant le soin, nous avons approfondi la
connaissance de trois concepts essentiels: les émotions,
la stratégie d’adaptation et la résilience. Les attributs de ces
concepts ont alors clarifié notre observation intuitive réa-
lisée auprès des patients ainsi que les interventions qui
pouvaient en découler. Tous les soignants sont concernés
par le concept de résilience, quels que soient leurs lieux
d’exercice, il les amène à une confirmation de leur regard
humaniste sur les patients. Il nous conduit à positiver notre
regard sur autrui et à modifier nos pratiques en com-
mençant par mieux observer, identifier, utiliser les res-
sources propres de ceux dont nous avons à prendre soin.
Dans un article récent4nous avons présenté la résilience
comme un atout supplémentaire pour la qualité des
soins car ce concept nous éclaire sur les deux phases
principales quand une personne vit un évènement avec
un certain traumatisme: la confrontation et le rebon-
dissement. L’accompagnement du soignant est alors
adapté en fonction du vécu du patient dans ces deux
phases. La démarche clinique infirmière prend toute sa
dimension si elle est fondée sur une relation d’aide
counseling. L’écoute va être primordiale car cette rela-
tion implique pour le soignant une sensibilité et une
attention à autrui. Le malade est alors surpris d’être
entendu dans des expériences de vie souvent vecteurs
de jugements ou d’opinions hâtives. Les chercheurs
développent 3 niveaux d’écoute:
Le premier niveau concerne ce qui est dit dans la relation.
Cependant, si on reste à ce niveau, la relation ne se déve-
loppera pas beaucoup et le soignant reste en position
« d’écouter une histoire ».
Le second niveau, défini par certains auteurs comme une « atten-
tion flottante », concerne non seulement ce qui est dit mais aussi
ce qu’il y a « au-delà des mots ». Le professionnel est bien sûr
attentif aux mots mais aussi aux aspects non-verbaux
(expression du visage, gestes, mouvement des yeux…) et
para-linguistiques (volume, ton, rapidité…) utilisés par le
patient. Au-delà de ces deux niveaux d’écoute, le counselor doit
aussi être attentif à ses pensées, ses émotions, ses sensations
corporelles. En effet, elles peuvent lui servir d’indicateurs sur
ce qui se passe dans la relation et le soignant peut les utili-
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PRATIQUES ET RECHERCHES INFIRMIÈRES EN FRANCE AUJOURD’HUI
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4Psiuk T., La résilience un atout pour la qualité des soins in Recherche en soins infirmiers N° 82, septembre 2005, pp 12-21
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ser en quelque sorte comme « une caisse de résonance »
du développement de la relation.
SINGULARITÉ OU
INTERDISCIPLINARITÉ?
La pratique infirmière ne peut donc pas se limiter à la
simple exécution d’actes car il y a obligatoirement une
réflexion pour adapter le soin au malade, pour anticiper
les problèmes prévalents prioritaires, pour identifier les
compétences du malade et pour décider les soins à réa-
liser. L’exercice professionnel entre bien dans le champ
du raisonnement clinique explicite pour que les inter-
ventions de soins aient un sens pour le malade et pour le
soignant. Cependant, il ne faut pas limiter le raisonnement
clinique de l’infirmière aux diagnostics infirmiers car c’est
à ce moment là ignorer les multiples décisions prises par
les infirmières dans leur activité quotidienne et qui se
situent dans le domaine des problèmes traités en colla-
boration: la pathologie et les complications liées à la
pathologie et aux traitements. Marchal et Psiuk ont pro-
posé le modèle clinique tri focal5centré sur les 3 domaines
cliniques afin d’orienter le raisonnement clinique vers l’en-
semble des hypothèses de problèmes. Ce modèle nous
donne également une structure commune à l’ensemble
des professionnels de santé à l’intérieur de laquelle il sera
possible de raisonner soit dans une démarche singulière,
soit dans une démarche interdisciplinaire tout en respec-
tant les niveaux de jugement clinique autorisés par la légis-
lation professionnelle pour chacun des statuts.
La compétence des soignants dans le raisonnement cli-
nique va conditionner la pertinence dans la décision des
interventions de soins et que seule une démarche cli-
nique performante oriente une décision de soins per-
sonnalisés; à l’intérieur de ces choix le professionnel
de santé pourra ensuite mobiliser toutes ses compé-
tences pour agir avec compétence. Le modèle clinique
tri focal proposé par Marchal et Psiuk, centré sur la per-
sonne est adapté à la prise en charge globale du patient
par l’ensemble des professionnels de santé. Chaque
corps professionnel va cheminer dans le raisonnement
clinique en fonction de sa législation, des connaissances
acquises en formation et par l’expérience mais la qua-
lité des jugements cliniques ne pourra se développer
que dans une coordination des raisonnements cliniques
entre les professionnels, c’est ce que Gérard Fourez
appelle « les îlots de rationalité interdisciplinaires » :
« Dans le cas de la discipline des soins infirmiers, l’inter-
disciplinarité est, plus qu’en bien d’autres lieux, de mise.
Comment en effet une infirmière pourrait-elle trouver une
réponse adéquate à la question: de quoi s’agit-il lorsqu’il
faut soigner tel patient? La réponse standard de sa disci-
pline est indispensable, mais elle ne trouvera sa portée
qu’insérée dans une vision interdisciplinaire. »6
À QUEL MOMENT INTÉGRER
LA RECHERCHE?
La réflexion que nous venons de conduire autour de
l’espace intime du soin nous fait prendre conscience
qu’au-delà d’une relation de confiance et d’une percep-
tion intuitive, l’infirmière doit développer des compé-
tences pour conduire une véritable relation d’aide lors
d’une interaction avec le patient en l’harmonisant avec
le raisonnement clinique rationnel basé sur une métho-
dologie qui s’apprend. La connaissance des attributs des
concepts au-delà des simples notions ou définitions va
permettre d’augmenter les compétences mais il faut
ensuite apprendre à combiner l’ensemble des compé-
tences pour « agir avec compétence » et mettre en
œuvre des pratiques pertinentes. Dans ce processus,
les savoirs tiennent une place essentielle. Dans notre
article sur la résilience, nous avons proposé de suivre
une méthode rigoureuse pour entrer dans un véritable
processus d’évolution de la pratique professionnelle:
- lecture des livres et des articles ayant une valeur
scientifique,
- repérage des attributs « forces » du concept,
- confrontation des attributs du concept avec les repré-
sentations et les perceptions intuitives que nous
avons, ce qui éveille nos réflexes de questionnement
et crée les liens avec notre pratique professionnelle,
- évolution du regard posé sur les situations cliniques
rencontrées,
- proposition de programmes d’actions intégrant les
attributs du concept,
- mise en œuvre de ces programmes avec une
méthode de recherche action.
La recherche en soins infirmiers est encore peu déve-
loppée dans cette partie fondamentale de notre exer-
cice professionnel. L’apprentissage de la démarche cli-
nique et de l’adaptation du soin au patient, à la fois
dans les formations de base et la formation continue,
pourra donner un sens à différents sujets de recherche
qui, je le souhaite vivement, intégreront la dimension
collective avec les autres professionnels de santé.
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE
PSIUK T., Évolution de la singularité vers l’in-
terdisciplinarité. Recherche en soins infirmiers,
n°84 mars 2006
5Marchal A., Psiuk T., Le paradigme de la discipline infirmière en France, Ed. Séli Arslan, 2002
6Fourez G., des représentations aux concepts disciplinaires et à l’interdisciplinarité, in Recherche en soins infirmiers, n° 66, septembre 2001, p 22
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